« Et combattez-les jusqu'à
ce qu'il ne subsiste plus d'association, et que la religion soit
entièrement à Allah. »1.
Un portrait des combattants étrangers de l'insurrection en Syrie.
Article publié simultanément sur l'Alliance Géostratégique.
Mise à jour 16-samedi 29 mars 2014 : rajout d'un tableau sur les volontaires européens, beaucoup d'ajouts dans les différents contingents ; à suivre prochainement, d'autres exemples (Norvégiens, Américains, etc).
Mise à jour 15 samedi 22 février 2014 : des précisions sur les Jordaniens, les Britanniques, les Belges.
Mise à jour 14 dimanche 9 février 2014 : précisions sur les Azéris, Tchétchènes.
Mise à jour 13 mercredi 5 février 2014 : les Indonésiens.
Mise à jour 12 jeudi 30 janvier 2014 : précisions importantes sur les Belges et les Azéris, grâce à de nouveaux articles.
Mise à jour 11 samedi 25 janvier 2014 : ajout des Danois et des Azéris, précisions sur les Espagnols, les Néerlandais, et d'autres, ajouts d'images supplémentaires.
Mise à jour 10 samedi 18 janvier 2014 : republication totale du billet avec les notes de bas de page, des rajouts sur quelques contingents + les Saoudiens et les Canadiens en plus.
Mise à jour 9 lundi 13 janvier 2014 : les Tunisiens, à suivre avec d'autres compléments prochainement.
Mise à jour 8 _ vendredi 10 janvier 2014 : un long développement sur les Egyptiens.
Mise à jour 7 mardi 7 janvier 2014 : des précisions sur les Marocains d'Harakat al-Sham et sur les Espagnols.
Mise à jour 6 dimanche 5 janvier 2014 : rajout de l'exemple espagnol, des précisions sur les Marocains de Harakat al-Sham.
Mise à jour 5 jeudi 2 janvier 2014 : les volontaires turcs et belges ; précisions sur les Britanniques et les groupes composés d'étrangers.
Mise à jour 4 vendredi 28 décembre : des précisions sur les volontaires nord-caucasiens.
Mise à jour 3 vendredi 27 décembre : les volontaires d'Asie Centrale, quelques précisions sur les groupes composés de volontaires étrangers.
Mise à jour 2 samedi 21 décembre 2013 : des précisions sur les pertes subies par les volontaires étrangers.
Mise à jour 1 vendredi 20 décembre 2013 : précisions sur les volontaires jordaniens + exemple allemand rajouté.
Mise à jour 16-samedi 29 mars 2014 : rajout d'un tableau sur les volontaires européens, beaucoup d'ajouts dans les différents contingents ; à suivre prochainement, d'autres exemples (Norvégiens, Américains, etc).
Mise à jour 15 samedi 22 février 2014 : des précisions sur les Jordaniens, les Britanniques, les Belges.
Mise à jour 14 dimanche 9 février 2014 : précisions sur les Azéris, Tchétchènes.
Mise à jour 13 mercredi 5 février 2014 : les Indonésiens.
Mise à jour 12 jeudi 30 janvier 2014 : précisions importantes sur les Belges et les Azéris, grâce à de nouveaux articles.
Mise à jour 11 samedi 25 janvier 2014 : ajout des Danois et des Azéris, précisions sur les Espagnols, les Néerlandais, et d'autres, ajouts d'images supplémentaires.
Mise à jour 10 samedi 18 janvier 2014 : republication totale du billet avec les notes de bas de page, des rajouts sur quelques contingents + les Saoudiens et les Canadiens en plus.
Mise à jour 9 lundi 13 janvier 2014 : les Tunisiens, à suivre avec d'autres compléments prochainement.
Mise à jour 8 _ vendredi 10 janvier 2014 : un long développement sur les Egyptiens.
Mise à jour 7 mardi 7 janvier 2014 : des précisions sur les Marocains d'Harakat al-Sham et sur les Espagnols.
Mise à jour 6 dimanche 5 janvier 2014 : rajout de l'exemple espagnol, des précisions sur les Marocains de Harakat al-Sham.
Mise à jour 5 jeudi 2 janvier 2014 : les volontaires turcs et belges ; précisions sur les Britanniques et les groupes composés d'étrangers.
Mise à jour 4 vendredi 28 décembre : des précisions sur les volontaires nord-caucasiens.
Mise à jour 3 vendredi 27 décembre : les volontaires d'Asie Centrale, quelques précisions sur les groupes composés de volontaires étrangers.
Mise à jour 2 samedi 21 décembre 2013 : des précisions sur les pertes subies par les volontaires étrangers.
Mise à jour 1 vendredi 20 décembre 2013 : précisions sur les volontaires jordaniens + exemple allemand rajouté.
La
guerre en Syrie a entraîné l'intervention de milliers de
combattants étrangers qui sont venus soutenir les insurgés luttant
contre Bachar el-Assad. L'attention des Occidentaux se focalise, bien
sûr, sur ceux qui viennent combattre auprès des groupes liés à
al-Qaïda, et qui pourraient éventuellement constituer une menace
dans ces pays, mais c'est aussi oublier que l'intervention étrangère
est sans doute bien plus considérable en faveur de Bachar el-Assad1.
Cet article se propose d'esquisser un portrait d'ensemble du
phénomène des combattants étrangers qui sont venus se battre en
Syrie du côté de l'insurrection, de façon à démonter quelques
idées reçues et à fournir des exemples circonstanciés qui aident
à mieux saisir la réalité du phénomène, à partir de sources
fiables.
« Les
volontaires étrangers en Syrie, combien de divisions ? »
En
Europe, l'afflux de volontaires aux côtés des rebelles étrangers
commence à inquiéter à partir du printemps 2013. The
Independant estime que 100 Britanniques sont déjà partis ;
le Figaro parle de 50 à 80 Français ; Der Spiegelévoque des douzaines d'Allemands ; et le Jyllands-Poste
parle de 45 Danois. Les Pays-Bas haussent leur niveau d'alerte en
raison du retour de certains au pays, parmi la centaine ou plus de
musulmans qui sont partis combattre en Syrie. A ce moment-là, ce
sont entre 140 et 600 Européens environ qui sont déjà allés se
battre du côté des insurgés, soit 7-11% du nombre total de
volontaires étrangers2.
En
avril 2013, Aaron Zelin estimait le nombre total de volontaires
étrangers partis en Syrie depuis 2011 à 2 000-2 500, dont 135 à
590 Européens. Il y en avait entre 70 à 441 encore sur place, parmi
ces derniers, à ce moment-là. Sur 249 notices de martyrs des
groupes djihadistes syriens, seules 8 (3%) concernaient alors des
Européens. De fait, les combattants étrangers représentent au
maximum 10% de l'insurrection, et probablement moins. En novembre
2013, Thomas Hegghamer parlait de 1 100 à 1 700 Européens de
l'ouest partis en Syrie, ce qui d'après lui représente déjà plus
que tous les autres contingents des conflits entre 1990 et 2010. Le
phénomène, globalement, semble s'accélérer tout au long de
l'année 2013.
Nombre
de combattants étrangers en Syrie par pays d'origine, estimation des
services de renseignement en 20133.
A gauche : estimation minimum ; à droite : estimation
maximum
France | 200-400 |
Allemagne | 200 |
Royaume-Uni | 200-300 |
Belgique | 100-300 |
Espagne | 95 |
Danemark | 65 |
Bosnie | 60 |
Autriche | 57 |
Pays-Bas | 50-100 |
Italie | 45-50 |
Norvège | 30-40 |
Suède | 30-40. |
Récemment,
le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung4,
citant une étude à paraître de The International Centre for the
Study of Radicalisation, évoque au total 11 000 combattants
étrangers en Syrie, dont 1 800 Européens de l'Ouest (et 240
Allemands). L'étude en question, parue finalement le 17 décembre5,
confirme effectivement ces chiffres : 11 000 volontaires
étrangers venant de 74 nations différentes depuis 2011 ; le
nombre d'Européens de l'Ouest a triplé depuis avril 2013, passant
de 600 à plus de 1 900. La fourchette se situe désormais entre 3
300 et 11 000 combattants, et le total est probablement de plus de 8
500. Les Européens de l'ouest constituent désormais 18% du
contingent, avec en tête la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la
Belgique et les Pays-Bas. Rapportés à la population totale, les
chiffres sont les plus élevés pour la Belgique, le Danemark et les
Pays-Bas. Les pays du Moyen-Orient continuent à fournir près de 70%
des volontaires étrangers, les plus gros contingents venant de
Jordanie, d'Arabie Saoudite, de Tunisie, du Liban et de Libye, mais
les chiffres sont ici probablement moins fiables. Les Balkans et les
anciennes républiques soviétiques fournissent le dernier gros
contingent. En tout cas, malgré cette augmentation, le nombre de
combattants étrangers ne représente pas plus de 10% de
l'insurrection, qui se monte au moins à 100 000 hommes.
Les
combattants étrangers en Syrie, d'après Süddeutsche, citant
l'ICRS + l'étude de l'IRCS parue le 17 décembre 2013 (à gauche,
estimation basse, à droite, estimation haute).
Jordanie | 180-2 089 |
Arabie Saoudite | 386-1 016 |
Tunisie | 382-970 |
Liban | 65-890 |
Libye | 336-556 |
Turquie | 63-500 |
Egypte | 119-358 |
Pakistan | 7-330 |
Algérie | 68-123 |
Territoires
palestiniens | 74-114 |
Yémen | 14-110 |
Somalie | 6-68 |
Irak | 59-247 |
Soudan | 2-96 |
Maroc | 77-91 |
Koweït | 54-71 |
Afghanistan | 12-23 |
Bahreïn | 12 |
Qatar | 14-15 |
Emirats Arabes Unis | 14 |
Israël | 15-20 |
Iran | 3 |
Mauritanie | 2 |
Oman | 1 |
France | 63-412 |
Royaume-Uni | 43-366 |
Irlande | 11-26 |
Belgique | 76-296 |
Luxembourg | 1 |
Allemagne | 34-240 |
Suisse | 1-8 |
Pays-Bas | 29-152 |
Kosovo | 4-150 |
Albanie | 9-140 |
Espagne | 34-95 |
Danemark | 25-84 |
Autriche | 1-60 |
Bosnie | 18-60 |
Macédoine | 3-20 |
Serbie | 3 |
Bulgarie | 1 |
Italie | 2-50 |
Suède | 39-87 |
Norvège | 33-40 |
Finlande | 4-20 |
Australie | 23-205 |
Canada | 9-100 |
Etats-Unis | 17-60 |
Russie | 9-423 |
Tchétchénie | 36-186 |
Kazakhstan | 14-150 |
Kyrgyzstan | 9-30 |
Chine | 6-100 |
Du
côté des rebelles sunnites, il y a probablement eu en tout au moins
5 000 combattants étrangers, une fourchette plus large menant à 10
000 ou un peu plus, ce chiffre recouvrant tous ceux qui sont arrivés
depuis 2011 -beaucoup ont été tués, arrêtés ou sont repartis
entretemps6.
La mobilisation de ce vivier reste néanmoins sans précédent, même
comparée à celle en Irak contre les Américains ou contre les
Soviétiques en Afghanistan. La majorité des volontaires vient des
pays arabes -Arabie Saoudite, Tunisie et Libye, principalement, avec
peut-être un nombre d'Irakiens plus important que ce que l'on peut
savoir actuellement. L'Europe occidentale fournit le second plus gros
contingent avec en tête l'Angleterre, la France, la Belgique et les
Pays-Bas, selon Zelin, au début 2013. Il y a également des
volontaires moins nombreux des Balkans, du Caucase, et d'autres
régions du monde, soit au total plus de 60 pays d'où viennent ces
combattants sunnites. La plupart de ces combattants intègrent les
factions islamistes les plus radicales, en premier lieu l'EIIL et le
front al-Nosra, mais également des groupes salafistes comme Ahrar
al-Sham. Ils constituent aussi une bonne partie des groupes armés
liés de près ou de loin à l'EIIL ou à al-Nosra comme l'Armée
Muhajirin wa-Ansar, les bataillons Suqqour al-Ezz, le mouvement Sham
al-Islam, le bataillon Vert, la brigade Umma et le Jund al-Sham.
Pour
le centre israëlien Meir Amir, en février 2014, il y aurait 1 600 à
2 100 volontaires étrangers européens (sans compter les autres
nationalités, donc) présents sur le terrain, en Syrie,
majoritairement avec le front al-Nosra et l'EIIL7.
Tableau
listant le nombre de volontaires étrangers européens présents en
Syrie, côté insurrection, février 20148.
Pays | Nombre estimé
de volontaires |
Royaume-Uni | 200-350 |
Belgique | 200-300 |
Irlande | 10-26 |
France | 200-220 |
Pays-Bas | 100-200 |
Espagne | 10-plusieurs
douzaines |
Italie | 45-60 |
Allemagne | Plus de 200 |
Danemark | 65 |
Suède | Au moins 30 |
Finlande | Plusieurs
douzaines |
Norvège | 30-40 |
Autriche | Plusieurs
douzaines |
Ukraine | Quelques
individus. |
Hongrie | Environ 12 |
Luxembourg | 1 |
Suisse | 1 |
Roumanie | Au moins 1 |
Bulgarie | 1 |
Bosnie Herzégovine | Plusieurs
douzaines |
Kosovo | Environ 100 |
Macédoine | Douzaines |
Albanie | Plus de 100 |
Serbie | Quelques individus |
Russie | Quelques individus
(hors Nord-Caucase) |
Arménie | Quelques individus |
La
plupart des volontaires étrangers ont peu d'expérience et passent
d'abord par des camps d'entraînement. Quelques-uns ont pu déjà
être formés dans des camps en Afrique du Nord, comme ceux mis en
place par Ansar al-Sharia en Libye ou d'autres milices islamistes. Il
y a également, cependant, des vétérans d'Afghanistan, de Bosnie,
de Tchétchénie, du Yémen et de la Libye. La majorité des
djihadistes syriens ou étrangers considère les Tchétchènes comme
les plus expérimentés, après vingt ans de guerre contre la Russie.
Mais les volontaires caucasiens viennent surtout d'Europe et ont
aussi peu d'expérience que les autres, généralement. Ceux qui sont
intervenus en premier sur le champ de bataille ont eu souvent le plus
d'impact. L'armée Muhajrin wa-Ansar, liée à l'EIIL, a ainsi joué
un rôle clé dans la prise de la base aérienne de Minnagh, en août
2013. D'autres formations de volontaires étrangers ont attaqué
furieusement dans la région de Lattaquié, en plein coeur du pays
alaouite, procédant d'ailleurs à des nettoyages de population dans
les zones conquises9.
La brutalité du régime de Bachar el-Assad a probablement entraîné
une radicalisation de ceux qui sont venus combattre en Syrie. En
outre, les djihadistes étant mieux financés que les autres acteurs
de l'insurrection, ils ont beaucoup plus attiré. Il semblerait que
les combattants tunisiens, profitant de l'expérience d'Ansar
al-Sharia, aient contribuer à préparer un programme de prosélytisme
(dawa) pour l'EIIL. Ce programme vise à briser l'image
négative qu'a l'organisation depuis la guerre en Irak et à
s'attirer la bienveillance des habitants. C'est pourquoi, aussi, ce
programme vise les enfants et les adolescents de 8 à 16 ans.
Pour
le centre Meir Amit, la plupart des volontaires partagent l'idéologie
des salafistes radicaux, et partent en Syrie pour l'accomplir et la
ramener dans leur pays d'origine. D'autres partent en raison des
images de la souffrance du peuple syrien, pour aider à renverser le
régime Assad et parfois par goût de l'aventure. La plupart des
volontaires rejoignent le front al-Nosra et surtout l'EIIL, ou la
JMA, dont une fraction est alliée à l'EIIL. Parmi les musulmans qui
partent faire le djihad en Syrie, ceux d'origine marocaine, en
Europe, sont plus nombreux que les autres, mais on trouve de
nombreuses autres origines également. Les volontaires sont moins
célibataires que précédemment, surtout depuis la seconde moitié
de 2013, où certains emmènent leurs familles avec eux. La majorité
des combattants est sans expérience du feu ; ils reçoivent
parfois une préparation dans leur pays d'origine, et surtout quand
ils arrivent en Syrie. Les combattants étrangers interviennent
surtout dans la région d'Alep, mais pas exclusivement, encore une
fois. Le financement des voyages et des combattants se fait notamment
par des donations dans les mosquées et les centres islamiques ;
il est probable que les donateurs ignorent, parfois, à qui sert leur
argent. En Syrie, en revanche, ce sont les groupes armés eux-mêmes
qui financent les combattants, notamment par un salaire mensuel. On
conseille néanmoins aux volontaires de se munir d'argent (quite à
ne pas payer leur sécurité sociale, comme le conseille un Allemand
se trouvant en Syrie, Abu Talha) pour acheter vêtements et autres
impedimenta jusqu'à leur arrivée en Syrie. Des réseaux plus
organisés existent aussi comme Sharia4Belgium, mais pas dans tous
les pays. Arrivés en Turquie, généralement en avion à Istanbul,
les volontaires gagnent via les transports publics, ou par avion, la
frontière, où ils sont pris en charge dans des maisons sûres. Ils
prennent ensuite contact avec les groupes armés qui leur font
facilement franchir la frontière10.
Les
volontaires pakistanais : une contribution au djihad mondial du
TTP ?
De
nombreux commandants du Tehrik-i-Taliban Pakistan (TTP) ont précisé
avoir envoyé des militants en Syrie pour combattre le régime de
Bachar el-Assad11.
Mohammed Amin, le coordinateur du TTP pour la Syrie, a ainsi affirmé
que son organisation avait établi une base en Syrie avec l'aide de
vétérans de l'Afghanistan. Un commandant de rang intermédiaire du
TTP justifie l'envoi de militants par le fait que des chiites
seraient également recrutés par l'Iran au Pakistan pour aller
combattre aux côtés du régime de Bachar el-Assad. Le réseau qui
se charge d'acheminer les volontaires en Syrie est tenu conjointement
par le TTP et par le Laschkar-i-Jangvi (LJ), deux groupes affiliés à
al-Qaïda. Il aurait envoyé de 100 à 150 hommes. Abdul Rashid
Abbasi, un proche du chef du TTP, Hakimullah Mehsud, a précisé que
120 combattants pakistanais se trouvaient en Syrie et qu'ils étaient
sous les ordres du commandement local d'al-Qaïda. Le réseau est
dirigé par Usman Ghani, un ancien commandant du LJ, et Alimullah
Umry, un commandant du TTP de la province de Khyber Pakhtunkhwa.
Selon al-Jazeera, les Pakistanais se trouvent dans la Katibat
Mujahiroon, un groupe djihadiste composé de volontaires étrangers
qui combat à Lattaquié et qui est commandé par un Libyen, Abu
Jaafar il Libi. Le TTP, le LJ et un autre groupe sectaire, le Hafiz
Gul Bahadur, ont envoyé des combattants. Le TTP a également demandé
à ses commandants de Mohmand, Bajaur, Khyber, Orakzai et des agences
tribales du Waziristan de procéder à des recrutements.
