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[Mathieu MORANT] Juillet 2014 : Syrie, après la prise du 121ème Régiment, retour sur les gains de l'Etat Islamique

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Par Mathieu Morant : passionné par l'histoire militaire contemporaine du Proche et Moyen Orient. Observe et archive la documentation sur le conflit syrien depuis 2011, en particulier les armements employés par les belligérants.


Juillet 2014 : un mois après la prise spectaculaire de Mossoul en Irak (du 4 au 10 juin 2014), l'Etat Islamique (EI) franchit un nouveau palier, cette fois en Syrie, en lançant cette fois une offensive contre le champ gazier d' Al-Chaer, situé à l'est de Palmyre, dans la province d'Homs : fait notable et nouveau, ce sont cette fois des secteurs sous contrôle des forces fidèles au Régime syrien qui sont visés par les jihadistes de l'EI. Le 17 juillet, le champ gazier d'Al-Chaer est entre les mains de l'EI. Quelques jours plus tard, confirmant cette nouvelle tournure sur le théâtre d'opération syrien, une offensive est lancée, dans un premier temps contre les quartiers généraux de la 17ème Division à Raqqa, le 23 juillet 2014, suivie, à quelques heures d'intervalle, d'une attaque contre le Régiment 121, localisé dans le gouvernorat d'Hassaké. Le 7 août, c'est au tour de la 93ème Brigade, stationnée au sud d'Aïn Issa, de succomber sous les assauts de l'EI.
Dans cette étude, nous allons nous attarder sur le Régiment 121, au décrivant dans un premier temps le contexte opérationnel de cette unité. Puis, en nous appuyant sur les vidéos et photographies diffusés par la propagande de l'EI, nous reviendrons sur les armements et matériels capturés au sein des installations militaires du Régiment.



Le Régiment d'Artillerie 121 : quellle organisation théorique ?

Dans sa remarquable étude, Joseph Holiday présente la 17ème Division comme une division de réserve, indépendante des 3 Corps d'Armée qui structurent l'armée syrienne. Responsable de l'ensemble de la région Est de la Syrie, la 17ème est une division d'infanterie mécanisée, organisée théoriquement autour de 3 Brigades, et d'un Régiment d'Artillerie. Seules 2 Brigades ont été identifiées : la 93ème Brigade Blindée, casernée au sud d'Aïn Issa, et la 137ème Brigade Mécanisée, basée quant à elle dans les environs de Deir ez-Zor. Le Régiment d'Artillerie de la 17ème Division, désormais identifié comme le 121ème Régiment, prend ses quartiers à 5 kilomètres au sud d'Hassaké, à Al-Melabya. La base militaire située à environ un kilomètre au nord de Raqqa est, quant à elle, le quartier général divisionnaire de la 17ème, et les casernements de divers bataillons de soutien (support, logistique, etc).
L'organisation théorique du Régiment d'artillerie divisionnaire de la 17ème reste la grande inconnue : la présence d'obusiers D-30 de 122 mm au sein de la 93ème Brigade (au moins 9 pièces comptabilisées dans les casernements d'Ain Issa), laisse supposer que le 121ème Régiment n'alignait théoriquement que des canons de campagne M-46 de 130 mm, et des lances-roquettes multiples BM-21 sur Ural-375D : par conséquent, une organisation théorique autour de 3 bataillons d'artillerie est probable : 2 bataillons de 18 M-46 chacun, et un bataillon de 18 BM-21, chaque bataillon s'articulant autour de 3 batteries de 6 pièces.
À la fin du mois de juillet 2014, lorsque l'EI lance ses offensives quasi simultanées contre les bases de la 17ème division, du Régiment 121, puis début août de la 93ème Brigade, les capacités opérationnelles de ces unités sont plus que réduites, voir quasiment nulles : en plus des opérations menées dans les provinces de Deir ez-Zor et d'Hassaké, il semble en effet que certaines unités de la 93ème aient été déployées en renfort dans d'autres provinces en 2012, en particulier autour d'Alep (à Anadan et sur l'aéroport militaire de Meng), et dans certains secteurs de la province d'Idlib : des dizaines de chars T-55 y seront soit détruits, soit capturés. Avant même l'entrée en scène de l'EI, les casernements de la 93ème Brigade, tout comme ceux du 121ème Régiment, feront l'objet d'attaques répétées durant l'année 2013 de la part des différents groupes rebelles syriens de la région, tandis qu'une part importante de la base de la 17ème Division à Raqqa est sous contrôle de l'opposition, le reste de la garnison étant de facto assiégée. Le 30 juin 2014, un convoi en partance d'Aïn Issa, accompagné de forces spéciales et avec pour but de desserrer l'étau autour de la 17ème Division à Raqqa, tombe dans une embuscade tendue par les rebelles syriens sur la route entre Tal AlSamn et Tulth Khneiz : 5 chars T-55 sont capturés, et deux autres détruits. Au moins deux blindés BMP-1 sont également capturés.
À cette période, la présence militaire du Régime dans la province d'Hassaké est donc minimale, la capitale provinciale est elle-même sous contrôle mixte, certains secteurs de la ville étant sous la responsabilité des Kurdes du YPG.
Positonnement des principaux matériels lourds capturés par l'E.I. dans l'enceinte du 121ème Régiment : faute de documents suffisamment précis, le mortier de 120 mm et l'obusier D-30 de 122 mm n'ont pu être situés avec exactitude.


