Une
intervention pour quels objectifs ?
Jusqu'en
avril 2013, le Hezbollah n'a pas reconnu officiellement son
implication dans la guerre civile syrienne, probablement de peur des
conséquences néfastes qu'une telle reconnaissance impliquerait sur
la scène libanaise1.
Il faut dire que la Syrie et le Liban partagent une longue histoire
conflictuelle. En outre, le nord du Liban est peuplé majoritairement
de sunnites qui soutiennent la rébellion syrienne, et comprend aussi
des minorités alaouites, comme à Tripoli, qui elles appuient plutôt
le régime.
Né
en 1982 dans la vallée de la Bekaa en réaction à l'invasion
israëlienne du Liban2,
le Hezbollah est à la fois un parti politique et un mouvement
religieux chiite, tout en assurant des fonctions sociales. En outre,
ses forces armées sont les plus imposantes du Liban et c'est un
proche allié de l'Iran. Le Hezbollah se définit lui-même comme un
mouvement de « résistance »3
aux manoeuvres américaines et israëliennes au Proche-Orient, et ne
reconnaît pas le droit à l'existence de l'Etat d'Israël. Il tire
sa popularité au Liban du combat contre l'Etat hébreu, alors que
ses forces conventionnelles et non-conventionnelles sont, de fait,
supérieures, ou du moins équivalentes, à celles de l'armée
libanaise. Le Hezbollah est particulièrement bien implanté au sud
du pays, dans la vallée de la Bekaa et dans certains quartiers de
Beyrouth. Sur le plan politique, le Hezbollah milite pour un système
de gouvernement islamique par les clercs : présent aux
élections depuis 1992, il n'obtient que des résultats modestes mais
a tout de même deux ministres dans le gouvernement de coalition
depuis 2011. Il contrôle toutefois 60% des municipalités du
Sud-Liban et quasiment toutes celles de la vallée de la Bekaa, en
plus de gagner du terrain à Dahiyeh, faubourg sud de Beyrouth.
Socialement, le Hezbollah cherche à s'attirer les faveurs des
chiites libanais (27% de la population selon un recensement réalisé
en 2011, soit autant que les sunnites et plus que les chrétiens
maronites), notamment (mais pas exclusivement) par des soins médicaux
qui remplacent ceux de l'Etat.
Jusqu'en
avril 2013, le mouvement a tenu un discours conciliant sur la guerre
en Syrie, niant son implication et soulignant les dangers que
celle-ci pourrait entraîner sur la scène libanaise. Cependant, dès
octobre 2012, alors que le Hezbollah intensifie l'aide sociale pour
les réfugiés syriens au Liban, il accroît également son
engagement pour soutenir Bachar el-Assad. Le 30 avril 2013, son
secrétaire général, Hassan Nasrallah, révèle ce qui est devenu
une évidence : le Hezbollah intervient en Syrie pour empêcher
la chute du régime. Beaucoup d'observateurs pensent qu'il s'agit
d'un pari risqué pour l'avenir et que la déclaration de Nasrallah
est un vrai « franchissement du Rubicon ». Ceci
dit, les cérémonies funéraires pour les « martyrs »
tués au combat en Syrie étaient de plus en plus difficiles à
dissimuler. Le Hezbollah revient ainsi au rôle de milice sectaire en
lieu et place du mouvement de résistance, ajoutant les djihadistes
sunnites à la liste de ses nombreux ennemis. Pour lui, la Syrie est
un point de transit vital pour son armement et un des moyens de
recompléter son stock d'armes et de munitions. Il s'agit pour
Nasrallah, aussi, de combattre les sunnites en Syrie en empêchant la
chute du régime plutôt que de les combattre au Liban si Bachar
el-Assad vient à tomber... Le discours de Nasrallah le 26 mai 2013,
date anniversaire du retrait définitif de Tsahal du Sud-Liban,
inscrit l'aventure militaire en Syrie dans la continuité de la lutte
contre Israël. Mais en présentant l'intervention syrienne comme un
enjeu de sécurité nationale pour le Liban, le Hezbollah ébranle la
pertinence de la « résistance »4.
Source : http://www.courrierinternational.com/files/imagecache/article/2013/06/1180/1180-STAVRO.jpg |
Le
Hezbollah a commencé à envoyer des conseillers militaires pour
assurer des missions de sécurité en Syrie dès 2011, et ce jusqu'en
2013. Ce n'est qu'au printemps de cette année-là que l'engagement
se fait plus important, preuve que le régime syrien est alors en
mauvaise posture. Les Iraniens et le Hezbollah s'engagent alors dans
la formation d'une milice chiite considérable, Jaysh al Sha’bi,
qui a pour objectif de compter jusqu'à 150 000 hommes. Au-delà de
l'aide au régime syrien, il s'agit aussi de s'implanter dans les
zones chiites et alaouites syriennes. Le Hezbollah fournit une aide
technique en matière de guérilla, de renseignement, et tactique,
sur le terrain. Il verrouille également au mieux la frontière
libanaise et mène une campagne de propagande en faveur du régime.
A
partir du 19 mai 2013, le Hezbollah, aux côtés des Iraniens, des
miliciens irakiens, aide l'armée syrienne à prendre la ville
d'al-Qusayr, une ville qui fait le lien entre la montagne alaouite
côtière, Damas et la vallée de la Bekaa. Entre 1 500 et 2 500
hommes du Hezbollah auraient participé à la conquête de la ville,
qui tombe le 5 juin 2013. La victoire est cependant à double
tranchant, car le Hezbollah a subi des pertes non négligeables et
son engagement en Syrie se retrouve mis sur le devant de la scène,
ce qui ne va pas être sans conséquences sur la scène libanaise.
Des sources évoquent plus de 4 000 combattants chiites acheminés au
nord, sur Alep, pour tenter de reprendre la ville ; d'autres
sont présents au sanctuaire chiite de Sayyeda Zaynab, au sud de
Damas, tandis qu'un autre contingent encadre et forme les habitants
de deux villages chiites au nord d'Alep. Au 18 juin 2013, le
Hezbollah aurait déjà perdu 180 à 200 tués en Syrie. On retrouve
les combattants du Hezbollah en juillet à Homs et en août à Damas,
où un des chefs importants du contingent, Hossam Ali Nisr, est tué
par les rebelles.
Au
Liban, dès le mois de juin 2013, un groupe de chiites anti-Hezbollah
qui manifestait devant l'ambassade iranienne à Beyrouth est attaqué
et une personne tuée. En juillet et en août, des attentats visent
le bastion du Hezbollah à Dahiyeh, au sud de la capitale. En outre,
un groupe rebelle syrien, la brigade Liwa 313, a revendiqué
l'attaque à la bombe contre un supermarché d'un des faubourgs tenus
par le Hezbollah, Bir al Abed, ainsi qu'au moins une autre attaque
contre le Hezbollah, en représailles de la participation du
mouvement aux combats à Homs. La brigade Liwa 313, formée justement
de rebelles de la région de Homs, existe depuis novembre 2012 et a
été créée pour des opérations spéciales, comme le bombardement
à la roquette de fiefs du Hezbollah près d'Hermel, dans la vallée
de la Bekaa. Le groupe est lié au front al-Nosra et semble assez
bien armé.
