Le
nombre de combattants étrangers originaires d'Asie Centrale a grimpé
en 2013, et ceux qui reviennent risquent de relancer la
déstabilisation des régimes en place après leur expérience
syrienne1.
En mars 2013, le groupe Jaysh al-Muhajirin wal-Ansar, dominé par les
Tchétchènes et les Nord-Caucasiens, annonçait déjà avoir
incorporé des combattants d'Asie Centrale. Deux mois plus tard, un
journal tadjik confirme que des citoyens de ce pays sont passés par
des camps d'entraînement en Syrie. En juin, c'est un site ouzbek qui
confirme que des Tadjiks ont gagné la Syrie et que les recruteurs
puiseraient aussi dans les travailleurs saisonniers qui partent en
Russie. Un an plus tôt, en 2012, un reportage du Guardian
mentionnait un contrebandier turc travaillant avec les djhadistes qui
affirmait voir de nombreux Ouzbeks franchir la frontière nord de la
Syrie.
Ce
même mois de juin 2013, le Kazakhstan arrête 8 de ses citoyens qui
cherchaient à se procurer des fonds pour financer un voyage en
Syrie. En juillet, un Kazakh surnommé Abu Muadh al-Muhajir appelle
depuis Damas ses compatriotes, via une vidéo, à se lancer dans le
djihad. En octobre, une vidéo montre plus de 50 djihadistes et leurs
familles en Syrie, aux côtés de l'EIIL2.
Un Kazakh reconnaît également son petit-fils dans une vidéo de
l'EIIL, en octobre 2013 ; celui-ci se serait radicalisé après
être parti au Moyen-Orient avec femmes et enfants pour trouver du
travail3.
Le Kirghizstan reconnaît pour sa part qu'une vingtaine de citoyens
sont probablement partis se battre en Syrie et mentionne aussi en
détenir d'autres arrêtés dans les aéroports. Dès 2011, des
citoyens d'origine ouzbèke du sud du pays partent faire le djihad
contre Bachar el-Assad. 6 jeunes hommes sont ainsi recrutés par des
salafistes russes, qui les rapatrient à Moscou puis les expédient
en direction de la Turquie4.
Le Mouvement Islamique d'Oubzékistan aurait lui aussi envoyé des
combattants en Syrie. L'un de ses membres confie même préférer
combattre les chiites et les alaouites syriens que les soldats
pakistanais sunnites, aux côtés des talibans du Sud-Waziristan5.
Recruté par le front al-Nosra, il perd une jambe sous un obus
d'artillerie en juillet 2013. Il y a également des citoyens chinois.
3 autres combattants au moins ont rejoint le front al-Nosra ; un
réseau de recrutement de salafistes ouzbeks attirerait les
volontaires depuis la province de Hatay, en Turquie. En mars 2013, un
Han converti à l'islam, Yusuf al-Sini (Bo Wang), apparaît dans une
vidéo de Jaysh al-Muhajirin wal-Ansar. Une autre vidéo du front
al-Nosra semble mettre en scène un Ouïghour, baptisé le
« djihadiste chinois ». Le Parti Islamique du
Turkistan, basé au Pakistan et dirigé par des Ouïghours, aurait
acheminé des combattants en Syrie. Par ailleurs, on sait de longue
date que plusieurs milliers de combattants d'Asie Centrale
interviennent en Afghanistan, notamment les membres du Mouvement
Islamique d'Ouzbékistan, sur les frontières nord du pays, dans les
provinces de Kunduz et Takhar.