Source : http://raymondpronk.files.wordpress.com/2013/06/al-nusra-front.jpg |
Une
première vidéo, le 31 juillet 2013, confirme la présence de
combattants du TTP en Syrie. Elle montre un groupe de 10 à 20
Pakistanais et a été mise en ligne par l'EEIL. En septembre, les
médias annoncent que les corps de 30 Pakistanais ont déjà été
rapatriés au pays, la plupart appartenant au LJ ou à la faction du
Punjab du TTP. Cette participation du TTP à l'insurrection syrienne
ne doit pas surprendre : elle fait partie de la stratégie
d'internationalisation promue par Mehsud, qui veut participer aux
djihads à l'étranger en lien avec al-Qaïda. Il y en a eu d'autres
exemples : en juin 2012, le président du Niger affirmait que
des Afghans et des Pakistanais entraînaient des hommes au nord du
Mali. Au Yémen, des Pakistanais convoyés par al-Qaïda formeraient
des militants aux explosifs, l'un d'entre eux, Ragaa Bin Ali, étant
même tué par un drone en 2013. Faisal Shahzad, un jeune Pakistanais
résidant aux Etats-Unis et qui avait tenté de placer une bombe à
Times Square en mai 2010, était lié au TTP. L'envoi de
combattants en Syrie a aussi eu pour effet de raviver les tensions
sectaires au Pakistan entre sunnites et chiites.
Les
Jordaniens : la radicalisation des salafistes
Depuis
le début de l'insurrection, les militants jordaniens ont eux gagné
la Syrie12.
Au départ, ils comptaient renverser Bachar el-assad pour installer
un Etat islamique sunnite, dans une dimension guerrière proprement
religieuse. Cette approche s'est intensifiée avec le caractère de
plus en plus sectaire du conflit. Parmi les Jordaniens, salafistes ou
djihadistes, qui sont partis pour la Syrie, il y a certains vétérans
d'Afghanistan ou d'Irak, et certaines sources parlent de plusieurs
milliers d'hommes en tout. On sait que Zarqawi, un Jordanien, avait
dirigé la branche d'al-Qaïda en Irak jusqu'à sa mort en juin 2006.
Son mentor spirituel, Abu Muhammad al-Maqdisi, un Jordanien d'origine
palestinienne, est le chef de file du djihadisme en Jordanie. Les
djihadistes semblent gagner du terrain autour des villes de Maan et
de Zarqa, cette dernière étant d'ailleurs la ville natale de
Zarqawi. En octobre 2012, les autorités démantèlent une cellule
qui s'apprêtaient à commettre des attentats anti-occidentaux à
Amman grâce à des explosifs et à des armes venus de Syrie. Il faut
dire qu'au départ, elles ont eu tendance à fermer les yeux sur le
transit de combattants jordaniens en direction de ce pays. Mohammed
el-Shalabi, un des leaders djihadistes jordaniens, affirme que de 700
à 800 combattants sont partis en Syrie, un chiffre qu'il est
difficile de vérifier. D'autres rapports parlent de 500 hommes.
On
sait par contre que Mahmoud Abdoul Al, le gendre de Abu Muhammad
al-Talawi, un des cheiks djihadistes influents de Jordanie, s'est
fait sauter à Deraa en octobre 2012. Al-Tahawi lui-même encourage
les Jordaniens à se joindre au djihad sous la bannière d'al-Nosra.
D'autres clercs sunnites jordaniens ont fait de même depuis, à
l'instar du chef d'al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri. Au début des
hostilités, les Jordaniens franchissent la frontière dans les
provinces de Deraa et de Rif Dishmashq. Ils sont aussi présents à
l'ouest et à l'est de la Syrie, à Alep, Homs et Deir es-Zor. Le
gouvernement jordanien laisse d'abord faire, sans doute dans
l'intention de se débarrasser à peu de frais de ses djihadistes.
Mais quand le conflit s'éternise, les autorités verrouillent la
frontière et mettent le hola sur le trafic d'armes qui revient vers
la Jordanie. En conséquence, les Jordaniens font désormais un
détour via la Turquie et pénètre en Syrie par le nord. La plupart
des volontaires s'intègrent dans le front al-Nosra, et les
combattants expérimentés semblent même diriger certaines brigades
de l'organisation. Deux Jordaniens d'ascendance palestinienne,
originaires de Zarqa, ont aidé à l'établissement du conseil de la
Choura d'al-Nosra, aux côtés d'Abu Muhammad al-Juhani, le
chef de l'organisation. Ces deux militants, Iyad Toubasi et Mustafa
Abdul Latif, ont fait partie du commandement d'al-Qaïda en Irak. Ils
sont présents en Syrie depuis le début du conflit. Le premier est
par ailleurs marié à la soeur de Zarqawi. Abou Gelebeb, c'est son
nom de guerre, est l'émir d'al-Nosra pour les provinces de Deraa et
Damas. Blessé en décembre 2012, il est soigné en Turquie avant de
rejoindre le combat. C'est Latif qui prend la suite du front sud
d'al-Nosra. Proche de Zarqawi, il avait notamment organisé l'arrivée
des Syriens venus se battre en Irak contre les Américains.
En
décembre 2013, les Jordaniens forment le plus gros contingent de
volontaires étrangers venus se battre en Syrie aux côtés des
rebelles, avec plus de 2 000 hommes13.
Selon Abou Sayaf, le chef des djihadistes jordaniens, il y a
actuellement 1 200 Jordaniens encore en Syrie ; 200 auraient été
tués depuis le début de leur participation. En plus des militants
historiques, une génération plus jeune contriburait désormais en
majorité au départ, originaire des villes de Zarqa, Salt, Maan et
Irbid. Les Jordaniens seraient majoritairement dans des brigades
radicales, en particulier celles du front al-Nosra. Ils seraient
assez opposés aux vues radicales de l'EIIL en ce qui concerne le
traitement des minorités et ses pratiques de guerre, de manière
générale14.
On
estime qu'il y a en Jordanie 5 000 salafistes djihadistes, pour 15
000 salafistes environ au total. Plutôt discrets jusqu'en 2011, la
guerre en Syrie leur a donné l'occasion de s'exprimer : face à
un « ennemi proche », ils défendent la création d'une
« forteresse » en Syrie (Diyar al-Tamkeen) pour étendre
leurs activités en capitalisant sur l'expérience acquise sur place.
Le groupe des salafistes djihadistes est assez lâche, avec plusieurs
chefs influents, comme Abu Muhammad al-Maqdisi et Abu Muhammad
al-Tahawi. Les Jordaniens restent parmi les plus gros contributeurs
en volontaires étrangers avec probablement entre 700 et 1 000 hommes
actuellement sur le terrain, en février 2014. Pour les
salafistes-djihadistes jordaniens, la guerre en Syrie recentre
l'affrontement non pas contre l'Occident mais contre les dirigeants
de l'étranger proche jugés impie, un combat qui peut finalement
s'importer en Jordanie. Les autorités ne s'y trompent et ont arrêté
de 150 à 170 personnes jusqu'en janvier 2014, dont, en décembre
dernier, Raed Hijazi, un personnage qui aurait des liens avec
al-Qaïda. En outre, le conflit est devenu de plus en plus sectaire,
opposant sunnites et chiites, et les combattants jordaniens
pourraient être amenés à intervenir sur d'autres champs de
bataille d'un tel djihad. Une victoire en Syrie pourrait radicaliser
davantage encore les salafistes-djihadistes jordaniens contre le
pouvoir hachémite15.
Les
Néerlandais : un recrutement dans une communauté ciblée
Au
moins 20 Néerlandais sont partis combattre en Syrie depuis le début
de la guerre civile et 6 y ont trouvé la mort16.
Il n'y a pas de réseaux organisés jusqu'à présent qui recrutent
les musulmans néerlandais sur place, mais des groupes comme
Sharia4Holland, Behind Bars, Hizb-al-Tahrir et Millatu Ibrahim
se servent du conflit pour promouvoir leur cause, ce qui est un
facteur potentiel de radicalisation de leur public. Il est d'ailleurs
fort possible que le nombre total de Néerlandais partis en Syrie
dépasse en fait la centaine. Les 20 personnes qui ont été
identifiées proviennent des communautés marocaine, somalienne et
turque surtout, bien que l'une d'entre elles soit originaire de
Bosnie. La majorité est néanmoins d'origine marocaine. Ils viennent
de Zeist, Delft, Rotterdam et La Hague (en particulier le quartier de
Schilderswijk). La plupart des hommes recrutés ont entre 23 et 26
ans, même si deux étaient des mineurs. Le soutien à la cause
s'exprime via un site Internet et le recrutement s'effectuerait par
des activistes de Sharia4Holland et Behind Bars qui ont
déjà effectué le voyage en Syrie. Les volontaires gagnent la
Turquie via les Pays-Bas ou la Belgique et entrent dans le nord de la
Syrie.
Le
premier Néerlandais tué en Syrie, d'origine marocaine, est mort en
mars 2013. Il faisait partie d'un groupe de 20 jeunes hommes de
Delft, certains ayant un passé de délinquant ; lui-même
cherchait manifestement à « racheter ses péchés »
en partant combattre en Syrie. Un de ses amis, qui jouait dans
l'équipe de foot Delfia, est également tué en Syrie, ainsi que son
frère. Une jeune femme de 19 ans, connue sous le nom d'Oum Usama, de
Zoetermeer, suspectée de procéder au recrutement, est arrêtée en
juillet 2013. Un autre recruteur, Murat Ofkeli, surveillé par les
autorités depuis 2001 et qui avait notamment envoyé en 2005 3
jeunes Néerlandais pour la Tchétchénie, qui avaient été arrêtés
en Azerbaïdjan, n'est pas pris au sérieux jusqu'à ce que la presse
se fasse l'écho de plaintes des parents des candidats au djihad.
Banni de la mosquée As-Soennah de La Hague, Ofkeli aurait trouvé la
mort en Syrie en juin 2013.
Le
chef des djihadistes néerlandais en Syrie, Abu Fidaa, a donné une
interview au journal De Volkskrant en juin 2013. Il fournit
des précisions qui sont impossibles à vérifier, mais qui n'en sont
pas moins intéressantes. On conseille ainsi aux volontaires de lire
48 Laws of Power ou Les 36 Stratagèmes de la guerre, par
exemple. D'après lui, une fois arrivés en Syrie, les volontaires
sont entraînés pendant six semaines ; ils peuvent alors se
porter candidats au martyr. Les Néerlandais sont mélangés avec
d'autres nationalités pour favoriser l'intégration dans un djihad
« global ». On pense que les Néerlandais sont
surtout à Alep mais Abu Fidaa précise qu'ils se trouvent aussi dans
d'autres parties du pays. 3 femmes ont également fait le choix de
suivre leurs maris en Syrie.
Le
17 janvier 2014, le ministre des Affaires Etrangères néerlandais
déclare que 10 Néerlandais ont déjà trouvé la mort en Syrie ;
120 seraient toujours là-bas ; et 20 sont revenus et
étroitement surveillés17.
Le
recrutement, aux Pays-Bas, se ferait par des réseaux assez
organisés. On trouve des mosquées salafistes, en particulier dans
la communauté marocaine, et des imams appartiennent aussi à une
organisation salafiste saoudienne, la fondation Ahl al-Sunnah.
D'autres salafistes opèrent plus discrètement, en dehors des
mosquées. Arrivés en Turquie par avion, généralement en
provenance d'Allemagne, les volontaires gagnent la frontière et
contactent par téléphone des personnes indiquées par les vétérans
revenus aux Pays-Bas. Ils reçoivent armes et équipement sur place.
Les Néerlandais stationnent généralement dans la province d'Alep18.
Les
Britanniques : au-delà du « Londonistan »
Depuis
le début de la guerre en Syrie, les autorités britanniques ont
arrêté trois hommes suspectés de participer à des réseaux de
recrutement et d'acheminement de volontaires pour les groupes
djihadistes19.
Le cas britannique rappelle de fâcheux souvenirs, notamment celui de
la Bosnie. L'attention est attirée sur les volontaires britanniques
au moment de l'enlèvement d'un journaliste anglais et d'un autre
néerlandais, le 19 juillet 2012, qui sont finalement libérés par
un groupe de rebelles qui les avaient aidés à pénétrer en Syrie.
Or, parmi leurs ravisseurs, se trouve une douzaine de Britanniques,
dont un docteur du National Health Service, Shajul Islam,
d'origine bengalie, intercepté à son retour au pays via l'Egypte le
9 octobre suivant. D'autres arrestations ont lieu en janvier 2013,
dont celle du frère de Shajul, et d'un homme qui avait converti un
MAC-10 tirant à blanc en une arme opérationnelle. Najul Islam,
c'est son nom, aurait assuré le soutien financier du voyage de son
frère et de son complice, arrêté avec lui, et aurait également
convoyé en Syrie des équipements de vision nocturne, des lunettes
de visée et autres matériels sensibles. Dans un autre cas, Nassim
Terreri et Walid Blidi, deux Londoniens d'origine algérienne, sont
tués à Darkoush, à quelques kilomètres de la frontière turque,
le 26 mars 2012. Les deux Britanniques appartenaient à la brigade
Hisham Haboub, de l'Armée syrienne libre : ils sont morts en
ouvrant le feu sur un convoi du régime qui a répliqué à leurs
tirs, un autre Britannique du même groupe étant d'ailleurs blessé
dans l'accrochage.
Source : http://news.images.itv.com/image/file/106123/image_update_5f0cd34c80bde19a_1350476632_9j-4aaqsk.jpeg |
Les
Britanniques se sont en fait retrouvés sur nombre de champs de
bataille du djihad depuis l'Afghanistan. La communauté dite
« Londonistan » avait aussi produit des prêcheurs
radicaux capables d'influencer la jeunesse britannique, jusqu'à
pousser certains éléments à rejoindre al-Qaïda et à commettre
les attentats du 7 juillet 2005 à Londres. Depuis le printemps arabe
cependant, ce sont les communautés arabes en exil, via leurs liens
avec leurs pays d'origine, qui sont devenus importantes, comme le
montre le cas de la Libye et de la Tunisie, ou bien encore de
l'Egypte. On estime qu'il y a au moins 13 000 exilés syriens au
Royaume-Uni, dont une partie fournit des fonds, organise des convois,
alimente aussi le vivier des volontaires. Mais comme on l'a vu, des
Britanniques à proprement parler sont aussi partis en Syrie. Il y en
a au moins 30. La communauté soudanaise de l'ouest de Londres parle
de 21 hommes déjà entraînés sur place, et il y aurait eu des
départs dans les communautés marocaine et somalienne. Des Syriens
comme un prêcheur de l'est de Londres, Abu Basir al-Tartusi, qui
n'était pas parmi les plus radicaux, sont aussi partis combattre en
Syrie. On trouve aussi parmi eux Mustafa Setmariam Nassar, un
théologien djihadiste vétéran de l'Afghanistan arrivé à Londres
dans les années 90, qui avait soutenu les groupes radicaux en
Algérie avant de retourner en Afghanistan et d'être arrêté par
les Américains à Quetta en 2005, livré aux autorités syriennes
qui l'ont relâché, sans que l'on comprenne bien pourquoi, en
février 2012. Muhammad Surur bin Nayif Zain al-Abidin, en lien avec
deux dissidents saoudiens, Saad al-Faqih et Muhammad al-Massari,
contribue au financement des insurgés. Théologien salafiste, il est
revenu au Qatar en 2004 et organise de là le flux financier à
destination de certains groupes rebelles.
Le
portrait type du volontaire britannique est donc le suivant : un
homme jeune, entre 20 et 30 ans, originaire du sud-est asiatique,
plutôt bien éduqué, et qui a des liens avec des individus ou des
groupes ayant des relations internationales. Les motivations relèvent
plutôt de la solidarité de l'oumma (défendre les « frères
syriens) et sont facilités par l'accès aisé à la Syrie via la
Turquie et l'absence d'une contre-discours qui empêcherait les
jeunes musulmans ciblés de partir se battre. Les combattants syriens
déconseillent cependant aux volontaires de se rendre par leurs
propres moyens en Syrie : il faut d'abord entrer en contact avec
les réseaux ou les groupes armés pour faciliter le transit20.
Le
20 novembre 2013, Mohammed el-Araj, de l'ouest de Londres, est le
deuxième Britannique à être reconnu mort au combat en Syrie par
les autorités21.
Mort à la mi-août 2013, il avait passé 18 mois en prison pour
avoir protesté violemment devant l'ambassade israëlienne de Londres
en 2009. Habitant de Ladbroke Grove, dans l'ouest de Londres, il
était né dans un vol de British Airways et a grandi au
Royaume-Uni. Il faisait une formation pour être ingénieur
mécanicien avant son arrestation. Selon l'ISCR, el-Araj était en
lien avec al-Nosra et l'EIIL et aurait combattu dans l'une de ses
formations, ou un groupe associé, dans les provinces d'Alep et
d'Idlib. Sa famille est d'origine palestinienne. Un de ses amis
aurait également trouvé la mort en Syrie.
Le
6 février 1914, Abdul Waheed Majid meurt dans l'explosion d'un
véhicule kamikaze en Syrie, lors de l'assaut raté sur la prison
centrale d'Alep, sous la bannière d'al-Nosra et le nom de Abu
Suleiman al Britani22.
Ce n'est pas le premier. Il était cependant lié au groupe al
Muhajiroun, de Crawley. Il était en contact avec les membres de ces
cercles radicaux depuis la fin des années 1990 et le début des
années 2000. Le cas de cet homme est inquiétant car il a attendu
presque 15 ans d'activisme et d'engagement avant de partir sur le
champ de bataille syrien, et il était connu des services de
renseignement23.
Au moins 10 citoyens britanniques auraient déjà péri sur les
champs de bataille syriens. Deux Britanniques encore présents en
Syrie, Mahdi Hassan, un ancien étudiant d'un cours privé
catholique, et Muhammad Hamidur Rahman, salarié d'un petit commerce,
discutent avec des sympathisants sur un réseau social basé en
Lettonie, Ask.fm24.
Selon
l'ISCR, en janvier 2014, au moins 50 Britanniques partis en Syrie
sont revenus dans leur pays. Parmi les volontaires, de nombreux
jeunes hommes d'origine pakistanaise, marocaine, tunisienne et
libyenne. Si la plupart des départs sont individuels, des réseaux
organisés autour de mosquées peuvent contribuer au financement et
aux contacts sur place. Le réseau Sharia4UK, dirigé notamment par
Anjem Choudary, fait de la propagande pour le recrutement. Né en
1967, d'origine pakistanaise, Choudary a étudié la médecine à
l'université de Southampton. Devenu finalement avocat, il rallie le
Cheikh Omar Bakri Muhammad, le fondateur d'al-Muhajiroon, interdite
par les autorités britanniques, puis fonde al-Ghurabaa, également
interdite, avant de lancer Sharia4UK, bannie en 2010. En mai 2012, il
se rend aux Pays-Bas pour piloter le démarrage de Sharia4Belgium,
qui recrute pour le djihad en Syrie. Bakri, né à Alep en 1958,
rejoint les frères musulmans syriens, puis se radicalise au Liban.