En
ce qui concerne le Liban, les tensions sectaires apparaissent dès
mai 2012 après la mort de Sheikh Ahmad Abdel Wahed, un clerc sunnite
éminent et anti-syrien, qui provoque des accrochages à Tripoli et à
Beyrouth. Dès le mois de mai 2013, au moment de la bataille de
Qusayr, les rebelles syriens commencent à bombarder la vallée de la
Bekaa et à attaquer les convois du Hezbollah, ou bien encore à
organiser des attentats. A partir de juin 2013, les hélicoptères du
régime syrien font des incursions près d'Arsal, une ville du nord
de la vallée de la Bekaa, sunnite, qui sert de noeud logistique à
la rébellion syrienne. A Tripoli, les affrontements sectaires sont
particulièrement violents en mai-juin 2013, entraînant la mort de
plusieurs dizaines de personnes. Le 23 août, ce sont deux mosquées
sunnites de Tripoli qui sont visées par des attentats à la bombe,
faisant 45 morts. Ce même mois, le 15, une voiture piégée avait
également explosé dans un fief du Hezbollah à Beyrouth. Attentats
et batailles rangées se sont depuis multiplés, en particulier à
Beyrouth, à Tripoli et dans la vallée de la Bekaa5.
Protéger
l'approvisionnement en armes et sauver, si possible, le régime
syrien
Bien
que le Hezbollah a au départ admis combattre en Syrie, il invoquait
la protection de la minorité chiite syrienne ou la défense du
tombeau de Zaynab. Il faut dire que ce dernier site religieux a servi
aussi, dès les années 1980, de centre de recrutement pour des
militants, notamment des Saoudiens chiites, qui faisaient le transit
jusqu'aux camps du Hezbollah au Liban ou en Iran via Zaynab. 5 des
conspirateurs de l'attentat des tours de Khobar, en 1996, qui a tué
19 hommes de l'USAF et blessé 372 autres Américains, avaient été
recrutés à Damas. Un des cadres recrutés à Zaynab, Ali
al-Marhoum, retourne plus tard en Arabie Saoudite pour enrôler de
nouveaux militants. Abdel Karim al-Nasser, le cerveau de l'attentat,
avait réuni son groupe à Zaynab quelques jours avant de passer à
l'action pour peaufiner les derniers détails.
Le
Hezbollah avait annoncé la mort d'un premier combattant en Syrie dès
l'été 20126.
Mais les pertes grimpent avec l'implication massive du mouvement
libanais dans la bataille d'al-Qusayr. Le 19 mai 2013, le Hezbollah
délivre la liste de 12 de ses combattants tués au combat, et dès
le lendemain, on atteint le chiffre de 20 tués. Pendant les
funérailles, individuelles ou collectives, comme dans la valée de
la Bekaa, on insiste sur le fait que les martyrs sont morts pour
défendre le sanctuaire de Zaynab, au sud de Damas7.
Le
Hezbollah s'est en fait engagé en Syrie dès la première année des
troubles, en 2011. En mai, on signale déjà la présence la force
iranienne Qods et en juin, les premiers indices évoquant l'arrivée
du Hezbollah se font jour. Iraniens et Libanais fournissent en
particulier des snipers et autres outils pour briser les
manifestations d'opposants. Selon un officier des Gardiens de la
Révolution, des snipers du Hezbollah serait intervenus lors
de l'offensive à Zabadani dès février 20128.
Pour Aurélie Daher, auteur d'un récent ouvrage sur le Hezbollah, le
mouvement a d'abord activé, en 2012, la Résistance Islamique au
Liban, des groupes d'autodéfense qui ont combattu les incursions
rebelles dans le secteur des villages chiites près de la frontière
avec la Syrie9.
En août 2012, Musa Ali Shehimi, un des commandants du Hezbollah, est
tué en Syrie ; quelques semaines plus tard, c'est au tour de
Ali Hussein Nassif, abattu avec ses deux gardes du corps près
d'al-Qusayr. En octobre 2012, les Américains annoncent que des
centaines de combattants du Hezbollah se trouvent en Syrie, ce qui
est confirmé par l'ONU deux mois plus tard. En outre, le Hezbollah
installe un de ses camps d'entraînement, en novembre, à côté d'un
des dépôts d'armes chimiques de Damas. Le Hezbollah a une relation
de longue date avec Damas : née sous Hafez el-Assad, qui avait
parfois montré sa volonté de réfréner les ambitions du mouvement
libanais, elle s'est accrue sous Bachar el-Assad, qui en 2010 a
fourni au Hezbollah des missiles Scud modifiés tirés de son
propre arsenal. Mais c'est surtout parce que la Syrie est le lieu de
transit des armes iraniennes à son propre usage que le Hezbollah
intervient pour maintenir le régime en Syrie. Convoyé par avions
iraniens jusqu'à l'aéroport international de Damas, ces armements
étaient ensuite acheminés en camions, fortement escortés, jusqu'à
la frontière libanaise. Le Hezbollah cherche à garantir le contrôle
du régime sur Damas, son aéroport et les routes principales, ou au
pire sur la bande côtière alaouite, pour recevoir les armes par le
port ou l'aéroport de Lattaquié, par exemple. Le FBI a mis à jour
ces dernières années deux opérations où le Hezbollah a cherché
en Europe ou aux Etats-Unis à se procurer des armes (notamment des
MANPADS) destinées à être rapatriées à Lattaquié. Dans le cas
où le régime ne pourrait remporter la guerre civile, le Hezbollah a
déjà bâti des intermédiaires suffisants, via les milices, pour
maintenir sa présence au-delà et continuer de déstabiliser le
pays10.
Selon certaines sources, l'unité 901 (ou 910 selon une autre
source ; chargée des opérations commandos en dehors du
Liban11),
une unité militaire du Hezbollah, a franchi la frontière dès
juillet 2012 pour combattre autour de Homs, al-Qusayr, al-Rastan,
Talbiseh. Le mouvement chiite aurait aussi participé à la formation
d'une milice de 60 000 hommes, sur le modèle de celle des Gardiens
de la Révolution (Basij), pour protéger le coeur du bastion
alaouite à Lattaquié. Le 6 octobre 2012, un officier déserteur du
renseignement de l'armée de l'air syrienne a affirmé que le
Hezbollah avait déjà 1 500 hommes en Syrie. C'est un effort
important pour un mouvement dont les forces régulières sont
estimées entre 2 000 et 4 000 hommes, précédemment déployés
surtout au Sud-Liban et près des dépôts d'armes et autres
installations sensibles du mouvement chiite. Les forces spéciales du
Hezbollah, les « Scorpions » mèneraient des
embuscades dans les zones rurales et perturberaient l'acheminement
logistique des insurgés via la frontière turque12.
