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Fabrice GRENARD, Tulle. Enquête sur un massacre 9 juin 1944, Paris, Tallandier, 2014, 345 p.

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Le massacre de Tulle, commis par la division Das Reich le 9 juin 1944, juste avant celui d'Oradour-sur-Glane, reste mal connu. Délaissé par les historiens, il ne bénéficie d'un premier traitement critique qu'avec l'ouvrage de J. Delarue dans les années 1960. Plus récemment, deux autres livres, l'un d'un historien belge, l'autre de deux historiens locaux, apportent de nouveaux éclairages (même si le deuxième poursuit la polémique quant aux rôles des maquisards), mais il manquait sans doute une synthèse moins passionnée. Car le massacre de Tulle, contrairement à Oradour, a été justifié par les Allemands en raison de l'attaque des FTP sur la localité le 7 juin, et n'a ciblé que des hommes. Fabrice Grenard, qui a par ailleurs participé à un documentaire sur le sujet en 2013, tout en ayant déjà écrit plusieurs ouvrages sur la période (notamment un sur les faux maquis et maquis noirs chez Vendémiaire), se propose de présenter le massacre en croisant l'ensemble des sources côté français et de replacer le massacre dans le cadre plus large de la Corrèze sous l'Occupation, où actions résistantes et répression allemande s'accélèrent dès les premiers mois de 1944. Le département est l'une des principales "terres du maquis", ce qui explique bien des choses. Le propos est traité en quatre parties.




La Corrèze est en effet une "terre de résistance" précoce, en raison de spécificités géographiques, politiques et sociales. Les premiers actes isolés, comme la récupération des armes et du matériel en 1940, ne masquent pas l'adhésion au régime de Vichy, qui se voit aussi lors de la visite de Pétain en juillet 1942. Dès l'hiver 1940-1941, les premiers réseaux de résistance apparaissent (Combat), suivis de ceux liés à la France Libre ou aux Anglais. Le PCF maintient sa structure clandestine et commet les premiers sabotages en juin 1942. L'invasion de la zone libre et les lois sur le STO entraînent, en février 1943, la création des premiers maquis. Ces premiers maquis sont rapidement attaqués par les GMR de Vichy, qui a senti la menace. Mais ils ne cessent de se développer, encadrés par les FTP et par l'Armée Secrète. Ils attirent même les nombreux travailleurs étrangers requis dans le département. Les conditions de vie sont difficiles, même si les camps de l'AS ont davantage une dimension militaire. Les coups de main se multiplient, de même que les réquisitions pour le ravitaillement : les maquisards liquident eux-mêmes les "faux maquis", bandits purs et simples qui abusent de la situation. L'automne 1943 constitue un tournant. Les attaques augmentent encore en nombre. Les FTP en particulier affrontent durement les GMR de Vichy. Tulle, ville préfecture administrative de 25 000 habitants, se distingue surtout par sa manufacture d'armes. Vichy profite du sentiment de sécurité, en zone libre, jusqu'en 1942. La résistance s'organise pourtant dans la ville dès 1941. L'invasion allemande tend les relations. Les Allemands récupèrent la manufacture d'armes à leur profit. En parallèle, la répression s'accentue. Ce qui n'empêche pas la Résistance de mener des actions spectaculaires à Tulle fin 1943-début 1944 : libération de maquisards blessés à l'hôpital en janvier 1944, attaque de la prison en mars, assaut sur les cantonnements des GMR le même mois.

