Friedrich von Mellenthin, mort en 1997, était un officier d'état-major allemand de la Seconde Guerre mondiale. Il a servi sur nombre de fronts, dès la campagne de Pologne : à l'ouest, en Afrique du Nord, à l'est. Emprisonné deux ans et demi, après la fin de la guerre, il commence à rassembler des documents et témoignages auprès de ses anciens camarades pour écrire, en 1956, une fois parti dans l'Afrique du Sud de l'apartheid, Panzerschlachten (batailles de Panzer). Ce récit de première main sur nombre d'opérations de l'armée allemande du conflit devient un classique à partir du moment où il est traduit en anglais, en 1956. Les Américains utilisent von Mellenthin et d'autres officiers allemands vétérans du front de l'est pour tenter de contrer au mieux, sur le papier, la menace des vagues blindées et mécanisées soviétiques qui pèse sur l'Europe centrale. Ses mémoires contribuent ainsi à forger une certaine vision du conflit, écrite par le vaincu allemand, avant la remise en cause tardive de l'historiographie, qui n'en a pas encore fini avec cette légende dorée. Pour autant, relire Panzerschlachten aujourd'hui permet aussi de ne pas succomber à l'exagération quant à la remise en cause du discours allemand (tout à fait fondée) et de voir précisément ce que l'on peut en tirer.
Silésien, passé par la cavalerie avant d'atterrir dans des fonctions d'état-major à partir de 1937, von Mellenthin explique que l'émergence d'une arme blindée indépendante au sein de la Wehrmacht doit beaucoup à Guderian, vision dont on est revenu depuis. En revanche, il précise que les Allemands mettent en oeuvre assez tôt la combinaison des armes au sein de leurs formations blindés, contrairement à d'autres (les Britanniques par exemple), ce qui est sonne plus juste.
Pendant la campagne de Pologne, von Mellenthin ne cache rien des faiblesses allemandes, le combat constituant un banc d'essai. Les chars montrent leurs limites (Panzer I et II) et seul Guderian, d'après lui, dirige correctement son corps d'armée mécanisé. En ce qui concerne la campagne de France, qu'il n'a vue que de loin, il se repose sur les mémoires du général Balck, qui sert alors dans la 1. Panzerdivision. Il montre combien le succès à Sedan et sur la Meuse est dû à l'utilisation de l'aviation comme artillerie volante. Il discute aussi des mérites des généraux en ce qui concerne le moment critique de l'introduction des chars après la percée de l'infanterie, ou si les chars sont utilisés pour cette dernière tâche. Pour von Mellenthin, le succès allemand tient à la concentration des forces, à une supériorité de puissance de feu et à la surprise, et à l'utilisation d'armes offertes par les avancées technologiques (parachutistes, planeurs, etc). Pendant son court séjour en France, il prétend que nombre de Français sont prêts à collaborer, ce qui ne se fait pas en raison de la politique menée par Hitler. Après avoir participé aux campagnes de Yougoslavie et de Grèce, von Mellenthin rejoint, avec le général Gause et Siegfried Westphal, l'Afrique du Nord, en juin 1941.
Pour l'officier allemand, le style de commandement de Rommel, dont il ne dissimule pas la rudesse à l'égard de ses propres officiers, est parfaitement adapté à la guerre du désert. Les succès allemands face aux Britanniques s'expliquent, selon lui, par la supériorité des canons antichars, la meilleure combinaison des armes, et des tactiques plus souples, comme l'emploi des 88 antiaériens en antichars. Ce qui n'empêche pas les Allemands de se heurter parfois à forte partie : pendant les batailles de Gazala, en mai-juin 1942, les Panzer III et IV à canons courts souffrent face aux nouveaux M3 Lee/Grant de la 8th Army. Von Mellenthin pense aussi que toute chance de percer à El-Alamein était perdue après le 1er juillet 1942. Il explique, en conclusion après son départ en septembre 1942 pour raison médicale, que les alliés italiens ne manquaient pas de qualités (officiers supérieurs et d'état-major bien formés notamment), mais que le matériel laissait à désirer et que l'entraînement des officiers subalternes était insuffisant, et que ceux-ci n'avaient pas de contact avec la troupe. Il respecte la valeur des unités du Commonwealth ou britannique, craint particulièrement le LRDG, même si il estime l'armée britannique trop rigide. Enfin, il contribue à propager le mythe de la guerre "chevaleresque" en Afrique du Nord, dont on sait aujourd'hui qu'il est pour bonne partie une construction ultérieure.