Arrivé en Angleterre en 1986, il fonde une branche de Hizb
al-Tahrir, une organisation libanaise extrêmiste qui veut établir
un califat islamique. En 2005, craignant une arrestation pour ses
prises de position radicales sur le 11 septembre, il se réfugie au
Liban. Dans une interview du 27 novembre 2013, il affirme que
Choudari est son émir pour le Royaume-Uni25.
Les
Finlandais : un changement d'échelle
En
Finlande, les premières rumeurs à propos de combattants partis en
Syrie commencent à circuler dans les médias à partir d'août
201226.
Un an plus tard, le ministère de l'Intérieur confirme que plus de
20 Finlandais ont déjà rejoint les groupes islamistes radicaux sur
place. Ce phénomène marque la radicalisation, en filigrane, de
musulmans finlandais depuis environ deux ans. La population musulmane
finlandaise, très réduite au départ, s'est accrue dans les années
90 par l'apport de nombreux réfugiés. On l'estimait à 50 à 60 000
personnes en 2011, dont 90% de sunnites. Ce sont des musulmans de la
deuxième génération, mal intégrés, originaires de zones de
conflit, qui se sont radicalisés. Cependant, la plupart des
musulmans radicalisés sont liés, de fait, à des groupes islamistes
ou autres avec des enjeux locaux, même si plusieurs organisations
comme al-Qaïda, les Shebaab, le Hezbollah sont représentées en
Finlande. Les Shebaab, en particulier, sont plus visibles car ils ont
recruté dans la communauté somalie finlandaise (15 000 personnes en
2012). Le processus semble se restreindre à partir de 2012, moment
où les Shebaab s'associent très nettement à al-Qaïda et
commencent à avoir recours à des méthodes classiques de
l'organisation comme l'attentat à la voiture kamikaze.
On
pense qu'il n'y a pas eu de Finlandais engagés en Afghanistan. Le
premier combattant étranger finlandais mis en évidence est Abu
Ibrahim, parti combattre en Tchétchénie et arrêté par les
autorités géorgiennes. Son père est un officier de l'armée
finlandaise. Le plus gros contingent reste donc celui débauché par
les Shebaab entre 2007 et 2009, avant la radicalisation de ce dernier
mouvement vers al-Qaïda. On évoque aussi, peut-être, la présence
d'un Finlandais auprès du Front National de Libération de l'Ogaden,
en Ethiopie. C'est avec la guerre en Syrie que le contingent de
volontaires finlandais est le plus important. Après les rumeurs
dévoilées en août 2012, un premier martyr finlandais, Kamal Badri,
est identifié en janvier 2013 : il a été tué à Alep.
Quelques mois plus tard, les autorités commencent à parler d'une
dizaine, puis d'une vingtaine de personnes parties en Syrie. Le
portrait d'ensemble reste encore peu clair, faute d'informations
suffisantes, même si l'on peut en déduire que la communauté
musulmane radicalisée, en Finlande, se structure davantage depuis
deux ans.
Source : http://3.bp.blogspot.com/-mBMUTQTaGt4/UTEdhQJETTI/AAAAAAAABwg/wJTuWm_3MOY/s1600/KamalBadri.jpg |
L'Australie :
la communauté libanaise et le djihad
En
ce qui concerne l'Australie, 6 combattants en Syrie ont
potentiellement été identifiés comme australiens, avec cependant
des doutes sur plusieurs d'entre eux27.
Trois cas sont cependant plausibles : Roger Abbas, Yusuf
Topprakaya et un kamikaze connu sous le nom de Abu Asma al-Australi.
Roger Abbas, tué en octobre 2012, venait de Melbourne et était
d'origine libanaise : c'était aussi un champion de kickboxing.
Arrivé au départ pour une aide humanitaire, il a visiblement
combattu ensuite avec le front al-Nosra. Yusuf Topprakaya, tué en
décembre 2012, était originaire de la communauté turque et était
surveillé par les autorités australiennes depuis 2010. Arrivé à
la frontière turque à la mi-2012, il attend de pouvoir entrer en
Syrie et rejoint une unité locale des brigades al-Farouk près de la
ville de Maarat al-Numan. Il se fait remarquer par ses compétences
au tir et dans la fabrication de bombes, avant d'être tué par un
sniper. A la mi-septembre 2013, enfin, Abu Asma al-Australi
jette un camion rempli de 12 tonnes d'explosifs contre une école qui
sert de lieu de cantonnement à des soldats du régime syrien dans la
ville de al-Mreiya, dans la province de Deir es-Zor. L'attaque
kamikaze aurait permis au front al-Nosra de prendre la base aérienne
de la ville. Le martyr, originaire de Brisbane et de la communauté
libanaise, était lui aussi surveillé par les autorités
australiennes avant son départ.
Source : http://resources3.news.com.au/images/2012/10/31/1226506/977691-roger-abbas.jpg |
D'autres
cas sont moins documentés. En août 2012, un cheik de Sydney,
Mustapha al-Mazjoub, est tué en Syrie. D'ascendance saoudienne, il
est à noter que son frère était le seul membre australien du
Conseil National Syrien. Il serait mort au combat. En novembre 2012,
un dénommé Marwan al-Kassab, considéré comme un Australien, meurt
dans une explosion au Nord-Liban alors qu'il fabrique des bombes pour
les rebelles syriens. En avril 2013, Sammy Salma, originaire de
Melbourne, et qui avait voyagé avec Abbas, est également tué. En
tout, on estime que 80 Australiens sont partis en Syrie et que 20,
peut-être, ont combattu avec al-Nosra. La plupart sont issus de la
communauté libanaise, 70% d'entre eux étaient connus des autorités
précédemment et ils sont entrés en Syrie via la Turquie, un peu
moins par le Liban. La Syrie n'est pas le premier cas de départ d'un
contingent australien. Entre 1998 et 2003, 20 personnes avaient
rejoint l'Afghanistan et les camps du LeT au Pakistan. Entre 2002 et
2012, 16 Australiens ont été arrêtés au Liban, ou condamnés in
abstentia, pour activités djihadistes, principalement en lien
avec Ansbat al-Ansar ou Fatah al-Islam. Après l'invasion de la
Somalie par l'Ethiopie en 2006, de 10 à 40 Australiens ont également
rejoint les Shebaab en Somalie. Des Australiens seraient également
partis au Yémen en 2010. Le conflit en Syrie marque cependant un
changement d'échelle. Une des causes est évidemment l'importance de
la communauté libanaise : le conflit en Syrie concerne
davantage ses membres que ceux en Somalie ou au Yémen. Ensuite,
l'accès à la Syrie via la Turquie est beaucoup plus aisé que lors
des conflits précédents. Enfin, le caractère de plus en plus
sectaire du conflit et l'impuissance de la communauté occidentale à
le juguler ont manifestement constitué un appel d'air pour des
groupes comme al-Nosra ou l'EIIL.
Le
combat s'est en outre transposé en Australie. Depuis le début 2012,
17 incidents ont été relevés comme étant en rapport avec le
conflit syrien : principalement des attaques de sunnites contre
des personnes, des biens ou des commerces chiites ou alaouites. Elles
ont lieu surtout à Sydney et Melbourne et impliquent des personnes
issues des communautés syrienne, turque et libanaise. L'Australie a
connu plusieurs préparations d'attentats terroristes déjouées
avant exécution, contre les J.O. De Sydney en 2000, une du LeT en
2003, et deux cellules autonomes démantelées à Sydney et Melbourne
en 2005 qui comprenaient des personnes entraînées en Afghanistan et
au Pakistan. Un attentat prévu contre les Hollsworthy Army
Barracks en 2009, là encore arrêté à temps, impliquait des
hommes qui participaient au réseau de financement et de recrutement
des Shebaab. A noter toutefois que les incidents sectaires ont reculé
en 2013.
En
décembre 2013, deux hommes ont été arrêtés à Sydney. La police
affirme qu'un des deux hommes, Hadmi Alqudsi, était un recruteur
pour al-Nosra et probablement pour l'EIIL (il aurait envoyé au moins
6 personnes en Syrie. Le deuxième homme arrêté était sur le point
de partir. Pour Andrew Zammit, le spécialiste de la question, cela
signifie que les réseaux d'acheminement en Australie sont en train
de s'organiser petit à petit28.
Le 8 décembre d'ailleurs, les autorités annoncent avoir confisqué
20 passeports de peur de départs vers la Syrie, ce qui porte le
total de la mesure à 90 en tout.
En
janvier 2014, après le déclenchement des combats contre l'EIIL,
Yusuf Ali, un Australien, et son épouse, sont tués à Alep. Tyler
Casey est entré en Syrie entre juin et août grâce à l'aide
d'Alqudsi, arrêté en décembre 2013 à Sydney. Il combattait au
sein du front al-Nosra. Né aux Etats-Unis, Yusuf a ensuite gagné
l'Australie avec ses parents et a été élevé comme chrétien.
Quand ses parents se séparent, lorsqu'il a 13 ans, il gagne les
Etats-Unis avec sa mère. Il regagne l'Australie à 17 ans et se
convertit à l'islam. En novembre 2011, il épouse Amira Ali à
Sydney, qui est donc morte avec lui en Syrie. Yusuf est donc le 7ème
Australien dont on est sûr qu'il ait bien été tué sur place29.
La
Suède : un profil de combattants très ciblé
En
avril 2013, le service de sécurité suédois estime que 30 personnes
ont déjà rejoint les insurgés syriens30.
L'auteur de l'article de référence sur la question a identifié
personnellement 18 Suédois qui, à coup sûr, ont gagné la Syrie.
Presque toutes ces personnes viennent du sud-ouest de la Suède, et
plus de la moitié des faubourgs de Gothenburg, la seconde ville du
pays. 11 sont originaires des faubourgs d'Angered et Bergjsön. Les
liens d'amitié jouent incontestablement : trois candidats
appartenaient ainsi au même cercle d'arts martiaux. D'autres
fréquentaient une mosquée radicale bien connue de Gothenburg, la
Bellevue Masjid. Seul l'un des hommes concernés avait un lien direct
avec la Syrie, où il est entré en juin 2013. Un tiers des personnes
est né en Suède de parents immigrés. Le reste provient de
différents pays : Irak, Jordanie, Kosovo, Maroc et même
Philippines. Pourtant au moins 10 sont d'origine libanaise (dont 2
qui étaient peut-être Palestiniens). Un seul à des origines
familiales suédoises. Ce sont tous des hommes : l'âge moyen
est de 23,5 ans. La plupart viennent de familles avec de nombreux
enfants et à faible revenu ; 8 étaient sans emploi ou revenu
d'aucune sorte. 8 étaient également connus pour délinquance, dont
4 pour des affaires de drogue et 3 pour des violences. L'un des
volontaires, Abo Isa, était un criminel endurci : il a fait
trois fois de la prison et a été condamné en tout à 15 reprises.
Sur
ces 18 Suédois, 8 ont été tués en Syrie. Abu Kamal est victime
d'un éclat d'obus de char à Alep, en janvier 2013. A la mi-mars,
une vidéo le présente comme un membre de Kataib al-Muhajirin ;
un Britannique a d'ailleurs péri au cours de la même opération.
Abu Omar, lui, est tué en avril 2013 par une roquette de RPG ;
là encore, il aurait servi avec un groupe radical. Abu Dharr, qui
avait réalisé la première vidéo de propagande en suédois, est
tué en avril 2013. Abu Abdurahmann a été tué en juin 2013 dans la
province d'Idlib ; il faisait lui aussi partie de Kataib
al-Muhajirin. Deux frères, Abu Maaz et Abu Osman, ont également
péri en Syrie. Ils ont été tués lors de l'attaque d'un checkpoint
du régime près d'Abu Zeid, à proximité du Krak des Chevaliers,
dans la province de Homs. Abu Maaz est mort au volant de la voiture
kamikaze qu'il conduisait et son frère aîné dans les échanges de
tirs qui ont suivi ; ils servaient dans Jund al-Sham. Un autre
frère avait été tué 18 mois plus tôt, en 2012, lors
d'affrontements sectaires à Tripoli, au Liban. Abu Omar Kurdi a lui
été tué en août 2013 durant l'assaut de la base aérienne de
Minnagh. En plus des 8 morts recensés, deux autres pourraient bien
avoir été Suédois : Adam Salir Wali, tué par une grenade le
29 mars 2013 (le seul Suédois qui aurait rejoint l'Armée syrienne
libre et pas un groupe radical), et Abu Mohammad al-Baghdadi, tué
fin août 2013. Tous les Suédois ont rejoint, à l'exception de
Wali, des groupes radicaux : al-Nosra, Kataib al-Muhajirin et
Jund al-Sham. Certains se sont même ralliés à l'EIIL. Plusieurs
sont fortement suspectés de crimes de guerre.
9
des 18 Suédois identifiés étaient précédemment liés au
terrorisme ou au djihadisme. Isa al-Suedi est le frère cadet d'un
homme condamné pour la préparation d'une attaque du type Mumbaï
contre un quotidien danois, avec trois autres hommes, à partir de la
Suède. Il avait été arrêté à la frontière somalienne en 2007
et au Waziristan en 2009. Abu Omar était le fils d'un djihadiste
albanais du Kosovo. Un des oncles de la fratrie est emprisonné pour
avoir participé à la préparation d'un attentat contre des trains
en Allemagne en mai 2006 ; un autre était le quatrième
responsable hiérarchique du mouvement libanais Fatah al-Islam et a
été tué par l'armée libanaise en mai 2007. Abu Dharer Filippino
annonce depuis la Syrie, fin octobre 2012, qu'il a été entraîné
au Pakistan en 2001 par le LeT. Il est retourné en Suède au
printemps 2013 et fait depuis une intense propagande pour le djihad.
Le profil type des volontaires suédois est donc assez ciblé : un
homme jeune, du sud-ouest de la Suède, probablement des faubourgs de
Gothenburg, d'une famille immigrée mais pas syrienne, sans emploi,
déjà condamné pour délinquance. Des amis ou des parents peuvent
le relier au terrorisme ou au djihadisme.
Les
Tchétchènes et les Nord-Caucasiens : peu nombreux mais
influents
Avant
de parler de la présence des Tchétchènes, il faut signaler qu'une
diaspora tchétchène est présente en Syrie depuis le XIXème siècle
(1866) suite à un déplacement forcé de population sous l'Empire
ottoman. Les familles tchétchènes se sont installées à la fois
dans le nord (Qamichli, Raqqa) et le sud (Kouneitra) du pays. Il y
aurait eu encore 7 à 8 000 Tchétchènes en Syrie au déclenchement
du conflit en 2011. En avril 2013, un spécialiste estimait qu'un
très petit nombre seulement avait rejoint l'insurrection, alors que
certains combattent au sein des forces du régime31.
Source : http://chechen.org/wp-content/uploads/2013/08/Abu-Umar-Shishani.jpg |
Les
Tchétchènes figurent également parmi les étrangers partis
rejoindre l'insurrection syrienne32.
Les premiers combattants nord-caucasiens sont signalés dès le mois
d'août 2012. Le départ de volontaires en Syrie n'est pas sans
entraîner des discordes, notamment parmi les Tchétchènes et les
Ingouches, car le combat local est toujours considéré comme plus
important, face à la Russie, que les guerres extérieures comme le
conflit syrien. Rustam Gelayev a été le premier tué tchétchène
en août 2012. Depuis, les Tchétchènes ont notamment formé
l'ossature du groupe Jaysh al-Muhajireen wal al-Ansar, dont une
partie a rallié l'EIIL en novembre 2013 (voir ci-dessous). On trouve
en Syrie non seulement des Tchétchènes et des Nord-Caucasiens issus
de la région en question, mais également des membres des
communautés en exil ou de réfugiés proches des frontières du
Caucase33.
Le recrutement se fait donc dans les Tchétchènes d'Europe, ceux qui
étudient dans les pays arabes, ou bien aussi parmi ceux de Géorgie.
En plus des Tchétchènes, il faut ajouter que le FSB russe a reconnu
dès le mois d'août 2013 que 200 citoyens du Dagestan combattaient
probablement en Syrie. Un réseau de recrutement se serait installé
en Russie pour débaucher des Nord-Caucasienss, des citoyens d'Asie
Centrale et du Tatarstan. Le réseau serait dirigé par un salafiste
vétéran de l'Afghanistan, un Tatar du nom de Salman Bulgar34.
Trois
commandants, l'émir Muslim, l'émir Seifullah et l'émir Abu-Musaaba
ont gagné la Syrie le 31 octobre 2013 et ont formé un nouveau
groupe sous l'autorité de l'émir Muslim, qui dirigeait précédemment
Jundu Sham. Muslim a probablement attiré à lui certains combattants
servant sous les ordres de l'émir Umar Shishani, des hommes qui ont
combattu en Tchétchénie ou au Daghestan. Ce sont des combattants
expérimentés qui par ailleurs savent aussi que l'émir Muslim a des
liens importants avec des bailleurs de fonds du Moyen-Orient, depuis
l'époque d'Ibn al-Khattab.
Des
Arabes remplacent les combattants qui quittent Umr Shishani, mais
celui-ci aura du mal à maintenir la cohésion d'un groupe composé
d'hommes dont il ne parle pas forcément la langue. La plupart des
volontaires tchétchènes d'Europe semblent cependant rejoindre ce
groupe. En décembre 2013, l'émir Muslim revendique 1 500
combattants tandis que Shishani en alignerait 600. Les deux groupes
comprennnent à la fois des Tchétchènes, d'autres nationalités du
Caucase et des Arabes, syriens ou non. Il existe aussi d'autres
groupes avec des Tchétchènes. Abu Musa, qui est arrivé en Syrie en
2012, dirigerait un groupe de 300 hommes. Le groupe Jamaat du
Caliphat de l'émir Abdulkhakim compterait 100 militants. Si Shishani
reconnaît l'autorité de Doku Umarov, le chef de l'insurrection
tchétchène contre les Russes, ce n'est pas le cas de Muslim. En
outre, Shishani est intégré dans la structure de l'EIIL,
contrairement à Muslim. L'émir Salaudin, le représentant d'Umarov
en Syrie, est devenu le chef des volontaires caucasiens. De
Tchétchénie même, l'afflux s'est accru depuis cet automne mais ne
concerne pour l'instant qu'un maximum de 100 personnes, dont
peut-être quelques femmes. Mais les Tchétchènes ont intégré les
groupes les plus puissants de l'insurrection et leur influence est
sans doute sans rapport avec leur nombre réel.
En
février 2014, les Tchétchènes et les autres Nord-Caucasiens
opèrent au sein de 4 groupes, tous commandés par des Tchétchènes :
Omar al-Shishani (Shishani signifiant « le Tchétchène »),
Seyfullakh al-Shishani ( (tué le 6 février lors de l'assaut de la
prison centrale d'Alep), Amir Muslim et Salahuddin al-Shishani35.