Après la prise du Régiment 121, quels gains pour l'EI ?

Les premières images diffusées via les réseaux sociaux le 26 juillet 2014, par les services de propagande de l'EI, sont d'un intérêt limité : au niveau du matériel, 2 canons de campagne M-46 de 130 mm, un char T-55, et divers véhicules de soutien logistique (1 ZIL-131, 1 ZIL-157, 2 Praga V3S) sont visibles sur les photographies. Le 27 juillet, de nouvelles images apparaissent, diffusées en premier, semble-t-il, via vk.com et le compte Shamtoday, alors l'un des supports médiatiques du contingent tchétchène de l'EI, ainsi qu'une vidéo, d'une durée de 3 minutes et 11 secondes, dont une 40ne de secondes montrent les djihadistes à l'intérieur de la base syrienne. Un communiqué annonce quant à lui la prise des installations du Régiment 121, communiqué accompagné d'une liste sommaire du butin capturé :
- 45 canons de 130 mm (type M-46).
-50 autres canons de différents calibres.
-20 lances-roquettes multiples BM-21 (sur Ural-375D).
-45 lances-roquettes Grad-P (modèle de lanceur à tube unique).
-2 chars (type T-55).
-500 roquettes de type Grad (d'un calibre de 122 mm).
-4000 obus de 130 mm (munitions pour le M-46).
-500 fusils d'assaut d'un calibre de 7,62 mm (type AK-47/AKM).
-30 véhicules militaires divers.
Le 28 juillet, les services de propagande de l'EI publient une nouvelle série de photographies, présentant cette fois amplement le butin saisi dans la base syrienne. Le 5 août, une vidéo d'une 12ne de minutes est diffusée, présentée comme une "visite" au sein du Régiment 121.
Ces diverses images, une fois étudiées et recoupées, nous permettent d'avoir un aperçu relativement concret des matériels, armements divers, et munitions saisies par Daesh 



5 lances-roquettes multiples BM-21 sur Ural-375D sont clairement identifiables via leur numéro d'immatriculation. S'y ajoutent 2 autres exemplaires n'ayant pas ce numéro visible, ainsi qu'un, voir deux, exemplaires, bâchés : soit un total de 7 BM-21 sur Ural-375D certifiés, plus un voir 2 autres exemplaires probables.

Deux (les numéros 76747 et 76688 ) des lances-roquettes multiples BM-21, montés sur camion Ural-375D abandonnés à l'ouest de la base.

Concernant les canons de campagne M-46 de 130 mm, une distinction est clairement opérable : certains canons sont en position de tir, tandis que d'autres sont simplement parqués, avec parfois certaines parties de la pièce d'artillerie manquante : 11, (peut-être 12) M-46 sont en batterie, dont 3 sont accompagnés d'un camion Tatra 148, leurs véhicules tracteurs. 8 canons de campagne M-46 sont quant à eux stockés, non opérationnels.



