Poitiers est l'une des grandes défaites françaises de la guerre de Cent Ans. Une catastrophe même, puisque le roi de France est fait prisonnier par les Anglais. Mais Poitiers, comme le rappelle Georges Minois, c'est aussi l'occasion de comprendre la supériorité militaire des Anglais à ce moment-là, sans parler des sous-bassements politiques de l'affrontement. Or Poitiers reste assez méconnue par rapport à Crécy et surtout Azincourt, davantage traitées par les historiens. G. Minois se propose donc, à partir des sources existantes, de retracer les origines, le contexte, le déroulement et les conséquences de cette bataille.
A la fin du Moyen Age, les batailles rangées sont rares, et constituent même l'exception. C'est que Poitiers marque la transition entre la guerre chevaleresque et celle menée par des troupes soldées professionnelles. Le gros du contingent reste encore formé par la levée féodale, mais la Peste Noire a fauché une partie de la génération "mobilisable". Le chevalier, cavalier lourd, est à l'honneur, particulièrement du côté français. Les écrits chevaleresques, comme ceux de Geoffroy Charny, exaltent les prouesses à accomplir et le déshonneur de la fuite -se rendre à un adversaire chevalier, en revanche, est tout à fait acceptable. Les ordres de chevalerie, comme l'ordre de l'Etoile créé par Jean II le Bon, sont là pour éviter les accusations de lâcheté qui avaient fusé après Crécy. D'autres écrits pourtant sont déjà plus "réalistes", et préconisent la fuite si besoin. Mais la suprématie du chevalier est déjà contestée par le fantassin, dont le rôle s'affirme sur le champ de bataille. Les Anglais ont l'avantage d'avoir constitué un corps d'archers équipés du fameux longbow et qui se déplacent à cheval ; les Français n'ont pas d'équivalent dans les armes de jet. Les batailles du XIVème siècle sont beaucoup plus meurtrières : l'armée vaincue est proprement anéantie. Les schémas tactiques sont similaires malgré quelques innovations ponctuelles. L'Anglais a recherché la bataille décisive (Crécy) mais préfère désormais les chevauchées ; le Français, à Poitiers, continue dans la première option avant que Charles V ne choisisse une prudente défense. Depuis la bataille de l'Ecluse, l'Anglais a la maîtrise de la Manche, ce qui lui facilite le passage depuis l'Angleterre. Les clergés soutiennent chacun des camps et on trouve des écclésiastiques de haut rang dans les deux armées.
L'origine du conflit réside notamment dans la propriété de l'Aquitaine, qui revient aux Anglais, mais qui est contestée par les Français, même si les Gascons, au final, se retrouvent plutôt dans le premier camp. Sur la question de la suzeraineté du roi de France, qui fait éclater le conflit en 1337, se greffe le problème des Flandres. Edouard III en profite pour revendiquer le trône de France, argument au départ de pure propagande mais qui va se solidifier avec le temps. L'Angleterre est alors un royaume plus cohérent et homogène que le royaume de France, malgré la disproportion des forces. L'alliance écossaise n'a pas permis à la France de renverser la donne : les Anglais, tout en contenant les Ecossais, y ont entraîné leur armée. On trouvera en revanche de nombreux contingents écossais côté français. La guerre s'enlise rapidement tandis qu'éclate en 1341 le conflit pour la succession de Bretagne. L'année 1346 est désastreuse : en plus de Crécy, les Ecossais sont battus par les Anglais. Puis vient la peste, les chevauchées anglaises et la mort de Philippe VI en 1350. Lui succède Jean II, sans doute moins incapable qu'on ne l'a dit, courageux, mais d'une intelligence limitée et influencé par ses conseillers. Les problèmes continuent en 1350-1351, et Jean II doit faire face à un nouvel adversaire : Charles le Mauvais, roi de Navarre, qui lui impose d'abord des concessions, après l'assassinat du favori du roi, Charles d'Espagne, en janvier 1354. En 1355, Jean II n'a plus les moyens financiers de mener la guerre, alors qu'Edouard III s'entend avec Charles le Mauvais pour une double attaque en Normandie et en Aquitaine. Mais le roi de Navarre fait faux bond : le roi d'Angleterre laisse alors son fils, le fameux Prince Noir, accompagné de son mentor John Chandos, mener une chevauchée dévastatrice en Aquitaine, sorte de répétition de celle à venir en 1356.
