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Volontaires étrangers de l'insurrection syrienne. 8/Les Allemands

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L'Allemagne, contrairement à la France ou au Royaume-Uni au sein de l'UE, s'est opposée à l'envoi d'une aide militaire ou à une intervention directe pour renverser Bachar el-Assad. Ce qui n'a pas empêché un nombre croissant d'Allemands de rejoindre le djihad en Syrie1. Les médias allemands parlent d'ailleurs depuis quelques mois d'un véritable « camp d'entraînement » allemand en Syrie destiné à attirer les volontaires pratiquant la langue de Goethe. Le phénomène n'est pas nouveau. En 2009, un camp « allemand » s'était ainsi installé au Pakistan pour alimenter le Mouvement Islamique d'Ouzbékistan lié à al-Qaïda. En 2012, le renseignement allemand évoque une véritable « colonie salafiste » allemande en Egypte, comprenant plus de 60 combattants, dont le fameux rappeur Denis Cuspert (« Deso Dogg ») qui avait échappé à la surveillance des services de sécurité allemands et qui combat maintenant en Syrie. A la mi-novembre, la police allemande indique d'ailleurs que « Deso Dogg » compte mener des attaques contre l'Allemagne, ce que celui-ci dément aussitôt dans une vidéo. Des rumeurs font état de son décès à la fin novembre 2013 mais il semblerait plutôt qu'il soit hospitalisé en Syrie ou bien en Turquie.



Les Allemands, selon un spécialiste, ne se trouvent pas en majorité dans le front al-Nosra et l'EIIL, qui, victimes de « l'espionnite », se méfient par exemple des nouveaux convertis comme « Deso Dogg ». Les services de sécurité allemands avaient déjà été mis sur la sellette dès 2012 par le New York Times qui affirmait qu'un Tunisien qui aurait peut-être servi de garde du corps à Ben Laden, un an avant les attentats du 11 septembre, avait tranquillement vécu en Allemagne pendant un certain temps. Sami A., du fait de son expérience et de son entraînement dans les camps d'Affghanistan, aurait constitué une source d'afflux de volontaires pour le djihad. Une estimation, en décembre 2013, fait état de 230 Allemands, selon l'hypothèse haute, qui seraient partis en Syrie. En mars, le nombre n'était que de 60, avant de passer à 150 en août. Le länder de Hesse a dû installer un dispositif spécial de surveillance pour freiner les départs d'adolescents vers le djihad syrien. Sur 23 cas étudiés, la plupart des recrues ont moins de 25 ans et 9 sont encore à l'école. Le ministre de l'Intérieur a donc créé un dispositif pour différencier les tendances radicales parmi les candidats au départ, sur le modèle de ce qui a été fait pour les mouvements néonazis ou d'extrême-droite.

Des combattants allemands auraient aussi participé à des massacres de chrétiens syriens. L'Allemagne craint que le retour de ces combattants ne radicalise la frange salafiste et la tension est vive avec la Turquie, accusée d'avoir maintenue une frontière poreuse avec la Syrie et d'avoir favorisé l'accès des volontaires européens au champ de bataille syrien. En janvier 2014, les services de sécurité allemands estiment que 270 personnes sont déjà parties se battre en Syrie, certaines étant revenues en Allemagne. Le nombre, en augmentation depuis le second semestre 2013, comprend à la fois des hommes jeunes entre 18 et 25 ans mais aussi des mineurs et des femmes. Une quinzaine d'Allemands aurait déjà trouvé la mort en Syrie2.

Philip B. alias Abou Ousama, un djihadiste allemand qui intervient dans une vidéo de fin novembre 2013. Agé de 26 ans, il était livreur de pizzas à Dinslaken, une ville de Rhénanie du Nord/Westphalie où le recrutement est particulièrement important.


