La très courte introduction de cet ouvrage rappelle que Djian était un interprète, qui a fait partie de la colonne du Borkou qui, sous les ordres de Largeau, a conquis le nord du Tchad en 1913, prenant la zawiya sénoussiste d'Aïn Galakka. Comme interprète, il a interrogé les prisonniers et traduit les documents récupérés sur l'ennemi. C'est ainsi qu'il a pu écrire un ouvrage en 1916. On ne sait que peu de choses sur Djian. Le lieutenant-colonel Ferrandi, qui écrit un livre en 1930, explique qu'il a servi au Maroc oriental. Son ouvrage de 1916 montre la conquête de la partie saharienne du Tchad du point de vue des sénoussistes, ce qui en fait un document unique en son genre. Les éditeurs font précéder le texte de la relation du voyage entre la France et le Tchad par Djian lui-même.
Dans la relation de son voyage, Djian montre sa nostalgie du Maroc où il a servi. Son regard sur les Noirs est paternaliste, comme le veut l'époque. Il décrit aussi les difficultés pour rallier le Tchad, après avoir débarqué de l'Europe, en utilisant d'autres navires sur les voies fluviales. Djian rapporte aussi les exploits de chasse des officiers français qui l'accompagnent. Il arrive à Fort-Lamy le 9 octobre 1913. Djian accompagne la colonne du colonel Largeau qui monte vers le nord du Tchad. L'assaut de la zawiya d'Aïn Galakka, le 27 novembre, lui fait une forte impression. Jusqu'en mars 1914, il parcourt une bonne partie du Tchad, étant ravi d'admiration, en particulier, dans l'Ennedi et ses paysages tourmentés.
L'étude de 1916 commence par présenter le fondateur de la confrérie sénoussiste, Sidi Mohammmed ben Ali Es Senoussi. Le deuxième chapitre explique la doctrine de la confrérie. Puis Djian raconte le parcours de Sidi el Mahdi, successeur du fondateur, ses relations avec les Ottomans. Il présente ensuite la fondation de la zawiya de Koufra et l'envoi de missions encore plus au sud, dans ce qui n'est pas encore le Tchad. Vient l'entrée en scène des Français et l'intronisation de Sidi Ahmed Chérif, dont le règne est marqué par les premiers combats contre les Français, qui viennent de défaire Rabah : la zawiya de Bir el Alali tombe en 1902. Djian décrit aussi l'organisation des zawiyas du Borkou et leurs relations. La confrérie mène ensuite une guerre d'escarmouches contre les Français, qui annexent un à un les territoires qui composeront leur colonie tchadienne. Alors que les Turcs tentent de réinstaller leur autorité dans le Tibesti et le Borkou (1910-1911), ils entrent en conflit avec les senoussistes, qui eux-mêmes doivent finalement plier devant les Français qui veulent mettre fin aux rezzous.
Le témoignage de Djian et son ouvrage sont intéressants pour appréhender la formation du Tchad comme colonie vue par un autre acteur, la Sénoussiya. Malheureusement, les textes sont dépourvus de tout commentaire critique : il faut donc être un bon connaisseur de l'histoire précoloniale et coloniale pour suivre, le néophyte peut être rapidement perdu sous l'avalanche de noms, de lieux (d'autant que les cartes sont peu nombreuses). Il est dommage que ce document précieu n'ait pas bénéficié d'une édition un peu plus poussée.