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Ahmat Saleh BODOUMI, La victoire des révoltés, Yagabi, 2013, 303 p.

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Ahmat Saleh Bodoumi est un ancien enfant soldat, qui a servi dans le Frolinat sous Goukouni Oueddeï, puis dans le GUNT. Son témoignage, paru pour la première fois à N'Djamena en 2010, est accessible en France dans cette édition à partir de 2013.

Dans le préambule du livre, l'auteur insiste sur les termes : il explique que les noms de Toubous, Goranes, appliqués au peuple de la région saharienne du Tchad par les étrangers, n'ont pas grand sens pour les habitants, car la réalité locale est plus fragmentée. Le terme Arabes, pour lui, désigne les éleveurs transhumants en contact avec les Goranes. Il utilise en revanche le terme Saras pour désigner les personnes du sud du pays.

Comme il l'explique dans l'introduction, l'auteur cherche avant tout à donner sa vision des événements, sans prétendre détenir toute la vérité. Il termine ce livre à la veille de la reconquête de la capitale par Hissène Habré en 1982.

Bodoumi est né en 1963, 3 ans après l'indépendance, dans la communauté teda. Il est donc le BET; partie du Tchad qui reste sous administration française jusqu'en 1965 (et le joug colonial est encore dur, d'après lui). Le grand-père de l'auteur menait encore des razzias. Son père, un lettré, fait du commerce entre la Libye et le Tchad. Intégrant l'administration locale, il défend les droits des Tedas contre la corvée, ce qui lui vaut d'être jeté en prison. Les humiliations infligées par les Français au service du Tchad indépendant, selon l'auteur, précipite son père dans la résistance armée, avec le souvenir des exactions menées en 1914 et 1917 contre les Toubous. Il participe au soulèvement de 1968 dans l'Aouzou, qui marque le début de la rébellion armée dans le BET, et périt peu de temps après dans l'Ennedi contre l'armée tchadienne. Le frère de l'auteur, qui s'engage aussi dans la rébellion, meurt en 1971 lors d'une opération héliportée française.



D'après l'auteur, des "mercenaires" français (des hommes de la Légion Etrangère ? des contractuels au service du régime tchadien ? On ne le saura pas dans la suite du livre) détruisent les réserves alimentaires des habitants, torturent un marabout qui meurt après, et le frappe. Ce genre d'exactions n'est pas confirmé par les sources françaises (du moins celles que j'ai lues), y compris celles qui ne sont pas le fait des militaires. Boudoumi raconte aussi que l'aviation française largue du napalm lors des bombardements de Gourou, où il réside -là encore, l'utilisation du napalm n'est pas confirmée par les sources françaises, au sens large ; même l'utilisation du napalm par la Libye, à partir de 1983 à Faya-Largeau, est loin d'être certaine... Bodoumi passe donc son enfance dans un monde violent, sous les bombardements français, où les enfants jouent aussi avec les armes et les explosifs... Lorsque la 2ème armée du Frolinat, dans le BET, crée le CC-FAN en 1972, les combattants de l'Ennedi se déchirent : ceux qui veulent rester fidèles à Abba Siddick, le secrétaire général du Frolinat à l'étranger, ont le dessus. Les éléments du CC-FAN se replient sur Gouro où ils créent une école, dont Bodoumi va suivre les cours. Les moyens sont rudimentaires, le CC-FAN fournissant un peu de matériel. L'auteur est convaincu que la France a envisagé le génocide des Toubous (!). A partir de 1974, le CC-FAN organise de plus en plus de meetings populaires. L'auteur explique que les combattants du BET sont insensibles à l'idéologie socialiste véhiculée par le Frolinat : celui-ci compose donc des chansons adaptées à la société locale pour faire passer ses idées révolutionnaires. Au moment du versement de la rançon pour Mme Claustre, les élèves tchadiens de l'école reçoivent du matériel scolaire qui apparemment en faisait partie. Pour Bodoumi, la France n'a en fait jamais cessé de diriger le Tchad même après l'indépendance, via l'armée et l'administration.

En 1973, la Libye occupe Aouzou. Le CC-FAN est encerclé, par les Libyens, qui ne veulent pas l'aider, par les rebelles fidèles à Abba Siddick dans l'Ennedi, et par l'armée tchadienne, qui renverse le président Tombalbaye en avril 1975. La disette règne. D'après l'auteur, après une attaque dans le Borkou, l'armée tchadienne procède en représailles à des exécutions de civils. Le nombre de réfugiés provenant des villes gonfle les effectifs du CC-FAN. En 1976, Hissène Habré refuse de s'allier à la Libye pour obtenir des ressources alimentaires et fonde son propre mouvement rebelle, à recrutement anakaza. Les militaires tchadiens arment les Arabes nomades pour écraser cette nouvelle rébellion. Bodoumi raconte qu'à ce moment, les rebelles ne disposent que de 3 Land Rover : 2 ont été prises par Habré, l'autre restant à Goukouni. Ce dernier reçoit ensuite l'aide de la Libye qui lui fournit des armes lourdes et de nombreuses Toyotas. La tentative de coup d'Etat ratée contre le président Malloum, en avril 1977, amène des combattants supplémentaires, dont Miskine, un spécialiste des transmissions qui va permettre aux rebelles d'intercepter les communications adverses. 