Mis en batterie sur une position au nord de l'enceinte, ce canon de campagne M-46 de 130 mm est capturé intact.
Alignement de canons de campagne M-46 de 130 mm, stockés sur une des places d'armes du 121ème Régiment : aucun n'est opérationnel dans l'immédiat : l'unique exemplaire ayant son train de roulement intact sera immédiatement attelé à l'un des BM-21 capturés par les djihadistes, pour être extrait de l'enceinte de la base.
Une vue du canon de campagne M-46 de 130 mm, aligné à l'origine aux côtés des exemplaires de la photographie précédente : non opérationnel, mais en état de rouler, il est ici attelé au BM-21 (numéro 70286), positionné quand à lui à l'origine à l'ouest de la base.

 
Une photo diffusée via Twitter le 28 août montre également un mortier lourd de 120 mm, tandis que la vidéo diffusée par l'EI révèle la présence d'un obusier tracté D-30 de 122 mm en batterie.
2 chars de combat T-55, utilisés semble-t-il dans un rôle de défense statique, sont capturés intacts, dont l'un est identifiable, le numéro 160590.

L'un des deux chars T-55 (numéro 160590) : utilisé en position fixe et capturé intact, avec plusieurs obus, il est postionné au nord-ouest de l'enceinte.

Intact à première vue, mais souffrant visiblement de problème moteur, le même T-55 est tracté par un camion cargo MAZ-6317, afin d'être extrait du périmètre de la base.
 
Tableau 1 :


Dotation théoriqueCapturésCapturés (probable)Total
M-46, 130 mm
36
8
11

+1

19 (+1)
BM-21, 122 mm
18
7
2
7 (+2)

Tableau 2 :
Autre matériel :

Chars de combat T-55
2
Obusier D-30, 122 mm
1
Mortier de 120 mm
1
Lance-roquette Grad-P, 122 mm
Plusieurs dizaines
Canon ZU-23-2, 23 mm
1 (monté sur Ural-4320)
Missiles antichars 9M131
6



Hormis cette quantité relativement importante de matériel lourd d'un intérêt certain pour l'EI, dont la source principale d'approvisionnement reste les armes de prises, les différentes photographies et vidéos diffusées révèlent une part autrement plus importante en armes légères et munitions, ce qui tend à corroborer les sources présentant les installations du Régiment 121 comme l'un des dépôts de l'armée du Régime syrien dans le gouvernorat d'Hassaké : parmi les armes légères, plusieurs 10nes de fusils d'assaut AKM, avec chargeurs et munitions de 7,62 mm correspondantes, et des mitrailleuses légères RPD du même calibre, auxquels s'ajoutent des 10ne de roquettes PG-7 pour le lance-roquettes RPG-7. 

Lot de fusils d'assaut AKM capturés par l'E.I. dans les casernements du 121ème Régiment.

Roquettes antichar PG-7.
 
Plusieurs munitions d'artillerie semblent également figurer sur la liste du butin accumulé : obus de 122 mm pour le D-30, obus de 130 mm pour le M-46, roquettes de 122 mm type Grad, ainsi que des munitions de 100 mm pour le canon D-10T du chars T-55. Reste que la quantité totale exacte de munitions réellement saisies par l'EI reste difficilement appréciable : une accumulation de caisses dans un bâtiment ne signifie pas forcément que celle-ci soient pleines : l'étude des images consécutives à la prise de casernes, installations militaires, dépôts de munitions, ou simples positions militaires de l'armée syrienne depuis 4 ans montrent que les Syriens stockent tout autant les caisses et autres boîtes de munitions vides, que les pleines : les vides étant fréquemment utilisées pour l'aménagement, par exemple, des positons de combat.
Constituant l'une des prises les plus intéressantes réalisées par l'EI au sein des installations militaires du 121ème Régiment, photographies et vidéos montrent la saisie d'au moins 3 boîtes contenant chacune 2 missiles antichars (9M131), et un viseur thermique (1PBN86-VI), destiné au lance-missile antichar 9K115-2 Metis-M. Il n'est toutefois pas possible de confirmer si des systèmes au complet ont été capturés.

Une des 3 caisses de munitions capturées par l'E.I, contenant chacune 2 missiles destinés au lance-missile antichar 9K115-2 Metis-M.