Après une convalescence due à la maladie qui l'a forcé à partir d'Afrique du Nord, von Mellenthin rejoint le front de l'est. Son exposé des succès allemands initiaux explique que la Wehrmacht échoue surtout, en 1941, à cause du manque de routes carrossables, de la supériorité des chars soviétiques qui joue à plein à partir de l'automne, et parce que l'aviation allemande s'essouffle déjà. Pour lui, la grande erreur de la campagne de 1942 est qu'Hitler a dispersé l'effort entre Stalingrad et le Caucase. Il faut noter d'ailleurs que von Mellenthin, probablement parce qu'il a fait des recherches pour ses mémoires, connaît parfaitement les noms des commandants de fronts soviétiques, ou des représentants spéciaux de la Stavka qui coordonne parfois l'activité de plusieurs fronts, comme Joukov. Le 29 novembre 1942, il rejoint le 48. Panzerkorps qui mène la tentative de dégagement de Stalingrad, conçue par Manstein. Dans les batailles sur le Tchir, et malgré son mépris pour les Soviétiques, il reconnaît à l'Armée Rouge certaines qualités : efficacité dans les infiltrations, ténacité pour tenir les têtes de pont, etc. Dans les batailles de chars sur l'Aksaï, il souligne même que les formations blindées soviétiques ont tiré leur épingle du jeu sur le plan tactique. Le succès de la contre-offensive de Manstein est d'après lui terni par des décisions politiques, notamment celle de ne pas épauler les mouvements de protestation contre le pouvoir soviétique dans les territoires conquis. A Koursk, il n'est plus question que d'une offensive limitée, et qui fait débat. La faute est selon lui de se jeter dans la gueule du loup. Le haut-commandement soviétique conduit la bataille de main de maître ; von Mellenthin rapelle que même sur le plan tactique, le combat a été indécis. Les Pakfronts ont désormais leurs pendants chez les Soviétiques et il faut changer les tactiques des blindés pour les neutraliser. Il décrit cependant les succès allemands dans la manoeuvre de contre-attaque au moment de l'opération Roumantsiev, et justifie aussi la politique de terre brûlée de la Wehrmacht pendant son repli (!). Lors des contre-attaques allemandes devant Kiev, en novembre-décembre 1943, il reconnaît aussi que les succès sont limités notamment parce que les encerclements ne sont pas étanches, et que de nombreux cadres soviétiques parviennnent à s'échapper. Von Mellenthin explique que même la défense élastique mise en oeuvre à l'ouest de l'Ukraine, fin 1943-début 1944, souffre du manque de matériel et du défaut logistique. Pour lui, l'année 1944 est la plus dramatique car elle concrétise réellement la menace d'une guerre à plein régime sur deux fronts. Le Prêt-Bail apporte à l'Armée Rouge, de son point de vue, deux éléments décisifs : les camions et les avions. Von Mellenthin reste au groupe d'Armées Nord-Ukraine, le plus puissant à l'est avant Bagration. Il faut se battre avec Model qui tient absolument à tenir les premières lignes le plus longtemps possible. Les contre-attaques blindées allemandes contre Koniev, qui attaque les 13-14 juillet, ne sont pas toutes couronnées de succès. Les Allemands ne peuvent réduire la tête de pont de Baranov sur la Vistule. Von Mellenthin suit, en septembre, Balck, qui prend la tête du groupe d'armées G à l'ouest. Le tableau de l'Armée Rouge qu'écrit l'auteur en conclusion de son expérience à l'est est plus qu'intéressant. En dehors des préjugés nazis et autres sur le Russe ou le Soviétique, von Mellenthin décrit l'endurance du Frontovik, sa capacité à vivre uniquement sur le terrain, les conséquences de l'industrialisation par Staline qui a fourni de nombreux techniciens à l'Armée Rouge et assure par exemple, au fil des ans, une supériorité dans le domaine de l'interception radio, le brouillage et les pièges. Il précise que le haut-commandement et les officiers supérieurs ont fait d'énormes progrès, alors que les officiers subalternes sont faibles et que la troupe n'est qu'une "masse" informe. Les Soviétiques sont, d'après lui, très habiles pour les mouvements de nuit et la concentration des forces dans l'attaque. Le soldat est bien armé, l'artillerie est puissante, à tel point que pour von Mellenthin, toute contre-attaque après une percée soviétique qui se déroule à portée de l'artillerie est condamnée à l'échec. En ce qui concerne les chars, il note une amélioration certaine. Si d'après lui les échecs allemands de 1943 doivent plus aux erreurs de son propre camp qu'aux Soviétiques, l'année suivante, les formations blindées soviétiques tiennent la dragée haute à l'adversaire, y compris sur le plan tactique avec des officiers subalternes pleins d'initiative et compétents. Il tient l'aviation en revanche pour inférieure, alors que l'arme blindée est clairement pour lui l'arme décisive des Soviétiques. Von Mellenthin signe en exemple la campagne de Mandchourie contre les Japonais, en août 1945, qui d'après lui est un modèle dans la progression de l'Armée Rouge (!).
