La
guerre du Golfe représente sans doute le zénith de l'arme blindée
américaine. Jamais celle-ci n'est arrivée sur le champ de bataille
aussi bien préparée qu'en 1990. La doctrine de l'armée américaine
a été profondément révisée depuis la fin de la guerre du Viêtnam
en 1973 et les blindés bénéficient d'un intérêt sans précédent.
Les M1A1 Abrams sont couverts par l'infanterie mécanisée,
l'artillerie autopropulsée, les sapeurs mécanisés et les
hélicoptères d'attaque. Après une intense campagne aérienne, les
blindés américains pénètrent au Koweït et traversent le désert
pour frapper les flancs et les arrières du dispositif irakien. En
moins de cinq jours, Saddam Hussein est contraint de retirer son
armée du Koweït pour sauver son régime. La guerre du Golfe
représente, in fine, la première guerre de mouvement
d'envergure pour l'arme blindée américaine depuis la Seconde Guerre
mondiale. La division blindée type est « éclairée »
par les M3 Bradley et les hélicoptères OH-58D du squadron de
cavalerie. Derrière suivent les trois brigades, qui possèdent
chacune plus de puissance de feu qu'une division blindée de la
Seconde Guerre mondiale, avec 2 ou 3 bataillons de chars M1A1 (58 chars
chacun) et un bataillon de véhicules blindés M2A2 (54 véhicules chacun). Sans compter
les unités de soutien, et un bataillon d'artillerie pour chaque
brigade, avec 24 M109A2, et plus de 250 véhicules en tout.
L'Aviation Brigade comprend deux bataillons d'AH-64 Apache,
une compagnie de UH-60 Blackhawk et une section d'OH-58D. En
mouvement pendant Desert Storm, une division blindée
américaine occupe de 25 à 45 km de front sur une profondeur de 80 à
150 km, avec 22 000 hommes et plus de 1 940 véhicules chenillés,
sans compter 7 200 véhicules à roues et les hélicoptères. La 3ème
armée américaine emploie deux corps pour attaquer la Garde
Républicaine irakienne. Pour le général Starry, un des fondateurs
de l'AirLand Battle, le corps d'armée est l'unité adéquate
pour appliquer la doctrine tactique de l'US Army. C'est aussi
le pont entre le tactique et l'opératif, ce qui va s'appliquer aux manoeuvres du
VIIème et XVIIIème corps. L'instruction des tankistes insiste
désormais sur le tir sur cibles multiples pour chaque char, en
mouvement et équipage enfermé à l'intérieur.
Entre
les 2 et 6 août 1990, l'armée irakienne de Saddam Hussein occupe,
par une opération rondement menée, le Koweït. Dès le 7 août, les
Etats-Unis expédient des appareils de l'USAF et la 82nd
Airborne Division en Arabie Saoudite, cette dernière arrivant
avec les M551 Sheridan du 3rd
Battalion, 73rd Armor. Le 13 août, le
président Bush envoie la 24th Infantry
Division (Mechanized) renforcée de la 197th
Infantry Brigade (Mechanized). Le 27 août, le général Luck,
commandant le XVIIIème corps, a suffisamment de blindés pour
résister à une offensive irakienne. Les Marines arrivent dès
le 14 août et la 101st Airborne Division
(Air Assault) trois jours plus tard. Début octobre, le 3rd
Amored Cavalry Regiment et la 1st
Cavalry Division sont dépêchés à leur tour : Luck aligne
alors 763 chars, 227 hélicoptères et pas moins de 1 500 véhicules
blindés. Les Marines continuent d'arriver ainsi que la 7th
Armoured Brigade britannique avec ses Challenger et ses
Warrior. Le 8 novembre, le président Bush annonce un
doublement du corps expéditionnaire pour lui donner une capacité
offensive, avec l'augmentation de la présence de l'USAF et des
Marines, et un VIIème corps renforcé. Les troupes déployées
sont un assemblage composite venant des unités basées en Europe :
Vème corps (3rd Armored Division),
VIIème corps (2nd Armored Cavalry
Regiment et 1st Armored Division),
plus la 1st Infantry Division qui
arrive du Kansas. En tout, 35 bataillons lourds, 7 bataillons
d'hélicoptères d'attaque, 24 bataillons d'artillerie automotrice :
la plus formidable force jamais déployée par les Etats-Unis. La 1st
Armoured Division britannique est rattachée à l'ensemble en
décembre. La 1st
Cavalry Division est assignée au VIIème corps et le
XVIIIème se déplace à l'ouest. La 1st
Cavalry revient dans la réserve du CENTCOM le 24 février, au
début de l'offensive terrestre, puis est affecté au VIIème corps
de nouveau le 26 février.
