Merci à Yann, encore une fois, pour cet envoi. Le numéro 3 du hors-série de Ligne de front, une fois n'est pas coutume, est consacré, début 2008, au pacte de Varsovie. Sujet à ranger malheureusement dans la catégorie de ceux qui ne font pas vendre et sont donc rarement traités dans la presse spécialisée.
Le texte, signé dans sa quasi intégralité par Vincent Bernard, du blog Le Cliophage, commence par un historique de l'organisation et de son évolution. Avant d'aligner jusqu'à 180 000 (!) véhicules blindés et de représenter la première force militaire du monde à quelques années de sa disparition, le pacte de Varsovie est d'abord une réponse à la création de la RFA puis de l'OTAN dans le cadre de la guerre froide. Il faudra néanmoins une dizaine d'années, à partir de 1955, pour en faire un outil de combat viable pour la puissance continentale qu'est l'URSS -la supériorité navale étant plus ou moins abandonnée à l'US Navy. Le pacte de Varsovie connaît aussi les soubresauts du bloc de l'Est : après la répression en Hongrie en 1956 et celle à Prague en 1968, l'ère Brejnev marque cependant un assouplissement de la domination soviétique au sein de l'organisation, les pays frères ayant désormais un peu plus voix au chapitre. C'est ainsi que le pacte de Varsovie, paradoxalement, atteint son apogée entre la fin des années 1970 et le milieu des années 1980, à la veille de l'effondrement du bloc de l'est.
La deuxième partie détaille l'organisation et la stratégie du pacte de Varsovie. Côté soviétique, la guerre est alors vue comme une matière scientifique. Mais le pacte est avant tout un outil politique de domination de Moscou sur les pays satellites. Les exercices combinés ne commencent d'ailleurs que dans les années 1960. Chaque théâtre d'opérations est divisé en fronts, eux-mêmes comprenant des armées blindées. Les forces sont réparties en trois échelons successifs (RDA, frontières de l'URSS et intérieur de l'URSS) de façon à épuiser le dispositif adverse par l'engagement de réserves. Le déploiement en Europe de l'Est varie en fonction des aléas soviétiques et le matériel le plus moderne n'y est pas installé, par crainte de l'espionnage, avant les années 1960. La doctrine soviétique reste articulée autour de l'offensive, les exercices reprenant d'ailleurs souvent le thème de la "contre-offensive" après une attaque initiale de l'OTAN. Cette partie se conclue par des tableaux présentant les effectifs du pacte de Varsovie.
La troisième partie s'intéresse au coeur du pacte de Varsovie, la force blindée et mécanisée. L'industrie soviétique, au prix d'immenses sacrifices dans d'autres domaines, atteint sous Brejnev des chiffres de production qui donnent le vertige : 10 000 véhicules blindés sortent chaque année des usines vers 1980. Parmi les véhicules, ceux de reconnaissance reçoivent une attention toute particulière. Le char reste cependant au coeur du dispositif soviétique : l'Armée Rouge en aligne 55 000 en 1991 ! Trois générations se succèdent pendant la guerre froide. La première est héritée des blindés de la Seconde Guerre mondiale, T-34/85, chars JS et KV. La deuxième marque une transition vers le Main Battle Tank, avec les T-54/55 puis le T-62. Le summum est atteint avec les T-72 et T-80, ce dernier étant considéré parfois comme supérieur aux premières versions du M-1 Abrams américain. Contrairement à ce qui s'était passé pendant la Seconde Guerre mondiale, les Soviétiques cherchent rapidement à mécaniser leur infanterie pour accompagner les chars. D'où les gammes massives de véhicules BTR puis BMP -plus de 60 000 véhicules de transport de troupes en 1980. L'Armée Rouge développe également à partir des années 1970 une artillerie automotrice de qualité avec les 2S1 et 2S3, notamment. Pour contrer la supériorité aérienne occidentale, la DCA est renforcée par des automoteurs comme les ZSU 23./4 et une pléthore de SAM lourds mobiles et de MANPADS. Enfin, les troupes aéroportées ne sont pas oubliés et reçoivent des véhicules blindés, ASU-57 puis ASU-85 avant les BMD. La partie se poursuit par une revue des pays satellites et de leurs forces armées. La NVA et l'armée polonaise sont sans doute les piliers les plus puissants du pacte de Varsovie, tout comme l'armée tchécoslovaque du moins jusqu'en 1968. Les autres contingents ne sont que des forces d'appoint : Roumanie, Hongrie, Bulgarie, Albanie (jusqu'à la rupture de 1968).
Dans une quatrième partie, Vincent Bernard revient sur les plans d'opérations du pacte de Varsovie. Ces plans sont en fait encore mal connus, les archives n'ayant guère livré leurs secrets. Cependant, le pacte de Varsovie reste axé sur l'offensive, en prenant l'initiative (et en la gardant), en préparant soigneusement l'attaque, bâtie sur une percée mécanisée foudroyante reposant sur la concentration massives des forces sur quelques points clés, et en particulier sur le Groupe de Forces Ouest basé en RDA. Vincent Bernard fournit à nouveau le fameux plan tchécoslovaque de 1964 qui avait déjà été présenté dans un numéro de Batailles et Blindés (8).
La cinquième partie présente l'insurrection hongroise de 1956 et sa répression, une année à peine après la création du pacte de Varsovie. On ne peut que regretter d'ailleurs la brièveté du propos qui tient en quelques pages. Le chapitre est suivi d'un album photo avec des illlustrations en couleur de matériels du pacte de Varsovie.
Jean-Jacques Cécile conclut ce hors-série par une courte présentation des Spetsnaz, sur lesquels planent encore beaucoup d'ombre malgré la fin de la guerre froide. Ils ont été conçus pour mener des actions directes et pour le renseignement. L'auteur reconnaît d'ailleurs lui-même que beaucoup reste à écrire sur le sujet.
Au final, un travail imposant et très intéressant, qui n'épuise pas le sujet mais qui est une bonne entame sur la question. On peut déplorer peut-être que les sources, qui apparaissent au détour des notes ou des tableaux statistiques présentés, n'aient pas été regroupées dans un encadré en fin de volume.