Bodoumi, meilleur élève de son école, est réquisitionné comme secrétaire par les rebelles. Il décrit les Toyotas peintes en vert, couleur de Kadhafi, et surnommées "air macaroni" par les combattants ou "un Kirdi (esclave, terme péjoratif utilisé au Nord pour désigner les Sudistes) n'y monte pas" par les soldats gouvernementaux. En novembre 1977, pour contrer la domination aérienne de l'armée tchadienne, les Libyens envoient une Toyota remplie de missiles sol-air SA-7. Bodoumi participe à l'opération "Ibrahim Abatcha" et à l'attaque sur Fada (janvier 1978) : il décrit bien les tactiques encore coûteuses des rebelles, leur manque de matériel (un seul canon de 106 sans recul avec 3 obus...) et l'exposition des chefs en première ligne. Les rebelles tendent une embuscade à un contingent de renfort venu de N'Djamena : 20 Land Rover, dont 9 sont incendiées par le tir initial. Les militaires survivants fuient à travers le désert. Les prisonniers sont relativement bien traités, mais les soins médicaux dans le camp rebelle sont plus que sommaires. La garnison de gardes nomades de Fada capitule en février 1978. La profusion d'armes provoque de nombreux accidents, de même que la conduite apprise "sur le tas" des pick-up. En mars 1978, au congrès de Faya, les FAP sont créées et rassemblent la plupart des éléments rebelles autour de Oueddeï. Hissène Habré ne fait pas partie de la coalition, malgré des tentatives de négociation ; cependant les Toubous des FAP refusent d'attaquer les FAN de Habré. Les tensions entre les Toubous et les Arabes d'Acyl Ahmat, soutenus par la Libye, montent en avril-mai 1978, notamment après l'échec de la poussée vers le sud de ces derniers, bloqués par l'armée française déployée lors de l'opération Tacaud. Les combats de Faya opposent Arabes et Toubous, alors que Habré devient Premier Ministre de Malloum et que Bodoumi intervient sur la radio montée par les rebelles. Dans le Kanem, les positions avancées des rebelles sont tenues par des Alhadji, combattants venus de la communauté du Kanem qui a émigré dans les pays du Golfe, très marqué par l'islam.

Habré reprend Arada aux Arabes de la rébellion, et met la main sur d'importants stocks d'armes, tout en restaurant son capital de confiance chez les FAP. Les armes saisies permettent à Habré de soutenir le déclenchement de la guerre civile le 12 février 1979 à N'Djamena. Les combattants Alhadji du Kanem rejoignent les FAN à N'Djamena, engageant les FAP dans la bataille sans que Oueddeï l'ait nécessairement voulu, pour Bodoumi. FAN et FAP combattent également avec l'armée française pour repousser l'offensive du nouveau CDR d'Acyl Ahmat sur Abéché. La conférence de Kano voit l'entrée en scène d'un nouvel acteur, le Nigéria, qui parraine le MPLT, autre mouvement rebelle. Les FAN font la chasse aux kachiras, surnom péjoratif donné aux branches de la 1ère armée du Frolinat qui leur sont hostiles dans le centre-est ; d'après l'auteur, Habré aurait reçu un soutien logistique et de formation de la France. A la conférence de Kano II, en avril, la Libye tente d'imposer la présence de ses affidés tchadiens, ce que refuse Goukouni Oueddeï et HIssène Habré ; l'épreuve de force tourne finalement en leur faveur, même si le GUNT est créé. Par la suite, les combattants Alhadjis du Kanem, qui appliquent parfois la loi islamique importée d'Arabie Saoudite dans les territoires qu'ils contrôlent, éliminent le MPLT, là encore d'après l'auteur sans que Oueddeï y soit forcément pour grand chose. 

Les FAN rallient certains élements des FAP, et ne se portent pas au secours des FAP ponctuellement attaquées par les Libyens au nord du Tchad. En juillet 1979, à Ounianga Kébir, Bodoumi participe à un raid contre les Libyens qui assiègent la place, raid qui préfigure largement les tactiques qui viendront à bout de Kadhafi en1986-1987. Les FAN sont alors le groupe rebelle le plus cohérent, même si la guérilla des kachiras est éprouvante pour Habré, car bien alimentée en mines antipersonnel par la Libye. C'est pourquoi, en août 1979, à la conférence de Lagos, Goukouni Oueddeï revient vers la Libye, puisqu'il n'a par ailleurs qu'une autorité fédératrice sur toutes les composantes des FAP. Les combattants Alhadjis des FAP, ralliés aux kachiras, sont les plus vindicatifs contre les FAN : ce sont eux qui attaquent les hommes d'Hissène Habré dans la capitale le 18 mars 1980, d'après Bodoumi. Selon ce dernier, la France soutient discrètement les FAN mais soigne les blessés des FAP à Kousseri, ville camerounaise mitoyenne de N'Djamena. Bodoumi est sérieusement blessé en avril. Oueddeï finit par en appeler à Kadhafi, qui lance toute sa puissance de feu sur les positions des FAN dans la capitale. A Faya, les éléments des FAP font défection pour rejoindre Habré. La ville est reprise le 5 décembre 1980, une dizaine de jours avant la chute de la capitale. Bodoumi, devenu incontournable dans l'encadrement des FAP à Faya, est invité à se rendre en Libye. Après la victoire contre les FAN, les Libyens, menés par le colonel Ichkal et assistés du CDR, font le ménage à l'intérieur de la rébellion. Les Libyens installent en 1981 le CDR dans le centre-est pour que ce mouvement ait une base territoriale. Des cadres toubous sont exécutés. Oueddeï se retourne contre les Alhadjis, puis finit par exiger des Libyens leur retrait du pays, les tensions étant de plus en plus insupportables.



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