En
novembre 2013, 6 combattants en Syrie ont potentiellement été
identifiés comme australiens, avec cependant des doutes sur
plusieurs d'entre eux1.
Trois cas sont cependant plausibles : Roger Abbas, Yusuf
Topprakaya et un kamikaze connu sous le nom de Abou Asma al-Australi.
Roger Abbas, tué en octobre 2012, venait de Melbourne et était
d'origine libanaise : c'était aussi un champion de kickboxing.
Arrivé au départ pour une aide humanitaire, il a visiblement
combattu ensuite avec le front al-Nosra. Yusuf Topprakaya, tué en
décembre 2012, était originaire de la communauté turque et était
surveillé par les autorités australiennes depuis 2010. Arrivé à
la frontière turque à la mi-2012, il attend de pouvoir entrer en
Syrie et rejoint une unité locale des brigades Farouk près de la
ville de Maarat al-Numan. Il se fait remarquer par ses compétences
au tir et dans la fabrication de bombes, avant d'être tué par un
sniper. A la mi-septembre 2013, enfin, Abou Asma al-Australi
jette un camion rempli de 12 tonnes d'explosifs contre une école qui
sert de lieu de cantonnement à des soldats du régime syrien dans la
ville de al-Mreiya, dans la province de Deir es-Zor. L'attaque
kamikaze aurait permis au front al-Nosra de prendre la base aérienne
de la ville. Le "martyr", originaire de Brisbane et de la communauté
libanaise, était lui aussi surveillé par les autorités
australiennes avant son départ.
D'autres
cas sont moins documentés. En août 2012, un cheik de Sydney,
Mustapha al-Mazjoub, est tué en Syrie. D'ascendance saoudienne, il
est à noter que son frère était le seul membre australien du
Conseil National Syrien. Il serait mort au combat. En novembre 2012,
un dénommé Marwan al-Kassab, considéré comme un Australien, meurt
dans une explosion au Nord-Liban alors qu'il fabrique des bombes pour
les rebelles syriens. En avril 2013, Sammy Salma, originaire de
Melbourne, et qui avait voyagé avec Abbas, est également tué. En
tout, on estime que 80 Australiens sont partis en Syrie et que 20,
peut-être, ont combattu avec al-Nosra. La plupart sont issus de la
communauté libanaise, 70% d'entre eux étaient connus des autorités
précédemment et ils sont entrés en Syrie via la Turquie, un peu
moins par le Liban. La Syrie n'est pas le premier cas de départ d'un
contingent australien. Entre 1998 et 2003, 20 personnes avaient
rejoint l'Afghanistan et les camps du LeT au Pakistan. Entre 2002 et
2012, 16 Australiens ont été arrêtés au Liban, ou condamnés in
abstentia, pour activités djihadistes, principalement en lien
avec Ansbat al-Ansar ou Fatah al-Islam. Après l'invasion de la
Somalie par l'Ethiopie en 2006, de 10 à 40 Australiens ont également
rejoint les Shebaab en Somalie. Des Australiens seraient également
partis au Yémen en 2010. Le conflit en Syrie marque cependant un
changement d'échelle. Une des causes est évidemment l'importance de
la communauté libanaise : le conflit en Syrie concerne
davantage ses membres que ceux en Somalie ou au Yémen. Ensuite,
l'accès à la Syrie via la Turquie est beaucoup plus aisé que lors
des conflits précédents. Enfin, le caractère de plus en plus
sectaire du conflit et l'impuissance de la communauté occidentale à
le juguler ont manifestement constitué un appel d'air pour des
groupes comme al-Nosra ou l'EIIL.
Roger Abbas.-Source : http://resources3.news.com.au/images/2012/10/31/1226506/977691-roger-abbas.jpg |
Yusuf Topprakaya.-Source : http://resources1.news.com.au/images/2013/01/02/1226546/770837-yusuf-toprakkaya.jpg |
Au centre, le Sheikh de Sydney, Mustapha al-Mazjoub.-Source : http://images.smh.com.au/2013/12/06/4987836/art-353-abindingfervour4-300x0.jpg |
Le
combat s'est en outre transposé en Australie. Depuis le début 2012,
17 incidents ont été relevés comme étant en rapport avec le
conflit syrien : principalement des attaques de sunnites contre
des personnes, des biens ou des commerces chiites ou alaouites. Elles
ont lieu surtout à Sydney et Melbourne et impliquent des personnes
issues des communautés syrienne, turque et libanaise. L'Australie a
connu plusieurs préparations d'attentats terroristes déjouées
avant exécution, contre les J.O. De Sydney en 2000, une du LeT en
2003, et deux cellules autonomes démantelées à Sydney et Melbourne
en 2005 qui comprenaient des personnes entraînées en Afghanistan et
au Pakistan. Un attentat prévu contre les Hollsworthy Army
Barracks en 2009, là encore arrêté à temps, concernait des
hommes qui participaient au réseau de financement et de recrutement
des Shebaab. A noter toutefois que les incidents sectaires ont reculé
en 2013.