Pour
le Hezbollah, le maintien au pouvoir de Bachar el-Assad est un enjeu
vital, car la Syrie lui sert à renforcer sa capacité militaire
(fourniture d'armes, transit de celles qui viennent de l'Iran) contre
Israël13.
En outre le clan Assad a régulièrement soutenu le Hezbollah dans le
jeu politique libanais et lui a offert, aussi, une profondeur
logistique. Dans les discours survenus au moment de la reconnaissance
officielle de l'implication du mouvement chiite en Syrie, Nasrallah a
également insisté sur la solidarité avec la population chiite
syrienne (400-450 000 personnes) « menacée » par
les djihadistes sunnites, comme ceux du front al-Nosra, et dont les
sanctuaires, comme celui de Zaynab, ne seraient plus en sécurité.
Le Hezbollah intervient donc aux côtés de l'Iran pour d'abord,
sauver le régime, puis donner les moyens aux Alaouites et aux
chiites de résister par eux-mêmes en formant une milice conséquente
(100 à 150 000 hommes). Il cherche également à acquérir du régime
syrien des armements plus sophistiqués pour son combat contre Israël
(missiles surface-surface contre leFateh 110 iranien ;
missiles antinavires, comme le Yakhont russe ; missiles
sol-air portables, SA-17 russe ou autres). Dès le mois de mai 2013,
l'aviation israëlienne frappe d'ailleurs à deux reprises (le 3 et
le 5) un dépôt de l'aéroport international de Damas suspecté
d'abriter des missiles Fateh 110 envoyés par l'Iran au
Hezbollah ; en février, un convoi transportant des SA-17 avait
également été visé. Le Hezbollah intervient à al-Qusayr
notamment parce que vit autour de la ville une communauté chiite
d'origine libanaise au milieu de populations sunnites, près de la
frontière. Pour le Hezbollah, le territoire syrien, à l'est et au
nord-est de la vallée de la Bekaa, son lieu de naissance, assure
aussi une certaine profondeur stratégique14.
Pour
Marisa Sullivan, la stratégie du Hezbollah en Syrie répond à trois
objectifs : maintenir l'axe de la résistance en soutenant le
régime syrien ; garantir son approvisionnement en armes et sa
profondeur stratégique ; et enfin éviter l'installation d'un
pouvoir sunnite dans le pays15.
Sur les conseils de l'Iran, le régime Assad change de stratégie :
au lieu de combattre sur tous les fronts tel un pompier cherchant à
éteindre des foyers d'incendie multiples, il se concentre sur
quelques objectifs précis à sa portée : Damas, la liaison
avec Homs et avec la côte, avant de marcher au nord et à l'est,
tout en sécurisant aussi la frontière libanaise, ce qui convient
parfaitement au Hezbollah. C'est également le moment où sont créées
les Forces Nationales de Défense, une milice pro-régime presque
entièrement alaouite, qui vise aussi à remplacer le reliquat de
l'ancienne armée syrienne -elle répond d'ailleurs directement à
des officiers de celle-ci et à ceux des services de renseignement.
Hassan
Nasrallah a gagné Téhéran en avril 2013. Il y a rencontré
Khamenei, le chef de la force Qods, Qassem Suleimani et d'autres
membres importants du régime iranien. La décision de soutenir plus
massivement Bachar el-Assad a donc probablement été prise dans la
première moitié d'avril 2013. Suleimani, qui a fait une visite en
Syrie en février 2013, a dépeint à son retour un tableau très
sombre : il a conseillé d'envoyer davantage de volontaires
chiites pour pallier au manque de soldats du régime. Le Hezbollah
n'avait cependant pas attendu le printemps 2013 pour s'engager
puisque, dès mai 2012, plusieurs milliers de combattants de ses
unités spéciales oeuvraient déjà en Syrie. Cependant,
l'engagement du mouvement chiite reste à ce moment-là limité à
des secteurs où il a un intérêt sectaire : al-Qusayr, le sud
de Damas. Le Hezbollah assure aussi la formation des troupes de
Bachar el-Assad en matière de guérilla, où il a une expérience
opérationnelle : combat urbain, sniping, sabotage... en
outre, il fournit du renseignement et cherche à verrouiller la
frontière libanaise, notamment le long de la vallée de la Bekaa.
Les chiites représentent seulement 2% de la population en Syrie :
la plupart vivent autour de Homs, Damas, et dans la campagne des
provinces d'Alep et d'Idlib. Les attaques sectaires se multiplient
après la mi-2012. En conséquence, le Hezbollah commence à former
des miliciens chiites et alaouites, le financement étant assuré par
l'Iran. En mars 2013, ce serait déjà 50 000 hommes qui auraient été
préparés au combat. Des chiites syriens seraient même, pour ce
faire, spécialement entraînés dans les camps du Hezbollah de la
vallée de la Bekaa. Cette armée populaire serait déployée près
de Lattaquié, près du sanctuaire de Zaynab, à al-Zabadani au
nord-ouest de Damas, près de la frontière libanaise, où elle
travaille de concert avec les Gardiens de la Révolution iraniens.
Suleimani a indiqué vouloir porter cette armée à 150 000 hommes,
avec des combattants étrangers (irakiens, iraniens, libanais...). On
sait entre outre que le Hezbollah a envoyé des combattants qui
remplissent des missions spécialisées, comme les reconnaissances
dans les zones tenues par les rebelles, ou l'assassinat des chefs
charismatiques des insurgés, par des escouades spéciales16.
Au
moment de la bataille d'al-Qusayr (19 mai-5 juin 2013), le Hezbollah
nettoie aussi les villages chiites des environs qui avaient été
investis par les rebelles syriens. Le tombeau de Zaynab, quant à
lui, est situé à 10 km au sud de Damas, en plein milieu d'une zone
sunnite, sur la route menant de l'aéroport international de Damas au
nord à la ville d'Al-Suwayda au sud. La ville d'Al-Sayyidah Zaynab,
qui s'est construire autour du sanctuaire, vit de l'activité
touristique destinée aux pélerins chiites : rattachée à la
province de Rif Dimashq, elle compterait 150 000 habitants. Le 5 mai
2012, un obus de mortier tombe sur le complexe ; une voiture
piégée explose dans un parking le 14 juin suivant. Le 31 octobre,
un IED placé sur une moto explose près du tombeau, tuant 8
personnes et en blessant des douzaines, près d'un hôtel fréquenté
par les pélerins. Durant la première moitié de 2013, les
salafistes syriens appellent de plus en plus à la destruction du
site. Le front al-Nosra l'attaque en janvier, puis la mosquée est
détruite le 13 février. Le 2 avril, le front al-Nosra prend le
contrôle d'un faubourg proche du sanctuaire, et commence à attaquer
la brigade Abou Fadl al-Abbas et le Hezbollah dès le 18.