Omar al-Shishani est un Tchétchène du village de Jokolo, de la
gorge de Pankisi, en Géorgie. Il a servi en Abkhazie en 2006-2007
mais n'a pu intégrer l'armée géorgienne en raison d'une
tuberculose. Arrêté pour achat et détention illégale d'armes, en
septembre 2010, il gagne l'Egypte une fois relâché. Il passe en
Syrie via la Turquie, combat à Alep dès septembre 201236
et fonde Jaysh al-Muhajireen wa’l-Ansar (qui aurait compté jusqu'à
3 000 combattants du Caucase, d'Ukraine, de Crimée et de pays
arabes), puis devient ensuite émir du nord de la Syrie pour l'EIIL
en avril 2013. Son second est Abou Jihad Shishani, qui devient
influent après la prise de la base aérienne de Minnagh, au mois
d'août 2013. Seyfullakh, un Tchétchène de Pankisi réfugié en
Turquie, faisait partie du groupe d'Omar jusqu'à ce qu'il fasse
scission en septembre 2013 pour fonder sa propre force avec quelques
douzaines de combattants. Il avait rallié le front al-Nosra le 31
décembre 2013, après avoir participé à la prise de l'hôpital
al-Kindi, bastion du régime à Alep37.
Il est tué dans l'assaut sur la Prison Centrale de la ville, le 6
février dernier. Salahuddin avait récupéré une bonne partie des
combattants d'Omar en novembre 2013 : en effet, ceux-ci avaient
refusé de prêter allégeance à l'émir de l'EIIL, Baghdadi, se
considérant déjà liés à l'émir du Caucase, Oumarov. D'autres ne
voulaient tout simplement pas être incorporés dans l'EIIL. Amur
Muslim, un Tchétchène de Pankisi, est vétéran des deux guerres en
Tchétchénie. Il avait été arrêté par les Russes en 2008 mais
assez étrangement vite relâché. Il dirige son propre groupe, Jund
al-Sham, dans la province de Lattaquié. Il est surnommé « Spoka »
(le sommet de la colline, en russe) après avoir capturé les
villages alaouites sur les hauteurs durant une offensive dans cette
province. Muslim a servi dans les forces de défense aérienne
soviétiques en Mongolie, puis en Tchétchénie au sein de
l'insurrection, aux côtés de combattants arabes. Il a participé à
l'assaut sur la Prison Centrale d'Alep aux côtés du front
al-Nosra38.
Il
existe d'autres formations comprenant des Tchétchènes ou des
Nord-Caucasiens, moins importantes. Jamaat Sabiri est un groupe
incluant surtout des Ouzbeks et dirigés par Abdullah al-Tashkenti,
un chef dont on sait peu de choses et qui est mort durant l'assaut
sur la Prison Centrale d'Alep. Le groupe a combattu aux côtés
d'Omar Shishani et prétend disposer de camps d'entraînement en
Syrie. Le groupe Khalifat jamaat combat également le régime
syrien ; son chef, Abdul Hakim Shishani, reste assez
mystérieux39.
Récemment, on a vu apparaître sur les réseaux sociaux des
djihadistes russophones un groupe dirigé par un Dagestanais, Abu
Hanif, qui fait partie de l'EIIL mais conserve une organisation
distincte en raison de la proximité culturelle et linguistique de
ses membres. Les combattants du groupe viennent de Russie, du
Nord-Caucase et du Kazakhstan. Le groupe a été l'origine fondé
dans la province d'Alep par Abu Hanif et un autre Dagestanais, Abu
Banat40.
Plus
originale encore, l'histoire de ce kamikaze, Abu Khalid, qui se fait
sauter le 25 avril 2013 à Alep. Ramazan, originaire de Nizhnegorsk
en Crimée, est un Tatar dont le profil ne correspond pas à celui de
la majorité des combattants nord-caucasiens. D'âge mûr, il fait
partie de Jaish al-Muhajireen wal-Ansar, d'Omar ash-Shishani :
c'est avec ce groupe qu'il va conduire un camion bourré d'explosifs
contre l'hôpital al-Kindi. On pense que quelques Tatars de Crimée
combattent ou ont combattu en Syrie. Les autorités tatares locales
accusent le groupe islamiste radical Hizb ut-Tahrir de conduire le
recrutement, de même que les médias ukrainiens, qui évoquent en
avril 2013 la mort de Abdullah Jepparov, de Belogorsk, en Crimée,
tué en Syrie. Abullah aurait été recruté par Hizb ut-Tahrir avec
6 autres Tatars de Crimée, puis transporté en Turquie avec eux, et
de là en Syrie41.
La
majorité des Tchétchènes présents en Syrie (de 400 à 1 000) est
au départ constituée d'étudiants en Syrie ou en Egypte, au
déclenchement de la révolution, qui ont contribué à attirer les
autres. Les Tchétchènes de Pankisi ont aussi beaucoup plus de
facilité à gagner la Syrie que le Nord-Caucase, paradoxalement.
D'autres viennent des 150 à 250 000 Tchétchènes réfugiés en
Europe. Très peu de volontaires sont donc issus de la Tchétchénie
à proprement parler. Les volontaires sont formés pendant un mois à
un mois et demi, sauf pour ceux qui ont au moins un an d'expérience
du combat. Ils sont étroitement limités dans leurs déplacements
les 4 premiers mois. Manifestement, les Nord-Caucasiens cherchent à
créer en Syrie des camps d'entraînement pour le combat dans le
Nord-Caucase, où il est difficile d'installer de telles structures.
Quelques volontaires seraient déjà retournés au Nord-Caucase.
Les
Allemands : la poursuite de la radicalisation
L'Allemagne,
contrairement à la France ou au Royaume-Uni au sein de l'UE, s'est
opposée à l'envoi d'une aide militaire ou à une intervention
directe pour renverser Bachar el-Assad. Ce qui n'a pas empêché un
nombre croissant d'Allemands de rejoindre le djihad en Syrie42.
Les médias allemands parlent d'ailleurs depuis quelques mois d'un
véritable « camp d'entraînement » allemand en
Syrie destiné à attirer les volontaires pratiquant la langue de
Goethe. Le phénomène n'est pas nouveau. En 2009, un camp
« allemand » s'était ainsi installé au Pakistan
pour alimenter le Mouvement Islamique d'Ouzbékistan lié à
al-Qaïda. En 2012, le renseignement allemand évoque une véritable
« colonie salafiste » allemande en Egypte,
comprenant plus de 60 combattants, dont le fameux rappeur Denis
Cuspert (« Deso Dogg ») qui avait échappé à la
surveillance des services de sécurité allemands et qui combat
maintenant en Syrie. A la mi-novembre, la police allemande indique
d'ailleurs que « Deso Dogg » compte mener des
attaques contre l'Allemagne, ce que celui-ci dément aussitôt dans
une vidéo. Des rumeurs font état de son décès à la fin novembre
2013 mais il semblerait plutôt qu'il soit hospitalisé en Syrie ou
bien en Turquie.
Les
Allemands, selon un spécialiste, ne se trouvent pas en majorité
dans le front al-Nosra et l'EIIL, qui, victimes de « l'espionnite »,
se méfient par exemple des nouveaux convertis comme « Deso
Dogg ». Les services de sécurité allemands avaient déjà
été mis sur la sellette dès 2012 par le New York Times qui
affirmait qu'un Tunisien qui aurait peut-être servi de garde du
corps à Ben Laden un an avant les attentats du 11 septembre avait
tranquillement vécu en Allemagne pendant un certain temps. Sami A.,
du fait de son expérience et de son entraînement dans les camps
d'Affghanistan, aurait constitué une source d'afflux de volontaires
pour le djihad. La dernière estimation fait état de 230 Allemands,
selon l'hypothèse haute, qui seraient partis en Syrie. En mars 2013,
le nombre n'était que de 60, avant de passer à 150 en août. Le
länder de Hesse a dû installer un dispositif spécial de
surveillance pour freiner les départs d'adolescents vers le djihad
syrien. Sur 23 cas étudiés, la plupart des recrues ont moins de 25
ans et 9 sont encore à l'école. Le ministre de l'Intérieur a donc
créé un dispositif pour différencier les tendances radicales parmi
les candidats au départ, sur le modèle de ce qui a été fait pour
les mouvements néonazis ou d'extrême-droite.
Des
combattants allemands auraient aussi participé à des massacres de
chrétiens syriens. L'Allemagne craint que le retour de ces
combattants ne radicalise la frange salafiste et la tension est vive
avec la Turquie, accusée d'avoir maintenue une frontière poreuse
avec la Syrie et d'avoir favorisé l'accès des volontaires européens
au champ de bataille syrien.
En
février 2014, une vidéo confirme que Deso Dogg, alias Abu
Talha al-Almani, a survécu à ses blessures reçues en novembre 2013
après un raid aérien, dans le nord de la Syrie. Denis Cuspert, de
son vrai nom, né en 1975 à Berlin, avait abandonné le rap en 2010
pour se convertir en prêcheur islamique. Fin 2011, il se lie avec
Mohamed Mahmoud, alias Abu Usama al-Gharib, un Autrichien d'origine
égyptienne. Ce dernier, condamné à la prison en 2008, dirige une
plate-forme de propagande djihadiste. Il avait quitté l'Autriche
pour Berlinb après sa sortie de prison en septembre 2011. Avec
Cuspert, il gagne le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie où ils
fondent une association salafiste, Millatu Ibrahim. En juin 2012, les
autorités allemandes interdisent l'association après des
affrontements entre salafistes et policiers à Bonn, qui font deux
blessés parmi ces derniers. Cuspert, qui prend alors le nom de
guerre de Abu Talha al-Almani, quitte l'Allemagne. Cuspert gagne la
Syrie à l'été 2013, mais dans ses vidéos de propagande, comme
celle de novembre 2013, il ne prêche pas pour un retour en Allemagne
afin d'y prolonger le djihad ; son but est d'encourager des
Allemands à venir se battre en Syrie. En février 2014, on le voit
distribuer des vêtements d'hiver à des enfants dans les zones
contrôlées par les rebelles ; les dons viennent d'Allemagne et
les vêtements ont été fournis par le front al-Nosra. Les autorités
allemandes estiment alors qu'au moins 270 personnes sont impliquées,
depuis 2011, dans le djihad en Syrie43.
Selon
les autorités allemands, les volontaires bénéficient d'un
important soutien financier de la communauté musulmane. Des
millieurs d'euros sont collectés par donations. Un camp
d'entraînement pour les volontaires allemands a été établi dans
le nord de la Syrie, et accueillent des Allemands qui viennent
surtout du land de Rhénanie du Nord-Westphalie (où vit un tiers de
la communauté musulmane germanique). D'autres viennent de la Hesse,
de Berlin, de Bavière et de Hambourg. Un centre d'information aurait
même été bâti sur place pour diffuser de la propagande pour le
djihad en Allemagne. Les volontaires seraient recrutés par les
prêches des imams radicaux et par sollicitation sur Internet44.
Les
volontaires d'Asie Centrale
Le
nombre de combattants étrangers originaires d'Asie Centrale a grimpé
en 2013, et ceux qui reviennent risquent de relancer la
déstabilisation des régimes en place après leur expérience
syrienne45.
En mars 2013 déjà, le groupe Jaysh al-Muhajirin wal-Ansar, dominé
par les Tchétchènes et les Nord-Caucasiens, annonçait déjà avoir
incorporté des combattants d'Asie Centrale. Deux mois plus tard, un
journal tadjik confirme que des citoyens de ce pays sont passés par
des camps d'entraînement en Syrie. En juin, c'est un site ouzbek qui
confirme que des Tadjiks ont gagné la Syrie et que les recruteurs
puiseraient aussi dans les travailleurs saisonniers qui partent en
Russie. Un an plus tôt, en 2012, un reportage du Guardian
mentionnait un contrebandier turc travaillant avec les djhadistes qui
affirmait voir de nombreux Ouzbeks franchir la frontière nord de la
Syrie.
Ce
même mois de juin 2013, le Kazakhstan arrête 8 de ses citoyens qui
cherchaient à se procurer des fonds pour financer un voyage en
Syrie. En juillet, un Kazakh surnommé Abu Muadh al-Muhajir appelle
depuis Damas, via une vidéo, ses compatriotes à se lancer dans le
djihad. Un Kazakh reconnaît également son petit-fils dans une vidéo
de l'EIIL, en octobre 2013 ; celui-ci se serait radicalisé
après être parti au Moyen-Orient avec femmes et enfants pour
trouver du travail46.
Le Kirgizstan reconnaît pour sa part qu'une vingtaine de nationaux
sont probablement partis se battre en Syrie et mentionne aussi en
détenir d'autres arrêtés dans les aéroports. Dès 2011, des
citoyens d'origine ouzbèke du sud du pays partent faire le djihad
contre Bachar el-Assad. 6 jeunes hommes sont ainsi recrutés par des
salafistes russes, qui les rapatrient à Moscou puis les expédient
en direction de la Turquie47.
Le Mouvement Islamique d'Oubzékistan aurait lui aussi envoyé des
combattants en Syrie. L'un de ses membres confie même préférer
combattre les chiites et les alaouites syriens que les soldats
pakistanais sunnites, aux côtés des talibans du Sud-Waziristan48.
Recruté par le front al-Nosra, il perd une jambe sous un obus
d'artillerie en juillet 2013. Il y a également des citoyens chinois.
3 autres combattants au moins ont rejoint le front al-Nosra ; un
réseau de recrutement de salafistes ouzbeks attirerait les
volontaires depuis la province de Hatay, en Turquie. En mars 2013, un
Han converti à l'islam, Yusuf al-Sini (Bo Wang), apparaît dans une
vidéo de Jaysh al-Muhajirin wal-Ansar. Une autre vidéo du front
al-Nosra semble mettre en scène un Ouïghour, baptisé le
« djihadiste chinois ». Le Parti Islamique du
Turkistan, basé au Pakistan et dirigé par des Ouïghours, aurait
acheminé des combattants en Syrie.
Il
semblerait que les volontaires d'Asie Centrale, en raison des
difficultés d'adaptation au contexte syrien, aient suscité un
profond ressentiment parmi la population du nord du pays, où ils
sont intervenus en majorité. C'est pourquoi les combattants syriens
les ont parfois incités à rentrer chez eux pour y poursuivre le
djihad. La Chine rapporte en juillet 2013 l'arrestation d'un étudiant
ouighour qui a étudié à Istanbul puis combattu à Alep et qui
aurait préparé des attaques dans le Xinjiang. 15 personnes à
l'origine d'une attaque contre un poste de police et ses environs à
Turpang, en juin, se seraient vu refuser le départ pour la Syrie et
aurait conduit une opération locale. Le 12 septembre, lors du sommet
de l'organisation de coopération de Shanghaï à Bishkek, le
Kirgizstan annonce avoir démantelé une cellule de l'Union du Djihad
Islamique qui aurait visé le sommet. Par ailleurs, on sait de longue
date que plusieurs milliers de combattants d'Asie Centrale
interviennent en Afghanistan, notamment les membres du Mouvement
Islamique d'Ouzbékistan, sur les frontières nord du pays, dans les
provinces de Kunduz et Takhar.
Les
Turcs : des réseaux organisés ?
Depuis
trois décennies, des Turcs participent aux conflits extérieurs
impliquant des combattants étrangers. Ils ont combattu en
Afghanistan (contre les Soviétiques puis les Occidentaux), en Irak,
en Bosnie, et dans le Nord-Caucase, certains ayant même occupé de
hautes fonctions dans les groupes armés. Cevdet Doger, alias Emir
Abdullah Kurd, était le commandant en second des combattants du
Nord-Caucase avant sa mort en mai 2011. En août 2012, un journaliste
turc rapportait la mort de 4 combattants turcs près d'Alep, où
opérait alors au moins 50 hommes de même nationalité49.
Les
djihadistes proposent un large éventail de données en ligne en
langue turque, comme le font les pages Facebook d'al-Nosra ou
de l'EIIL. Des vidéos de combattants turcs, justifiant leur action
et appelant les volontaires au djihad, sont mises en ligne
régulièrement. L'émir Seyfullah, un Tchétchéne qui a vécu en
Turquie et qui dirige une fraction dissidente du groupe Jaysh
al-Muhajirin wa Ansar, groupe désormais rallié à l'EIIL, s'est
directement adressé aux Turcs dans une vidéo datée de juillet
2013. De nombreux combattants du Nord-Caucase vivaient encore en
Turquie ces dernières années. Une vidéo postée également en
juillet 2013 dresse la liste de 27 « martyrs »
turcs tombés en Syrie, la plupart venant de l'est du pays :
Gazianatep, Diyarbakir, Adana. L'âge des martyrs va de 17 ans à des
personnes beaucoup plus âgées.
Ahmet
Zorlu, 30 ans, alias Emir Ahmed Seyyaf, a été tué avec 4 autres
Turcs lors d'une opération à Han el-Asel, près d'Alep. Arrivé en
Syrie quelques mois plus tôt, Zorlu dirigeait vraisemblablement un
groupe composé de combattants turcs. Abdurrahman Koc, originaire de
la province d'Adiyaman, était un homme âgé chef d'une association
religieuse. Il est arrivé en Syrie en janvier 2013 et a été tué
par un sniper lors du siège de la base aérienne de Minagh,
en juillet. Un de ses associés, Yakup Senatas, d'origine kurde, a
également été tué le 25 juillet au même endroit. Metin Ekinci a
été tué un an plus tôt, en juillet 2012, à Alep. Membre d'une
organisation religieuse plutôt modérée, il est surtout le frère
d'Azaz Ekinci, impliqué dans l'attentat contre l'immeuble d'HSBC à
Istanbul le 20 novembre 2003, une des attaques organisées par
al-Qaïda dans la ville qui ont coûté la vie à 57 personnes.
Les
Belges : le poids de Sharia4Belgium
La
Belgique a de longue date une relation duale avec ses immigrés
maghrébins ou turcs. Dans la décennie 1960, l'immigration marocaine
et turque a été encouragée, de façon à fournir une main d'oeuvre
peu onéreuse pour l'industrie du charbon et de l'acier, ce qui a
permis à la Belgique de tenir son rang dans la construction
européenne. Le déclin de l'industrie lourde n'a pas entraîné le
départ de ces immigrés. Aujourd'hui, certaines personnes des
troisième et quatrième générations se trouvent en marge de la
société belge. Une partie de la jeunesse immigrée d'origine
marocaine bascule dans la délinquance dès les années 1980-1990.
Capitalisant
sur ces difficultés d'intégration, le parti Sharia4Belgium
est né le 3 mars 2010. Son porte-parole salafiste, Fouad Belkacem,
est persona non grata sur la place publique. Après plusieurs
actions judiciaires et sous la pression publique, le parti est
finalement dissous le 7 octobre 2012. La guerre en Syrie fait alors
rage depuis un an et demi. Il faut attendre quelques mois pour
obtenir les premières informations à propos des volontaires belges
et néerlandais partis rejoindre le djihad en Syrie. En ce qui
concerne la Belgique, les premières personnes sont identifiées en
mars 2013, notamment par la langue flamande sur des vidéos postées
depuis la Syrie. Les parents de Brian De Mulder et Jejoen Bontinck
reconnaissent leurs fils sur des vidéos. Le parti d'extrême-droite
Vlaams Belang réussit à embrigader une des familles pour sa
propagande tandis que le père de Bontinck se rend en Syrie pour
chercher son fils. Tous blâment Sharia4Belgium50.