Les FTP ont prévu de s'emparer de Tulle. Ce qu'ils n'avaient pas prévu, c'est l'entrée en scène de la division Das Reich, contre laquelle ils ne peuvent faire le poids. L'attaque sur Tulle est envisagée dès avril 1944, après que les FTP se soient réorganisés, découpant le département en 3 secteurs (Haute-Corrèze, Moyenne-Corrèze, Basse-Corrèze). L'équipement est plus fourni : d'ailleurs les sabotages à l'explosif se multiplient en mars-avril 1944. Pour les Allemands, la Corrèze est en état de siège. Le SD arrive en février à Tulle et multiplie les interrogatoires et les tortures, secondé par des Français, la Légion Nord-Africaine, de sinistre réputation. La division Brehmer, formation composite, passe en Corrèze entre la fin mars et le début avril pour râtisser les terres de maquis : elle procède à un nettoyage en règle, s'appuyant sur les ordres déjà très durs du haut-commandement militaire allemand en France, préfigurant ce qui sera la mission de la Das Reich. C'est après le passage de la division Brehmer que les FTP décident de s'emparer de Tulle, menés par leur nouveau chef, "Kléber", qui a fait occuper par ses partisans du Lot la localité de Carjac. La prise de Tulle est un enjeu militaire (la manufacture d'armes) et symbolique (défier Vichy) : les résistants ont envisagé l'arrivée de renforts allemands, qu'ils pensent pouvoir contenir. L'AS n'y participe pas, en raison de frictions avec les FTP. Ceux-ci mobilisent leurs troupes dès le 25 mai. L'attaque n'est une surprise pour personne, y compris du côté des partisans de Vichy. Côté maquisards, elle engage 400 à 600 hommes, face à un bataillon de sécurité allemand (3ème du 95ème régiment), avec quelques armes lourdes, réparti dans toute la ville, la Feldgendarmerie et la Sipo-SD, soit 350 à 380 hommes. Mais les Allemands sont renforcés par 600 GMR et gardes mobiles de Vichy. Les maquisards sont donc en infériorité numérique mais comptent sur la défection des Français. La ville est investie dans la nuit du 6 au 7 juin. Le plan ne se passe pas tout à fait comme prévu. Les FTP se heurtent à des positions allemandes qu'ils ne connaissaient pas, ce qui retarde leur jonction entre le nord et le sud de la ville. Les combats durent jusqu'à 17h avant que les maquisards ne se replient. Entretemps, les GMR ont négocié leur sortie, avec armes et matériels, ce qui constitue une déception pour les FTP. Les Allemands, qui réoccupent des positions perdues pendant la journée, abattent 14 gardes-voies, un crime de guerre qui sera d'ailleurs jugé après la guerre. Ils tiennent l'école normale et le quartier de Souilhac. L'assaut des FTP va être renouvelé le lendemain par l'apport de bataillons libérés par la fuite des GMR. Le 8 juin, les FTP enlèvent la caserne de gendarmerie, ce qui leur procure du matériel, puis l'école, principal bastion allemand, prend feu. Une tentative de sortie se solde par un bain de sang avec plus de 40 tués. Les défenseurs se rendent à 17 h. Quelques hommes du SD sont sommairement exécutés mais il n'y a pas de massacre général ni de mutilations, contrairement à ce que prétendront les Allemands. Ceux-ci tiennent encore la manufacture d'armes et d'autres points d'appui. Des barrages sont placés à l'extérieur de la ville, en "sonnette", mais l'arrivée de la Das Reich surprend complètement les FTP, qui décrochent en catastrophe, les premiers blindés se présentant par le sud à 20h. La Das Reich, devenue une Panzerdivision SS, s'est illustrée sur le front de l'est dans l'application de méthodes de combat brutales : pendant la contre-offensive à Kharkov, en mars 1943, elle a déjà pendu des citoyens soviétiques à des balcons... décimée, la division est rapatriée en France entre février et avril 1944, autour de Montauban. En mai, la division mène des opérations punitives dans le Lot et l'Aveyron : incursion dans les villages, rassemblement de la population, exécution des fuyards, incendie des maisons suspectes et meurtres de leurs habitants. Le 5 juin 1944, Lammerding, le nouveau commandant de la division, prévoit dans un texte de mener une véritable guerre psychologique par la terreur pour briser l'action des maquisards. Le débarquement renforce l'urgence de la mesure, approuvée par l'OKW : dès le 8 juin, la division Das Reich se met en marche non vers la Normandie mais pour nettoyer les maquis du Centre-Ouest. Le bataillon de reconnaissance est lancé en avant pour dégager Tulle.