Le
Hezbollah intervient en effet près du site dès la seconde moitié
de 2012 et participe aux batailles du printemps 2013. Il y perd au
moins 20 tués, dont de nombreux hommes originaires du Sud-Liban. En
outre, en juin 2013, le mouvement chiite comptait déjà plus de 100
tués et plusieurs centaines de blessés, la plupart lors de la
bataille d'al-Qusayr. 7 combattants avaient été tués dans la
seconde moitié de 2012, autour du sanctuaire de Zaynab et à
al-Qusayr. Les combats autour du premier site, en particulier,
avaient fait monter le total à 50 avant l'offensive contre al-Qusayr
du 19 mai 2013. Jusqu'au 5 juin, le Hezbollah a perdu entre 50 et 74
tués (minimum) pendant la bataille. 63 ont été tués à al-Qusayr,
22 à Zaynab, 2 à d'autres endroits de la Syrie et 8 restent
indéterminés (bien que plusieurs ont sans doute été tués
également à al-Qusayr). 53 des 96 tués identifiés viennent du
Sud-Liban, un tiers (33) de la vallée de la Bekaa ;
quelques-uns seulement sont originaires de la banlieue sud de
Beyrouth et du Nord-Liban, ce qui reflète sans doute la composition
des unités engagées par le Hezbollah. Le recrutement est surtout
rural, au Sud-Liban, avec un grand nombre de villages, peut-être
pour éviter de concentrer les pertes ; 16 morts seulement
viennent de grandes villes (3 de Beyrouth, 9 de Baalbek, 3 de
Nabatieh et 1 de Sidon). Parmi les tués, il y a Ali Hussein Nasif,
un cadre important du Hezbollah enterré le 31 octobre 2012, tué par
l'explosion d'un IED ou abattu ensuite alors qu'il faisait route vers
al-Qusayr. Muhammad Khalil Shahrour, responsable des services de
sécurité du Hezbollah à Balbeek, a également été tué à
al-Qusayr. Ahmed Muhammad Badah, un autre cadre du Hezbollah, a lui
péri près du sanctuaire de Zaynab, tout comme Ali Hussein Sa'ad.
La
bataille d'al-Qusayr : la première intervention massive du
Hezbollah (mai-juin 2013)
Lors
de la bataille d'al-Qusayr, le Hezbollah aurait engagé en tout,
selon les services de renseignement français, de 3 à 4 000 hommes17.
La bataille, qui dure 17 jours, constitue les prémices d'une
campagne plus vaste du régime syrien pour remettre la main sur des
zones stratégiques perdues précédemment. La chute d'al-Qusayr,
tenue depuis un an par les insurgés, est plus un choc moral et
symbolique que stratégique, alors que le régime commence à
regagner du terrain, que la communauté internationale hésite à
soutenir les rebelles et que les insurgés eux-mêmes sont divisés.
C'est également la première intervention massive du Hezbollah en
Syrie, dans le cadre d'un assaut en combat urbain qui entraîne des
pertes conséquentes et une dégradation de son image au Liban et
dans le reste du monde arabe. Si le Hezbollah a su conquérir
al-Qusayr avec l'appui de l'aviation et de l'artillerie du régime,
le mouvement chiite manque tout simplement de moyens pour reproduire
ce schéma de manière constante dans des villes syriennes plus
importantes18.
Documentaire de la chaîne iranienne PressTV sur la bataille de Qusayr. Il est intéressant de voir que le rôle du Hezbollah n'apparaît nulle part (!) dans ce qui est présenté comme une "bataille décisive"...
Documentaire de la chaîne iranienne PressTV sur la bataille de Qusayr. Il est intéressant de voir que le rôle du Hezbollah n'apparaît nulle part (!) dans ce qui est présenté comme une "bataille décisive"...
La
ville d'al-Qusayr, assiégée dès novembre 2011 par le régime,
était tombée entre les mains des rebelles en juillet 2012. A
l'ouest et au sud de la ville, le Hezbollah intervient dès cette
année-là en soutien du régime, comme le montre la mort d'Ali
Nassif, tué le 2 octobre près de la cité. Fin avril 2013, le
Hezbollah et les forces syriennes commencent à nettoyer le pourtour
d'al-Qusayr, entamant le processus avec la prise de Tel Nabi Mindo,
au nord-ouest de la ville, une colline qui domine la plaine
environnante. Ils progressent ensuite à l'ouest et au sud-ouest :
à la mi-mai, seul un corridor au nord, passant par l'ancienne base
aérienne militaire de Dabaa, reste entre les mains des rebelles.
Dans la ville, il y a peut-être 2 000 rebelles, provenant notamment
des bataillons Farouq, très implantés dans la région. La mise en
défense d'al-Qusayr comprend la construction de tunnels et de
bunkers, l'érection de barricades en terre à travers les rues, des
pièges disposés dans les bâtiments et des mines sur les routes.
Des IED spéciaux destinés à faire sauter les véhicules, commandés
à distance, sont aussi posés. Le Hezbollah, lui, divise la ville en
16 secteurs et attribue des codes chiffrés aux objectifs et aux
points remarquables de la ville. Les 1 20019à 1 700 hommes engagés dans la bataille (d'après Nicholas
Blanford, spécialiste du Hezbollah), pour la plupart des vétérans
membres des unités spéciales du Hezbollah, sont sous commandement
syrien mais ont une initiative tactique. Ces troupes ont reçu un
entraînement au combat urbain dans des répliques de villes en Iran,
et dans des camps moins importants au Liban20.
Les forces auraient été divisées en 17 groupes de 100 hommes, mais
dans le combat urbain, l'escouade de 3 à 5 hommes prédomine. Le
tour de service dans les combats passe de 7 à 20 jours. Avant
l'assaut, les sapeurs du Hezbollah commencent à nettoyer les pièges
dans les bâtiments. Les combattants du Hezbollah manipulent des
chars T-54/55 fournis par l'armée syrienne, ainsi que des pièces
d'artillerie et des missiles antichars21.
L'attaque
démarre le 19 mai 2013, après un pilonnage aérien et de
l'artillerie. Les combattants du Hezbollah attaquent à l'ouest, au
sud et à l'est. Depuis le sud, l'avance est rapide et le Hezbollah
aurait contrôlé 60% de la ville dans la première journée,
atteignant la mairie. Mais dès le premier jour, deux douzaines de
combattants sont tués dans une embuscade rebelle. L'assaut se fait
dès lors plus méthodique, pour nettoyer chaque pâté de maisons
conquis. Les combattants du Hezbollah comparent la ville aux camps
palestiniens, en raison de la densité du bâti et des rues étroites,
très diférents de leur champ de bataille habituel du Sud-Liban22.
Face au tir de mortier rebelle, une véritable gêne, les combattants
chiites cherchent à coller au plus près de leurs adversaires pour
empêcher l'action des mortiers. Ils évitent de passer par les
portes et les fenêtres des bâtiments, en raison des pièges et des
mines, mais creusent des trous à l'explosif dans les cloisons à
l'intérieur pour passer de maison en maison. Les rebelles eux-mêmes
reconnaissent les compétences du Hezbollah : les hommes
continuent d'avancer même sous un feu nourri et cherchent à
flanquer les insurgés. En plus des snipers armés de Dragunov
et les équipes antichars armés de RPG-7, les chiites utilisent
aussi des roquettes de 107 mm modifiées, les fameuses IRAM
(Improvised Rockets Assisted Munitions) pour détruire des
barricades ou des points de résistance dans les bâtiments. Les
rebelles sont progressivement repoussés dans la partie nord de la
ville, bien qu'ils reçoivent des renforts de l'extérieur jusqu'au 2
juin. Le lendemain, les insurgés décident d'évacuer la ville.