Début
décembre, la première unité du VIIème corps, le 2nd
Armored Cavalry Regiment, arrive en Arabie Saoudite. Les derniers
éléments, de la 3rd Armored Division,
n'arrivent eux qu'en février 1991, juste avant l'offensive
terrestre. Les M1 sont remplacés par des M1A1 et les M3 par des
M3A1. Le VIIème corps se déplace à l'est tandis que le XVIIIème
corps reste sur la côte. Les unités s'acclimatent tant bien que
faire se peut au climat désertique ; la 1st ID et la
1st Armoured Division britannique
préparent la percée des lignes irakiennes. Dans la troisième semaine
de février, le général Yeosock, qui commande la 3ème armée, fait
avancer les deux corps dans leur zone de rassemblement avancée. Il
fait déplacer le XVIIIème corps vers l'est en dissimulant le
mouvement aux Irakiens, alors que le VIIème corps répète l'assaut.
Yeosock peut compter sur plus de 2 000 chars et 1 500 véhicules
blindés, plus deux fois plus que Patton avant son mouvement durant
la contre-offensive des Ardennes. La cible du dispositif américain
est la Garde Républicaine irakienne, formation d'élite qui a mené
l'invasion du Koweït avec 3 divisions lourdes : Medina et
Hammourabi (blindées) et Tawakalna (mécanisée). Retirées du sud du
Koweït, ces formations sont en position centrale sur la ligne de
front. L'ensemble comprend plus de 800 chars T-72 et plus de 600
véhicules blindés BMP. Le flanc nord de la Garde Républicaine est
protégé par 3 divisions d'infanterie motorisée (Al Fawa,
Nabuchodonosor et Adnan), avec chacune au moins un bataillon de
chars. Les 10ème et 12ème divisions blindées, nouvellement
formées, sont aussi contrôlées par la Garde Républicaine. La
première est de peu de valeur, contrairement à la seconde, unité
d'élite de l'armée irakienne. Ces divisions doivent servir de
couverture à la Garde Républicaine, à l'est, menant l'attaque ou
parant une offensive adverse.
La
campagne aérienne de Desert Storm démarre le 16/17 janvier 1991, et
dure un bon mois. La campagne terrestre commence le 24 février 1991.
La 3ème armée a prévu, avec ses deux corps, une manoeuvre pour
bloquer l'autoroute 8, empêcher la Garde Républicaine de s'échapper
et la détruire purement et simplement. Le VIIème corps a la mission
principale. Si les Irakiens ne bougent pas, la 3ème armée a prévu
de faire pivoter à 90 degrés vers l'est ses deux corps d'armée. Le
VIIème corps doit d'abord percer la ligne irakienne tenue par les
divisions d'infanterie de deuxième ligne. Il doit ensuite rechercher
le contact avec la Garde Républicaine. Le général Franks, son
commandant, a organisé son effort en deux éléments. La 1st
ID doit percer le front, puis la 1st
Armoured Division britannique s'engouffrera dans la brèche pour
détruire les restes du VIIème corps irakien et protéger le flanc
droit du VIIème corps américain. La 1st ID rejoindra
ensuite le mouvement pour la destruction de la Garde Républicaine.
Le second élément, avec trois divisions, doit conduire une
manoeuvre d'enveloppement pour briser la Garde Républicaine en
tombant sur ses arrières.
La
1st Infantry Division attaque à 5h30
le 24 février. A 15h00, l'artillerie de la 1st ID tire 11
000 obus de 155 mm ou roquettes de MLRS sur les positions irakiennes.
La division entame le front irakien et devant cavalcadent les
bataillons de chars et les squadrons de cavalerie. Les
Américains contournent les positions fixes irakiennes, les attaquent
de flanc ou par l'arrière, remplissent les tranchées de sable avec
les bulldozers M9. A 16h16, 16 passages sont déjà prêts pour
l'exploitation. Au prix d'un mort et d'un blessé, la 1st
ID a pris les deux tiers de ses objectifs et 1 000 prisonniers.