En novembre 2013, Burak Karan, un ancien joueur allemand de l'équipe nationale des moins de 17 ans, d'origine turque, est déclaré mort en Syrie, tué lors d'un raid aérien sur Azaz, à la frontière turque, le 11 octobre précédent. Karan avait commencé à évoluer dans l'équipe des moins de 17 ans en 2003, après avoir débuté dans l'équipe de Wuppertal à l'ouest du pays. Il met fin à sa carrière prometteuse en 2008, à 20 ans. Il tombe sous l'influence d'un islamiste, Emrah Erdogan, qui tente de l'emmener en Afghanistan avec lui-même et son frère. Ce dernier est tué par une frappe de drone américain en octobre 2010 ; Emrah, qui reste dans la zone frontalière avec le Pakistan jusqu'en janvier 2011, part rejoindre les Shebab en Somalie en février, est arrêté en Tanzanie en juin 2012 puis extradé en Allemagne. Burak contacte, en 2011, Mohamed Mahmoud, imam de la mosquée de Solingen et leader du groupe Millatu Ibrahim interdit par les autorités à la mi-2012. Mahmoud a depuis été emprisonné en Turquie en essayant de rejoindre la Syrie. Burak Karan part en Syrie avec sa femme et ses deux enfants, début 2013, soi-disant pour aider à distribuer de l'aide humanitaire ; mais une photo publiée par un groupe armé syrien le 22 octobre 2013 le montre avec une AK-47 à la main et lui donne le pseudonyme de Abou Abdullah al-Turki3.


Burak Karan.-Source : http://www.hurriyet.com.tr/_np/5211/22185211.jpg


En février 2014, une vidéo confirme que Deso Dogg, alias Abu Talha al-Almani, a survécu à ses blessures, reçues en novembre 2013 après un raid aérien dans le nord de la Syrie. Denis Cuspert, de son vrai nom, né en 1975 à Berlin, avait abandonné le rap en 2010 pour se convertir en prêcheur islamique. Fin 2011, il se lie avec Mohamed Mahmoud, alias Abu Usama al-Gharib, un Autrichien d'origine égyptienne. Ce dernier, condamné à la prison en 2008, dirige une plate-forme de propagande djihadiste. Il avait quitté l'Autriche pour Berlin après sa sortie de prison en septembre 2011. Avec Cuspert, il gagne le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie où ils fondent une association salafiste, Millatu Ibrahim. En juin 2012, les autorités allemandes interdisent l'association après des affrontements entre salafistes et policiers à Bonn, qui font deux blessés parmi ces derniers. Cuspert, qui prend alors le nom de guerre de Abu Talha al-Almani, quitte l'Allemagne. Il gagne la Syrie à l'été 2013, mais dans ses vidéos de propagande, comme celle de novembre 2013, il ne prêche pas pour un retour en Allemagne afin d'y prolonger le djihad ; son but est d'encourager des Allemands à venir se battre en Syrie. En février 2014, on le voit distribuer des vêtements d'hiver à des enfants dans les zones contrôlées par les rebelles ; les dons viennent d'Allemagne et les vêtements ont été fournis par le front al-Nosra. Les autorités allemandes estiment alors qu'au moins 270 personnes sont impliquées, depuis 2011, dans le djihad en Syrie4.

Selon les autorités allemandes, les volontaires bénéficient d'un important soutien financier de la communauté musulmane. Des milliers d'euros sont collectés par donation. Un camp d'entraînement pour les volontaires allemands a été établi dans le nord de la Syrie, et accueille des Allemands qui viennent surtout du land de Rhénanie du Nord-Westphalie (où vit un tiers de la communauté musulmane germanique). D'autres viennent de la Hesse, de Berlin, de Bavière et de Hambourg. Un centre d'information aurait même été bâti sur place pour diffuser de la propagande pour le djihad en Allemagne5. Les volontaires seraient recrutés par les prêches des imams radicaux et par sollicitation sur Internet6.

Certains indices laissent penser que les Allemands partis en Syrie servent ensemble dans certaines formations. Philip Berger, un converti, et Mustafa K., viennent de Lohberg, un quartier de la ville de Dinslaken, dans l'ouest de l'Allemagne. Pas moins de 7 jeunes gens de ce quartier sont partis faire le djihad en Syrie, où il forment la « brigade de Lohberg »7. Le 22 avril 2014, Deso Dogg est donné pour mort après un double attentat-suicide du front al-Nosra contre l'EIIL dans l'est de la Syrie8. Mais l'ancien rappeur allemand a survécu : après avoir prêté allégeance à l'Etat Islamique, il apparaît dans de nombreuses vidéos et documents de propagande de cette organisation.