L'assaut final, le 5, est précédé par un terrible bombardement et
les rebelles qui fuient par le corridor au nord sont victimes des
tirs de mortiers et de mitrailleuses.
La
bataille a duré 17 jours, plus longtemps que ne l'avait prévu le
Hezbollah, qui a subi des pertes conséquentes -entre 70 et 120 tués,
probablement. Côté rebelle, on reconnaît 431 tués, mais le
chiffre est probablement plus élevé. Pour le Hezbollah, il s'agit
certainement des combats les plus durs depuis les 34 jours de guerre
contre Israël à l'été 2006. Mais la bataille d'al-Qusayr, ville
proche de la frontière libanaise, est aussi l'occasion de tester ses
tactiques de combat urbains avec le soutien de l'artillerie et de
l'aviation syriennes. En outre une nouvelle génération de
combattants s'est formée au feu pendant la bataille, et l'expérience
engrangée par le Hezbollah sera sans doute précieuse en cas de
futurs combats contre Israël. La chute d'al-Qusayr, par ailleurs,
entraîne aussi celle de Tel Kalakh, au nord-ouest, assiégée depuis
deux ans par le régime. Enfin, le Hezbollah change de discours :
la défense des chiites syriens laisse place, dans les tirades de
Nasrallah, à celle de « l'axe de résistance », afin de
convaincre les soutiens libanais de la justesse de la cause23.
Dès le mois de juillet, le régime syrien repart à la reconquête
des quartiers centraux de Homs. Mais ici, le Hezbollah ne joue plus
qu'un rôle d'encadrement : ses vétérans commandent, comme
sous-officiers, des escouades de soldats syriens. Le Hezbollah n'a en
effet pas les effectifs suffisants pour conduire d'autres assauts
urbains dans des villes encore plus importantes qu'al-Qusayr, comme
Homs ou Alep.
Après
al-Qusayr : le Hezbollah plutôt dans un rôle auxiliaire
(juin-novemebre 2013)
Suite
au succès remporté à al-Qusayr, le Hezbollah se serait redéployé
pour aider les Forces Nationales de Défense syriennes à faire
tomber la ville d'Alep. 800 combattants auraient investi les
alentours de la cité pour couper l'approvisionnement en provenance
du Liban. 300 membres du Hezbollah, dont des officiers iraniens,
seraient arrivés à l'académie militaire d'Alep en juin 2013, pour
participer à une offensive au nord de la ville. Il s'agirait de
dégager les villages chiites assiégés de Zahra et Nubl, et de
relier Alep à la base aérienne de Minagh, au nord. Il y aurait eu
200 hommes du Hezbollah servant de conseillers militaires pour les
FND ou des miliciens irakiens, et certains ont été tués au
combat24.
Néanmoins, cette fois, le Hezbollah semble davantage assumer un rôle
d'encadrement et de conseil que de participation directe aux
combats25.
A Homs, le Hezbollah participe à l'offensive lancée dès le 29
juin, selon un schéma qui va devenir éculé : encerclement des
quartiers tenus par les rebelles, pilonnage à l'artillerie et
l'aviation, siège en règle, suivi éventuellement d'une attaque au
sol. Le Hezbollah est également présent dans l'est de la Ghouta à
l'été 2013 : il utilise une base du renseignement de l'armée
de l'air à al-Masraf, près de l'aéroport international de Damas,
comme centre d'entraînement. Plusieurs combattants du Hezbollah,
dont des cadres importants, sont tués à Damas et ses faubourgs
entre juin et août 2013. Le Hezbollah aurait même été victime des
attaques chimiques du 21 août dans la Ghouta : il n'avait pas
été prévenus et ses combattants ont été touchés par les gaz...
En septembre, il aide le régime à reprendre la zone de Shebaa, à
l'est du tombeau de Zaynab, puis d'autres positions, notamment au sud
de la capitale, jusqu'en décembre. Le 22 novembre, certaines unités
du Hezbollah subissent de plein fouet la contre-offensive des
rebelles dans la Ghouta orientale : plusieurs villages sont
perdus face à de véritables « vagues humaines »,
avant que des renforts permettent de stabiliser la situation26.
A
la fin juillet 2013, le Hezbollah déplorait plus de 200 tués au
combat en Syrie et plusieurs centaines de blessés ; 23 ont été
tués entre la fin juin et la fin juillet. La plupart tombent à Homs
et Alep, où le Hezbollah intervient en soutien du régime (en plus
de la participation à une contre-offensive à Lattaquié27),
mais 8 sont également morts près du tombeau de Zaynab, au sud de
Damas. Si le mouvement chiite engage moins de combattants et de
manière moins visible qu'à al-Qusayr, c'est aussi parce que la
reconnaissance officielle de son implication en Syrie a provoqué de
fortes critiques au Liban et dans le monde arabe. Sur les 23 tués
entre fin juin et fin juillet, 9 viennent du Sud-Liban, 8 de la
vallée de la Bekaa, 3 de Beyrouth et 3 d'une ville syrienne proche
de la frontière vers al-Qusayr. Sur les 200 combattants tués à
cette date, près de la moitié vient du Sud-Liban (97) et plus d'un
tiers de la vallée de la Bekaa (72). 3 cadres importants du
Hezbollah28
font partie des victimes : deux ont été tués à Homs et le
dernier à Zaynab. Deux d'entre eux étaient des commandants de
bataillons de la milice Liwa Abou Fadl al-Abbas et l'un des deux a
péri à Homs, ce qui tendrait à prouver que la milice n'opère pas
qu'à Zaynab, mais aussi dans d'autres parties de la Syrie, sous
commandement/encadrement du Hezbollah29.
Le
Hezbollah et le Qalamoun (novembre 2013-mars 2014)
Fin
2013, le Hezbollah intensifie encore son effort militaire en Syrie et
subit des pertes conséquentes. Il opère désormais dans trois
secteurs, essentiellement : la Ghouta orientale, à l'est de
Damas ; la région montagneuse du Qalamoun, au nord de Damas,
près de la frontière libanaise ; et le tombeau de Zaynab, au
sud de Damas. Il intervient dans ces zones comme force auxiliaire aux
troupes du régime syrien, et non de manière indépendante comme à
al-Qusayr. Le Hezbollah a probablement plusieurs milliers de
combattants en Syrie au mois de décembre 2013. Les objectifs sont
multiples : il s'agit d'assurer le contrôle du régime sur la
Ghouta orientale et de compenser les succès des rebelles (capture
des dépôts d'armes de Mahin, au sud d'Alep), et de couper les
insurgés du nord de leurs camarades de Damas et de la frontière
libanaise. Il s'agit également d'isoler l'insurrection au nord et de
marquer le maximum de points pour la conférence de Genève 2. Pour
le Hezbollah, nettoyer le Qalamoun correspond aussi à un objectif
plus particulier : faire cesser les attaques des insurgés
sunnites, et particulièrement celles des groupes djihadistes, contre
le mouvement chiite au Liban. C'est en effet de là que sont tirées
les roquettes contre la vallée de la Bekaa. En outre, les voitures
piégées qui sautent au Liban seraient fabriquées à Yabroud puis
expédiées, via le Qalamoun, à Arsal, puis vers les objectifs à
l'intérieur du pays.
