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Gérard WAJCMAN, Les Experts. La police des morts, Paris, PUF, 2012, 137 p.

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Cette collection "Série des séries" aux PUF, dirigée par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Claire Sécail, a pour but d'analyser les séries télévisées produites ces dernières années, particulièrement aux Etats-Unis, de comprendre les raisons de leur étonnant succès et d'offrir des clés de lecture à propos d'elles.

Le volume sur la (ou plutôt les, puisqu'il y avait, en plus de la série d'origine, la seule à continuer encore, deux séries dérivées aujourd'hui arrêtées) série Les Experts, que j'affectionnais particulièrement au moment de son lancement et qu'il m'arrive encore de suivre, pour les épisodes que je n'ai pas vus, aujourd'hui, est l'oeuvre de Gérard Wajcman. Ce dernier est un écrivain et un psychanaliste, maître de conférences à Paris 8, et dirige le Centre d'étude d'histoire et de théorie du regard.

Pour l'auteur, la série Les Experts incarne probablement le mieux possible le récit du monde d'aujourd'hui, un monde qui ne veut pas croire à l'impossible, et particulièrement dans le domaine du crime. Notre époque a connu ainsi un événement réel remettant les représentations en question : les attentats du 11 septembre 2001. Les Experts démarre en 2000, un peine un an plus tôt.

Ci-dessous, la parodie de Horatio Caine, le chef de l'équipe des Experts : Miami, par Jim Carey.



Une des séries les plus regardées dans le monde durant la décennie précédente, Les Experts appartient au genre des séries policières montrant l'enquête de fonctionnaires de police. Les crimes multiples et parallèles dans chaque épisode, et qui parfois se téléscopent, sont le moteur de la série. La multiplicité serait d'ailleurs, selon Wajcman, le témoin d'une désorientation du sujet moderne. Plus précisément, Les Experts met en scène une brigade de nuit de la police scientifique de Las Vegas : la science contre le crime, donc. Le concepteur a d'ailleurs eu du mal à vendre son idée, avant de connaître le succès que l'on sait.

Les Experts donnent ensuite naissance à Les Experts : Miami puis Manhattan. C'est que le crime est d'abord urbain. Et c'est tout le rôle des experts que de transformer, par le regard, la ville en scène de crime. S'assurer que la scène de crime n'a pas été "contaminée", en mettant à distance tous les non-experts ; récolter les indices ; travailler dessus, voilà le quotidien de la série, tout en faisant une abondante publicité aux dernières merveilles technologiques utilisées par les techniciens, et parfaitement authentiques pour la plupart.

Pour les experts, la preuve est un indice qui a parlé. La mort est le commencement de tout. L'indice matériel prime, analysé, décortiqué dans un environnement aseptisé. Il est considéré comme supérieur au témoignage, suivant le principe de Locard, datant des années 1930, selon lequel un crime laisse toujours des traces. Dans Les Experts, tout crime est matériel, et aucun matériel n'est par définition impénétrable. Les laboratoires de verre des experts sont refermés sur eux-mêmes et ne sont transparents que pour l'équipe, entre experts. Les Experts s'intéressent au crime, pas au criminel, et presque pas à la victime : triomphe, selon Wajcman, du "dessein inanimé de la science" (p.60).

La police scientifique est la police de la mort, ainsi que le montre la place grandissante du médecin légiste au détriment de l'enquêteur. A tel point que la série n'hésite pas à montrer les autopsies, non pas pour l'aspect "gore" mais toujours dans la quête de l'indice matériel et de l'élucidation du crime. Comme dans une autre série, Dr House, on ne vise pas ici la thérapeutique mais la résolution d'une énigme, crime ou maladie. A tel point qu'un médecin qui soigne ne peut être un expert, homme de la mort.

La fin de la saison 5 des Experts, qui se termine avec deux épisodes, a fait appel à Quentin Tarantino, grand fan de la série. Elle décortique tout ce qui fait l'esprit de la série, à savoir que la science est partout, adossée à la technique. La figure du détective solitaire semble s'effacer devant le travail collectif, froid et technicien des experts. Grissom, le chef de l'équipe des Experts, n'est pas à sa place par progression hiérarchique mais en raison de son savoir. Le double épisode de Tarantino retourne les méthodes des experts contre eux, remet en cause le culte de l'indice de la police scientifique et la confusion entre exactitude et vérité. Traiter le crime comme un fait purement matériel, sans les personnes, montre les limites d'une science réduite au silence. Tarantino remet les victimes au centre de l'histoire et montre que même la police scientifique peut se tromper.

Pour les experts, la vérité n'est pas de l'ordre du dire (p.127). C'est une série d'une époque du discours de la science, de la frénésie, même, de la science. Dans une époque moderne déshumanisée, les hommes cherchent toujours un sens à leur existence. Et si la religion ne peut rivaliser parfois avec la science, l'intervention de Tarantino montre que le regard de l'art peut encore contrer la politique des choses (p.136).




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