A l'ouest, von Mellenthin assiste aux contre-attaques allemandes infructueuses en Lorraine au mois de septembre 1944. Il est horrifié par la situation des troupes à l'ouest par rapport à son expérience au groupe d'armées Nord-Ukraine, la dernière à l'est : à l'ouest, les combats depuis le débarquement ont entraîné de lourdes pertes en matériel ; les divisions ne sont plus qu'un conglomérat de rescapés hétéroclites ; les nouvelles unités, y compris blindées, n'ont pas reçu d'entraînement suffisant. A noter qu'il n'est pas au courant avant la fin de la guerre de la raison véritable du suicide de Rommel et qu'il croit naïvement que d'autres officiers le sont tout autant, alors que ce n'est pas le cas, certains ayant participé à sa condamnation à mort. Von Mellenthin assiste à la chute de Metz, puis de Strasbourg. Il souligne que les Américains auraient obtenu plus de résultats s'ils avaient regroupé leurs divisions blindées -et même la 2ème DB de Leclerc- dans de véritables armées blindées, comme les Soviétiques. Limogé avec Balck en décembre 1944, von Mellenthin est ensuite affecté au groupe d'armées B de Model, pour la contre-offensive des Ardennes, un pari risqué, qui suscite d'ailleurs des débats parmi les commandants impliqués que l'auteur a pu interroger pendant sa période d'emprisonnement. Von Mellenthin sert avec la 9. Panzerdivision et met à profit son expérience du front de l'est contre les Américains. La supériorité aérienne alliée empêche selon lui toute contre-attaque blindée allemande d'envergure : c'est la leçon à tirer des Ardennes. Von Mellenthin finit encerclé dans la poche de la Ruhr, où Model se suicide après s'être rendu ; quant à l'auteur, il tente de s'échapper mais il est rattrapé plus tard par les Américains.
En conclusion, von Mellenthin explique que l'Allemagne a profité de ses succès initiaux, en 1939-1940, pour s'imposer politiquement sur le continent européen, alors qu'elle était loin d'être prête à la guerre, comme le montre l'usure de la Luftwaffe dès la bataille d'Angleterre. 1941 anéantit toute chance de gagner la guerre : invasion de l'URSS, défaite devant Moscou, économie de guerre aux abois. Hitler s'immisce de plus en plus dans la conduite des opérations ce qui finit par entraver l'effort militaire. Mais pour von Mellenthin, l'Allemagne n'a plus la possibilité de combler ses pertes humaines dès la fin 1941. Si elle arrive à remplacer 69% des pertes à l'est entre octobre 1941 et septembre 1942, le chiffre tombe à 43% entre juillet et septembre 1943. L'industrie finit par tourner à plein régime en 1944 mais les pertes sont énormes et la destruction de la production d'essence handicape tout le système. La victoire des alliés est économique, et von Mellenthin se refuse, comme d'autres officiers vétérans, à faire porter le blâme sur les comploteurs du 20 juillet 1944.