Le
10 avril 2013, un hebdomadaire belge publie un article sur les
djihadistes nationaux, affirmant que 12 d'entre eux ont déjà été
tués (chiffre toujours non confirmé). En juin, deux journaux
apportent des précisions sur le contingent après la mort d'Abd
ar-Rahman Ayashi, un Franco-Syrien qui avait quitté la Belgique en
2012 après avoir purgé 8 ans de prison. Il était devenu chef de
bataillon au sein du groupe Suqour as-Sham, menant pas moins de 600
hommes au combat. Il était le fils du cheikh Bassam Ayashi, un
Syrien de Molenbeek, à Bruxelles. La famille est surveillée par les
autorités belges depuis au moins septembre 2009. Quelques mois plus
tôt, l'ami d'Ayashi, le Français Raphaël Gendron, avait également
été tué en Syrie. Parmi les autres Belges morts au combat, il y a
aussi Nur ad Din Abouallal, membre de Sharia4Belgium, tué le
25 juillet 2013. 33 autres membres du groupe, en septembre,
combattaient encore en Syrie, dont Hussyan Elouassaki, alias Abu
Fallujah, qui dirigerait la brigade Ansār Majlis Shūra
al-Mujahidīn, près d'Alep, qui a commis des décapitations. On
évalue alors à 150 à 200 le nombre de Belges déjà partis en
Syrie.
Le
13 janvier 2014, le ministre des Affaires Etrangères confirme que
plus de 200 Belges ont gagné la Syrie depuis le début du conflit,
et qu'au moins 20 y ont été tués51.
Pour Petier van Ostaeyen, spécialiste du sujet, ce serait en fait
34852
Belges qui auraient rejoint la Syrie depuis le début du conflit53 :
sur les 72 identifiés via les médias, 29 sont impliqués avec
Sharia4Belgium, dont 11 ont rejoint l'EIIL et au moins un
al-Nosra. Pour le reste de l'échantillon, il est très difficile de
savoir quels groupes armés les volontaires ont rejoint (moins de 10%
de l'ensemble : 21 avec l'EIIL, 5 avec al-Nosra, 5 avec Suqur
as-Sham et 1 avec Liwa Shuhada Idlib). 18 sont dans la province
d'Alep, 9 dans celle d'Idlib. 5 ont 16 ans et viennent de Bruxelles
et Vilvoorde. L'âge des combattants va de 15 à 68 ans (si l'on
inclut le cheikh Bassam al-Ayashi ; sinon il tombe à 38). L'âge
moyen est à 23,5 ans. 17 mineurs au moins sont partis, dont 4 sont
revenus ; 1 a été ramené par sa mère. 10 viennent de
Bruxelles ou Vilvoorde, une cité proche. Sur 81 volontaires dont les
villes de départ sont identifiées, 29 viennent de Bruxelles, 18 de
Vilvoorde, 12 d'Anvers et 14 de Mechelen. Un axe
Anvers-Mechelen-Vilvoorde-Bruxelles se dessine donc sur la carte. Au
moins 29 des volontaires sont revenus en Belgique (dont 4 refoulés à
la frontière turque). L'un d'entre eux, Hakim Elouassaki, a été
blessé et il est revenu pour se soigner. Le 23 janvier dernier, deux
femmes de combattants, enceintes, ont été rapatriées, en accord
avec les autorités, probablement en échange de renseignements sur
leurs maris (qui appartiennent à Sharia4Belgium). On sait que
9 membres de l'organisation sont revenus, tout comme 6 autres qui
faisaient partie de l'EIIL et 2 d'al-Nosra. Les plus gros contingents
de retour sont à Anvers et Vilvoorde. 7 membres de Sharia4Belgium,
6 habitants de Bruxelles, 6 de Vilvoorde et au moins un de Maaseik et
un autre de Mechelen ont été tués ; en tout, il y a 24
(peut-être 26) morts depuis décembre 2012, soit un peu plus de 10%
du total (8 membres de Sharia4Belgium, 6 résidents de Bruxelles, 6
résidents de Vilvoorde, un de Maaseik, un autre de Mechelen)54.
Près de 270 Belges seraient toujours en Syrie.
Peter
van Ostaeyen présente également quelques exemples de Belges partis
se battre en Syrie. Te Ou, 19 ans, originaire de Vilvoorde, est
actuellement à Alep, où il combat pour l'EIIL. Abu Houdaifa Ahmed,
dont la famille est d'origine marocaine (et sans doute berbère), a
21 ans : lui aussi combat à Alep, comme la majorité des Belges
d'ailleurs, et a un frère qui serait en Afghanistan. Abu Sulayman
al-Muhajir, d'origine algérienne, est parti avec sa femme à Alep en
août 2013. Un de ses frères combattrait aussi en Syrie. Younes
(Michaël) Delefortrie, un converti d'Anvers, est un membre connu de
Sharia4Belgium : en 2011 il avait été arrêté en
possession d'une AK-47. Il a combattu à Alep mais est revenu en
Belgique après le déclenchement des combats contre l'EIIL, le 3
janvier ; arrêté par la police, il nie avoir combattu en
Syrie. Abdel Monaïm, d'origine marocaine, 32 ans, a été tué en
janvier 2014 : on le décrivait plus comme un aventurier que
comme un islamiste radical. Abu Sulayman al-Baljiki, 36 ans, est le
Belge le plus âgé faisant partie de l'EIIL. Originaire de
Bruxelles, il combat dans un groupe de Franco-Belges présent à
Homs, puis à Alep. Abu al-Maqdad Muhajir, d'origine marocaine
(berbère), combat à Alep et à la particularité de parler arabe,
français et néerlandais. Abu Jihad al-Baljiki est l'un des rares
membres de Sharia4Belgiumà avoir rejoint al-Nosra. Ismail
Mujahid, 17 ans, a quitté Bruxelles pour la Syrie en avril 2013 avec
son ami Bilal. Son frère Zakaria, 23 ans, était déjà en Syrie.
Bilal est revenu en Belgique après quelques mois mais Ismail, lui,
est resté avec l'EIIL. Hisham Chaib, 30 ans, d'Anvers, était l'un
des gardes du corps du chef de Sharia4Belgium, Fuad Belkacem.
Il avait passé deux mois en prison début 2013 pour son rôle dans
les émeutes de Borgerhout à Anvers55.
Les
Espagnols
En
décembre 2013, les spécialistes espagnols estimaient que 17
personnes avaient fait le voyage pour combattre en Syrie au sein des
groupes djihadistes56.
Les agences de sécurité du Maroc ont également identifié 3
résidents espagnols supplémentaires qui sont partis faire le djihad
en Syrie57.
11 sont des citoyens espagnols et les 9 autres des immigrés
marocains vivant en Espagne. La plupart viennent de Ceuta, l'enclave
espagnole en territoire marocain, qui compte 85 000 habitants, dont
37% de musulmans. Les Espagnols de Ceuta qui commencent à partir en
Syrie à partir du mois d'avril 2012 appartiennent aux classes
sociales les plus pauvres. Les Marocains sont aussi partis de villes
du continent comme Girona et Malaga. Ce sont tous des hommes, âgés
de 16 à 49 ans, la plupart ont entre 25 et 30 ans et sont mariés.
La plupart sont chauffeurs de taxis, travailleurs non qualifiés,
étudiants ou sous emploi. Sauf 3 ou peut-être 4 d'entre eux, aucun
n'avait de lien particulier avec les réseaux djihadistes
(probablement, même, 19 sur les 20). Au moins deux avaient cependant
participé à des manifestations djihadistes qui se tiennent depuis
2008 à Ceuta et dans une municipalité de la province de Cadix.
Plusieurs avaient participé à des échauffourées contre la police
à Principe Alfonso, un faubourg de Ceuta, et à du trafic de drogue.
L'exception est Mouhannad Almallah Dabas, un Syrien naturalisé
espagnol qui a fait partie de la cellule espagnole implantée par
al-Qaïda dès le milieu des années 1990 avant d'être démantelée
en novembre 2001. Dabas a été arrêté et jugé pour les attentats
de Madrid en 2004, avant d'être relâché. Il est ensuite parti en
Syrie où il se charge des activités logistiques pour le front
al-Nosra, en compagnie de son jeune fils. Il a été tué à Homs en
octobre 2013 au sein du front al-Nosra.
Ceuta
a connu des implantations djihadistes par le passé. En 2006, les
autorités espagnoles conduisent l'opération Duna et arrêtent 10
Espangols et 1 Marocain suspectés d'activités terroristes, même si
9 sont finalement relâchés. En 2007, trois autres personnes sont
également arrêtées. Entre juin et septembre 2013 enfin, ce sont 10
personnes qui sont appréhendées et qui appartiennent à un réseau
organisé, avec des connections internationales, chargé de
radicaliser des recrues et de les expédier en Syrie, dans le cadre
de l'opération Cesto. Parmi les personnes arrêtées, 9 Espagnols de
Ceuta et un Belge. C'est cette opération qui permet d'identifier le
20 djihadistes déjà partis en Syrie58.
Les
Espagnols rejoignent surtout al-Nosra ou l'EIIL, voire le groupe
Harakat al-Sham composé de Marocains. Ceux qui manquent d'expérience
djihadiste subissent un processus de radicalisation à Ceuta ou dans
des communes marocaines voisines comme Castillejos. On sait ainsi
qu'un imam marocain radical venu de Tétouan, arrêté après les
attentats de Casblanca en 2003, a prêché en juin 2012 dans la
mosquée Attauba de Principe Alfonso à Ceuta. Plusieurs djihadistes
partis en Syrie se rendaient à cette mosquée59.
Deux ou trois agents recruteurs opèrent à travers la frontière au
sein d'un réseau hiérarchisé : on encourage le volontariat en
fournissant de l'argent aux familles. Les volontaires gagnent
Algésiras en ferry, puis rejoignent Malaga ou Madrid où ils
prennent l'avion pour Istanbul. Une fois en Turquie, ils sont
acheminés dans la province frontalière d'Hatay où les membres des
groupes de recueil se chargent de leur faire passer la frontière.
Parfois les vols pour Istanbul partent de Casablanca. En Syrie, les
volontaires passent par des camps d'entraînement. Certains sont
affectés à des cellules kamikazes -trois cas ont été identifiés.
L'attaque kamikaze la plus meurtrière, qui aurait tué plus de 100
personnes, est intervenue en juin 2012 dans la province d'Idlib. En
plus des Espagnols ayant rejoint les groupes djihadistes, au moins 25
autres ont également rejoint précédemment l'Armée syrienne libre
et ont peut-être changé d'allégeance depuis.
Le
5 janvier 2014, la police espagnole arrête Abdelwahid Sadik Mohamed,
un des 20 djihadistes partis en Syrie, considéré comme étant lié
à l'EIIL60.
Il a été arrêté à sa descente d'avion à Malaga, en provenance
d'Istanbul. Originaire de Ceuta, Mohamed était parti en mai en Syrie
via la Turquie et a été formé dans les camps d'entraînement de
l'EIIL. La police espagnole a déjà arrêté plusieurs membres d'une
cellule qui recruterait à Ceuta, notamment des candidats aux
attaques kamikazes. Le chef, Yassin Ahmed Laarbi, a été arrêté en
septembre dernier, après 8 autres personnes en septembre.
Les
Egyptiens
Le
5 septembre 2013, un attentat à la voiture piégée a lieu à Nasr
City, un faubourg du Caire, visant le ministre de l'Intérieur.
L'attentat, qui blesse au moins 20 personnes, est revendiqué par
Ansar Bayt al-Maqdis, un groupe djihadiste du Sinaï. Deux mois plus
tard, les djihadistes postent une vidéo du kamikaze, Walid Badr,
ancien officier de l'armée égyptienne et surtout vétéran des
combats en Syrie61.
Le
conflit syrien fournit en effet une expérience appréciable aux
djihadistes égyptiens qui cherchent à déstabiliser le régime des
militaires. Selon le dernier décompte, entre 119 et 358 Egyptiens
auraient déjà pris part aux combats en Syrie. Un autre combattant
du même groupe, Saaed al-Shahat, avait tué un officier de police
et s'était fait sauter avec sa ceinture de bombes quand les forces
de sécurité avaient investi son appartement. Lui aussi était un
vétéran de la Syrie. Ansar Bayt al-Maqdis s'est imposé
progressivement comme le groupe le plus violent parmi la nébuleuse
djihadiste égyptienne : l'attentat à la voiture piégée du 24
décembre dernier à Mansourah montre que ses capacités ne cessent
de croître, peut-être sous l'influence du retour de combattants
partis en Syrie.
Des
centaines d'Egyptiens étaient partis combattre les Soviétiques en
Afghanistan à la fin de la décennie 1980. Les vétérans de ce
conflit avaient entretenu les rangs de deux organisations plus tard
liées à al-Qaïda, al-Gamaa al-Islamiyya et le Djihad Islamique
égyptien, qui avaient semé la terreur en Egypte dans les années
1990. Le renversement du président Morsi a fourni des munitions aux
djihadistes. Un idéologue, le cheikh Abou al-Mundhir al-Shinqiti, a
appelé à la guerre contre les services de sécurité ; l'EIIL
a proclamé son soutien à ses « frères »
égyptiens. Le 1er septembre 2013, les forces de sécurité
égyptiennes avaient arrêté Adel Habbara, qui serait lié à
al-Qaïda, aurait dirigé un groupe nommé Al-Muhajereen wal-Ansar
dans la péninsule du Sinaï, lequel serait responsable de
l'exécution de 25 soldats en août. Habbara aurait juré allégeance
à l'EIIL et se serait vu promis 10 000 dollars pour financer les
activités de son groupe armé. Les vidéos du groupe font de plus en
plus référence aux discours de Baghdadi, le chef de l'EIIL. En plus
des Egyptiens partis combattre en Syrie, le groupe recruterait
également parmi la communauté des réfugiés syriens arrivés en
Egypte depuis 2011. Le commandant de l'Etat Islamique en Irak,
l'ancêtre de l'EIIL, était d'ailleurs jusqu'à sa mort en avril
2010, un Egyptien, Abou Ayyoub al-Masri, un des bras droits de
Zarqawi62.
Les
Egyptiens qui partent combattre en Syrie proviennent donc de milieux
assez variés, même si leur profil comporte des points communs.
Aboubakr Moussa, tué au combat aux côtés de l'insurrection
syrienne, était diplômé d'une des meilleures écoles du Caire et
n'est devenu « religieux » qu'à son entrée à
l'université. A la mosquée, il rencontre un homme dont il épouse
la soeur, veuve d'un Tchétchène. Il tente de gagner la Tchétchénie
mais est refoulé par les autorités russes, puis emprisonné six
mois par la police égyptienne. Après s'être remarié, sa première
femme l'ayant quitté, il participe au renversement de Moubarak, puis
se trouve dans des convois humanitaires à destination de la Libye
-on ne sait pas s'il a pris part aux combats sur place. Il gagne
ensuite la Syrie via un réseau visiblement assez organisé et combat
à Damas, dans la province d'Idlib, à Homs, à al-Qusayr, avant
d'être tué le 1er septembre 201263.
Ahmed Refat, un djihadiste qui s'était échappé des prisons
égyptiennes à la faveur du renversement de Moubarrak, a été tué
en Syrie le 7 juillet 2012. Il avait lutté les armes à la main
contre Khadafi avant de rejoindre le djihad syrien64.
Abou Rami, âgé de 37 ans, a fait quatre voyages aller-retour en
Syrie en 2012, où il a gagné la confiance d'une association chargée
de maintenir l'ordre dans les territoires libérés par
l'insurrection. Il est entré par la Turquie, comme nombre de
combattants étrangers ; d'après lui le voyage coûterait 250
dollars en tout. Il a déclaré par ailleurs que les volontaires pour
le djihad en Egypte étaient des gens éduqués, sans problèmes
sociaux ni financiers. Dès février 2013, le gouvernement égyptien
a publié les noms de 10 citoyens nationaux tués au combat en Syrie.
Abou Rami en rajoutait 3 de plus, qui seraient entrés par le Liban
et seraient morts à Homs ce même mois. Abou Ahmed, un étudiant
égyptien de 34 ans en Angleterre, a quitté femme et enfant pour
rejoindre une brigade de l'Armée syrienne libre via le point de
passage de Bab el-Hawa à la frontière turque. Bien qu'affilié à
al-Gamaa al-Islamiyya, il prétend ne pas avoir utilisé ce réseau ;
c'est la rencontre d'un exilé repartant pour le djihad qui l'a
convaincu. Il a acheté une AK-47 appartenant à un combattant mort
700 dollars et a payé 80 dollars pour les munitions. Il a fait la
cuisine pour son groupe armé avant d'être engagé dans de petites
opérations et d'être blessé à la jambe, puis il a été soigné
et il est revenu en Egypte65.
Jérôme
Drevon66
explique également comment le conflit entre al-Nosra et l'EIIL a eu
des répercussions dans le paysage djihadiste égyptien. Une faction,
baptisée les « puristes », s'est alignée avec
l'EIIL et rejette al-Nosra, en particulier parce que ce dernier
mouvement accueille des volontaires égyptiens qui n'ont pas les
mêmes idées politiques que les djihadistes, ainsi le cheikh Hazim
Abou Ismaïl. Ces djihadistes égyptiens rejettent à la fois
al-Nosra qui se confine au djihad syrien, uniquement sur le plan
militaire, mais aussi la direction d'al-Qaïda, c'est à dire
Zahawiri, qui a soutenu al-Nosra sans sa querelle avec l'EIIL. Ils se
sont ralliés à Abou Umar al-Kuwaiti, qui dirige un groupe de
combattants étrangers, Jamaat al-Muslimin, installé près de la
frontière turque, vers Atme et Bab el-Hawa. Le groupe est associé
avec l'EIIL mais a en plus excommunié al-Nosra, ce qu'a rejeté
l'EIIL lui-même. Les puristes s'opposent en cela au courant dominant
du salafisme égyptien qui, lui, prône la réconciliation. Ce qui
est intéressant, peut-être, c'est la centralité de l'expérience
syrienne dans la redéfinition du djihadisme issu du salafisme.
Les
Tunisiens
Des
septembre 2012, des informations font état de la mort de Tunisiens
combattant aux côtés du bataillon al-Furqan, un groupe armé de la
province d'Idlib qui combat aux côtés du front al-Nosra67.
En mars 2013, les autorités tunisiennes estiment que 40% des
combattants étrangers de l'insurrection syrienne sont tunisiens68.
Les deux-tiers combattraient au sein d'al-Nosra. La plupart des
djihadistes tunisiens seraient alors originaires de la ville de Ben
Gardane, au sud de Tunis. La ville est située dans la province de
Médenine, à la frontière avec la Libye. Le Qatar alimenterait en
argent des organisations non-gouvernementales tunisiennes pour
procéder au recrutement, offrant jusqu'à 3 000 dollars par
personne. Les combattants sont regroupés et entraînés dans des
camps situés dans le triangle désertique entre la Libye, la Tunisie
et l'Algérie, acheminés jusqu'en Turquie puis insérés en Syrie.
Les groupes djihadistes libyens ont établi des camps d'entraînement
dans la province de Ghadames, à moins de 70 km de la frontière
tunisienne. Les volontaires complètent leur entraînement militaire
pendant 20 jours69
dans la province de Zawiyah, puis gagnent le port de Brega pour
Istanbul, pour finir à la frontière syrienne. Certains combattants
tunisiens entrent aussi par le Liban, en particulier s'ils doivent
gagner Damas ou ses environs ; quand c'est Alep ou d'autres
villes du nord, ils passent par la Turquie.
