Les
Britanniques sont l'un des contingents de volontaires étrangers en
Syrie parmi les plus importants d'Europe de l'ouest : plus de
300 personnes en janvier 2014, et sans doute plus de 400 en avril. Depuis
le début de la guerre en Syrie, les autorités britanniques ont
arrêté trois hommes suspectés de participer à des réseaux de
recrutement et d'acheminement de volontaires pour les groupes
djihadistes1.
Le cas britannique rappelle de fâcheux souvenirs, notamment celui de
la Bosnie. L'attention est attirée sur les volontaires britanniques
au moment de l'enlèvement d'un journaliste anglais et d'un autre
néerlandais, le 19 juillet 2012, qui sont finalement libérés par
un groupe de rebelles qui les avaient aidés à pénétrer en Syrie.
Or, parmi leurs ravisseurs, se trouve une douzaine de Britanniques,
dont un docteur du National Health Service, Shajul Islam,
d'origine bengalie, intercepté à son retour au pays via l'Egypte le
9 octobre suivant. D'autres arrestations ont lieu en janvier 2013,
dont celle du frère de Shajul, et d'un homme qui avait converti un
MAC-10 tirant à blanc en une arme opérationnelle. Najul Islam,
c'est son nom, aurait assuré le soutien financier du voyage de son
frère et de son complice, arrêté avec lui, et aurait également
convoyé en Syrie des équipements de vision nocturne, des lunettes
de visée et autres matériels sensibles. Dans un autre cas, Nassim
Terreri et Walid Blidi, deux Londoniens d'origine algérienne, sont
tués à Darkoush, à quelques kilomètres de la frontière turque,
le 26 mars 2012. Les deux Britanniques appartenaient à la brigade
Hisham Haboub, de l'Armée syrienne libre : ils sont morts en
ouvrant le feu sur un convoi du régime qui a répliqué à leurs
tirs, un autre Britannique du même groupe étant d'ailleurs blessé
dans l'accrochage.
Les
Britanniques se sont en fait retrouvés sur nombre de champs de
bataille du djihad depuis l'Afghanistan. La communauté dite
« Londonistan » avait aussi produit des prêcheurs
radicaux capables d'influencer la jeunesse britannique, jusqu'à
pousser certains éléments à rejoindre al-Qaïda et à commettre
les attentats du 7 juillet 2005 à Londres. Depuis le printemps arabe
cependant, ce sont les communautés arabes en exil, via leurs liens
avec leurs pays d'origine, qui sont devenus importantes, comme le
montre le cas de la Libye et de la Tunisie, ou bien encore de
l'Egypte. On estime qu'il y a au moins 13 000 exilés syriens au
Royaume-Uni, dont une partie fournit des fonds, organise des convois,
alimente aussi le vivier des volontaires. Mais comme on l'a vu, des
Britanniques à proprement parler sont aussi partis en Syrie. Il y en
a au moins 30. La communauté soudanaise de l'ouest de Londres parle
de 21 hommes déjà entraînés sur place, et il y aurait eu des
départs dans les communautés marocaine et somalienne. Des Syriens
comme un prêcheur de l'est de Londres, Abu Basir al-Tartusi, qui
n'était pas parmi les plus radicaux, sont aussi partis combattre en
Syrie. On trouve aussi parmi eux Mustafa Setmariam Nassar, un
théologien djihadiste vétéran de l'Afghanistan arrivé à Londres
dans les années 90, qui avait soutenu les groupes radicaux en
Algérie avant de retourner en Afghanistan et d'être arrêté par
les Américains à Quetta en 2005, livré aux autorités syriennes
qui l'ont relâché, sans que l'on comprenne bien pourquoi, en
février 2012. Muhammad Surur bin Nayif Zain al-Abidin, en lien avec
deux dissidents saoudiens, Saad al-Faqih et Muhammad al-Massari,
contribue au financement des insurgés. Théologien salafiste, il est
revenu au Qatar en 2004 et organise de là le flux financier à
destination de certains groupes rebelles.
