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Volontaires étrangers de l'insurrection syrienne. 10/Les Belges

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La Belgique a de longue date une relation duale avec ses immigrés maghrébins ou turcs. Dans la décennie 1960, l'immigration marocaine et turque a été encouragée, de façon à fournir une main d'oeuvre peu onéreuse pour l'industrie du charbon et de l'acier, ce qui a permis à la Belgique de tenir son rang dans la construction européenne. Le déclin de l'industrie lourde n'a pas entraîné le départ de ces immigrés. Aujourd'hui, certaines personnes des troisième et quatrième générations se trouvent en marge de la société belge. Une partie de la jeunesse immigrée d'origine marocaine bascule dans la délinquance dès les années 1980-1990.



Capitalisant sur ces difficultés d'intégration, le parti Sharia4Belgium est né le 3 mars 2010. Son porte-parole salafiste, Fouad Belkacem, est persona non grata sur la place publique. Après plusieurs actions judiciaires et sous la pression publique, le parti est finalement dissous le 7 octobre 2012. La guerre en Syrie fait alors rage depuis un an et demi. Il faut attendre quelques mois pour obtenir les premières informations à propos des volontaires belges et néerlandais partis rejoindre le djihad en Syrie. En ce qui concerne la Belgique, les premières personnes sont identifiées en mars 2013, notamment par la langue flamande, sur des vidéos postées depuis la Syrie. Les parents de Brian De Mulder et Jejoen Bontinck reconnaissent leurs fils sur des vidéos. Le parti d'extrême-droite Vlaams Belang réussit à embrigader une des familles pour sa propagande tandis que le père de Bontinck se rend en Syrie pour chercher son fils. Tous blâment Sharia4Belgium1.


A droite, Brian de Mulder, aux côtés d'un autre combattant belge parti en Syrie et qui était à la direction de Sharia4Belgium.-Source : http://emmejihad.files.wordpress.com/2014/02/chaib-de-mulder.jpg



Le 10 avril 2013, un hebdomadaire belge publie un article sur les djihadistes nationaux, affirmant que 12 d'entre eux ont déjà été tués (chiffre toujours non confirmé). En juin, deux journaux apportent des précisions sur le contingent après la mort d'Abd ar-Rahman Ayashi, un Franco-Syrien qui avait quitté la Belgique en 2012 après avoir purgé 8 ans de prison. Il était devenu chef de bataillon au sein du groupe Suqour as-Sham, menant pas moins de 600 hommes au combat. Il était le fils du cheikh Bassam Ayashi, un Syrien de Molenbeek, à Bruxelles. La famille est surveillée par les autorités belges depuis au moins septembre 2009. Quelques mois plus tôt, l'ami d'Ayashi, le Français Raphaël Gendron, avait également été tué en Syrie. Parmi les autres Belges morts au combat, il y a aussi Nur ad Din Abouallal, membre de Sharia4Belgium, tué le 25 juillet 2013. 33 autres membres du groupe, en septembre, combattaient encore en Syrie, dont Hussyan Elouassaki, alias Abu Fallujah, qui dirigerait la brigade Ansār Majlis Shūra al-Mujahidīn, près d'Alep, responsable de décapitations. On évalue alors à 150 à 200 le nombre de Belges déjà partis en Syrie.


Abd ar-Rahman Ayashi.-Source : http://pietervanostaeyen.files.wordpress.com/2013/09/ayashi.jpg