Dans
le Qalamoun, le Hezbollah peut mettre en oeuvre ses compétences en
termes de contre-guérilla et de guerre en montagne. La tactique est
la même : encerclement, siège, pilonnage puis assaut au sol.
Mais cette fois-ci, elle est appliquée au niveau du village, avec un
nombre réduit de forces spéciales d'élite. Le Qalamoun est divisé
en quatre zones géographiques, selon chaque point cardinal : le
Hezbollah prend à sa charge les secteurs nord, sud et ouest, l'armée
syrienne s'occupant de l'est, près de l'autoroute. Celle-ci commence
par attaquer Qara, au nord, le 15 novembre, s'en empare trois jours
plus tard ; puis elle pousse vers Deir Atiyeh et Nabek, au sud,
prise à la mi-décembre. Enfin, Yabroud est investie à la
mi-février 201430.
Ce
renouveau de l'engagement militaire du Hezbollah entraîne une hausse
proportionnelle des pertes : 47 tués en novembre et pour la
première moitié de décembre 2013. Le total des morts avoisine les
300, dont 272 bien identifiés. Sur les 47 morts récents, 13 ont été
tués dans la Ghouta, 5 à Qalamoun et 24 à Zaynab. Comme
précédemment, la plupart des morts sont originaires du Sud-Liban
(20), de la vallée de la Beqaa (11). Il est possible que le
Hezbollah exagère le nombre de tués à Zaynab, pour des raisons de
propagande, et qu'un certain nombre de morts soient tombés aux deux
autres endroits. Parmi les morts, deux commandants éminents :
Ali Iskandar, commandant important d'al-Bazourieh au Sud-Liban,
officier opérations et commandant des forces du Hezbollah dans la
Ghouta, tué le 23 novembre, et Ali Hossein al-Bazi, commandant
important à Harat al-Saida, qui entraînait les cadres du mouvement
et qui a été tué dans le Qalamoun le 8 décembre. Dans une
interview du 3 décembre 2013, Hassan Nasrallah a indiqué que le
Hezbollah avait commencé à intervenir en Syrie en dépêchant 40 à
50 hommes pour protéger le sanctuaire de Zaynab31.
Fin janvier 2014, le mouvement reconnaissait déjà 400 tués et plus
d'un millier de blessés32.
Pour
la première fois, le Hezbollah s'est donc embarqué dans une
véritable « guerre expéditionnaire » dans la
durée, qui le détourne du traditionnel discours de « résistance »33.
Le combat n'a pas été des plus aisés même si le mouvement chiite
engrange une expérience certaine, notamment en matière de combat
urbain. Il est difficile d'évaluer l'effectif total engagé par le
Hezbollah en Syrie. Les plus hautes estimations parlent de 10 000
hommes, mais si c'était le cas, ce serait par rotation des effectifs
et non de manière permanente. Un maximum de 4 000 combattants
présents ensemble semble un chiffre déjà élevé, une estimation
entre 2 000 et 4 000 paraît plus raisonnable. Pourtant, certains
chercheurs pensent que le mouvement chiite est passé de 3 000
combattants en 2006, au moment de la guerre contre Israël, à 20 ou
30 000 hommes, voire jusqu'à 50 000 hommes34,
dont un quart de combattants professionnels35,
Didier Leroy, enseignant à l'ULB et auteur d'un récent ouvrage sur
le mouvement, évoque pour ces derniers jusqu'au chiffre de 30 000
hommes36.
Le Hezbollah aligne des combattants en uniforme, bien équipés en
armes légères, qui ont manipulé à l'occasion des véhicules
blindés (comme à al-Qusayr) quand ils opéraient aux côtés des
forces du régime syrien. La structure de commandement en Syrie est
probablement décentralisée par province (Homs, Damas, Alep
notamment). Le Hezbollah combat aux côtés des restes de l'armée
régulière, des miliciens des Forces Nationales de Défense, des
miliciens étrangers, et des Iraniens eux aussi présents aux côtés
du régime. Ses troupes servent surtout d'infanterie légère dans
les opérations offensives et défensives. Elles entraînent les
forces régulières et irrégulières au combat urbain et à la
contre-insurrection, encadrent certaines unités régulières
(empêchant notamment des unités d'élite, comme la 4ème division
blindée, de flancher suite à des pertes élevées en raison d'une
présence quasi continue en ligne37)
ou irrégulières, corsettent les milices chiites notamment à Damas
(mais aussi à Lattaquié, Deraa, Idlib ; une opération entre
décembre 2012 et février 2013 a permis de reprendre le contrôle
des routes et des secteurs menant à l'aéroport international de
Damas38),
et ont mené parfois directement les opérations de combat, comme à
al-Qusayr. C'est dans ce dernier cas que les pertes ont été les
plus importantes. Par son rôle de formation, en améliorant la
qualité des unités régulières et surtout en rendant les miliciens
des FND utiles, le Hezbollah a grandement contribué à sauver le
régime syrien au printemps 2013. Le Hezbollah est non seulement une
« brigade de pompiers » mais a aidé à restaurer
la capacité offensive des forces de Bachar el-Assad. Les problèmes
posés par le terrain, un adversaire qui n'a rien à voir avec
Tsahal, et la coopération avec les forces très hétérogènes du
régime, ont entraîné de véritables défis mais aussi des
ajustements. Le Hezbollah est probablement l'une des forces les plus
efficaces sur le champ de bataille syrien.
Le
10 février 2014, les forces du régime renouvellent leur offensive
sur la montagne du Qalamoun, et visent en particulier la ville de
Yabroud. Le Hezbollah serait en pointe de cette nouvelle attaque. Il
s'agit, pour le mouvement chiite, de freiner le flux de véhicules
piégés kamikazes à destination du Liban, qui seraient fabriqués à
Yabroud et acheminés de l'autre côté de la frontière, à Arsal,
avant de gagner leurs cibles à Beyrouth39.
Après une reconnaissance minutieuse des positions adverses, les
forces spéciales du Hezbollah et d'autres unités progressent sous
le couvert de tirs de roquettes Volcano. Ces forces sont
composées de vétérans des opérations en Syrie40.
Le 15 février, les forces du régime prétendent avoir déjà tué
plus de 200 rebelles. Le Hezbollah a établi des positions de blocage
à l'est de Yabroud. Il avance au nord de la localité, de Nabak vers
les fermes de Rima. L'artillerie et l'aviation matraquent violemment
les positions des insurgés. L'attaque principale a lieu à l'ouest
de Yabroud, entre le Qalamoun et la frontière avec le Liban. Le
Hezbollah détruit avec des missiles Kornet des véhicules
chargés de rebelles qui viennent en renfort depuis Arsal41.