Franks retient la reprise de l'assaut jusqu'au matin du 25 février,
pendant que la 1st Armoured Division
britannique se met en position. A 6h00, la 1st ID
repart à l'attaque, suivie dans l'après-midi par les 7 000
véhicules britanniques. Le 2nd Armored
Cavalry Regiment cherche le contact avec la Garde Républicaine
pour favoriser l'enveloppement. Ce régiment de reconnaissance a
avancé dès le 24 février de 40 km en territoire irakien. A 6h00,
appuyé par la 210th Artillery Brigade,
le régiment tombe sur des unités blindées et mécanisées de la
50ème brigade blindée, 12ème division blindée irakienne, suivie
par la 37ème brigade mécanisée, qui couvrent le déploiement de la
division mécanisée Tawakalna plus à l'est. Le bataillon irakien
est décimé par les TOW des AH-1 de la Troop O et des volées
de roquettes MLRS. Le colonel Holder, commandant du régiment, fait
reposer l'unité à la nuit : il sait qu'il est sur la route
d'au moins deux brigades irakiennes, il faut ravitailler en
munitions, et par ailleurs il veut se réorienter vers l'est pour
trouver le gros de la Garde Républicaine. Il mène néanmoins des
raids pendant la nuit pour maintenir la pression sur les Irakiens. A
2h00, le 26 février, une petite unité mécanisée irakienne attaque
le 3rd Squadron, dans
un secteur où l'on trouve des Bradley et des véhicules
de maintenance. Dans un combat confus, 9 MT-LB et un char irakien
sont détruits, 65 soldats capturés, mais 2 Bradley sont
endommagés et 2 M113 détruits, avec pertes humaines, probablement
en raison du feu ami, pour partie. Le régiment reprend la
progression dès le matin ; après avoir détruit des MT-LB et des
T-55 isolés, il signale le premier T-72 détruit à 7h13. Il entre
en contact avec le gros de la Garde Républicaine, dont le feu
d'artillerie précis endommage un char M1A1 à 8h45. A midi, le
1st Squadron a déjà détruit deux
douzaines de T-55 et une douzaine de véhicules blindés. A 3h30, le
2nd Squadron entre dans la zone de
sécurité de la division Tawakalna. Le capitaine McMaster, de la
Troop E, doit repousser une contre-attaque irakienne et
détruit la moitié du bataillon engagé. Le 3rd
Squadron aborde le même môle de résistance plus au sud. Il
repousse également une contre-attaque menée par une compagnie de
T-72. Le colonel Holder joue cependant la prudence car ses squadrons
ne peuvent emporter une position défendue par 6 ou 7 bataillons
irakiens. La Troop G du 2nd
Squadron bute sur un bataillon de la 18ème brigade mécanisée à
16h15, à 73 Easting. Un Bradley est détruit par un
obus irakien à 17h45. Une mêlée à courte portée se développe,
les combats sont furieux : la Troop G détruit au moins
deux compagnies de chars irakiens. Le régiment a accompli sa mission
en décelant le flanc gauche de la Tawakalna, détruisant la 50ème
brigade mécanisée, un bataillon d'infanterie mécanisée de la
18ème brigade mécanisée, et des centaines d'autres véhicules. La
1st ID prend le relais, passe à travers le régiment et
attaque la 9ème brigade blindée et les 18ème et 37ème brigades
mécanisées. A l'aube, les trois brigades irakiennes laissent sur le
terrain 200 chars et des centaines de véhicules blindés détruits.
Au nord, la 3rd Armored Division
détruit le dispositif central de la Tawakalna.
La
3rd Armored Division bouscule les
restes de la 50ème brigade blindée puis bute sur le dispositif
central de la Tawakalna à 16h30, le 26 février. Il y a 6
bataillons, 2 blindés et 4 mécanisés, de deux brigades (29ème
mécanisée et 9ème blindée), étalés sur 20 km. On trouve en
outre dans le secteur un bataillon de la 46ème brigade mécanisée,
12ème division blindée, et un bataillon de T-62, peut-être de la
10ème division blindée. En tout, 9 bataillons lourds irakiens
contre 10 américains. Le général Funk deploie sa division, en
gros, en V inversé en direction de l'est. La 2nd
Brigade forme la branche nord du V, la 1st
Brigade la branche sud, la 3rd
Brigade est au centre. Chaque brigade est soutenue par de
l'artillerie de la 42nd Field Artillery
Brigade. Une compagnie d'Apaches du 2nd
Battalion, 27th Attack Helicopter Regiment accompagne chaque
formation. Le commandant de division dispose des MLRS et au sud, le
4th Squadron/7th
Cavalryéclaire le dispositif en lien avec le 2nd
Armored Cavalry Regiment. La 1st
Brigade avance sur un front étroit de 5 km, en coin. A 17h00,
elle bute dans le bataillon renforcé, au nord du dispositif de la
9ème brigade blindée. La bataille dure jusqu'à 9h00, les Irakiens
tentant d'utiliser leurs T-72 pour envelopper les Américains. A
18h00, la Troop A du 4th Squadron
tombe sur un point fort irakien et doit se replier : dans la
confusion, un char M1A1 de la TF 4-34 Armor tire sur un
Bradley et tue un membre d'équipage, et le 2nd
Armored Cavalry Squadron, au sud, endommage un autre Bradley. 10
des 13 M3 ont été touchés par les Irakiens, avec en tout 2 tués
et 12 blessés. A 16h45, le 26 février, Funk fait avancer la 2nd
Brigade du colonel
Higgins avec quasiment toute l'artillerie de deux brigades en soutien
et le bataillon d'Apaches. A 22h00, la 2nd
Brigade entame le dispositif de la 29ème brigade mécanisée
irakienne. A 2h00, la première ligne défensive est brisée. Funk
introduit la 3rd Brigade qui
piétinait d'impatience en arrière : au matin du 27 février,
deux brigades blindés irakiennes ont été anéanties. La 1st
Armored Division détruit un bataillon de chars au nord du
secteur tenu par la Tawakalna. Le VIIème corps a fixé cette
division avec 6 brigades et un régiment de cavalerie blindé et l'a
enveloppé par le nord et par le sud avec deux autres brigades. Seule
l'application méthodique de la doctrine AirLand Battle, et la
magnifique performance des équipages de chars américains, sont
venues à bout de la résistance de la Tawakalna, qui n'avait pas un
moral de vaincu, loin s'en faut. La 1st
Armored Division approche, le 27 février, des positions de la
division blindée Medina.