Le 13 janvier 2014, le ministre des Affaires Etrangères confirme que plus de 200 Belges ont gagné la Syrie depuis le début du conflit, et qu'au moins 20 y ont été tués2. Pour Petier van Ostaeyen, spécialiste du sujet, au 27 avril 2014 ce serait en fait 3963 Belges (220 au minimum) qui auraient rejoint la Syrie depuis le début du conflit: sur les 102 identifiés via les médias ou les réseaux sociaux (et 32 connus aussi seulement par leur nom de guerre), 57 sont impliqués avec Sharia4Belgium, dont 20 ont rejoint l'EIIL et au moins un al-Nosra. Pour le reste de l'échantillon, il est très difficile de savoir quels groupes armés les volontaires ont rejoint (37 avec l'EIIL, 8 avec al-Nosra, 10 avec Suqur as-Sham, 1 avec Liwa Shuhada à Idlib, 1 dans une autre formation). 5 ont 16 ans et viennent de Bruxelles et Vilvoorde. L'âge des combattants va de 13 (Younes Abaaoud4) à 68 ans (si l'on inclut le cheikh Bassam al-Ayashi ; sinon il tombe à 38). L'âge moyen est à 24,5 ans. On trouve au moins 17 femmes dans le contingent belge5. 14 mineurs au moins sont partis, dont 4 sont revenus ; 1 a été ramené par sa mère. 10 viennent de Bruxelles ou Vilvoorde, une cité proche. Sur 136 volontaires dont les villes de départ sont identifiées, 48 viennent de Bruxelles, 41 d'Anvers, 22 de Vilvoorde, et 14 de Mechelen. Un axe Anvers-Mechelen-Vilvoorde-Bruxelles se dessine donc sur la carte et le djihadisme concerne la Flandres belge dans sa quasi-totalité, le problème est très marginal en Wallonie. Au moins 29 des volontaires sont revenus en Belgique (dont 4 refoulés à la frontière turque). L'un d'entre eux, Hakim Elouassaki, a été blessé et il est revenu pour se soigner. Le 23 janvier dernier, deux femmes de combattants, enceintes, ont été rapatriées, en accord avec les autorités, probablement en échange de renseignements sur leurs maris (qui appartiennent à Sharia4Belgium). On sait que 10 membres de l'organisation sont revenus, tout comme 8 autres qui faisaient partie de l'EIIL et 2 d'al-Nosra. Les plus gros contingents de retour sont à Anvers et Vilvoorde. 7 membres de Sharia4Belgium, 6 habitants de Bruxelles, 6 de Vilvoorde et au moins un de Maaseik et un autre de Mechelen ont été tués ; en tout, il y a 27 morts depuis décembre 2012 (9 membres de Sharia4Belgium, 6 résidents de Bruxelles, 6 résidents de Vilvoorde, un de Maaseik, un autre de Mechelen)6. 8 des tués appartiennent à l'EIIL, 8 au front al-Nosra, 2 à Suqour al-Sham, et 9 autres probablement à l'EIIL. Le dernier tué en date appartient au front al-Nosra : il est mort dans les combats du district industriel de Sheikh Najjar, au nord-est d'Alep, sous le nom de guerre de Abou Handalah7. Au moins 220 Belges seraient toujours en Syrie, et peut-être plus de 3008. Sur 54 Belges localisés sur place, 29 ont été à Alep (dont 17 de l'EIIL, avec 7 tués ou revenus en Belgique, et 10 qui sont probablement maintenant à Raqqa), 12 sont à Raqqa (dont les 10 d'Alep), 11 sont dans la province d'Idlib, 6 dans celle de Homs, 3 ont été dans celle de Lattaquié (dont un tué en août 2013 pendant la première offensive rebelle d'envergure sur place), 2 à Damas, et 1 a été tué à Saraqib.

Younes Abaaoud, le plus jeune combattant belge en Syrie (13 ans).-Source : http://emmejihad.files.wordpress.com/2014/03/67846_1384639538466403_335192518_n.jpg





Nora Verhoeven, une des femmes parties faire le djihad en Syrie.-Source : http://emmejihad.files.wordpress.com/2014/03/1618475_251975741651335_2119415134_n.jpg






Peter van Ostaeyen présente également quelques exemples de Belges partis se battre en Syrie. Te Ou, 19 ans, originaire de Vilvoorde, est actuellement à Alep, où il combat pour l'EIIL. Abu Houdaifa Ahmed, dont la famille est d'origine marocaine (et sans doute berbère), a 21 ans : lui aussi combat à Alep, comme la majorité des Belges d'ailleurs, et a un frère qui serait en Afghanistan. Abu Sulayman al-Muhajir, d'origine algérienne, est parti avec sa femme à Alep en août 2013. Un de ses frères combattrait aussi en Syrie. Younes (Michaël) Delefortrie, un converti d'Anvers, est un membre connu de Sharia4Belgium : en 2011 il avait été arrêté en possession d'une AK-47. Il a combattu à Alep mais est revenu en Belgique après le déclenchement des combats contre l'EIIL, le 3 janvier 2014 ; arrêté par la police, il nie avoir combattu en Syrie. Abdel Monaïm, d'origine marocaine, 32 ans, a été tué en janvier 2014 : on le décrivait plus comme un aventurier que comme un islamiste radical. Abu Sulayman al-Baljiki, 36 ans, est le Belge le plus âgé faisant partie de l'EIIL. Originaire de Bruxelles, il combat dans un groupe de Franco-Belges présent à Homs, puis à Alep. Abu al-Maqdad Muhajir, d'origine marocaine (berbère), combat à Alep et à la particularité de parler arabe, français et néerlandais. Abu Jihad al-Baljiki est l'un des rares membres de Sharia4Belgiumà avoir rejoint al-Nosra. Ismail Mujahid, 17 ans, a quitté Bruxelles pour la Syrie en avril 2013 avec son ami Bilal. Son frère Zakaria, 23 ans, était déjà en Syrie. Bilal est revenu en Belgique après quelques mois mais Ismail, lui, est resté avec l'EIIL. Hisham Chaib, 30 ans, d'Anvers, était l'un des gardes du corps du chef de Sharia4Belgium, Fuad Belkacem. Il avait passé deux mois en prison début 2013 pour son rôle dans les émeutes de Borgerhout à Anvers9. Les départs de jeunes Belges continuent : début mai, un jeune homme de 24 ans, Abou Sabir Al Belgiki, originaire du quartier de Borgerhout à Anvers, annonce sur son profil Facebook qu'il a réussi à rejoindre la Syrie10.