A droite, Abou Basir al-Tartousi.-Source : http://mrc-tv.s3.amazonaws.com/sites/default/files/video_thumbs/118558/118558_0001.jpg |
Le
portrait type du volontaire britannique est donc le suivant : un
homme jeune, entre 20 et 30 ans, originaire du sud-est asiatique,
plutôt bien éduqué, et qui a des liens avec des individus ou des
groupes ayant des relations internationales. Les motivations relèvent
plutôt de la solidarité de l'oumma (défendre les « frères
syriens) et sont facilitées par l'accès aisé à la Syrie via la
Turquie et l'absence d'une contre-discours qui empêcherait les
jeunes musulmans ciblés de partir se battre. Les combattants syriens
déconseillent cependant aux volontaires de se rendre par leurs
propres moyens en Syrie : il faut d'abord entrer en contact avec
les réseaux ou les groupes armés pour faciliter le transit2.
Le
20 novembre 2013, Mohammed el-Araj, de l'ouest de Londres, est le
deuxième Britannique à être reconnu mort au combat en Syrie par
les autorités3.
Mort à la mi-août 2013, il avait passé 18 mois en prison pour
avoir protesté violemment devant l'ambassade israëlienne de Londres
en 2009. Habitant de Ladbroke Grove, dans l'ouest de Londres, il
était né dans un vol de British Airways et a grandi au
Royaume-Uni. Il faisait une formation pour être ingénieur
mécanicien avant son arrestation. Selon l'ISCR, el-Araj était en
lien avec al-Nosra et l'EIIL et aurait combattu dans l'une de ses
formations, ou un groupe associé, dans les provinces d'Alep et
d'Idlib. Sa famille est d'origine palestinienne. Un de ses amis
aurait également trouvé la mort en Syrie.
Mohammed el-Araj.-Source : http://i.telegraph.co.uk/multimedia/archive/02741/mo_2741147b.jpg |
Le
6 février 2014, Abdul Waheed Majid meurt dans l'explosion d'un
véhicule kamikaze en Syrie, lors de l'assaut raté sur la prison
centrale d'Alep, sous la bannière d'al-Nosra et le nom de Abu
Suleiman al Britani4.
Ce n'est pas le premier. Il était cependant lié au groupe al
Muhajiroun, de Crawley. Il était en contact avec les membres de ces
cercles radicaux depuis la fin des années 1990 et le début des
années 2000. Le cas de cet homme est inquiétant car il a attendu
presque 15 ans d'activisme et d'engagement avant de partir sur le
champ de bataille syrien, et il était connu des services de
renseignement5.
Au moins 10 citoyens britanniques auraient déjà péri sur les
champs de bataille syriens. Deux Britanniques encore présents en
Syrie, Mahdi Hassan, un ancien étudiant d'un cours privé
catholique, et Muhammad Hamidur Rahman, salarié d'un petit commerce,
discutent avec des sympathisants sur un réseau social basé en
Lettonie, Ask.fm6.
Ci-dessous, vidéo de l'assaut sur la Prison Centrale d'Alep par les insurgés, le 6 février dernier. A 16:00, on peut voir le kamikaze britannique qui va jeter un camion bourré d'explosifs sur l'entrée de la prison pour ouvrir la voie aux assaillants.
Selon
l'ISCR, en janvier 2014, au moins 50 Britanniques partis en Syrie
sont revenus dans leur pays. Parmi les volontaires, de nombreux
jeunes hommes d'origine pakistanaise, marocaine, tunisienne et
libyenne. Si la plupart des départs sont individuels, des réseaux
organisés autour de mosquées peuvent contribuer au financement et
aux contacts sur place. Le réseau Sharia4UK, dirigé
notamment par Anjem Choudary, fait de la propagande pour le
recrutement. Né en 1967, d'origine pakistanaise, Choudary a étudié
la médecine à l'université de Southampton. Devenu finalement
avocat, il rallie le Cheikh Omar Bakri Muhammad, le fondateur
d'al-Muhajiroon, interdite par les autorités britanniques, puis
fonde al-Ghurabaa, également interdite, avant de lancer Sharia4UK,
bannie en 2010. En mai 2012, il se rend aux Pays-Bas pour piloter le
démarrage de Sharia4Belgium, qui recrute pour le djihad en
Syrie. Bakri, né à Alep en 1958, rejoint les frères musulmans
syriens, puis se radicalise au Liban. Arrivé en Angleterre en 1986,
il fonde une branche de Hizb al-Tahrir, une organisation libanaise
extrêmiste qui veut établir un califat islamique. En 2005,
craignant une arrestation pour ses prises de position radicales sur
le 11 septembre, il se réfugie au Liban. Dans une interview du 27
novembre 2013, il affirme que Choudari est son émir pour le
Royaume-Uni7.
