Dans la foulée du n°61 commenté hier, j'enchaîne avec le n°62, le dernier en date. Dans l'éditorial, toujours des ambitions : ici, celle de ne pas faire seulement de l'histoire "opérationnelle" et d'explorer "toutes les facettes" de l'histoire militaire ; et se rapprocher de la "vérité historique" en revenant sur des "images d'Epinal"... un ton qui ressemble parfois fort à celui d'un magazine concurrent apparu il y a quelques années. Globalement ce numéro est meilleur que le précédent mais les objectifs définis dans cet édito sont encore loin d'être atteints.
- dans les fiches de lecture je note la recension de l'ouvrage sur les mythes de la Seconde Guerre mondiale par B. Rondeau, que pour ma part je n'ai pas encore lu. Je m'étonne comme lui de l'assocation entre des historiens reconnus comme O. Wierviorka, qui appartiennent à l'université, et d'autres auteurs qui n'en sont pas et que je qualifierai "d'opportunistes", pour faire simple, tous ceux qui gravitent actuellement dans et autour de l'équipe de Guerres et Histoire depuis quelques années. La recension me conforte d'ailleurs dans les limites que l'on peut distinguer à cette association. Cependant j'attends de le lire pour me faire ma propre opinion.
- le premier article est justement signé Benoît Rondeau et porte sur les mythes entourant la bataille de Kasserine. Comme de coutume, sur la guerre en Afrique du Nord, l'auteur maîtrise son sujet. Cette fois, il mentionne ses sources, ce qui est une bonne chose. Le texte est intéressant. Pour autant, sa dimension "chasse aux mythes" interroge : Guerres et Histoire bâti une bonne part de sa communication sur ce thème et l'introduction de tels articles peut laisser penser que 2ème Guerre Mondiale recherche la même chose (même idée sur l'article traitant de la Hitlerjugend, même si le résultat est moins bon cette fois), ce qui est dommage. On peut probablement mieux faire qu'une copie d'un modèle qui a aussi montré ses limites.
- dans une rubrique Ecrire l'histoire, le même B. Rondeau décortique l'historiographie du maréchal Montgomery depuis la Seconde Guerre mondiale, qui oscille entre hagiographie et légende noire. En français, récemment, deux ouvrages différents sont sortis sur Montgomery, l'un d'entre eux est cité par l'auteur, l'autre l'est par allusion, mais on le devine facilement. On retombe sur la fameuse question de l'écriture de l'histoire par des personnes qui ne sont pas forcément des historiens de métier mais qui veulent gagner en visibilité en publiant un ouvrage et ainsi "lancer" une carrière éditoriale. Suffit-il d'avoir publié un livre sur un sujet donné et/ou des articles dans la presse spécialisée pour se présenter comme spécialiste, voire pour certains comme "historien" ? Sujet intéressant qui serait à creuser.
- la deuxième partie du dossier de V. Bernard est, disons-le franchement, meilleure que la première. Cependant, à mon sens, le propos reste trop général pour être vraiment efficace. D'autant que les témoignages, schémas et tableaux qui illustrent le dossier ne sont pas sourcés : la bibliographie mentionnée dans la première partie et les quelques sites Internet donnés dans celle-là ne peuvent être la source de tous ces documents. Dommage !
- dommage aussi que la double page intéressante (La 2ème Guerre Mondiale au présent) de David François (et non Vincent Bernard comme cela est indiqué dans le sommaire) sur la réhabilitation du fascisme en Italie ne comprenne pas quelques références (même si l'auteur y fait un peu allusion dans le texte).
- déception également avec l'article de Christophe Prime sur la Hitlerjugend en Normandie, censé montrer que la réputation de la division est surfaite. On a là en fait un classique historique d'unité, avec un encadré très général sur la propagande, un autre sur les crimes de guerre, et un argument répété plusieurs fois, celui selon lequel la Hitlerjugend n'a pas été saignée à blanc plus que les autres formations en Normandie. N'aurait-il pas plutôt fallu problématiser réellement l'article autour des crimes de guerre, de la propagande nazie (et alliée pourquoi pas puisque l'auteur en parle), des relations avec les civils ? Les sources laissent songeur puisqu'à côté d'ouvrages sérieux sont cités 2 livres des éditions Heimdal, bien connues pour leur fascination pour les SS et un certain penchant politique qui va de pair...
- Franck Ségretain livre un article original sur la bataille de Stalingrad dans l'oeuvre de Vassili Grossman. Les sources apparaissent en note : l'auteur semble beaucoup s'inspirer de l'ouvrage de Myriam Anissimov ; les encadrés sont instructifs mais dans le texte lui-même il y a beaucoup d'extraits de l'oeuvre de Grossman et finalement assez peu d'analyse. Dommage car le sujet promettait.
Au total, comme je le disais en préambule, le N°62 est meilleur que le 61 (on note par contre qu'entre les deux numéros les pages d'actualités sur le conflit au début du magazine ont disparu). Pour autant, si les sources apparaissent plus, la problématisation réelle des articles a plus de mal à faire son chemin, tout comme le fait de s'extraire d'une histoire souvent opérationnelle. Comment souvent, tout dépend de qui écrit, et sur quoi. S'approcher de la "vérité historique", c'est peut-être d'abord faire de l'histoire, tout simplement, même dans les magazines de la presse spécialisée.