David Glantz, dans un article paru dès 1986, avait signalé les limites des mémoires de von Mellenthin, qui se concentrent surtout sur des études de cas tactiques sans envisager le contexte opératif, soit faute de connaissances de l'adversaire, soit parce que celui-ci est moins favorable aux Allemands. C'est notamment le cas pour la bataille sur la Tchir, au moment de la tentative de dégagement de Stalingrad, où le succès tactique allemand masque mal un échec opératif (5ème armée de chars contenue mais désastre sur le Don où le 48. Panzerkorps n'a pu se déplacer...). Von Mellenthin évoque les dimensions stratégique, opérative et tactique des différents théâtres mais se concentre il est vrai surtout sur le dernier niveau. La campagne des Balkans semble marquer le sommum de l'outil mécanisé allemand bien rôdé après les premières épreuves puis autres campagnes de 1939-1940. Les tactiques changent selon les théâtres d'opérations (on voit bien l'importance de l'aviation à l'ouest en 1944-1945). Son récit montre bien que les subordonnés prennent souvent des initiatives quand le commandant est absent (cas de Rommel dans le désert). Il faut dire aussi que le contenu laisse peu de place au doute : Panzerschlachten a été écrit, entre autres, à destination de l'OTAN dressé face au pacte de Varsovie. Et le livre souffre de défauts non négligeables : vue partiale des commandants allemands élevés au rang de légendes (Rommel), minimisation des crimes nazis et de l'implication de l'armée allemande dans ceux-ci, vision caricaturale de l'adversaire soviétique. On ne peut qu'aquiescer désormais aux limites présentes dans les mémoires de von Mellenthin. Pour autant, attention à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain : si Panzerschlachten en apprend probablement plus sur l'auteur et ses motivations d'écriture que sur les batailles de chars de la Seconde Guerre mondiale, il n'en demeure pas moins qu'en lisant entre les lignes, on glane des informations qui peuvent être intéressantes. Mellenthin n'accable pas les alliés comme les Italiens ni Hitler (en tout cas pas avant décembre 1943), ce qui est original dans ce type de littérature. Ne serait-ce que pour dresser, éventuellement un portait de la vision qu'ont les officiers allemands vétérans eux-mêmes de leur expérience.
David Glantz, dans un article paru dès 1986, avait signalé les limites des mémoires de von Mellenthin, qui se concentrent surtout sur des études de cas tactiques sans envisager le contexte opératif, soit faute de connaissances de l'adversaire, soit parce que celui-ci est moins favorable aux Allemands. C'est notamment le cas pour la bataille sur la Tchir, au moment de la tentative de dégagement de Stalingrad, où le succès tactique allemand masque mal un échec opératif (5ème armée de chars contenue mais désastre sur le Don où le 48. Panzerkorps n'a pu se déplacer...). Von Mellenthin évoque les dimensions stratégique, opérative et tactique des différents théâtres mais se concentre il est vrai surtout sur le dernier niveau. La campagne des Balkans semble marquer le sommum de l'outil mécanisé allemand bien rôdé après les premières épreuves puis autres campagnes de 1939-1940. Les tactiques changent selon les théâtres d'opérations (on voit bien l'importance de l'aviation à l'ouest en 1944-1945). Son récit montre bien que les subordonnés prennent souvent des initiatives quand le commandant est absent (cas de Rommel dans le désert). Il faut dire aussi que le contenu laisse peu de place au doute : Panzerschlachten a été écrit, entre autres, à destination de l'OTAN dressé face au pacte de Varsovie. Et le livre souffre de défauts non négligeables : vue partiale des commandants allemands élevés au rang de légendes (Rommel), minimisation des crimes nazis et de l'implication de l'armée allemande dans ceux-ci, vision caricaturale de l'adversaire soviétique. On ne peut qu'aquiescer désormais aux limites présentes dans les mémoires de von Mellenthin. Pour autant, attention à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain : si Panzerschlachten en apprend probablement plus sur l'auteur et ses motivations d'écriture que sur les batailles de chars de la Seconde Guerre mondiale, il n'en demeure pas moins qu'en lisant entre les lignes, on glane des informations qui peuvent être intéressantes. Mellenthin n'accable pas les alliés comme les Italiens ni Hitler (en tout cas pas avant décembre 1943), ce qui est original dans ce type de littérature. Ne serait-ce que pour dresser, éventuellement un portait de la vision qu'ont les officiers allemands vétérans eux-mêmes de leur expérience.