Anjem Choudary.-Source : http://newsimg.bbc.co.uk/media/images/47110000/jpg/_47110018_-4.jpg |
Les
Britanniques partis faire le djihad en Syrie participent aussi à la
propagande de leur cause via des vidéos. Fin mars 2014, c'est le cas
pour l'un d'entre eux, membre de l'EIIL. L'homme, qui a un accent
londonien, prétend avoir déjà réussi à faire passer 3 ou 4
autres Britanniques en Syrie, via la Turquie. La vidéo est tournée
à l'ouest de Hama, et l'on y voit notamment un technical armé
d'une pièce quadruple de mitrailleuses ZPU de 14,5 mm. Un autre
Britannique s'est également exprimé sur le djihad, et un autre a
posté à la même époque sur Twitter un slogan détourné du
fameux « Keep Calm » en le modifiant avec un « and
support I.S.I.S. ». Un autre djihadiste britannique, Abou
Doujana, âgé seulement de 19 ans, encourage les adolescents du
Royaume-Uni à venir faire le djihad sur les réseaux sociaux, comme
Ask.fm8.
Source : http://www.waislama.net/wp-content/uploads/2014/03/Keep-Calm-and-Support-ISIS.jpg |
En
avril 2014, c'est un footballeur, qui voulait jouer pour le club
britannique d'Arsenal, de nationalité portugaise, qui est
reconnu sur une de ces vidéos de propagande. Abu Isa Andaluzi était
venu à Londres pour jouer dans le club renommé après avoir grandi
auprès d'un footballeur célèbre. Cet homme serait en réalité
Celso Rodrigues Da Costa, qui a vécu à Leyton, dans l'est
londonien, avec ses deux frères. Il a probablement participé à des
sessions d'entraînement où Arsenal supervise des
recrutements. Les services britanniques pensent qu'au moins deux
autres Portugais résidant à Londres sont partis en Syrie, dont un
serait à Alep. Un groupe de Britanniques de l'ouest de la capitale a
récemment publié des photos où on les voit aux côtés de Yilmaz,
un ancien membre de l'armée néerlandaise interrogé par les médias
de son pays d'origine, et qui forme maintenant les insurgés syriens
dans un entraînement de type militaire. Da Costa encourage, dans sa
vidéo, les musulmans d'Ukraine et de Crimée à venir faire le
djihad en Syrie ; plus surprenant encore, il s'adresse même aux
femmes9.
Abou Isa Andulazi.-Source : http://www.thesundaytimes.co.uk/sto/multimedia/dynamic/00434/STN060704_434731k.jpg |
Abdullah
Deghayes, 18 ans, venu de l'est du Sussex, est mort quant à lui en
Syrie. Il a rejoint ses deux frères -dont l'un a été blessé à
l'estomac en même que temps que lui était tué- malgré un
déplacement de son père en Turquie pour l'empêcher de gagner ce
pays. Le frère blessé, Amer, avait été le premier à partir, pour
une action humanitaire au départ, mais a rapidement pris part aux
combats. Abdullah est cependant le le neveu, comme ses frères, de
Omar Deghayes, un ancien détenu de Guantanamo, arrêté au Pakistan
en 2002 par les Américains et prisonnier jusqu'en 2007, et qui
réside désormais à Tripoli, en Libye. Avant de mourir pour le
djihad syrien, Abdullah vendait des articles de sport dans une
boutique Adidas de Brighton. Comme le rappelle Peter Neumann, de
l'ICSR, le profil de Abdullah Dehayes est différents des autres
djihadistes britanniques, car il parle arabe et a des liens familiaux
avec le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, alors que la plupart des
Britanniques partis en Syrie viennent d'Asie du sud-est et ne parlent
pas arabe10.
1Raffaello
Pantucci, « British Fighters Joining the War in Syria »,
CTC Sentinel, Volume 6 Issue 2, février 2013, p.11-15.
2Shiraz
Maher, « ICSR Insight: British Foreign Fighters in Syria »,
The International Centre for the Study of Radicalisation, 15
octobre 2013.
7Foreign
fighters from Western countries in the ranks of the rebel
organizations affiliated with Al-Qaeda and the global jihad in
Syria, Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center,
3 février 2014.