A
l'automne 2013, le phénomène semble un peu mieux cerné. Il n'est
pas limité à une classe sociale pauvre, qui effectivement fournit
des volontaires : des diplômés des classes moyennes ou
supérieures participent aussi au djihad70.
Si au départ le sud de la Tunisie, traditionnellement plus
islamistes, comprend les gros bataillons, aujourd'hui des Tunisiens
partent du centre et du nord du pays -Bizerte étant devenu l'un des
bastions de la cause. Ayman Nabeli quitte la ville de Tabalba, dans
la province centrale de Monastir, pour combattre dans les rangs de
l'EIIL. Né en 1986, cadet d'une famille de huit enfants, il n'est
pas au départ particulièrement religieux. C'est après la
révolution de 2011 qu'il devient un salafiste. Les salafistes
tunisiens ont en effet investi les mosquées après la victoire du
parti Ennahda aux élections, et en particulier celle d'al-Iman,
proche de la maison d'Ayman. Malgré les démarches de sa famille,
les autorités tunisiennes se montrent relativement complaisantes à
l'égard des salafistes. Des vols entiers de Turkish Airlines
transportent les volontaires pour le djihad jusqu'à Istanbul. Dans
les faubourgs de Tunis, l'Etat a disparu avec la chute de Ben Ali et
l'Ennahda impose sa présence notamment par le biais de mosquées
contrôlées par des salafistes. Le ministre de l'Intérieur tunisien
a déclaré que ses services ont d'ores et déjà empêché 6 000
hommes de se rendre en Syrie... un Tunisien avait tourné une vidéo
pour Jaysh al-Muhajireen wa al-Ansar, le groupe d'Omar Shishani
désormais rallié à l'EIIL, en juillet 201371.
En mai de la même année, le ministre des Affaires Etrangères
tunisien avait pourtant reconnu la présence d'un maximum de 800
Tunisiens en Syrie, une radio locale parlant de chiffres beaucoup
plus importants, avec pas moins de 132 Tunisiens tués en février
2013 dans la région d'Alep, la plupart originaires de Sidi-bou-Zid,
là où avait commencé la révolution en 201172.
Mais ces chiffres semblent largement surestimés, la radio étant par
ailleurs coutumière de la diffusion d'informations erronées.
Le
parcours de Aymen Saadi, qui a failli faire détoner ses explosifs
près d'un mausolée présidentiel, celui de Bourguiba, au sud de
Tunis en octobre 2013, illustre la variété du recrutement. La ville
de Zarghouan, à l'est de Tunis, n'est pourtant pas un bastion connu
de l'islamisme. Aymen a d'excellentes notes à l'école, en
particulier en langues et en histoire. Fin 2012 pourtant, il se
radicalise, montrant une influence des salafistes, puis gagne les
camps d'entraînement libyen en mars 2013. Il se retrouve pourtant
bardé d'explosifs en Tunisie, et
non en Syrie. Abou Talha, originaire d'une ville près de la
frontière libyenne, a combattu près d'Alep. Il a passé six mois au
sein d'une brigade islamiste en 2012. Il s'est alors rendu en Syrie
seul avant de prendre contact avec les rebelles à la frontière
turque, ce qui montre peut-être que les réseaux plus sophistiqués
et organisés ne se sont constitués qu'à la fin 2012-début 2013.
Un commandant syrien apprend aux recrues le maniement de l'AK-47, du
RPG et des pistolets, le tout entrecoupé de séances de lecture du
Coran et autres cours religieux. Abou Talha a combattu côte-à-côte
avec le front al-Nosra73.
Abou
Ayman est un exemple de volontaire recruté par Ansar-al-Charia74.
Architecte à Tunis, il décide de partir se battre en Syrie avec
deux voisins. Il prend l'avion pour Amman en Jordanie, où il faut
réussir à passer la frontière, surveillée par les renseignements
jordaniens. Une fois l'insertion effectuée, Abou Ayman et ses
compagnons se séparent. Lui-même atterrit finalement dans les
combats des faubourgs de Damas. Il intègre une unité, Ansar
al-Chariaa, qui comporte 300 combattants dont de nombreux étrangers
(Tchétchènes, Kosovars, et Tunisiens). En août 2013, Aaron Zelin
avait interrogé un combattant tunisien de retour de Syrie, dans la
province de Nabeul, à l'est de Tunis. Originaire d'un milieu
modeste, ce combattant est revenu avec de l'argent qui lui a permis
d'aider sa famille à mieux vivre. Son patron, un salafiste qui a des
liens avec l'Arabie Saoudite, avait financé une partie de son voyage
vers la Turquie. Il a combattu probablement avec al-Nosra : il
était devenu plus « religieux » en 2011, après
la révolution tunisienne, en suivant d'abord Ennahda, puis les
salafistes. Sa mosquée était dépendante d'Ansar al-Sharia, avec un
imam égyptien venu d'Arabie Saoudite. Il semblerait
qu'Ans ar-al-Charia dirige ses combattants vers al-Nosra, et s'en
portent garants : trois autres hommes étaient partis avec ce
volontaire, dont un a été tué. A son retour, il est arrêté à sa
descente de l'avion et détenu pendant trois mois et demi, avant
d'être relâché75.
En
ce qui concerne les camps d'entraînement en Libye par lesquels
passeraient les volontaires tunisiens et autres, ils seraient
notamment le fait du mouvement Ansar al-Charia en Libye, une ancienne
brigade rebelle qui avait combattu Kadhafi en 2011, avant de mener
l'attentat qui avait coûté la vie à l'ambassadeur américain du
consulat de Benghazi en septembre 201276.
C'est cette organisation qui organise le transit et le passage dans
des camps mobiles des volontaires dans tout l'est libyen, près de la
frontière tunisienne. Selon les rapports officiels, des douzaines
d'Algériens et de Tunisens arrivent chaque semaine pour être formés
dans ces camps, avant de partir par avion avec de faux passeports
libyens à Benghazi, Ansar al-Charia bénéficiant de complices dans
l'aéroport. Ayman Saadi, arrêté le 30 octobre 2013 près du
mausolée de Bourguiba, est probablement passé par ces camps de
Benghazi et Derna mais les Libyens l'ont ensuite renvoyé en Tunisie,
et non en Syrie. On ne sait pas si Saadi a eu des liens avec Ansar
al-Charia en Libye. On sait en revanche que les deux mouvements
tunisien et libyen sont en relation : le premier reçoit
notamment des armes du second.
En
février 2014, le ministre de l'Intérieur déclare que 400
djihadistes tunisiens sont revenus du champ de bataille syrien77.
La déclaration survient après que la garde nationale et l'agence de
contre-terrorisme aient été mises en échec dans la capture de
Kamel Zarrouk, le numéro 2 d'Ansar al-Sharia, à l'intérieur d'une
mosquée d'un faubourg de Tunis. Zarrouk aurait ensuite rejoint les
rangs de l'EIIL en Syrie. Ancien videur de boîte de nuit à Tunis,
il a commencé à recruter pour le djihad syrien en 201178.
Les
Saoudiens : un rôle important
En
Syrie, le contingent saoudien se distingue par le fait qu'il fournit
un certain nombre de chefs aux groupes armés et de nombreux
candidats aux attaques kamikazes79.
En décembre dernier, on a vu un jeune homme de 17 ans, Mouaz
al-Maataq, arriver en Syrie. Abdul Aziz al-Othman a probablement été
l'un des premiers Saoudiens à atterrir en Syrie. Il fait partie de
la direction du front al-Nosra et il meurt à al-Shaddadi, dans la
province de Hasaka, avec un autre Saoudien, Omar al-Mouhaisini,
apparemment dans un accident de voiture. On sait qu'il était proche
de Golani, le chef d'al-Nosra. On peut supposer que les Saoudiens
vétérans d'al-Qaïda ou de l'Afghanistan ont établi les premières
cellules en Syrie. Abou Khalid as-Souri, une figure importante du
djihadisme, aurait participé à la formation du premier bataillon
islamique ; on sait que plus tard Zawahiri l'a choisi comme son
arbitre dans le conflit entre al-Nosra et l'EIIL. Souri a visiblement
joué un rôle important dans la formation du mouvement, à partir de
mai 2011, qui deviendra Ahrar al-Sham, aujourd'hui un des groupes les
plus puissants du Front Islamique ; les Saoudiens ont eux plutôt
rejoint, ensuite, le front al-Nosra.
On
sait aussi que Sheikh Abdel Wahed, « le Faucon du Djihad »,
est l'un des premiers vétérans afghans à être arrivé en Syrie
après le déclenchement de l'insurrection. Installé dans les
montagnes de Lattaquié, il a fondé le groupe Suqur al-Izz, qui a
rapidement attiré de grandes figures du djihad afghan, Abdel malak
al-Ihsa’i (Abou Leen), Zaid al-Bawardi (Abou Ammar al-Makki) et
Abou Mohammed al-Halabi, des hommes de la première génération qui
ont passé 25 ans à se battre -de l'Afghanistan à l'Irak en passant
par la Bosnie et la Tchétchénie- et qui ont tous péri en Syrie.
Suqur al-Izz a aussi pour tâche d'accueillir les migrants venant de
la frontière turque avant qu'ils ne soient répartis dans les
bataillons. Najmeddine Azad, qui avait combattu en Afghanistan avec
Ben Laden, est lui aussi venu en Syrie malgré sa jambe en moins,
tout comme Fayez al-Mitab, qui accueillait Ben Laden dans sa maison
en Arabie Saoudite. Les convois de djihadistes saoudiens se sont
faits encore plus importants avec la création d'al-Nosra et le
recours aux attaques suicides. Abdoul Hakim al-Muwahad, pourtant
interdit de voyage par les autorités saoudiennes, a pourtant lui
aussi gagné la Syrie où il est devenu le coordinateur pour attirer
les Saoudiens vers le djihad et leur faire passer la frontière en
évitant les services de sécurité.
Ce
n'est pas le premier djihadiste interdit de déplacement par les
autorités saoudiennes qui gagne la Syrie : Abdullah bin Qaed
al-Otaibi, Badr bin Ajab al-Mqati, Abdulla al-Sudairi, Uqab Mamdouh
Marzouki, l'ont également fait, comme des douzaines d'autres, le
tout par l'aéroport de Riyadh, comme ils l'indiquent sur Twitter.
Sibaie a été tué en août 2013 à Jobar, près de Damas, mais son
frère Suleiman a rejoint le djihad, alors qu'il avait prêté son
passeport et ses papiers à son frère, preuve qu'il a pu en obtenir
de nouveaux. Le plus étonnant est que les Saoudiens qui jusqu'ici
manifestaient contre le régime en Arabie Saoudite ou participaients
aux sit-in pour la libération des prisonniers politiques
rejoignent désormais le djihad en Syrie. Souvent, d'ailleurs, c'est
après avoir été arrêté et détenu puis relâché qu'au bout de
deux ou trois semaines ces opposants gagnent la Syrie. Sans
expérience du combat, beaucoup sont tués rapidement, comme Mohammed
al-Taleq, mort seulement cinq jours après son arrivée. On sait
également que certains djihadistes sont revenus temporairement en
Arabie Saoudite pour de courtes « vacances »,
avant de repartir en Syrie. Depuis l'automne 2013, le recrutement
n'est visiblement plus limité aux classes défavorisées mais
concerne aussi les classes moyennes et même la strate juste
en-dessous des princes saoudiens. De nombreux prêcheurs sont arrivés
en Syrie, et même des officiers de l'armée ou leurs parents. Nayef
al-Shammari, un commandant des garde-frontières saoudiens, a été
tué à Deir Attiyeh en décembre 2013. Motlaq al-Motlaq, tué à
Alep, était le fils du général Abdullah Motlaq al-Sudairi, le
directeur du centre des officiers. Il soutenait le djihad depuis 2012
en rassemblant des fonds. Son oncle, le frère du général, fait
partie de la direction des groupes djihadistes en Syrie.
Les
Canadiens
On
estimait, en septembre 2013, qu'une centaine de Canadiens avait
rejoint le djihad syrien, soit beaucoup plus que leurs homologues
américains. Certains médias parlent de 3 Canadiens qui aurait déjà
été tués en Syrie, sans que les autorités aient confirmé le
chiffre. Un cinéaste américain, Bilal Abdul Kareen, qui a vécu au
milieu d'un groupe islamiste pendant un an, prétend avoir croisé 20
à 30 Canadiens. D'après lui, l'un d'entre eux, Abou Muslim, aurait
participé aux combats autour de l'aéroport de Damas en août 201380.
En
décembre, le gouvernement canadien évoquait « des
douzaines » de citoyens partis en Syrie, sans être plus
précis. Le Canada a mis sur sa liste d'organisations terroristes le
front al-Nosra en novembre 2013, et depuis avril, la législation
s'est renforcée pour empêcher les candidats au djihad de quitter le
sol canadien. Ali Dirie, membre du groupe terroriste Toronto 18 (qui
avait été démantelé en 2006 au milieu de la préparation
d'attentats), a pourtant gagné la Syrie après avoir purgé une
peine de prison : relâché en 2011, il y est mort en septembre
2013. D'origine somalienne, né en 1983, Dirie a joué visiblement un
rôle important dans la radicalisation de certains détenus en
prison, mettant en lumière l'absence de structure canadienne pour
éviter ce processus81.
Un autre Canadien, le fameux Abou Muslim, est apparu dans un
documentaire britannique tourné en Syrie au milieu d'un groupe armé
composé essentiellement de combattants étrangers82.
Le
premier Canadien à périr en Syrie est probablement Jamal Mohamed
Abd al-Kader, né et élevé au Canada, mais dont la famille,
d'origine kurde, vient du nord-est de la Syrie83.
Devenu étudiant, il choisit de rejoindre le djihad et arrive en
Turquie en juillet 2012. Il franchit la frontière et rallie la
brigade Asifat a-Shimal de l'Armée Syrienne Libre, avant de
rejoindre Ahrar al-Sham. Il combat d'abord à Alep durant l'été et
l'automne 2012, puis rejoint Damas en décembre jusqu'à sa mort le
26 février 2013. Etudiant au parcours normal, il avait cependant été
arrêté par la police en décembre 2010 avec deux amis en possession
d'une arme sans avoir de permis84.
Dès juillet 2011, Thwiba Kanafani, avait rejoint les rebelles
syriens, puis, après plusieurs mois, était revenu au Canada pour
rallier de l'aide pour le djihad.
Récemment,
un djihadiste américain, Abu Turab Al-Muhajir, a annoncé la mort
d'Abou Muslim l'an passé lors de l'assaut de la base aérienne de
Minnagh85.
D'après lui, il y aurait peut-être 100 Canadiens en Syrie, ce qui
correspond à l'estimation haute de l'ISCR. Andre Poulin, c'était
son vrai nom, venait de l'Ontario, et s'était converti à l'islam en
2009. Il était passé devant la justice pour avoir menacé son hôte,
un musulman, car il avait une liaison avec la femme de ce dernier. Un
autre Canadien, Damian Clairmont, alias Abu Talha al-Canadi, a
également été tué à Alep. Il s'était converti à l'islam après
une tentative de suicide. En novembre 2012, il avait annoncé à sa
mère qu'il se rendait en Egypte pour apprendre l'arabe, mais les
services de sécurité canadiens pensaient qu'il a rejoint la Syrie.
Il était surveillé car il faisait partie d'un groupe extrêmiste à
Calgary : il n'aurait pas gagné Le Caire mais Istanbul. Il
appelle sa mère depuis la Syrie en février 201386.
Il avait porté plusieurs noms et selon certaines sources, il aurait
rejoint le front al-Nosra : il aurait d'ailleurs été blessé
puis exécuté par des combattants de l'ASL87.
Les
Danois
En
2013, la police danoise enquête sur Abou Ahmed, la mosquée Quba
d'Amagen et l'organisation charitable Hjælp4Syrien88.
Le lieu et l'organisation serviraient en effet de base de recrutement
et de collecte de fonds pour le djihad syrien. Copenhague surveille
en fait depuis le mois de mars l'activité de cette organisation qui
semble appuyer le front al-Nosra. Ahmed est bien connu des services
de police pour avoir parrainé spirituellement deux jeunes Danois qui
avaient voulu organiser des attentats à Copenhague. Le groupe aurait
apporté un soutien financier à un ancien détenu danois de
Guantanamo tué en Syrie en février 2013, Slimane Hadj Abderrahmane.
En août, un autre Danois, Abu Omar Altunes, trouve également la
mort en Syrie. A ce moment-là, la police estime que 65 Danois au
moins sont partis pour le djihad syrien, dont 6 ont déjà trouvé la
mort. Le 16 août 2013, un djihadiste, Abu Khattab, poste une vidéo
où il appelle des Danois à se joindre au djihad89.
Quelques jours plus tard, une autre vidéo montre Khattab et trois
autres combattants tirer sur 6 photos de personnes perçues comme
« ennemies de l'islam » (un agent de police, des
ministres, un avocat, un dessinateur de caricatures, l'imam Ahmed
Akkari, qui s'était violemment impliqué dans l'affaire des
caricatures de Mahomet en 2006, avant de dire qu'il le regrettait)90.
En
mai, la brigade des Muhajireen annonce la mort, deux mois plus tôt,
d'un djihadiste danois, Sørensen. Celui-ci aurait voyagé en Egypte,
au Yémen, au Liban et en Libye avant de rejoindre le groupe armé.
Il a été emprisonné au Yémen et au Liban et, selon ses dires,
torturé dans le premier pays. Il suit au Yémen les cours de
l'université Imam de Sanaa, avec l'imam Abdulmajid al Zindani, lié
à Ben Laden. Sørensen a ensuite vécu trois ans en Egypte avant de
partir faire la guerre en Libye, puis de rejoindre la Syrie. Il
trouve la mort dans la province de Lattaquié91.
En octobre 2013, les salafistes danois de Kaldet til Islam
intensifient leur effort de propagande dans les prisons après la
mort de leur chef, Shiraz Tariq, en Syrie. Tariq serait mort le 25
septembre dans la province de Lattaquié : lui aussi faisait
partie du groupe d'Omar ash-Shishani, liée à l'EIIL. Tariq
commandait probablement le contingent danois du groupe92.
Le 17 novembre 2013 survient l'annonce de la mort de deux Danois
supplémentaires, dont un jeune de 17 ans, tués à Alep93.
Le 13 janvier 2014, les insurgés confirment que Abou Khattab, dont
le sort était en suspens depuis plusieurs mois, a bien été tué en
novembre dans les combats, pendant que deux autres Danois étaient
blessés. Depuis l'été 2012, ce serait plus de 80 Danois, selon les
autorités, qui seraient partis en Syrie, dont 7 au moins, jusqu'ici,
ont été tués94.
Les
motivations des volontaires danois semblent assez variées. Certains
partent pour aider des frères sunnites, d'autres pour renverser une
dictature jugée ignoble. D'autres partent pour établir la charia,
voire un califat islamique, ou tout simplement pour subir le martyre.