Les SS vont justifier leur massacre de terreur par des représailles contre l'assaut du maquis : 99 hommes pendus, 145 déportés en Allemagne. Ils rassurent la population en affirmant vouloir procéder à un contrôle d'identité. Le préfet Trouillé manque cependant d'être exécuté par les Waffen-SS (!). Puis ceux-ci arrêtent les membres des Chantiers de Jeunesse. A 6h, le 9 juin, les Allemands commencent une rafle, pressée par le temps. Une affiche est placardée à 16h annonçant l'exécution de 120 otages, sans que le chiffre soit véritablement explicable, juste avant le début des pendaisons. Les raflés sont triés par les Allemands, les autorités locales se démenant pour écarter le personnel utile, tandis que des agents du SD survivants des combats de la veille, notamment Walter Schmald, sélectionnent de manière arbitraire les condamnés. De sordides marchandages ont lieu, mais en réalité, les résistants ou maquisards sélectionnés par les Allemands sont peu nombreux. La décision de la pendaison a été prise dès le matin, et des cordes ont été rassemblées. Les Allemands veulent un large public pour les exécutions, afin de marquer les esprits. Encadrés par groupes de 10, les raflés sont enserrés par un peloton de SS, et les réactions des condamnés provoquent des accès de violence. Les Allemands coupent les cordes à la fin des pendaisons, mais refusent l'inhumation individuelle : il faudra des fosses communes. Les SS déportent aussi 3 à 400 hommes vers Limoges. Le 13 juin, 149 hommes atterrissent à Poitiers : un raid nocturne de la RAF provoque un mouvement de panique et les SS fauchent 6 hommes par balles et en blessent 35. Déportés en Allemagne le 2 juillet à partir de Compiègne, seuls 48 des 149 Tullistes reviendront des camps.

La mémoire du massacre de Tulle a été douloureuse. Les Allemands laissent les cordes en place jusqu'au 15 juin. Les FTP craignent à juste titre que la population leur fasse porter la responsabilité des exécutions. En représailles, ils exécutent d'ailleurs plusieurs soldats allemands capturés. Les Allemands renforcent leur présence dans la ville, en soldats et services de répression. Jusqu'à la libération de Tulle le 17 août, les habitants craignent à deux reprises de revivre le drame du 9 juin. Les corps des pendus sont dégagés après la libération. Les deux procès d'après-guerre, celui de 1949 pour les gardes-voies et celui de 1951 pour les pendus, ne satisfont personne : mais les deux acteurs principaux, Kowatsch, l'officier SS le plus gradé présent le 9 juin, et Schmald, l'officier du SD responsable de la sélection par vengeance, ont été tués avant la fin de la guerre. Les peines sont relativement clémentes. Lammerding, qui vit tranquillement en Allemagne, ne sera jamais inquiété. On apprend qu'il est encore en vie en 1953, lors du procès d'Oradour, où il intervient par une lettre. Mais il mourra en Allemagne en 1971. Le mémorial de Cueille est ouvert à Tulle dès 1950, et la commémoration prend un rituel perpétué aujourd'hui. Même si Tulle est dans l'ombre d'Oradour, massacre plus important, avec femmes et enfants, et sans polémique autour du rôle des maquisards.

Fabrice Grenard rappelle en conclusion que l'offensive des FTP, préparée de longue date, s'inscrit dans la stratégie d'insurrection générale après le débarquement, défendue par la France Libre. Elle s'est conclue par de nombreux drames, faute de moyens chez les maquisards, mais elle montre aussi que la France n'a pas été simple spectatrice. Le malheur a voulu pour les FTP que leur attaque coïncide avec l'ordre donné à la Das Reich de nettoyer les maquis du Centre-Ouest. Le massacre était prémédité, et fait de Tulle l'une de ces villes martyres de la politique de terreur orchestrée ici par les Waffen-SS mais approuvée dans le cas de Tulle par le haut-commandement militaire allemand. 



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