En
décembre 2013, deux hommes ont été arrêtés à Sydney. La police
affirme qu'un des deux hommes, Hadmi Alqudsi, était un recruteur
pour al-Nosra et probablement pour l'EIIL (il aurait envoyé au moins
6 personnes en Syrie). Le deuxième homme arrêté était sur le
point de partir. Pour Andrew Zammit, le spécialiste de la question,
cela signifie que les réseaux d'acheminement en Australie sont en
train de s'organiser petit à petit2.
Le 8 décembre d'ailleurs, les autorités annoncent avoir confisqué
20 passeports de peur de départs vers la Syrie, ce qui porte le
total de la mesure à 90 en tout. En janvier 2014, après le
déclenchement des combats contre l'EIIL, Yusuf Ali, un Australien,
et son épouse, sont tués à Alep. Tyler Casey est entré en Syrie
entre juin et août grâce à l'aide d'Alqudsi, arrêté en décembre
2013 à Sydney. Il combattait au sein du front al-Nosra. Né aux
Etats-Unis, Yusuf a ensuite gagné l'Australie avec ses parents et a
été élevé comme chrétien. Quand ses parents se séparent,
lorsqu'il a 13 ans, il gagne les Etats-Unis avec sa mère. Il regagne
l'Australie à 17 ans et se convertit à l'islam. En novembre 2011,
il épouse Amira Ali à Sydney, qui est donc morte avec lui en Syrie.
Yusuf est donc le 7ème Australien dont on est sûr qu'il ait bien
été tué sur place3.
Yusuf Ali.-Source : http://www.brisbanediary.com/wp-content/uploads/2014/01/Yusuf-Ali-Al-Qaeda-Link.jpg |
Ci-dessous, le prêcheur Musa Cerantonio, qui soutient ici al-Nosra début 2013, a depuis pris fait et cause pour l'EIIL.
La
dispute entre l'EIIL et le front al-Nosra, qui éclate en avril 2013,
et qui dégénère en affrontement armé entre l'EIIL et les autres
groupes rebelles à partir de janvier 2014, n'est pas sans
conséquence sur le paysage des volontaires australiens. En février,
Zawahiri, le chef d'al-Qaïda, désavoue publiquement l'EIIL et
confirme son soutien au front al-Nosra, alors que les combats ont
déjà commencé depuis un mois. Abou Sulayman, ancien prêcheur de
Sydney, lié au front al-Nosra, intervient dès le 17 mars pour
annoncer qu'il sert de médiateur entre les deux camps, puis s'engage
publiquement, via des vidéos et des discours, pour défendre
Zawahiri et le front al-Nosra contre l'EIIL. Il a rejoint la Syrie et
il est intégré au sein du front al-Nosra. De manière intéressante,
l'affrontement au sein d'al-Qaïda a forcé la structure à mettre en
avant certains de ses idéologues, comme Abou Sulayman, bien connu
pour ses prêches et ses appels au djihad en Australie. Ce dernier
aurait fréquenté à Sydney Bilal Khazal, qui aurait été entraîné
en Afghanistan et aurait été un proche de Ben Laden4.
Mais les partisans d'al-Nosra ne sont pas seuls en Australie :
Musa Cerantonio, un autre ancien prêcheur de Melbourne, a lui pris
fait et cause pour l'EIIL. Les derniers morts australiens en Syrie
appartiennent plutôt à l'EIIL, mais les informations sont trop
éparses pour affirmer que ce groupe aurait pris le pas sur les
autres dans le recrutement en Australie5.
Le centre israëlien Meir Amit estime, en février 2014, que
plusieurs douzaines à une centaine d'Australiens sont présents en
Syrie ; selon les services de renseignement, ils pourraient même
y avoir plusieurs centaines d'Australiens, dont une centaine rien que
pour le front al-Nosra. La communauté libanaise constitue toujours
un pôle de recrutement, notamment via les liens familiaux avec le
nord du Liban et la région de Tripoli, qui faciliteraient le
franchissement de la frontière avec la Syrie6.
Au 24 avril 2014, ce sont au total 10 Australiens dont on est sûr
qu'ils ont péri en Syrie7.