Ce
jour-là, l'armée irakienne tente de repousser la percée vers
Bassorah, avec la division Medina. Au sud, sur 50 km, à l'ouest de
la frontière du Koweït, on trouve des éléments des 10ème, 12ème
et 17ème divisions blindées et d'autres unités. Le commandement
irakien cherche à tenir le plus longtemps possible pour évacuer le
Koweït. La 2ème brigade blindée de la division Medina compte sur
le mauvais temps qui paralyse l'action des A-10, notamment. Ses
positions sont mal préparées. A 12h17, les chars de la 2nd
Brigade de la 1st AD américaine ouvrent le feu sur
les Irakiens surpris entre 2 et 4 km de distance, avec les visées
thermiques. L'artillerie irakienne tire sur des coordonnées
pré-enregistrées, sans résultat : la contre-batterie
américaine des 155 pulvérise les batteries qui se sont dévoilées
en quelques minutes. Les A-10 et les Apaches n'arrivent que
dans l'après-midi, mais en moins d'une heure, la brigade du colonel
Meigs a détruit la 2ème brigade blindée irakienne. Au sud, la 1st
Brigade pénètre aussi dans le dispositif de la Medina, tandis
que la 3rd Brigade aborde son flanc
gauche à 13h00. Dans le dernier cas, Apaches et appareils de
l'USAF sont également de la partie. La division Medina est détruite. Cette bataille illustre sans nul doute mieux que les
autres la combinaison des armes souhaitée par la doctrine mise en
place après le Viêtnam.
Le
28 février, l'armée irakienne est en pleine retraite sur l'Euphrate
et reste concentrée autour de Bassorah. Le VIIème corps occupe le
Koweït et la 24th Infantry Division
(Mechanized) et le 3rd Armored
Cavalry Regiment bloquent les routes d'échappée au sud de
l'Euphrate. A 8h00, le président Bush ordonne un cessez-le-feu pour
permettre à Saddam Hussein de négocier. 2 des 3 divisions lourdes de
la Garde Républicaine sont détruites, la troisième, Hammourabi,
est prisonnière dans la poche de Bassorah. Malgré le cessez-le-feu,
les combats continuent. Une brigade de la Hammourabi tente de
forcer le passage sur l'autoroute 8, le 2 mars, à travers la 24th
ID. La 1st Brigade de cette unité
brise l'assaut irakien : 185 véhicules blindés, 400 camions et
une trentaine de pièces d'artillerie restent sur le terrain.
Pour
en savoir plus :
Stephen
A. BOURQUE, « The Hundred-Hour Thunderbolt : Armor in the
Gulf War », in George F. HOFMAN, Donn A. STARRY, Camp Colt
to Desert Storm. The History of U.S. Armored Forces, The
University Press o Kentucky, 1999, p.497-531.
Pour aller plus loin, on peut lire du même auteur :
Pour aller plus loin, on peut lire du même auteur :
Stephen A. Bourque, "CORRECTING MYTHS ABOUT THE PERSIAN GULF WAR: THE LAST STAND OF THE TAWAKALNA", The Middle East Journal, Volume 51, Number 4, autumn 1997.
On relira aussi la partie concernée du gros article d'Adrien FONTANELLAZ, à propos de la Garde Républicaine irakienne, "l'autre côté de la colline", donc.
http://histoiresmilitaires.blogspot.fr/2012/09/une-breve-histoire-de-la-garde.html
On relira aussi la partie concernée du gros article d'Adrien FONTANELLAZ, à propos de la Garde Républicaine irakienne, "l'autre côté de la colline", donc.
http://histoiresmilitaires.blogspot.fr/2012/09/une-breve-histoire-de-la-garde.html