Le dauphin Charles, séduit par Charles le Mauvais et son conseiller Robert le Coq, commence à comploter contre son père. Jean II parvient à retourner son fils mais le roi de Navarre contrôle le duché de Normandie qui est normalement l'apanage du dauphin. Le 5 avril 1356, Jean II réalise un coup de force à Rouen, fait jeter le roi de Navarre en prison et tuer ou emprisonner ses principaux fidèles. Jean II doit faire face à l'alliance du fils de Navarre, Philippe, avec les Anglais, et à la menace des chevauchées du Prince Noir en Aquitaine. L'armée de Lancastre débarque en Normandie en juin, et Jean II, faute d'argent, n'a qu'une armée à opposer à la menace anglaise : il file donc sur la Normandie, où les premiers combats sont peu concluants.
Le prince de Galles sort finalement d'Aquitaine en juillet 1356, mais non pour une chevauchée : il doit prendre à revers l'armée française, avec ses 8 à 10 000 hommes, dont une moitié de Gascons. Fin août, il est sur le Cher, ayant manqué de s'emparer du fils du roi de France, Jean, à Bourges. Revenu à Paris, Jean II gagne Chartres le 1er septembre, où se rassemble une armée hétéroclite de 15 à 30 000 hommes. Le roi licencie les piétons pour rester mobile ; l'armée n'a cependant pas de commandement approprié, divisé entre de nombreux chefs. Le Prince Noir fait alors demi-tour, prend Romorantin, bute devant Tours, contourne l'obstacle, talonné par l'armée française qui tente de le déborder. Le 17 septembre, l'armée anglaise sort de Châtellerault, alors que les Français sont passés devant ; un parti français est défait, pris par surprise. Le lendemain, près de Poitiers, les Anglais cherchent un site défensif pour une bataille qu'ils sentent imminente : ce sera une hauteur bien défendue naturellement.
Les effectifs en présence sont probablement plus faibles qu'à Crécy. 12 000 hommes côté français contre peut-être 8 000 Anglais. Les Français sont disposés en trois batailles successives, même si les chevaliers combattent pour beaucoup à pied : celle du dauphin et des fils du roi, celle du duc d'Orléans et celle du roi lu-même accompagné de son fils Philippe, le cadet. Les 3 batailles anglaises, elles, sont en ligne : à gauche, les comtes de Warwick et d'Oxford ; à droite ceux de Salisbury et Suffolk ; au centre, en retrait, le Prince Noir. Une réserve de cavalerie dirigée par le captal de Buch se tient à l'arière. Les archers sont sur les flancs. Les éclaireurs français ont bien évalué l'effectif et la puissance défensive du dispositif anglais : les Français décident de disperser les archers avec une petite troupe montée pour ouvrir la voie aux hommes d'armes qui combattront à pied. Côté anglais, le Prince Noir est favorable à la retraite mais pas les principaux chefs, qui le poussent à la bataille. Le cardinal de Périgord tente une ultime négociation, en vain, tandis que les Anglais se reposent et renforcent leurs retranchements. Chandos et le maréchal de Clermont, qui découvrent qu'ils ont les mêmes armoiries, s'invectivent à travers les lignes. Les Anglais commencent, le lendemain 19 septembre, par une retraite simulée qui pousse les Français à attaquer. Deux groupes de cavaliers commandés par les maréchaux d'Audrehem et de Clermont attaquent les deux ailes anglaises : en vain, ils sont terrassés par les archers. La bataille du dauphin monte alors à l'attaque. Le combat dure près de deux heures. Après de rudes corps-à-corps, les Français sont finalement repoussés ; le dauphin et ses frères quittent le champ de bataille, probablement à l'initiative de leur escorte qui craint pour leur vie, mais l'incident donne lieu à des rumeurs malveillantes. La retraite de la bataille du dauphin jette le désordre dans celle d'Orléans qui arrive à son tour pour se frotter aux Anglais. Le roi Jean II décide pourtant de faire donner sa bataille : les Anglais, à court de flèches, reprennent leurs chevaux pour charger sur la pente, tandis que le captal de Buch réalise un mouvement tournant avec 160 hommes pour prendre à revers les Français. L'étau se resserre autour du roi Jean II ; Geoffroy de Charny, qui porte l'oriflamme, est tué près de lui. Jean II se rend finalement à un chevalier d'Artois, Denis de Morbecque, passé aux Anglais. Tout est terminé én début d'après-midi. Les corps restent en majorité sur le champ de bataille. Le Prince Noir reçoit un accueil délirant à Bordeaux ; la nouvelle de la victoire est connue en Angleterre début octobre.
