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Stéphane FRANCOIS, Le nazisme revisité. L'occultisme contre l'histoire, Paris, Berg International, 2008, 125 p.

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Stéphane François est un spécialiste des sous-cultures occultistes et ésotériques, et a en particulier étudié leurs rapports avec les milieux de l'extrême-droite européenne, ciblant les courants néo-paganistes, l'ufologie et la Nouvelle Droite.

Le but de ce court essai est d'étudier le thème de prédilection d'une littérature marginale : le nazisme et ses crimes seraient expliqués par une arrière-pensée occulte. Se construit ainsi le concept "d'occultisme nazi" qui est une réécriture de l'histoire en tentant de tout expliquer à travers des spéculations irrationnelles ou pseudo-scientifiques, en vouant aux gémonies les "historiens officiels", accusés d'être des idiots ou des agents de la désinformation. Le thème a connu un vrai décollage avec la publication du Matin des magiciens en 1960 et le lancement de la revue Planète l'année suivante.

Le nazisme a-t-il été une forme de néo-paganisme ? Il est vrai qu'il baigne dans l'atmosphère völkisch et que la fascination pour le paganisme européen antique est forte, mais elle n'a rien à voir avec le néo-paganisme. Celui-ci s'inspire évidemment du romantisme, et le mouvement völkisch est encore différent. Certains aryosophes, une fraction de ce mouvement, influencés par la théosophie de Blavatsky, tablent ainsi sur un christianisme aryen. Une bonne partie du mythe de l'occultisme nazi est à chercher dans la Société Thulé, qui fait partie de cet ensemble. Les rapports entre cette société secrète assez confidentielle et le nazisme ont en en réalité été très lâches. Les nazis ont d'ailleurs tout fait pour minimiser leurs liens avec le mouvement völkisch. Cela n'a pas empêché le Matin des magiciens de relayer le mythe d'un occultisme orientalisant, inspiré de la théosophie.



Hitler était-il un envoyé des forces occultes, un agent de Satan, comme le prétendent ces milieux, voire un medium ? Ces idées farfelues sont soutenues par d'anciens nazis, comme Rauschning, et par les occultistes eux-mêmes. Il y a reprise du vieux thème de l'extrême-droite catholique selon lequel la franc-maçonnerie, société secrète par excellence,  est une oeuvre satanique. Ces théories se basent surtout sur les liens de Hess et Himmler avec le monde ésotérique, qu'Hitler a aussi fréquenté en Autriche. Le Führer a certes été influencé par les idées de ce milieu mais pas au point de ne pas prendre des mesures drastiques, plus tard, contre les völkisch. On a également beaucoup glosé sur le château de Wewelsburg, que Himmler a recouvert de références symboliques, mais qui cherche surtout à donner un vernis d'antiquité germanique à la SS.

En réalité, le nazisme se rapproche plus d'un christianisme germanisé que d'un néo-paganisme. Et ce même si les nazis se sont passionnés pour les thèses pagano-racialistes d'un Hans Günther, qui jouera un grand rôle après la guerre dans la reconstruction de l'extrême-droite et qui reste une référence pour les identitaires. Himmler cherche surtout à créeer une pseudo-culture germanique à partir d'un passé imaginé et idéalisé, pour justifier la prétention à la domination mondiale du IIIème Reich. C'est le sens de l'intervention d'un personnage comme Wiligut ou de la création de l'Ahnenerbe. Le paganisme nazi a été forgé en grande partie par les Eglises chrétiennes allemandes persécutées. Or le nazisme a eu besoin du soutien des catholiques pour s'imposer, même s'il a combattu ensuite toute forme de dissidence, y compris parmi les néo-païens.

Le nazisme ne serait-il finalement qu'un millénarisme inspiré du christianisme ? L'historien britannique N. Goodrich-Clarke souligne que le mythe de l'occultisme nazi, dans sa composante religieuse, naît peut-être du culte politique organisé par le régime, la SS devenant une sorte de pseudo-clergé répressif. D'autres y voient une religion séculière autour du culte du sang et de l'héritage du romantisme et du mouvement völkisch. Hitler a très tôt compris l'intérêt de la propagande et a orchestré une véritable "liturgisation" de la vie politique.

L'occultisme nazi décolle donc avec le Matin des Magiciens, qui entoure certains personnages extravagants du IIIème Reich d'une aura de mystère. Mais le livre ne fait que reprendre des thèmes qui existent alors depuis 30 ans. En les combinant différemment, il attire l'attention du grand public ; il y a convergence entre les milieux occultistes et ceux pré et néo-nazis. Le livre permet aux thèmes occultistes de dépasser un cercle restreint, ce qui explique aussi le succès des penseurs qui vont reconstruire l'extrême-droite européenne, comme Evola. Les thèmes se diffusent alors dans la culture populaire, surfant sur le désenchantement du monde dans la seconde moitié des années 1970.

Le mythe de l'occultisme nazi est récupéré par une partie de l'extrême-droite, comme les anciens SS français qui publient beaucoup après la guerre (Saint-Loup, Yves Jeanne, Robert Dun). Saint-Loup (Marc Augier), en particulier, parle beaucoup d'une quête ésotérico-raciste dans ses romans, de même que la Franco-Grecque Savitri Devi et le Chilien Miguel Serrano. Jan Helsing, au sein de la droite radicale conspirationniste, utilise également le thème. Ces auteurs entretiennent à dessein le mythe d'un enseignement ésotérique de la SS et du mythe d'Otto Rahn. En outre, ce thème a influencé les "folklistes", des néo-völkisch qui ont comme référence le fameux Günther, de même que le GRECE et autres mouvements d'extrême-droite de la même époque. Un auteur comme Ernesto Mila, un folkliste espagnol, concentre tous les poncifs sur l'occultisme nazi. En France, la transmission se fait notamment via Jean Mabire, qui écrit un livre sur le sujet en 1977, à côté de ses innombrables récits à la gloire des Waffen-SS. De fait, cependant, la fascination pour l'occultisme nazi est restreinte même au sein de l'extrême-droite ; elle est surtout entretenue par des éditeurs qui ont senti un "bon filon".

La littérature a permis au thème de se diffuser dans la culture populaire. Les films de "nazixploitation", insistant plus sur le caractère sadique et sexuel de la SS, finissent par créer une véritable sous-culture "underground". Le thème de l'occultisme nazi se retrouve ensuite dans les Indiana Jones, dans les BD, les comics (Hellboy), les jeux vidéos (Return to Castle Wolfenstein) et même dans le domaine musical, ainsi le National Socialist Black Metal, même si le recours reste superficiel.

Pour conclure, Stéphane François souligne que l'occultisme nazi est un mythe qui répond à l'impossibilité pour certains thuriféraires du IIIème Reich d'acquiescer à la fin d'un règne devant durer 1 000 ans et de ses propagateurs. Il fallait aussi expliquer comment le nazisme avait pu commettre de telles horreurs -c'est ce que l'on trouve derrière la démarche du Matin des Magiciens. La tactique d'euphémisation du nazisme par l'occultisme, utilisée par une partie de l'extrême-droite, a été un succès relatif. Le mythe sert surtout à légitimer la vision du monde de ces courants ; il est réapparu en force avec Internet, après un certain déclin.

Cette courte synthèse, certes un peu chère, permet pourtant de décortiquer les représentations concernant les rapports entre occultisme et nazisme. A l'heure où le conspirationnisme se développe à une vitesse folle, c'est aussi une saine lecture contre une réécriture de l'histoire devenue une véritable mythologie, pour certains.



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