Extrait d'une vidéo de l'Union du Djihad Islamique.-Source : http://gdb.rferl.org/6BDBE608-12EC-4663-B6B7-7564D7AA57EE_mw1024_n_s.jpg |
Il
semblerait que les volontaires d'Asie Centrale, en raison des
difficultés d'adaptation au contexte syrien, aient suscité un
profond ressentiment parmi la population du nord du pays, où ils
sont intervenus en majorité. C'est pourquoi les combattants syriens
les ont parfois incités à rentrer chez eux pour y poursuivre le
djihad. La Chine rapporte en juillet 2013 l'arrestation d'un étudiant
ouighour qui a étudié à Istanbul puis combattu à Alep et qui
aurait préparé des attaques dans le Xinjiang. 15 personnes à
l'origine d'une attaque contre un poste de police et ses environs à
Turpang, en juin, se seraient vu refuser le départ pour la Syrie et
aurait conduit une opération locale. Le 12 septembre, lors du sommet
de l'organisation de coopération de Shanghaï à Bishkek, le
Kirghizstan annonce avoir démantelé une cellule de l'Union du Djihad
Islamique (une organisation dérivée du Mouvement Islamique d'Ouzbékistan, surtout active en Afghanistan et au Pakistan)
qui aurait visé le sommet. Cette cellule présente à Osh, dans la
vallée de Fergana, était composée de vétérans de la guerre en
Syrie. Elle prévoyait aussi une attaque pour l'anniversaire de
l'indépendance du pays, le 31 août, et aurait compté un Kazakh6.
Des combattants d'Asie Centrale à Alep, en 2013.-Source : http://www.transatlanticacademy.org/sites/default/files/imagecache/large/East%20Asian%20Fighters%20in%20Aleppo,%20Syria.jpg |
Le
19 février 2014, une nouvelle cellule est démantelée à Osh, dans
le sud du Kirghizstan. Ces militants finançaient leurs activités
avec des fonds venus de Syrie et en commettant des braquages. Ils
espéraient recruter 150 personnes. Une dizaine de jours plus tôt,
les autorités kirghizes avaient confirmé que 5 citoyens avaient déjà
trouvé la mort en Syrie et que 50 autres combattaient au sein de
l'EIIL. On trouve aussi des femmes et des enfants qui gagnent cette
terre de djihad : ainsi Nargiza Kadyraliyeva, qui abandonne son
mari et part avec ses trois enfants début 2013. Les motivations sont
multiples pour les Kirghizes : échapper au chômage et à la
misère en trouvant un « refuge » en Syrie, le
goût de l'aventure, le soutien à une cause jugée juste, et la
conversion au djihad par des islamistes radicaux. Le Kirghizstan,
pourtant, contrairement à d'autres pays voisins d'Asie Centrale, n'a
pas connu de djihadisme sur son sol, sans doute en raison des
réformes initiées depuis 2005 et parce que les musulmans sont
libres d'exercer leur culte, dans une tendance plutôt modérée.
Pourtant le pays ne peut échapper aux implications géopolitiques
régionales. La guerre américaine en Afghanistan a forcé les
militants d'Asie Centrale du Mouvement Islamique d'Ouzbékistan à
chercher refuge dans les zones tribales pakistanaises. Mais ces
militants kirghizes ne peuvent revenir dans leur pays pour exporter le
djihad. La Syrie est plus propice car l'EIIL contrôle un secteur
entier du pays, et une partie de l'Irak. Les Kirgizes peuvent
s'entraîner, collecter des fonds et recruter à leur retour,
d'autant qu'il est beaucoup plus facile pour eux de revenir au
Kirghizstan. Les premiers signes d'activité de vétérans syriens
apparaissent dans la vallée de Ferghana dès le second semestre
2013. L'hostilité entre les Kirghizes et les Ouzbeks du pays pousse
parfois ces derniers à rejoindre des mouvements radicaux comme Hizb
ut-Tahrir, qui sert de tremplin de recrutement au djihad en Syrie.
Ces mouvements fournissent d'ailleurs une aide sociale aux familles
en situation sociale -comme celles dont le mari est travailleur
saisonnier en Russie- et ciblent des communautés rurales pauvres ou
des groupes marginalisés7.
1Jacob
Zenn, « Increasing Numbers of Central Asian Jihadists in
Syria », The Central Asia-Caucasus Analyst, 2 octobre
2013.
2
Jacob Zenn, « Afghan and Syrian Links to Central Asian
Jihadism », Eurasia Daily Monitor Volume: 10 Issue:
193, The Jamestown Foundation, 29 octobre 2013.
6Jacob
Zenn, « Afghan and Syrian Links to Central Asian Jihadism »,
Eurasia Daily Monitor Volume: 10 Issue: 193, The Jamestown
Foundation, 29 octobre 2013.
7Jacob
Zenn, « Kyrgyzstan Increasingly Vulnerable to Militant
Islamism », CACI Analyst, 5 mars 2014.