David G., alias Abou Dawoud al-Amani, 19 ans, originaire de Kempten, en lien avec le groupe de Dinslaken. Membre de l'EIIL, tué lors de combats entre le groupe et d'autres rebelles syriens.


En août 2014, Philip Bergner, un Allemand originaire de Dinslaken en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, jette son véhicule kamikaze sur un poste kurde en Irak, tuant au moins 20 personnes. C'est l'un des premiers kamikazes allemands de l'Etat Islamique. Selon les services de renseignement allemand, en janvier 2015, plus de 600 nationaux sont partis se battre en Irak et en Syrie. 60 y auraient déjà trouvé la mort9 et 180 seraient revenus en Allemagne. Pour Daniel H. Heinke et Jan Raudszus, auteur d'un article sur les combattants allemands10, il y a une continuité entre les réseaux historiques du djihad allemand et le conflit syrien/irakien. La maison multiculturelle, une communauté de Neu-Ulm dans le sud du pays, a convoyé des combattants en Bosnie et en Tchétchénie. L'un de ses membres les plus éminents, Reda Seyam, qui s'est installé à Berlin, à continuer à le faire pour la Syrie, avant de rejoindre lui-même le pays en 2014 et d'occuper des responsabilités au sein de l'EI à Mossoul. Il aurait été tué en Irak par une frappe aérienne américaine en décembre 2014.

Le recrutement en Allemagne s'est intensifié depuis 2013, en particulier autour de l'organisation radicale Millatu Ibrahim, qui a fourni le noyau des djihadistes allemands en Syrie. Les djihadistes allemands présents sur place sont utilisés par l'Etat Islamique pour sa propagande : non seulement la figure de Cuspert, mais aussi pour la traduction de Dabiq, la revue de l'EI, en allemand (premier numéro), et pour d'autres documents des médias al-Hayat et al-Ghurb. La majorité des Allemands rejoint l'EI, ce qui est logique car les candidats au départ sont les plus radicaux et le groupe concentre un certain nombre d'Allemands, qui aurait créé à l'été 2014 leur propre brigade.

Les services de renseignement allemands ont pu étudier le profil de 378 Allemands sur les 600 au moins qui sont partis. 89% sont des hommes. L'âge moyen est de 26,5 ans et les deux tiers ont moins de cet âge. Les deux tiers également sont nés et ont grandi en Allemagne. Les femmes qui partent sont en général plus jeunes et il s'agit souvent de converties. Dans le contingent allemand on trouve aussi quelques familles qui ont accompagné les combattants. Le niveau d'éducation est moins élevé que la moyenne nationale. Fait intéressant, 249 des 378 combattants ont commis des actes délinquants avant leur radicalisation. Les convertis, qui intéressant tant les médias, ne constituent que 18% du groupe. Surtout, 72% des combattants avaient des liens avec le salafisme avant leur départ. La radicalisation, dans le cas allemand, se fait par des contacts sociaux plutôt que par Internet. Sur les 128 dont on connaît le processus de radicalisation, moins de la moitié se sont radicalisés en moins d'une année. Le processus est donc assez long même s'il a eu tendance à reculer depuis l'an dernier. La moitié des Allemands revenus en Syrie est encore active sur la scène radicale dans le pays.

Ismail Cetinkaya s'engage dans la radicalisation à Hambourg. Il est le fils de Turcs originaires de Mardin, à la frontière syrienne11. Agé de 33 ans, il parle parfaitement l'arabe et dirige un cercle d'arts martiaux. Il a affronté lors d'un tournoi Deso Dogg à Berlin, en mars 2010, mais n'a aucune considération pour l'ancien rappeur passé à l'Etat Islamique. Mais la propagande marche, comme pour Kreshnik B., fils d'une famille originaire du Kosovo, joueur dans un club juif de Francfort, parti combattre en Syrie et arrêté à son retour en Allemagne. Ou comme pour David G., de l'Allgau dans le sud de l'Allemagne, parti à 18 ans après avoir quitté son apprentissage et qui a été tué en Syrie. Converti à 16 ans, il avait suivi l'exemple de son ami Mustapha K., parti en Syrie avant lui. Sa première tentative échoue à l'aéroport de Munich, ses parents ayant pris les devants. Il prend ensuite le train pour la Serbie et la Hongrie, puis gagne la Bulgarie et la Turquie par ses propres moyens.