Pour la France, le bilan est catastrophique : aux 2 500 tués probables (on ne connaît pas les pertes exactes côté anglais) s'ajoutent 2 500 à 3 000 prisonniers, et pas des moindres. Les rançons, 300 000 livres en dehors du roi Edouard et de son fils, vont saigner à blanc le royaume de France. Paradoxalement, le roi-chevalier Jean II sort grandi de la défaite : son courage rehausse sa personne, même si les théoriciens critiquent l'engagement du roi directement sur le champ de bataille, une leçon que n'oubliera pas son fils Charles. C'est la noblesse qui est critiquée ; pour les chroniqueurs, la défaite est avant tout morale et sociale, non militaire. Cette caste chevalière a failli. Les historiens ont fait justice de ces jugements de valeur : les Anglais ont bien choisi le terrain, leurs archers ont été dévastateurs, les Français ont annulé leur avantage numérique en choisissant de combattre en trois batailles successives, les Anglais ont un meilleur système de liaison et leur armée est tout simplement plus cohérente, homogène, disciplinée. Charles, revenu à Paris, doit affronter la contestation des bourgeois, bientôt menés par le prévôt Etienne Marcel, qui vont lui imposer une ordonnance de réforme du royaume en 1357. Sans roi, prisonnier, le royaume de France devient ingouvernable.
L'existence même du royaume est alors en jeu. Les états généraux rechignent à payer l'énorme rançon de Jean II. Charles le Mauvais, libéré de sa prison par ses fidèles, revient en Normandie puis à Paris, et avec le soutien anglais, s'impose au dauphin via Etienne Marcel et Robert le Coq. En février 1358, il fait massacrer sous ses yeux les maréchaux de Clermont et de Conflans. Le dauphin se rallie alors la noblesse, inquiète des idées des bourgeois, et commence à mettre le siège autour de la capitale. C'est alors qu'éclate au nord de Paris une véritable jacquerie dont les bourgeois sont tentés de profiter. Côté noblesse, en revanche, la solidarité prévaut : Charles le Mauvais, les partisans du dauphin, ceux des Anglais combattent parfois ensemble pour liquider l'insurrection paysanne. Etienne Marcel, qui voulait ouvrir les portes de Paris au Navarrais, est tué le 31 juillet. Mais le dauphin doit s'enfermer dans Paris, faute d'argent pour desserrer l'étau. En mars 1359, Jean II signe le traité de Londres, qui en échange de sa libération contre une énorme rançon de 4 millions d'écus, cède la moitié du royaume aux Anglais. Comme les Français refusent d'accepter, Edouard III lève une armée de 10 000 hommes, débarque en France en octobre et marche sur Reims. Arrivé dans la ville en décembre, alors que l'hiver est particulièrement dur et que les Français s'enferment dans les villes fortifiées, Edouard III ne peut emporter la place. Le siège est levé en janvier 1360 et le roi anglais tourne autour de Paris, jusqu'en Beauce. Après quelques dévastations et un terrible orage de grêle qui frappe son armée, les négociations s'ouvrent en mai à Brétigny. La rançon de Jean II est ramenée à 3 millions d'écus, et les pertes territoriales à un quart du royaume. Edouard renonce à la couronne de France. Le traité de Brétigny sanctionne la victoire du Plantagenêt dans la première phase du conflit.
Une bibliographie succinte (trois pages et demi) apparaît à la fin du livre. Georges Minois arrive à livrer dans le format de la collection, assez contraignant, une synthèse sur une bataille finalement peu traitée, en français, de la guerre de Cent Ans. Par contre, la description de la bataille elle-même n'occupe finalement que peu de place (40 pages et quelques sur plus de 200) à l'intérieur du livre. L'historien passe beaucoup plus de temps à retracer les origines du conflit et ses développements jusqu'à Poitiers (ce qui d'ailleurs recoupe probablement son propre ouvrage sur la guerre de Cent Ans) et beaucoup moins sur les armées, les Etats et les sociétés en présence, partie qui est relativement expédiée, tout comme celle des conséquences, d'ailleurs. Autre problème de G. Minois, la bibliographie : même si ici elle est volontairement réduite, on sent qu'elle est assez datée, comme je l'avais déjà constaté dans son Charlemagne. Il manque des références en français et probablement en anglais sur la guerre à la fin du Moyen Age en France et en Angleterre. Le travail est classique, peut-être un peu trop.