Abou Sulayman, prêcheur australien qui a servi de médiateur pour al-Nosra dans le conflit avec l'EIIL. Un Australien qui occupe une position importante dans le djihad syrien. |
Début
mai 2014, une mère avec ses quatre enfants est arrêtée à
l'aéroport de Sydney alors qu'elle tentait de rejoindre son époux
en Syrie, avec de l'argent et du matériel (dont des équipements de
camouflage)8.
A
la mi-septembre, le flot de combattants australiens partis en Syrie
et en Irak, et dont certains sont revenus, est pour beaucoup dans
l'opération menée par 800 policiers qui fait avorter un projet
d'attentat conduit par un vétéran de l'Etat Islamique. Les
Australiens continuent de s'engager dans le front al-Nosra et l'EI,
et ces djihadistes préparent de plus en plus de projets d'attaques
sur le sol australien. A cette date, au moins 60 Australiens
combattent encore en Syrie ou en Irak, des dizaines en sont déjà
revenus et 15 y ont été tués, dont 6 rien qu'en 2014. En plus de
Yusuf Ali et de sa femme Amira, on trouve Caner Temel, recruté dans
l'EIIL par Abou Hafs après avoir servi dans le front al-Nosra.
D'origine turque et venant de Sydney, Temel avait servi comme sapeur
dans l'armée australienne à partir de février 2009 avant de
déserter l'année suivante. A la mi-février 2014, Ahmad Moussali,
un ami de Yusuf Ali, est également tué en Syrie. Zakaryah Raad, qui
avait réalisé en juin 2014 une vidéo de propagande pour l'EIIL
appelant les Australiens au djihad, perd la vie peu après. En
juillet, un certain Abu Bakr al-Australi commet un attentat-suicide
en Irak pour l'EI : il s'agit de Ahmad Dahman, un homme de 18
ans qui avait quitté l'Australie pour la Turquie à ses 17 ans.
C'est le deuxième kamikaze australien après un premier en Syrie en
2013.
Camer Temel. |
A gauche, Zakaryah Raad, dans le film de recrutement de l'EIIL. |
Majoritairement,
les Australiens sont désormais des hommes jeunes (25 ans ou moins),
appartenant aux communautés libanaise ou turque de ce pays. Certains
sont mariés et étaient déjà connus des services australiens.
L'année 2014 est surtout marquée par un flot plus prononcé de
combattants en direction de l'Etat Islamique, et que l'on retrouve
plus en Irak qu'en Syrie. Le front a l-Nosra attire cependant encore
des combattants. Les Australiens occupent aussi plus de postes
importants. En juillet 2014, l'armée libanaise arrête Hussam
Sabbagh, accusé de jouer un rôle clé dans les réseaux d'al-Nosra
dans ce pays. Il aurait pris part aux combats du camp de
Nahr-el-Bahred en 2007 et se serait élevé jusqu'à commander un
groupe de 250 hommes.
Hussam Sabbagh. |
Sur
le plan domestique, il faut noter qu'une centaine de personnes en
Australie soutient l'effort djihadiste. Les réseaux de recrutement
se sont solidifiés comme le montre l'arrestation de Alqudsi en
décembre 2013, qui à lui seul a fait partir au moins 6 combattants
(dont Yusuf Ali et Temel). Il est en cheville avec Mohammad Ali
Baryalei, grande figure de l'EI, qui lui aurait recruté 30 hommes
d'abord pour al-Nosra puis pour l'EI. En septembre, un réseau de
recrutement pour al-Nosra est démantelé à Brisbane, avec deux
personnes dont le frère du premier kamikaze australien. Les
combattants du djhad syrien, plus que précédemment, sont davantage
connus pour des faits précédent leur départ. Khaled Sharrouf et
Mohamed Elomar, qui postent de nombreuses menaces contre l'Australie
sur les réseaux sociaux, et jusqu'aux têtes de leurs ennemis
décapités, étaient connus des services australiens, comme la
plupart des combattants partis en 2014. Les membres de l'EI en
Australie sont de plus en plus audacieux dans la préparation
d'attaques sur le sol australien. L'un d'entre eux, Abdul Numan
Haider, est abattu par la police australienne après avoir agressé
les officiers au couteau9.
1Andrew
Zammit, « Tracking Australian Foreign Fighters in Syria »,
CTC Sentinel, Volume 6 Issue 11-12, novembre 2013, p.5-9.
5Andrew
Zammit, « Syria: a fractured opposition and Australian
consequences », The Strategist/The Australian Strategic
Policy Institute Blog, 24 avril 2014.
6Foreign
fighters from Western countries in the ranks of the rebel
organizations affiliated with Al-Qaeda and the global jihad in
Syria, The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information
Center, 3 février 2014.
9Andrew
Zammit, « New Developments in Australian Foreign Fighter
Activity », CTC Sentinel, septembre 2014 . Vol 7. Issue
9, p.5-9.