Dans sa dernière analyse du phénomène, datée du mois de novembre 2014, Peter van Oestayen évoque d'autres réseaux de recrutement que Sharia4Belgium11. Le « resto du Tawhid », dirigée par le converti Jean-Louis Denis, surnommé le Soumis, est actif près de la gare de Bruxelles-Nord. Sous couverture de distribution de repas à de pauvres musulmans, Denis recrute de jeunes gens pour le djihad ; il est d'ailleurs arrêté en avril 2013 après le départ de deux jeunes ga rçons de 16 ans originaires de Vilvoorde. En outre, les Belges déjà arrivés en Syrie donnent des conseils aux candidats au départ via les réseaux sociaux.



Sur les 438 Belges déjà partis en Syrie, le chercheur en a identifié 132. 81 sont connus par leur nom de guerre. 35 sont des femmes. L'âge moyen est de 25 ans. 44 ont péri et 70 à 90 Belges sont revenus dans leur pays. 15% sont liés à Sharia4Belgium, qui a constitué la première vague avec des aventuriers, qui ont souvent perdu leurs illusions. La deuxième vague de Belges djihadistes est désormais attirée par le modèle de l'Etat Islamique. Ainsi, 3 jeunes gens de Kortrijk veulent gagner Raqqa, la capitale de l'EI. Mais 45% des hommes de Sharia4Belgium ont fini par rejoindre l'EI, après avoir parfois suivi d'autres groupes. Un de ceux-ci, Majlis Shura al-Mujahideen, avait la particularité de séparer les combattants arabes des Européens. Dans la première moitié de 2013, ce groupe rejoint la faction d'Omar Shishani qui fait ensuite allégeance à l'EIIL. Houssien Elouassaki, le chef spirituel des Belges, rallie alors al-Nosra avec une partie des combattants. Une dizaine de Belges combattent avec Suqur al-Sham, une composante de l'ancien Front Islamique, et 13 avec al-Nosra. De l'autre côté, un Belge au moins est parti combattre avec le régime. Sur les 202 dont on connaît l'origine, la plupart viennent d'un axe nord-sud Anvers-Mechelen-Vilvoorde-Bruxelles, où Sharia4Belgium est très présent. En Syrie, de nombreux Belges se trouvent à Alep avec le front al-Nosra ; d'autres sont à Raqqa avec le Front Islamique (107 ont pu être localisés).

En novembre 2014 également, Abdelmajid Gharmaoui, un djihadistes belge, apparaît peut-être dans une scène d'exécution massive d'au moins 20 soldats du régime, aux côtés d'autres Européens, à Dabiq, au nord d'Alep. Gharmaoui, proche de Sharia4Belgiumà Vilvoorde, a quitté son pays en novembre 2012. ll a été condamné à 10 ans de prison in abstentia en Belgique. On le soupçonne d'avoir pris à part à l'exécution d'un autre Belge revenu en Syrie, accusé avoir parlé à la police12. Ce même mois, les Belges de l'Etat Islamique multiplient les démarches de recrutement, preuve que l'organisation, engagée sur de nombreux fronts et ciblée par des frappes aériennes, manque d'effectifs13. Récemment, un Belge nouvellement arrivé dans l'Etat Islamique a été identifié comme le 4ème venant de la petite ville de Maaseik, où la communauté musulmane radicale semble particulièrement active. De son vrai nom Fayssal Oussaih, il appartiendrait à une famille déjà présente, en 2006, dans un procès belge sur des membres du GICM (Groupe Islamique Combattant Marocain), impliqué dans les attentats de Madrid et Casablanca. Oussaih semble avoir des liens avec d'autres membres du GICM. Un autre jeune homme parti en Syrie a également fait de la prison en 2006. On a donc un rare exemple de connection, en Belgique, entre un réseau ancien du djihadisme et des recrues pour le djhad en Syrie, qui rejoint d'ailleurs Sharia4Belgium, et au final l'Etat Islamique. Abdelkader Hakimi, le leader européen du GICM, se trouve d'ailleurs lui-même en Syrie14.

Gharmaoui.
 
Hicham Chaïb, vu ici en octobre, qui recrute pour l'EI.

Abou Shaheed, de la ville de Maaseik, après son arrivée en Syrie, décembre 2014. Il tient une mitrailleuse PK.



1Pieter Van Ostaeyen, « Belgian Jihadis in Syria », Jihadology.net, 5 septembre 2013.
9Pieter Van Ostaeyen, « Belgium’s Syria Fighters ~ An Overview of 2012 and 2013 (II) », Jihadology.net, 25 janvier 2014.

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