Enfin, des volontaires recherchent tout simplement l'aventure. La
plupart sont des hommes de 16 à 25 ans, majoritairement issus de
l'immigration musulmane, mais il y a aussi des convertis danois. Le
groupe est donc plus jeune et diversifié que les contingents
précédents (Afghanistan, Somalie, Irak). Parmi les immigrés,
certains sont liés aux milieux criminels. Le recrutement se fait
notamment par la sensibilisation via les vidéos et les réseaux
sociaux. Il semble, encore une fois, que certains criminels partent
pour le « rachat des fautes ». La majorité des
volontaires a rejoint le front al-Nosra ou l'EIIL. La moitié des
personnes est déjà retournée au Danemark, et plusieurs ont
effectué des aller-retour95.
Les
Azéris
Depuis
les combats contre l'EIIL déclenchés le 3 janvier 2014, les
annonces de décès de combattants azéris parmi les insurgés
syriens se sont multipliées. Le 16 janvier, l'étudiant Tural
Ahmadov est déclaré mort au combat. Deux autres Azéris, Rauf
Khalilov et Najaf Karimov, âgé de 14 ans, avaient péri deux jours
plus tôt. Deux autres sont morts le 4 janvier. Début août 2013, un
combattant azéri appelait ses compatriotes à rejoindre le djihad.
On estimait alors que 60 Azéris étaient déjà partis et que 20
avaient trouvé la mort en Syrie96.
L'Azerbaïdjan, bien qu'il ait dénoncé la politique du régime
syrien, n'a pas soutenu ouvertement les rebelles. Ses services de
sécurité auraient déjoué plusieurs tentatives de djihadistes
visant à commettre des attentats dans le pays. Les estimations
varient de 100 à 400 Azéris, salafistes radicalisés, qui seraient
partis pour le djihad. Le salafisme a pris pied en Azerbaïdjan, pays
de tradition chiite, à Bakou et dans le nord du pays. Le 15 décembre
2013, la police a arrêté 15 personnes lors d'une rixe à Sumgaït,
apparemment entre deux groupes salafistes qui discutaient des
modalités du djihad en Syrie et qui en sont venus aux mains97...
Les
Azéris ont rejoint surtout le front al-Nosra et l'EIIL, mais ils
combattent visiblement surtout avec le groupe d'Omar ash-Shishani,
composé de Tchétchènes et également de nombreux Caucasiens. Les
Azéris du groupe sont commandés par Abou Yahya al-Azeri et viennent
pour l'essentiel du nord de l'Azerbaïdjan, plus proche du
Nord-Caucase. Mais les Azéris, contrairement aux Tchétchènes par
exemple, ne voient pas le combat comme la continuation de celui
contre la Russie (qui soutient Assad). D'ailleurs des Azéris
combattent aussi, probablement, parmi les miliciens étrangers
pro-régime -le pays comprend 65% de chiites. Le voyage se fait
probablement via la Turquie98.
L'imam de la mosquée Abou Bakr à Bakou, Haji Gamat Suleiman, a été
approché par des jeunes souhaitant partir faire le djihad soit pour
défendre la communauté sunnite de Syrie, soit pour résoudre des
problèmes personnels. Les volontaires sont pour la plupart des
adolescents ou des hommes jeunes d'une vingtaine d'années, venant
souvent de familles pauvres et assez pieuses99.
Au
total, au moins 7 Azéris ont été tués les 3-4 janvier 2014 lors
du déclenchement des combats contre l'EIIL, dont un jeune garçon de
14 ans originaire du Nakhitchevan100.
Les Azéris ont une longue tradition de djihadisme, puisqu'un certain
nombre d'entre eux avaient participé à la guerre en Afghanistan et
à celles en Tchétchénie. Près de 70 Azéris ont été arrêtés
entre 2001 et 2003 par le Ministère de la Sécurité Nationale en
tentant de rejoindre la Tchétchénie. Entre 1999 et 2013, au moins
33 Azéris y ont trouvé la mort, surtout pendant la période la plus
intense des combats (jusqu'en 2005). 23 Azéris ont péri en
Afghanistan dont au moins un kamikaze. 200 à 250 Azéris seraient
encore en Afghanistan et au Pakistan. En 2009, les autorités ont
arrêté 13 hommes à la frontière avec l'Iran qui revenaient de ces
pays. Azer Misirxanov, tué par une frappe aérienne américaine,
était même l'un des membres importants de Taifetul Mansura.
Il avait également combattu dans le Nord-Caucase.
Dès
la mi-août 2012, un journaliste français à Alep prétend avoir vu
des combattants azéris, ce qu'un journaliste turc enlevé avait déjà
affirmé en mai. A l'automne 2012, un premier combattant est
identifié : Zaur Islamov, 37 ans, originaire de Qusar,
province frontalière du Daghestan. Au moins un des membres du groupe
afghan de Misirxanov a été tué en Syrie : Araz Kangarli,
arrêté plusieurs fois par les autorités azéries, dont la mort est
annoncée en novembre 2012. Un journal turc évoque la mort de 4
autres combattants et la présence de nombreux autres. Depuis la fin
2012, on comptabilise en tout 100 tués annoncés, mais l'auteur de
North Caucasus Caucus a recensé, lui, 41 combattants dont 30
ont été tués, échantillon bien sûr incomplet.
Les
djihadistes azéris, sans surprise, viennent de régions connues pour
avoir fourni des combattants en Tchétchénie ou en Afghanistan et
sujettes aux opérations contre-terroristes des autorités. Sumgaït
revient fréquemment. En 2007, les autorités annoncent avoir
démantelé un groupe Abou Jafar, mené par un Saoudien, Naielm
Abdul Kerim al-Bedevi, présent dans le pays depuis 2001 et qui a
voyagé dans le Nord-Caucase. En 2008, Ilgar Mollachiyev aurait fait
essaimer les « Frères de la forêt » du Daghestan
en Azerbaïdjan en créant deux cellules à Sumgaït et Quba/Qusar.
En juillet, l'un des membres aurait reçu pour missions d'attaquer la
mosquée Abou Bakr, provoquant une réaction virulente du
gouvernement contre la communauté sunnite pieuse. Le groupe de
Sumgaït devait braquer des banques pour fournir des fonds aux
opérations, afin d'acheter les armes et le matériel. En
septembre-novembre, ses membres visitent un village du district de
Balakan, à la frontière avec la Géorgie, où on leur donne des
armes et des munitions à acheminer à Sumgaït. Quand la police
intervient, en janvier 2009, deux caches d'armes sont trouvés avec 3
vestes explosives et 5 kg de plastic.
Au
nord de l'Azerbaïdjan, on trouve beaucoup de Nord-Caucasiens dont
beaucoup sont sunnites. En 2001, des groupes liés à ceux du
Nord-Caucase tuent 10 policiers dans les districts de Balakan et
Zaqatala. En 2005, des caches d'armes sont découvertes près de la
ville de Qusar. Vuqar Padarov, un Azéri de Zaqatala, combat dans le
Nord-Caucase avant de revenir dans son pays en 2011 ; il est
parrainé par la jamaat de Derbent, dans le sud du Daghestan.
A partir de juillet 2011, il commence à recruter des militants et à
rassembler des armes. Padarov est tué en avril 2012 lors d'un raid
sur sa place forte à Gence, dans l'ouest du pays.
Un
des aspects intéressants pour les volontaires au djihad est le
faible coût du transit pour la Syrie. Les volontaires prennent un
billet d'avion sur Azerbaijan Arlines au départ de Bakou pour
à peine 200 dollars. Mais la plupart prennent même le bus jusqu'en
Géorgie puis jusqu'à la frontière turque, trajet qui peut revenir
à seulement 96 dollars. Malgré les rumeurs selon lesquelles les
Azéris seraient payés 5 000 dollars par mois, l'argent ne semble
pas être le principal facteur de départ. Nijat Hacizade, tué en
janvier 2014, était étudiant en première année à l'université
de Méditerranée orientale de la république du nord de Chypre.
Rahman Shikhaliyev était un ancien boxeur semiprofessionnel de
Sumgaït. Najaf Karimov, 14 ans, était le fils d'un propriétaire de
3 magasins dans le district de Seler, au Nakhitchevan. Après s'être
converti au salafisme, le père ferme ses magasins et emmène toute
sa famille en Syrie en août 2013. Anar Mahmudov, un jeune volontaire
revenu dans son village après six mois, prétend avoir été
radicalisé par un Saoudien, Sheikh Saleh Al-Fawzan, un an plus tôt.
A
l'été 2013, une enquête montre que le groupe d'Omar ash-Shishani,
avant la rupture suite à l'allégeance à l'EIIL, comprend un fort
contingent d'Azéris entraîné par Salahuddin al-Shishani. Celui-ci
prend les passeports, entraîne pendant deux mois les volontaires,
puis les Azéris participent aux combats pendant six mois, après
quoi ils peuvent retourner voir leurs familles. Au départ, à
l'automne 2012, les volontaires azéris rejoignent plutôt, en effet,
le groupe de Shishani ou al-Nosra. Les Azéris sont en bonne place
dans la vidéo qui annonce la formation de Jaysh al-Muhajirin wa
Ansar, en mars 2013. Abu Yahya al-Azeri, l'un des membres importants
du groupe, est tué par un éclat d'obus en septembre 2013. Un autre
Azéri, Ebu Muhammed, fait fonction d'adjoint de Seyfullakh, qui
dirige une scission du groupe de Shishani depuis août, et qui a fait
allégeance à al-Nosra le 31 décembre 2013. On prétend que le chef
du contingent azéri de Shishani serait Abu Usama, originaire de
Zaqatala.
Les
Azéris qui partent ne reçoivent probablement pas de financement
extérieur car le gouvernement a verrouillé beaucoup des
possibilités dès 1996. En revanche, l'argent vient de collectes
internes aux communautés et à la vente des biens avant le départ.
Une page Facebook, fermé en janvier 2014, a même été créé
dans ce but. Pourtant, la majorité de la communauté sunnite salafie
d'Azerbaïdjan reste opposée au départ pour le djihad en Syrie.
L'incident du 11 décembre dernier à Sumgaït est révélateur :
un Azéri revenu de Syrie a provoqué une bagarre par des propos
outranciers sur le djihad, deux hommes dont lui-même sont
poignardés, et le fautif appelle des amis depuis l'hôpital qui font
usage d'armes à feu et de grenades. Depuis le début 2013, Qamet
Suleymanov, l'imam le plus écouté du pays, prêche contre le
djihad. Puis, après le début des combats contre l'EIIL, il fait
volte-face et annonce que son ancien bras droit, Alixan Musayev, et
un autre membre de la mosquée Abou Bakr, Mubariz Qarayev, ont
participé aux filières d'acheminement, ce que le premier a
violemment démenti. Suleymanov cherche peut-être aussi à obtenir
la réouverture de la mosquée, fermée depuis 2009.
Fin
janvier 2014, Rasim Badalov, un vétéran du djihad syrien, est
arrêté à Sumgaït, où il était revenu depuis six mois. Il a été
arrêté avec Ilkin Bashirov, Elekber Zeynalov, Samir Mammedkerimov,
Hamlet Talibov et Alinur Atayev dans la maison de thé « Champion »
d'un faubourg de la ville. Rafael Aghayev, le propriétaire des
lieux, quatre fois champion du monde de karaté, s'est converti au
wahhabisme et l'endroit est devenu le lieu de rencontre de certaines
personnes radicalisées. La fouille de l'appartement de Badalov livre
un AK-74, deux grenades, 22 cartouches et du matériel de propagande.
Visiblement, de nombreux Lezguiens du nord du pays, notamment à
Sumgaït où le chômage est très important, sont facilement attirés
par le radicalisme religieux. Les organisations en question ont
l'avantage de bien payer -jusqu'à 384 dollars par mois101.
Les
Indonésiens
Le
conflit syrien est la première manifestation d'un départ massif de
combattants indonésiens pour prendre part à un djihad, et pas
seulement s'entraîner ou assurer un soutien logistique. Au moins 50
personnes sont parties en Syrie jusqu'en décembre 2013, selon les
autorités. Les volontaires sont attirés par l'eschatologie de
l'islam, qui place le combat final au Levant, par la traduction d'un
livre, La Stratégie des Deux Bras (qui affirme que les
printemps arabes peuvent être exploités pour instaurer un califat
islamique), par les atrocités commises par le régime contre les
sunnites et relayées dans les médias et enfin, comme de nombreux
autres contingnets, par les facilités d'accès au champ de bataille
via la Turquie102.
Historiquement,
les combattants partant pour le djihad ont fortement contribué au
développement d'un djihadisme en Indonésie103.
Bashir et Abdullah Sungkar (le fondateur et chef de la Jemaah
Islamiya -JI- jusqu'en 1999) ont organisé le départ de volontaires
pour l'Afghanistan dans les années 1980. Quelques-uns ont combattu
aux côtés de Ben Laden lors de la bataille de Jaji en 1987.
D'autres ont été entraînés dans les camps d'Afghanistan et du
Pakistan. Cette filière afghane a contribué à la JI et aux
attentats de Bali en 2002. Mais ici, le conflit syrien propose non
seulement un contexte classique de défense d'une population
musulmane, mais aussi un contexte sectaire (un régime alaouite
appuyé par les chiites de l'Iran et du Hezbollah) et
« socio-révolutionnaire » (établir un califat
islamique à la place d'un régime laïc). Les djihadistes
indonésiens reproduisent un discours sectaire contre les chiites
dans leur pays, voire attaquent les personnes de cette confession,
mais cela les décrébidilisent aux yeux de nombre de musulmans. Par
ailleurs, historiquement, la JI, issue de Darul Islam, tire son
origine d'une lutte contre un Etat séculier, celui de Sukarno. Les
attentats de Bali, contre des intérêts occidentaux, constituent une
exception. En 2010 par exemple, Dulmatin, ancien membre de la JI,
crée un camp d'entraînement à Aceh pour lancer une insurrection.
Entre 2010 et 2013, 24 policiers ont été tués, ce qui montre
l'influence de certains penseurs moyen-orientaux qui recommandement
de cibler les autorités locales.
Le
gros des personnes radicalisées qui partent en Syrie vient de la
Jemaah Islamiya, qui avait commis les attentats de Bali en 2002, puis
avait abandonné l'action violente en 2007. La branche humanitaire de
l'organisation a cependant effectué plusieurs voyages en Syrie,
entre fin 2012 et janvier 2014, probablement pour établir des
contacts en plus de fournir du matériel médical et des fonds.
D'autres salafistes djihadistes indonésiens, comme certaines
factions de Darul Islam, font aussi partie des volontaires, et même
des salafistes de la communauté non-violente. Les différends entre
l'EIIL et le front al-Nosra se retrouvent aussi parmi le contingent
indonésien.
La
Stratégie des Deux Bras, publiée en juin 2013 en Indonésie,
l'a été sous les auspices de Bambang Sukirno, l'un des penseurs
influents de la JI. Il a d'ailleurs dirigé plusieurs des missions
humanitaires vers la Syrie. Les prêcheurs de la JI réussissent à
collecter des sommes allant de 1 000 à plus de 10 000 dollars lors
de discussions publiques (60 de 2012 à la fin 2013), sans compter
les donations en ligne. L'argent est converti en aide médicale :
docteurs et infirmières partent un mois à l'hôpital de campagne
Salma de Lattaquié. Nourriture et vêtements sont distribués dans
le Jabal al-Akrad, dans la province d'Idlib, et une clinique mobile
fait le tour des campagnes.
Les
groupes radicaux mettent en avant, en Indonésie, les massacres
sectaires commis par le régime ou ses alliés chiites, comme ceux de
Banias ou d'al-Bayda en mai 2013, et les attaques chimiques du 21
août suivant. Le magazine An-Najah de la JI se focalise
souvent sur la Syrie. Sur les 50 Indonésiens déjà partis en Syrie,
5 des 7 hommes identifiés en 2013 étaient liés à la JI. Ils ne
partent pas directement d'Indonésie mais plutôt du Pakistan ou du
Yémen où ils font leurs études. Au moins un membre de l'ex-réseau
Abou Omar est supposé être en Syrie. La plupart des Indonésiens
ont pris contact avec Ahrar al-Sham (aujourd'hui composante du Front
Islamique), mais certains rejoignent l'EIIL.
Le
cas le plus emblématique est celui de Riza Fardi, dont la mort a été
annoncée le 28 novembre 2013 par la brigade Suqqor al-Izz. Riza
venait du Kalimantan de l'ouest : diplômé de Ngruki (l'école
fondée par Abu Bakar Bashir, l'ancien leader de la JI), il est parti
au Yémen en 2007 pour l'université al-Iman de Sanaa. On pense qu'il
a rejoint la Syrie en 2012, au sein de la brigade Suqqor al-Izz,
commandée par un Saoudien, Sheikh Abdul Wahed, alias Saqr al-Jihad
(le Faucon du Djihad). Le groupe s'est distingué comme étant parmi
ceux ayant commis des massacres sectaires en août 2013, lors de
l'offensive rebelle dans la province de Lattaquié. Riza aurait été
tué dans le district Sheick Saïd à Alep, le 25 novembre. Encerclé
depuis une semaine, le district, contrôlé par le régime, tenait
bon ; les djihadistes se replient mais Riza reste en arrière
avec 7 autres pour ouvrir le feu sur les soldats du régime une fois
ceux-ci passés. Après un jet de grenade, il est abattu. C'est la
seule mort confirmée même si 4 autres Indonésiens eux aussi
diplômés de Ngruki sont supposés être arrivés d'Islamabad en
août 2013, via la Turquie. Deux autres Indonésiens seraient avec
l'EIIL : Muhammad Ayub, le fils de l'ancien chef de la branche
australienne du JI, et Abdul Rauf. En janvier 2014, une opération
contre-terroriste tue 6 membres du Mujahidin Indonesia Barat, qui
manifestement projetaient de gagner la Syrie. Ils avaient braqué une
banque à Tangerand le 12 décembre 2013 pour financer leur voyage
-environ 833 dollars pour un faux passeport et deux fois plus pour le
voyage. Un autre membre du groupe serait déjà sur place.
Cependant,
il faut noter que certains groupes radicaux indonésiens se sont
également opposés au djihad syrien, comme celui mené par Ustad
Muzakir. Plus importante peut-être est la fracture entre le front
al-Nosra et l'EIIL à partir d'avril 2013, qui se reflète parmi les
Indonésiens. Abu Muhammad al-Maqdisi, un clerc très écouté en
Indonésie, a affirmé que l'EIIL n'était qu'un groupe djihadiste
comme un autre. Abu Bashir ath-Thurtusi a proclamé une fatwa
contre l'EIIL. Le 5 janvier 2014, des volontaires indonésiens de
Misi Medis Suriah, accompagné par des djihadistes locaux, refusent
de prêter allégeance à l'émir de l'EIIL alors qu'ils sont arrêtés
à un checkpointà la frontière turque, pour aller chercher
une ambulance. Un échange de tirs s'ensuit. En Indonésie, Aman
Abdurrahman, un clerc emprisonné, a pris fait et cause pour l'EIIL.