En dix jours de combat, le Hezbollah reconnaît 9 morts et 21
blessés, ainsi que la destruction de plusieurs véhicules par les
rebelles. Pour limiter les pertes, qui avaient été relativement à
Qusayr, le Hezbollah cherche manifestement cette fois-ci à isoler
complètement les rebelles pour les asphyxier sur le plan logistique,
et non à les engager directement42.
Le 25 février 2014, l'aviation israëlienne frappe à nouveau à la
frontière syro-libanaise, à Janta, un petit village chiite. Les
appareils auraient tiré quatre missiles, en deux sorties, sur ce
secteur où se trouvent des camps d'entraînement et autres
installations du Hezbollah, dans l'est de la Bekaa. La frappe visait
peut-être des dépôts de missiles dans des installations
souterraines, ce qui tendrait à prouver qu'Israël a eu accès à
des renseignements précis. Mais il est probable que les missiles
ciblaient un convoi du Hezbollah, car Janta se trouve sur un axe de
rapatriement d'armes utilisé par le Hezbollah depuis les années
198043.
Durant la bataille de Yabroud, le Hezbollah monte au moins une
embuscade nocturne réussie contre un groupe de rebelles en transit,
grâce à un IED « daisy chain » que les insurgés
eux-mêmes utilisent fréquemment. Les unités du Hezbollah tournent
sur une période de un mois, alors qu'à Damas et ses environs, la
rotation est d'une semaine. Le Hezbollah utilise des drones, des
caméras de surveillance et des roquettes Volcano de 107 ou
122 mm fournies par le régime syrien. Le mouvement chiite aurait
aussi piloté des blindés et des automoteur antiaériens Shilka44.
D'après un commandant de brigade du Hezbollah, l'appareil militaire
du régime opère en très petites formations, utilisant snipers,
roquettes, mitrailleuses lourdes, lance-roquettes antichars pour
encercler les positions rebelles et contrôler les hauteurs. En
outre, le Hezbollah contrôlerait une formation de 300 Syriens formés
par ses soins45.
La bataille de Yabroud a encore vu une remontée des pertes pour le
Hezbollah, avec 15 tués pour les dix premiers jours de mars, et 40
depuis le début de l'offensive jusqu'au 7 mars. En tout, depuis
2011, le parti chiite aurait déjà perdu plus de 500 tués au combat
en Syrie46.
Yabroud
tombe finalement le 16 mars 2014, ce qui ne met cependant pas fin à
la bataille dans le Qalamoun en tant que telle. Trois jours plus
tard, Israël frappe des cibles du régime dans le sud de la Syrie,
après des attaques contre ses forces sur la partie occupée du
plateau du Golan, dont on peut se demander si elles sont, ou non, le
fait du Hezbollah. La veille, le 18 mars, 4 paras israëliens avaient
été blessés par un IED planté au bord d'une route. En
représailles, les avions israëliens frappent des batteries
d'artillerie, un poste de commandement et un camp d'entraînement
autour de Quneitra. Israël suspecte fortement le Hezbollah : ce
serait une réplique à la frappe aérienne du 24 février, qui
aurait visié un convoi de missiles sol-air. Le 28 février déjà,
deux roquettes Grad tirées de Syrie étaient tombées non
loin du mont Hermon. Le 5 mars, 3 hommes avaient tenté de planter un
IED sur une route du Golan. Le 13 mars enfin, deux engins avaient
explosé au passage d'une patrouille, sans causer de pertes47.
Le
Hezbollah à nouveau en pointe ? (avril 2014-)
Depuis
le mois de février 2014, on rapporte que le Hezbollah recruterait
des combattants en Europe pour le champ de bataille syrien. Des
mercenaires est-européens, en particulier, arriveraient en solitaire
ou en groupe à l'aéroport international de Beyrouth. Certains sont
même des vétérans de la guerre en Tchétchénie. Le Hezbollah est
bien implanté en Europe, où il compte plus de 1 000 membres rien
qu'en Allemagne. On le suspecte fortement d'être à l'origine d'un
attentat à la bombe à Burgas, en Bulgarie, en 2012, qui a notamment
coûté la vie à 5 Israëliens. Le premier contingent de recrues
aurait compté 23 personnes ; par la suite, les arrivées sont
individuelles pour être plus discrètes, 11 personnes, dont 3
viennent du Dagestan. Ces combattants portent l'uniforme du
Hezbollah ; ils sont payés et leurs familles reçoivent des
compensations financières également48.
Au Liban, le recrutement du Hezbollah est également des plus variés.
Mahmoud, un quinquagénaire vétéran de la guerre de 2006 contre
Israël, a servi 25 jours en Syrie avant de reprendre la vente de
légumes sur le marché de Bint Jbeil, au Sud-Liban. Dans un autre
village, Fatima encourage son fils Kodhr, 16 ans, à suivre
l'entraînement militaire de un mois fourni par le Hezbollah ;
le père du garçon est mort à Qusayr, en 2013. Son frère Wissam,
25 ans, vient tout juste de rentrer de Syrie. A Baalbeck, Hussein,
étudiant en psychologie de 22 ans, a combattu à Alep ; il
s'apprête à partir en Iran pour suivre une formation de chef
d'unité49.
Pour
le centre israëlien Meir Amit, le Hezbollah n'a joué qu'un rôle
d'auxiliaire de l'armée syrienne à Yabroud : la victoire est
surtout psychologique, en verrouillant la frontière libanaise et en
empêchant les attentats-suicides, en particulier, sur son fief de la
banlieue sud de Beyrouth. Les pertes ont été moindres qu'à Qusayr,
en raison de l'expérience engrangée, d'un combat urbain moins
présent, et d'une résistance différente des insurgés syriens. Le
Hezbollah compterait 28 tués en mars 2014, soit beaucoup moins que
les 120 morts de Qusayr. Cela porte les morts au combat du mouvement
depuis 2011 à 337 au mininum, et probablement à 360 ou plus, selon
le centre Meir Amit. La plupart des tués récents viennent du
Sud-Liban et un grand nombre de la vallée de la Bekaa. Le Hezbollah
n'a jamais fait mention des pertes totales en Syrie, sans doute pour
éviter d'alimenter le débat sur l'engagement du mouvement sur
place, et ce même si les funérailles ne sont pas dissimulées50.
Bibliographie :
Nicholas
Blanford, « The Battle for Qusayr: How the Syrian Regime and
Hizb Allah Tipped the Balance », CTC Sentinel, août
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Terrorism Information Center, 17 juin 2013.
Following
the victory at Al-Qusayr Hezbollah is preparing to support the Syrian
army forces to take over Aleppo, The Meir Amit Intelligence and
Terrorism Information Center, 19 juin 2013.
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Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, juillet
2013.
Testimony
of Mr. Phillip Smyth, Research Analyst at the University of Maryland
– Laboratory for Computational Cultural Dynamics, House Committee
Foreign Affairs Committee – Subcommittee On Terrorism,
Nonproliferation, and Trade, 20 novembre 2013, Hearing: Terrorist
Groups in Syria.
