Les
médias occidentaux et les différents chercheurs et spécialistes du
conflit syrien se sont surtout focalisés sur l'arrivée de
combattants étrangers côté insurrection. Ces volontaires sont
venus renforcer, à partir de 2012, les différents groupes
djihadistes comme le front al-Nosra, puis l'EIIL en 2013. On
s'inquiète, évidemment, du retour de certains combattants
radicalisés dans les pays d'origine. En France, le départ récent
d'un adolescent de 15 ans, originaire de la région toulousaine, a
relancé l'intérêt pour la question, tout comme l'annonce récente
par Manuel Valls de la présence de « 700 Français »
en Syrie -un chiffre qui, sans davantage de précisions, ne signifie
malheureusement pas grand chose. La dernière estimation sérieuse,
en décembre 2013, plaçait à 11 000 au maximum le nombre de ces
volontaires étrangers arrivés depuis 2011 en Syrie, côté
insurrection, issus en grande majorité du monde arabe, même si le
nombre de volontaires issus d'Europe de l'Ouest s'est accru1.
Mais qu'en est-il en face, dans le camp du régime ? On sait que
la Syrie, dès le départ, a bénéficié du soutien de l'Iran, qui a
non seulement ravitaillé le régime, mais engagé certaines de ses
troupes sur le terrain, notamment dans un rôle de formation,
d'encadrement et de renseignement. Cela ne veut pas dire d'ailleurs
que les Iraniens restent en dehors des combats, bien au contraire :
ils y ont participé. Surtout, l'Iran a mobilisé ses
« intermédiaires », ses relais d'influence dans
les pays voisins : le Hezbollah, présent dès 2011, a engagé
massivement son appareil militaire en Syrie au printemps 2013,
contribuant à sauver le régime. Téhéran déploie aussi les
milices irakiennes pro-iraniennes, à partir de 2012, en Syrie, et
essaie d'élargir l'effort de recrutement. Combien de combattants
étrangers, étatiques ou non-étatiques, au total, sont venus se
battre pour le régime syrien ? Les estimations varient. Le
Hezbollah maintient plusieurs milliers de combattants sur le terrain,
mais a fait tourner ses unités : certains évoquent le chiffre
de 10 000 hommes passés sur les champs de bataille syrien, un
chiffre très élevé. Les Gardiens de la Révolution auraient au
moins envoyé 1 000 à 1 500 hommes en Syrie. Les miliciens, enfin,
notamment irakiens, représentent une force d'appoint d'au moins 3
500 combattants et peut-être plus de 4 000. Si le total peut au
moins se monter à 7-8 000 hommes2,
voire 10-15 000 hommes3,
certains n'hésitent pas, en particulier côté rebelle, à le porter
à beaucoup plus, jusqu'à 40 000 (!). Une chose est sûre :
quels que soient les chiffres, l'intervention de ces combattants
étrangers, aux côtés du régime, a eu beaucoup plus d'impact sur
le déroulement du conflit que celui des volontaires étrangers côté
insurrection.
L'Iran
La
République Islamique d'Iran mène un effort soutenu, depuis 2011,
pour maintenir Bachar el-Assad au pouvoir, ou à défaut, pour
pouvoir utiliser le territoire syrien comme tremplin pour ses
intérêts régionaux. Un corps expéditionnaire comprenant des
unités des Gardiens de la Révolution, leur unité spéciale, la
force Qods, et les services de renseignement et de maintien de
l'ordre, est présent en Syrie. L'Iran assure également par air,
essentiellement, la logistique du régime, ce qui représente aussi
un point vulnérable, si l'espace aérien vient à être contesté.
C'est Téhéran, avec le Hezbollah, qui assure également la
formation des miliciens destinés à renforcer la masse de manoeuvre
du régime, ou à prolonger l'influence iranienne sur place. Le
Hezbollah lui-même s'est engagé massivement au printemps 2013, et
l'Iran a activé dès 2012 le levier des milices chiites irakiennes
pro-iraniennes en formant, notamment la brigade Abou Fadl al-Abbas
(voir plus loin), suivie de nombreuses autres en 20134.
Dès
le départ, les Gardiens de la Révolution et la force Qods tentent
d'appuyer la contre-insurrection du régime, en 2011. Quand Bachar
el-Assad commence à perdre le contrôle du nord et de l'est du pays
à l'été 2012, les Iraniens s'attachent à maintenir le contrôle
du régime sur le centre et le sud. C'est aussi à ce moment-là que
l'Iran commence à former des miliciens, à la fois pour pallier à
la désintégration progressive de l'appareil militaire et, comme on
l'a dit, afin de maintenir son influence sur place au cas où le
régime tomberait. L'Iran appuie donc à la fois les restes de
l'ancien appareil militaire et les nouvelles milices qui fusionnent
avec eux.