Tableau 3 :
Listing des véhicules abandonnés au sein du 121ème Régiment :
TypeNombre
ZIL-157 avec Shelter de maintenance
1
ZIL-131 avec Shelter de maintenance
1
Pragua V3S, version véhicule atelier
2
MAZ-6317, version citerne
2
MAZ-6317, version cargo
3
Mercedes-Benz, version citerne
1
Tatra 148, version cargo
22
ZIL-130, version cargo
2
ZIL-130, version citerne
1
GAZ-66, version Shelter
2
GAZ-66, version cargo
3
URAL-4320 (armés d'un bitube ZU-23)
1
bus de transport en commun
1
camionette MAZ-55102/543302
1
camionette GAZ Sobol Van
1
jeep GAZ-69
1
véhicule légez UAZ-469
1
véhicule léger Land Rover
1



La majorité de ces véhicules sont soit hors d'âge, à l'état d'épave, ou encore d'un bon aspect aspect extérieur, mais visiblement parqués depuis longtemps dans l'attente d'une hypothétique maintenance. Aspect souvent négligé du conflit syrien, la logistique de l'armée syrienne a énormément souffert du conflit actuel : ajouté au fait qu'en temps de paix la 17ème Division est une division de réserve, et donc à priori avec des capacités opérationnelles faibles, les gains en véhicules pour l'EI apparaissent ici comme étant négligeable : seul les camions les plus modernes, en l'occurence les MAZ-6317, sont immédiatemment réemployés par les djihadistes pour les opérations de récupérations des matériels et munitions capturés. Il est notable qu'aux côtés des ces quelques camions, ce sont des véhicules destinés au transport et à la logistique capturés sur l'armée irakienne que l'EI utilise.
Alignement de 4 camions cargo Tatra 148 : d'origine tchécoslovaque, ces camions sont utilisés depuis le début des années 1970s par l'armée syrienne. Ceux-ci, à bout de souffle, sont d'un intérêt douteux pour l'E.I.

Avec un Ural-4320 armés d'un ZU-23-2, les camions cargo MAZ-6317 capturés dans la base semblent être les seuls véhicules utilisables dans l'immédiat : celui-ci est attelé à un canon de campagne M-46 de 130 mm, en position au nord du périmètre du 121ème Régiment.
Conclusion
L'étude de la documentation photographique et vidéo diffusée immédiatement après la prise des casernements du Régiment 121 montre un bilan autrement plus mesuré que celui proclamé par les djihadistes tchétchènes de l'EI, bien que conséquent : sont saisis 7 BM-21 sur Ural-375D, auxquels s'ajoutent 2 autres probables. Plus intéressant pour Daesh, une photographie semble montrer plusieurs dizaines de lanceurs Grad-P, une version à tube unique, plus simple à mettre en oeuvre, et plus en accord avec les tactiques employées par l'organisation terroriste. 11, (12 probables) canons de campagne M-46, en batterie, sont capturés, auxquels s'ajoutent 8 M-46 quant à eux stockés, et dont certains sont dans un état opérationnel douteux. 1 obusier tracté D-30 de 122 mm et 1 mortier de 120 mm viennent compléter le butin saisi, concernant l'artillerie. Deux uniques chars de combat T-55, positionnés défense statique sur la base, sont également capturés par les jihadistes. Concernant la logistique et les véhicules divers, seuls un Ural-4320, transformé en "guntruck" et armés d'un bitube ZU-23 de 23 mm, et 3 MAZ-6317 version cargo semblent dignes d'intérêt pour l'EI.
Aucune vidéo des combats pour la conquète du Régiment 121 ne sera diffusée : toutefois, il paraît douteux que les soldats du Régime aient été à même d'offrir une résistance sérieuse, voir même qu'une quelconque résistance aient été opposée à l'attaque de l'EI : si le nombre de pièces d'artillerie en batterie sur le périmètre de la base peut sembler impressionnant à première vue, la protection rapprochée est quant à elle inexistante : aucune position de combat ne semble avoir été aménagée. Seul les deux T-55 sont théoriquement à même d'intervenir, ainsi que le ZU-23 monté sur camion : autrement dit, bien trop peu pour arrêter une offensive sur un périmètre aussi étendu.
Au mieux, les (faibles) restes en effectif et en matériel au sein du Régiment 121 semblent plutôt avoir été abandonnés à leur sort, une situation que les djihadistes de l'EI se sont empressés de saisir.


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