In
late 2013, Hezbollah again intensified its military involvement in
the Syrian civil war, suffering heavy losses, The Meir Amit
Intelligence and Terrorism Information Center, 22 décembre 2013.
Hezbollah's
Involvement in the Civil War in Syria: Hezbollah regards the takeover
of Yabrud as a security and morale-boosting achievement, costing the
organization relatively few losses, The Meir Amit Intelligence and
Terrorism Information Center, 22 avril 2014.
1Linda
Lavender, Blowback: The Unintended Consequences of Hezbollah’s
Role in Syria, CIVIL-MILITARY FUSION CENTRE MEDITERRANEAN BASIN
TEAM, septembre 2013.
2Le
Hezbollah s'appuie au départ sur le mécontentement des chiites
libanais, plutôt favorables au départ à Israël, mais traumatisés
par l'exil vers Beyrouth-sud et l'occupation.
3Fonction
qu'il prétend assumer depuis 1990 et la fin de la guerre civile
libanaise (accords de Taëf) où il a pu conserver ses armes,
contrairement à la milice d'Amal, l'autre mouvement chiite. Après
le retrait israëlien du Sud-Liban en 2000 et l'avènement de Bachar
el-Assad en Syrie, le Hezbollah se rapproche de Damas. Le maintien
de la « résistance », après le retrait syrien
de 2005 du Liban, est entretenu par des provocations à la frontière
sud qui débouchent sur la guerre avec Israël en 2006.
4Kathia
Légaré, L’engagement du Hezbollah dans la guerre civile
syrienne : Nouvelle mutation ou indice de décadence du mouvement ?,
PSI, Université Laval, 22 octobre 2013.
5L'Orient/Le
Jour récapitule la liste des incidents ici :
http://www.lorientlejour.com/article/851271/le-liban-dans-lengrenage-du-conflit-syrien.html
6Phillip
Smyth, « Hizballah Cavalcade: Hizballah’s Multiplying Qusayr
Martyrs », Jihadology.net, 20 mai 2013.
7Phillip
Smyth, « Hizballah Cavalcade: The Qusayr Meat Grinder:
Hizballah’s Dead From May 20-May 25, 2013 », Jihadology.net,
25 mai 2013.
8Will
Fulton, Joseph Holliday, et Sam Wyer, Iranian Strategy in Syria,
Institute for the Study of War, mai 2013.
10Matthew
Levitt et Aaron Y. Zelin, « Hizb Allah’s Gambit in Syria »,
CTC Sentinel, août 2013, special issue . Vol 6. Issue 8,
p.14-17.
11Marisa
Sullivan, Hezbollah in Syria, MIDDLE EAST SECURITY REPORT 19,
Institute for the Study of War, avril 2014.
12Nick
Heras, « What is Hezbollah ’s Role in the Syrian Crisis ? »,
The Jamestown Foundation, Terrorism Monitor, Volume X, Issue
20, 2 novembre 2012.
13Hezbollah
Involvement in the Syrian Civil War, The Meir Amit Intelligence and
Terrorism Information Center, 17 juin 2013.
14Mazis
I., Sarlis M., « A GEOPOLITICAL ANALYSIS OF THE ACTIVATION OF
THE SHIITE GEOPOLITICAL FACTOR WITHIN THE SYRIAN CONFLICT
GEOSYSTEM », Regional Science Inquiry Journal, Vol. V,
(2), 2013, pp. 125-144.
15Marisa
Sullivan, Hezbollah in Syria, MIDDLE EAST SECURITY REPORT 19,
Institute for the Study of War, avril 2014.
16Nicholas
A. Heras, THE POTENTIAL FOR AN ASSAD STATELET IN SYRIA,
Policy Focus 132, The Washington Institute for Near East Policy,
décembre 2013.
17Matthew
Levitt et Aaron Y. Zelin, « Hizb Allah’s Gambit in Syria »,
CTC Sentinel, août 2013, special issue . Vol 6. Issue 8,
p.14-17.
18Nicholas
Blanford, « The Battle for Qusayr: How the Syrian Regime and
Hizb Allah Tipped the Balance », CTC Sentinel, août
2013, special issue . Vol 6. Issue 8, p.18-22.
21Marisa
Sullivan, Hezbollah in Syria, MIDDLE EAST SECURITY REPORT 19,
Institute for the Study of War, avril 2014.
23Marisa
Sullivan, Hezbollah in Syria, MIDDLE EAST SECURITY REPORT 19,
Institute for the Study of War, avril 2014.
24Marisa
Sullivan, Hezbollah in Syria, MIDDLE EAST SECURITY REPORT 19,
Institute for the Study of War, avril 2014.
25Following
the victory at Al-Qusayr Hezbollah is preparing to support the
Syrian army forces to take over Aleppo, The Meir Amit
Intelligence and Terrorism Information Center, 19 juin 2013.
26Marisa
Sullivan, Hezbollah in Syria, MIDDLE EAST SECURITY REPORT 19,
Institute for the Study of War, avril 2014.
27Matthew
Levitt et Aaron Y. Zelin, « Hizb Allah’s Gambit in Syria »,
CTC Sentinel, août 2013, special issue . Vol 6. Issue 8,
p.14-17.
28Ahmed
Habib Saloum, commandant militaire important de Nabatieh, au
Sud-Liban ; Ayman Said Tahini, commandant important du Hamas,
de Itit, au Sud-Liban ; et Khalil Muhammad Khalil Hamid,
commandant militaire du Hezbollah, de Bint Jbeil, Sud-Liban.
29Hezbollah
Operatives Killed in Syria (Updated to the end of July 2013),
The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center,
juillet 2013.
30Marisa
Sullivan, Hezbollah in Syria, MIDDLE EAST SECURITY REPORT 19,
Institute for the Study of War, avril 2014.
31In
late 2013, Hezbollah again intensified its military involvement in
the Syrian civil war, suffering heavy losses, The Meir Amit
Intelligence and Terrorism Information Center, 22 décembre
2013.
33Jeffrey
White, « Hizb Allah at War in Syria: Forces, Operations,
Effects and Implications », CTC Sentinel , janvier
2014, Volume 7 Issue 1, p.14-18.
35
Aram Nerguizian, « Assessing the Consequences of Hezbollah’s
Necessary War of Choice in Syria », Commentary, Center for
Strategic and International Studies, 27 juin 2013.
38Testimony
of Mr. Phillip Smyth, Research Analyst at the University of Maryland
– Laboratory for Computational Cultural Dynamics, House Committee
Foreign Affairs Committee – Subcommittee On Terrorism,
Nonproliferation, and Trade, 20 novembre 2013, Hearing:
Terrorist Groups in Syria.
50Hezbollah's
Involvement in the Civil War in Syria: Hezbollah regards the
takeover of Yabrud as a security and morale-boosting achievement,
costing the organization relatively few losses,The Meir Amit
Intelligence and Terrorism Information Center, 22 avril 2014.