Le front al-Nosra a aussi ses partisans comme Iwan Darmawan, condamné
à mort pour son rôle dans l'attentat de 2004 contre l'ambassade
australienne. La JI, pour sa part, tente de rester la plus neutre
possible entre les deux camps. La tension est telle que les
salafistes djihadistes radicaux en viennent à reprocher leur
attitude aux salafistes trop critiques de l'EIIL, voire à les
menacer de mort.
Sur
le champ de bataille : que peut-on dire de l'intervention des
volontaires étrangers ?
Il
est courant de lire, quand on parle de la guerre en Syrie, que le
front al-Nosra rassemble surtout des combattants syriens tandis que
l'EIIL regroupe surtout les volontaires étrangers. Il est vrai que
la plupart des combattants étrangers sunnites rejoignent l'EIIL,
mais ils contribuent aussi à d'autres formations104.
Pour mémoire, en novembre 2013, Romain Caillet estimait que l'EIIL
dépassait déjà les 10 000 combattants, alors qu'al-Nosra, affaibli
depuis la scission d'avril-mai, n'en comptait plus que 2 000105.
Jaysh
al-Muhajireen wa al-Ansar est commandée par Omar ash-Shishani, un
vétéran de l'armée géorgienne. En mai 2013, celui-ci est nommé
émir du nord de la Syrie par le chef de l'EIIL, secteur qui englobe
les provinces d'Alep, Raqqa, le nord d'Idlib et Lattaquié. A la
suite de cette désignation, le groupe de Shishani devient donc le
paravent de l'EIIL. Si la désignation d'origine est conservée,
c'est pour montrer qu'un front idéologique plus large existe, alors
qu'en réalité, le groupe de Shishani n'est que le reflet de l'EIIL.
On observe le même phénomène avec les nombreuses milices
iraniennes qui se battent côté régime. En août 2013, le groupe
joue un rôle décisif pour faire tomber la base aérienne de
Minnagh, sous les ordres d'un Egyptien, Abu Jandal al-Masri. Fin
novembre 2013, une nouvelle scission a lieu entre ceux qui restent
fidèles à l'EIIL derrière Shishani et ceux qui conservent le
« label » d'origine et qui ont un nouveau
commandant, Salah ad-Din ash-Shishani. Ce dernier mène désormais le
groupe qui comprend les Tchétchènes et Caucasiens qui ont refusé
de jurer allégeance à l'EIIL notamment parce qu'ils l'avaient déjà
fait pour l'émir du Caucase, Umarov. Une partie des combattants,
menée par Seyfullak al-Shishani, le second d'Omar que ce dernier
avait expulsé cet été, a visiblement combattu avec le front
al-Nosra lors de la récente capture de l'hôpital al-Kindi d'Alep et
l'a peut-être rejoint106.
Cette fraction, baptisée les Moudjahidine du Caucase et du Levant,
s'est en fait séparée du groupe d'Omar Shishani depuis août 2013.
Son chef, l'émir Seyfullak, est régulièrement intervenu avant la
scission dans les vidéos du groupe en langue russe. C'est un
Tchétchène originaire de la vallée de Pankisi, en Géorgie, qui a
longtemps vécu en Turquie, pays qui abrite une communauté
tchétchène en exil (1 500 personnes107).
Le 30 décembre 2013, Seyfullak al-Shishani jure solennellement
allégeance à Abu Mohammad al-Joulani, le chef du front al-Nosra108.
Jamaat
Jund ash-Sham est un bataillon basé dans l'ouest rural de la
province de Homs. Fondé par des combattants libanais, il comprend
aussi des Syriens. Le groupe se rapproche de l'EIIL mais n'est pas
hostile non plus à al-Nosra. Des activistes libanais sunnistes
pro-EIIL de Tripoli relaient les informations du groupe, ce qui
semble indiquer des liens avec ce milieu.
Le
Bataillon Vert a émergé en août 2013. Il est proche d'EIIL et
d'al-Nosra mais se démarque par son indépendance, et a pour ce
faire changé d'emblème, par exemple, en septembre. Le groupe est
mené par des Saoudiens mais comprend aussi des Syriens. Il a conduit
des opérations conjointes avec l'EIIL et al-Nosra dans les montagnes
de Qalamoun, ainsi qu'avec d'autres formations importantes comme
Jaysh al-Islam, dans les zones désertiques de la province de Homs
tenues par le régime -où il a d'ailleurs affirmé s'être emparé
de nombreuses armes. C'est le Bataillon Vert, en lien avec l'EEIL,
qui a repris la ville de Deir Atiyeh pendant la « bataille »
de Qalamoun, avant que la ville ne soit reconquise par le régime et
ses miliciens chiites.
Harakat
Sham al-Islam a été fondé à la mi-août 2013 par des combattants
marocains. Il a participé à l'offensive dans la province de
Lattaquié à l'été 2013 et a aussi collaboré avec al-Nosra dans
la province d'Alep, notamment dans une attaque sur la prison centrale
de la ville, à laquelle n'a pas participé l'EIIL. Pendant
l'offensive de Lattaquié, le groupe a perdu un ancien détenu
marocain de Guantanamo, Mohammed al-Alami, venu du groupe Ahrar
al-Sham. Il dirigeait la brigade des « Broyeurs »
pendant l'offensive de Lattaquié. Autres tués dans cette opération,
Mohamed al-Nebras, natif de Tanger , qui dirigeait la brigade
Ebada Ibn al-Samet et Al-Sedik al-Sabe, un Néerlandais né au Maroc.
On sait par ailleurs que 11 autres Marocains ont été tués début
août 2013 lors de combats contre le régime : ils avaient
rejoint l'Armée syrienne libre en mai et venaient de la province
d'al-Haouz. Un autre vétéran d'al-Qaïda d'origine marocaine,
Ibrahim bin Shakaran, dirige la formation. C'est un vétéran du
djihadisme marocain : il a été formé en Mauritanie dans les
années 90, a vécu en Arabie Saoudite, en Turquie, en Iran, au
Pakistan et en Afghanistan. Il a fondé au Maroc le Jamaat Tawhid Wal
Jihad avant de passer six ans en prison109.
Il cherche manifestement à se poser comme leader d'un futur combat
djihadiste au Maroc. En septembre 2013, on estimait que 50 à 100
Marocains étaient déjà partis combattre en Syrie110.
Le groupe est quasiment lié, de fait, au front al-Nosra, branche
« officielle » d'al-Qaïda en Syrie. Il se
revendique aussi d'un engagement qui sert en quelque sorte de banc
d'entraînement, afin que les combattants reviennent ensuite au Maroc
et dans le Maghreb pour lutter contre les régimes en place.
Récemment, Aymenn Jawad al-Tamini a identifié Mohammed Mizouz,
alias Abu al-Izz al-Muhajir, un troisième ancien détenu marocain de
Guantanamo faisant désormais partie de Harakat Sham al-Islam111.
Le groupe a récemment participé à la prise de l'hôpital al-Kindi
d'Alep, aux côtés d'al-Nosra et du Front Islamique.
Suqur
al-Izz, comme le Bataillon Vert, a été créé et reste dirigé par
des Saoudiens, en délicatesse avec al-Nosra et l'EIIL, même si le
logo et certaines déclarations semblent bien rapprocher ce bataillon
indépendant de l'EIIL. Né en février 2013, ce groupe opère dans
la province de Lattaquié, et a participé à l'offensive coordonnée
de l'été avec al-Nosra et l'EIIL. Parmi ses martyrs, on compte un
Indonésien et des Syriens, tués notamment à Alep à la fin
novembre 2013. Suite aux combats contre l'EIIL, le groupe se rallie
finalement à al-Nosra le 13 janvier 2014112.
Le
bataillon des Lions du Califat est basé lui aussi à Lattaquié et a
été fondé par un Egyptien, Abu Muadh al-Masri. A la mi-novembre
2013, celui-ci annonce son ralliement à l'EIIL. La brigade Jund
Allah dans Bilad ash-Sham est un groupe qui opère dans les provinces
d'Idlib et de Hama et qui compte son propre bataillon de volontaires
étrangers.
S'il
reste difficile d'évaluer précisément le nombre de combattants
étrangers parvenus en Syrie, les listes de martyrs (tués au combat)
permettent en revanche d'évaluer assez finement les pertes et de
voir les pays d'origine des volontaires113.
En décembre 2013, ce sont au total plus de 1 100 djihadistes qui ont
été tués en Syrie, ce qui représente une augmentation très
importante pour l'année : ils n'étaient que 85 en février et
280 en juin. Les 9 pays les plus représentés confirment un
recrutement en majorité arabe.
Pays d'origine | Nombre de
notices de martyrs |
Arabie Saoudite | 267 |
Libye | 201 |
Tunisie | 182 |
Jordanie | 95 |
Egypte | 79 |
Liban | 48 |
Maroc | 29 |
Territoires
palestiniens | 21 |
Koweït | 18 |
Tchétchénie | 15 |
L'un
des enseignements les plus intéressants de ces dernières
statistiques et la place grandissante du nombre de volontaires
saoudiens et des pertes en conséquences. A peine 20% des 1 100
notices fournissent le groupe d'affiliation du martyr, mais dans ceux
qui sont connus, le front al-Nosra et l'EIIL dominent. On sait par
ailleurs que 15 Saoudiens viennent de la province d'al-Qassim, et
peut-être 22 autres de la capitale provinciale, Buraydah. Le plus
surprenant est que le contingent le plus important semble provenir de
Riyad, la capitale. La Libye est également un endroit phare, un
véritable hub pour les djihadistes syriens. Des groupes comme
Ansar al-Sharia ont fourni un entraînement à des Libyens, des
Tunisiens et d'autres Maghrébins. Des Syriens sont même venus
acquérir un entraînement sur place avant de retourner dans leur
pays. En Tunisie, le recrutement semble plus répandu à travers le
pays, ce qui paraît attester de l'importance des réseaux mis en
place pour alimenter le djihad syrien, notamment par des groupes
comme Ansar al-Sharia.
On
connaît le lieu de décès de 760 des 1 100 martyrs. Ceux-ci sont
morts dans 12 des 14 provinces syriennes, si l'on excepte Tartous,
bastion du régime, et Kuneitra. Les pertes les plus lourdes sont
survenues pendant l'offensive de l'été 2013 baptisée « Nettoyage
de la côte », aux environs de Lattaquié, une autre place
forte du régime syrien. Sur les 88 djihadistes qui y ont été tués,
50 l'ont été en août, pendant ladite offensive. Les pertes les
plus importantes sont néanmoins concentrées à Alep, ville phare
des rebelles où ont eu lieu parmi les combats les plus durs de la
guerre.
Conclusion
L'afflux
de volontaires étrangers a entraîné des conséquences
importantes114.
Il a contribué non seulement à renforcer les factions les plus
radicales de l'insurrection syrienne, mais il a aussi redynamisé les
communautés radicales dans les pays d'où sont partis ces
volontaires. Cet afflux, qui marquera probablement une génération
entière de combattants djihadistes, est facilité par les conditions
d'accès relativement simples à la Syrie, notamment parce que de
nombreux Etats soutiennent le même camp que ces combattants, ce qui
les freine dans la répression d'un tel transit. En outre, la
frontière nord de la Syrie est contrôlée par les rebelles, ce qui
laisse la Turquie, un des principaux soutiens de l'insurrection,
comme seule « garde-frontière », et peu désireuse
de stopper le flux. Les volontaires peuvent ainsi aller en Syrie,
revenir dans leur pays d'origine pour faire du recrutement et de la
propagande, voire repartir. Le nombre élevé de femmes en provenance
d'Europe montre aussi un certain changement d'attitude de la part des
radicaux. En outre, le caractère très localisé de la guerre en
Syrie fait que les combattants peuvent ne pas être forcément
exposés au feu tout de suite, ou même tout court, ce qui rapproche
de ce point de vue la Syrie de l'Afghanistan des Soviétiques. Le
conflit syrien reflète aussi des lignes de fracture sectaires que
l'on avait pu voir en Irak, et qui traditionnellement n'attirent pas
les volontaires étrangers : mais l'important ici est peut-être
plus qui l'on vient aider, plutôt que qui l'on vient combattre.
L'échelle et la vitesse de mobilisation des combattants étrangers
ont été grandement accélérées par Internet et les réseaux
sociaux, mais c'est aussi parce que les autorités des pays de départ
n'exercent pas une répression systématique, comme on l'a dit. Ce
qui explique par exemple que le nombre de volontaires européens ait
triplé en 6 mois.
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Foreign
fighters from Western countries in the ranks of the rebel
organizations affiliated with Al-Qaeda and the global jihad in Syria,
Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, 3
février 2014.
1Lire
l'interview de Tom Cooper, que j'ai réalisée, à ce sujet :
http://lautrecotedelacolline.blogspot.fr/2013/12/la-guerre-civile-syrienne-interview-de.html
2Aaron
Y. Zelin, « CSR Insight: European Foreign Fighters in Syria »,
The International Centre for the Study of Radicalization, 2
avril 2013.
3Thomas
Hegghammer, « Number of foreign fighters from Europe in Syria
is historically unprecedented. Who should be worried? »,
The Monkey Cage, 27 novembre 2013.
4http://www.sueddeutsche.de/politik/radikale-islamisten-staffellaeufer-des-heiligen-kriegs-1.1845410
Merci à Florent de Saint-Victor de m'avoir fourni le lien en
question.
5Aaron
Y. Zelin, Sami David, « Up to 11,000 foreign fighters in
Syria; steep rise among Western Europeans », The
International Centre for the Study of Radicalisation, 17
décembre 2013.
6Aron
Lund, « Who Are the Foreign Fighters in Syria? An Interview
With Aaron Y. Zelin », Carnegie Middle East Center/Guide to
Syria in Crisis, 5 décembre 2013.
7Foreign
fighters from Western countries in the ranks of the rebel
organizations affiliated with Al-Qaeda and the global jihad in
Syria, Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center,
3 février 2014.
8Foreign
fighters from Western countries in the ranks of the rebel
organizations affiliated with Al-Qaeda and the global jihad in
Syria, Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center,
3 février 2014.
9Aron
Lund, « Who Are the Foreign Fighters in Syria? An Interview
With Aaron Y. Zelin », Carnegie Middle East Center/Guide to
Syria in Crisis, 5 décembre 2013.
10Foreign
fighters from Western countries in the ranks of the rebel
organizations affiliated with Al-Qaeda and the global jihad in
Syria, Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center,
3 février 2014.
11Zia
Ur Rehman, « Pakistani Fighters Joining the War in Syria »,
CTC Sentinel, Volume 6 Issue 9, septembre 2013, p.9-11.
12Suha
Philip Ma’ayeh, « Jordanian Jihadists Active in Syria »,
CTC Sentinel, Volume 6 Issue 10, octobre 2013, p.10-13.
13Aaron
Y. Zelin, Sami David, « Up to 11,000 foreign fighters in
Syria; steep rise among Western Europeans », The
International Centre for the Study of Radicalisation, 17
décembre 2013.
14Mona
Alami, « The Jordanian Connection », NOW., 19
décembre 2013.
15Mona
Alami, « The New Generation of Jordanian Jihadi Fighters »,
Sada/Carnegie Endowment for International Peace, 18 février
2014.
16Samar
Batrawin « The Dutch Foreign Fighter Contingent in Syria »,
CTC Sentinel, Volume 6 Issue 10, octobre 2013, p.6-10.
18Foreign
fighters from Western countries in the ranks of the rebel
organizations affiliated with Al-Qaeda and the global jihad in
Syria, Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center,
3 février 2014.
19Raffaello
Pantucci, « British Fighters Joining the War in Syria »,
CTC Sentinel, Volume 6 Issue 2, février 2013, p.11-15.
20Shiraz
Maher, « ICSR Insight: British Foreign Fighters in Syria »,
The International Centre for the Study of Radicalisation, 15
octobre 2013.
25Foreign
fighters from Western countries in the ranks of the rebel
organizations affiliated with Al-Qaeda and the global jihad in
Syria, Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center,
3 février 2014.
26Juha
Saarinen, « GUEST POST: The History of Jihadism in Finland and
An Early Assessment of Finnish Foreign Fighters in Syria »,
Jihadology.net, 21 novembre 2013.
27Andrew
Zammit, « Tracking Australian Foreign Fighters in Syria »,
CTC Sentinel, Volume 6 Issue 11-12, novembre 2013, p.5-9.
30Per
Gudmundson, « The Swedish Foreign Fighter Contingent in
Syria », CTC Sentinel, Volume 6 Issue 9, septembre
2013, p.5-9.
31Ahmet
Burak OZTAS, Combattants Tchétchènes en Syrie: Mythe ou
Réalité?, EHESS, avril 2013.
32
Mairbek Vatchagaev, « Chechens Among the Syrian Rebels: Small
in Number, but Influential », Eurasia Daily Monitor
Volume: 10 Issue: 223, The Jamestown Foundation, 12 décembre
2013.
33Mark
Youngman, « The North Caucasus Insurgency’s Syrian Balancing
Act », Jihadology.net, 7 septembre 2013.
34Emil
Souleimanov, « North Caucasian Fighters Join Syrian Civil
War », CACI Analyst, 21 août 2013.
35Murad
Batal al- Shishani, « Islamist North Caucasus Rebels Training
a New Generation of Fighters in Syria », Terrorism Monitor
Volume: 12 Issue: 3, The Jamestown Foundation, 7 février
2014.
42
Benjamin Weinthal, « The German jihadists' colony in Syria »,
The Long War Journal, 19
décembre 2013.
43
John Rosenthal, « German rapper, now jihadist still alive in
Syria », Al-Monitor, 21 février 2014.
44Foreign
fighters from Western countries in the ranks of the rebel
organizations affiliated with Al-Qaeda and the global jihad in
Syria, Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, 3
février 2014.
45Jacob
Zenn, « Increasing Numbers of Central Asian Jihadists in
Syria », The Central Asia-Caucasus Analyst, 2 octobre
2013.
49North
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Off », Jihadology.net, 20 août 2013.
50Pieter
Van Ostaeyen, « Belgian Jihadis in Syria »,
Jihadology.net, 5 septembre
2013.
53Pieter
Van Ostaeyen, « Belgium’s Syria Fighters ~ An Overview of
2012 and 2013 », Jihadology.net, 24 janvier 2014.
55Pieter
Van Ostaeyen, « Belgium’s Syria Fighters ~ An Overview of
2012 and 2013 (II) », Jihadology.net, 25 janvier 2014.
56Fernando
Reinares et Carola García-Calvo, « Jihadists from Spain in
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décembre 2013.
57Fernando
Reinares et Carola García-Calvo, « The Spanish Foreign
Fighter Contingent in Syria », CTC Sentinel, janvier 2014, Vol
7. Issue 1, p.12-14.
58Fernando
Reinares et Carola García-Calvo, « The Spanish Foreign
Fighter Contingent in Syria », CTC Sentinel, janvier
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59Fernando
Reinares et Carola García-Calvo, « The Spanish Foreign
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61David
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reached the heart of Egypt. », Foreign Policy, 9
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62Mohannad
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66Jérôme
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67Mohamed
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75Aaron
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76Ludovico
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Hegghamer, Syria's Foreign Fighters, Middle East Channel,
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Stéphane Taillat de m'avoir offert cet article.