Dans le contingent allemand, on trouve maintenant une centaine de femmes, dont la moitié sont parties à l'été 201412. La majorité ont entre 16 et 27 ans : elles viennent de tous le pays, du lac de Constance, des Alpes, des bords du Rhin, de la Ruhr, de Brême, de Hambourg, de Augsbourg, comme Fatma B., 17 ans. Avec sa soeur aînée Amine, elle se laisse entraîner par un des radicaux de la ville, commence à porter le voile. Elle veut épouser un jeune Marocain de 16 ans rencontré sur Internet. Elle part en décembre 2013. Le père de Fatma part un mois plus tard avec Amine et retrouve la trace de Fatma dans un village près de Lattaquié, dans la « maison allemande », une place sûre où nombre d'Allemands sont réorientés ensuite vers le reste de la Syrie. Il parvient à la ramener. Deux soeurs de la Ruhr arrêtées en novembre 2014 à l'aéroport de Düsseldorf, après que leur famille ait prévenu la police, menacent leurs parents de mort après avoir été appréhendées. Jenny S., 17 ans, a fréquenté une mosquée radicale de Brême, Masjidu-I-Furqan, avant de partir en Syrie. Sarah O., 15 ans, est partie suivre l'enseignement d'une école islamique algérienne avant de gagner la Syrie. Samra K. (16 ans) et Sabina S. (15 ans) ont écouté les prêches radicales de Mirsad O. à Vienne.

Les Allemandes déjà arrivées en Syrie font de la propagande pour attirer de nouvelles recrues. Un blog tenue par l'une d'entre elles, au pseudonyme de Muhajira, met évidemment en avant les aspects uniquement positifs et alléchants de la vie sur place. Les services de renseignement craignent le retour de ces femmes radicalisées, candidates idéales pour des attentats notamment suicides. Karolina R., de la région de Bonn, a rejoint la Syrie avec son mari et leur enfant de 7 mois en mai 2013. Ayant rejoint depuis l'Etat Islamique, elle a été arrêtée et jugé à son retour en Allemagne. Andrea B., de la ville d'Immenstad en Bavière, se convertit à l'islam en 2012, quitte son conjoint avec lequel elle avait eu deux enfants. Début 2014, elle emmène ses deux filles (3 et 7 ans) en Syrie pour devenir l'épouse d'un combattant du front al-Nosra. Elle est également arrêtée à son retour en mai 2014. La sociologue Berna Kurmaz, qui travaille sur les cas de Brême, explique que ces jeunes femmes ont souvent des problèmes familiaux et se sentent rejetées par la société, incomprises. Une fois sur place, elles sont tenues en dehors de la réalité brutale du conflit. Plusieurs femmes, dont les maris ont été tués, sont laissées à leur sort en Syrie, faute de mieux.


1Benjamin Weinthal, « The German jihadists' colony in Syria », The Long War Journal, 19 décembre 2013.
4 John Rosenthal, « German rapper, now jihadist still alive in Syria », Al-Monitor, 21 février 2014.
5 Fin juillet 2013, le site Shamcenter est lancé en 5 langues différentes, dont l'allemand : http://www.spiegel.de/international/germany/german-camp-collection-point-for-german-jihadists-in-syria-a-929026.html
6Foreign fighters from Western countries in the ranks of the rebel organizations affiliated with Al-Qaeda and the global jihad in Syria, Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, 3 février 2014.
10Daniel H. Heinke et Jan Raudszus, « German Foreign Fighters in Syria and Iraq », CTC Sentinel Vol 8 Issue 1, janvier 2015, p.18-21.

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