Dès
mai 2011, il apparaît que le général Suleimani, le commandant de
la force Qods, et Mohsen Chizari, le directeur de l'entraînement et
des opérations de celle-ci, sont impliqués dans la répression des
manifestations anti-régime. Les deux hommes ont activement soutenu
les milices pro-iraniennes en Irak, contre les Américains :
Chizari avait même été arrêté, avec un autre officier de la
force Qods, en 2006, avant d'être expulsé par le gouvernement
irakien. L'implication de la force Qods est révélée au grand jour
avec l'assassinat, en février 2013, du général Shateri, dans la
campagne autour de Damas, alors qu'il se rendait à Beyrouth après
avoir visité le front à Alep. Shateri était un officier important
de la force Qods qui avait opéré secrètement au Liban depuis
2006 ; il avait servi en Afghanistan et en Irak. On a spéculé
sur le fait que Shateri était peut-être venu pour récupérer ou
détruire des documents sensibles à la base d'armes chimiques
d'al-Safir, près d'Alep, alors menacée par les rebelles -l'Iran
ayant contribué au programme des armes chimiques syriennes.
Source : http://www-tc.pbs.org/wgbh/pages/frontline/tehranbureau/images/ghasem.jpg |
Les
Iraniens forment, de toute évidence, de nouvelles unités militaires
syriennes. On sait qu'un 416ème bataillon de forces spéciales a été
entraîné par les Iraniens, probablement au complexe de al-Dreij,
entre Damas et Zabadani. Les forces conventionnelles des Gardiens de
la Révolution participent également à cet effort. 48 d'entre eux,
capturés en août 2012, ont été relâchés en janvier 2013. Parmi
eux, deux généraux, le commandant et l'ancien commandant de l'unité
Shohada de la province de l'Azerbaïdjan occidental ; le
commandant de la 14ème brigade Imam Sadegh (province de Bushehr) ;
et du personnel lié à la 33ème brigade al-Mahdi (province de
Fars). Le déploiement de forces conventionnelles des Gardiens de la
Révolution, et pas seulement de la force Qods pourtant chargée des
opérations à l'étranger, montre le degré d'implication de l'Iran.
Il faut dire que les Gardiens de la Révolution ont l'expérience de
la contre-insurrection, ce qui n'est pas forcément le cas de la
force Qods : d'ailleurs les unités impliqués viennent de
provinces où se sont déroulés des soulèvements réprimés par les
Gardiens de la Révolution.
Il
est difficile de dire si les Iraniens influencent véritablement les
choix stratégiques du président Assad. On peut remarquer que la
décision de combattre pour conserver les centres urbains, dès le
début 2012, correspond à un discours de Suleimani en janvier 2012
qui préconisait justement de tenir les villes, et effectivement, la
première capitale provinciale, Raqqa, ne tombe qu'en mars 2013. La
première offensive en 2012 a lieu à Zabadani, qui a l'avantage
d'être proche de la capitale Damas, mais qui est aussi sur le cordon
de ravitaillement pour le Hezbollah au Liban. C'est à Zabadani que
les Gardiens de la Révolution stationnaient pour leurs opérations
au Liban à partir de 1982 ; en outre, jusqu'en 2011, c'est le
point de transit et de stockage principal pour les armes à
destination du Hezbollah. Le mur construit autour de Homs après le
siège de février-mars 2012 rappelle étrangement celui que les
Américains avaient bâti autour de Sadr City, à Bagdad, en 2008,
pour isoler leurs adversaires. Suleimani et le commandant adjoint de
la force Qods, Esmail Ghaani, ont cependant multiplié les critiques
contre Assad, lui reprochant en particulier le massacre sectaire de
Houla en 2012 et sa gestion beaucoup trop répressive des
manifestations.
Source : http://www.worldtribune.com/wp-content/uploads/2012/03/OSGEOINT-14-Feb-2012-UAV-on-Video-Over-Homs-2.jpg |
Téhéran
contribue aussi à envoyer des spécialistes du renseignement et du
maintien de l'ordre. Le commandant adjoint des forces de maintien de
l'ordre iraniennes, Ahmad Reza Radan, fait le voyage à Damas dès la
fin avril 2011. Ce sont ces forces qui avaient brisé les
manifestations en Iran, en juin 2009. Elles dépendant du ministère
de l'Intérieur, et in fine de Khamenei, ce qui montre bien
d'ailleurs que le soutien à la Syrie n'est pas le fin que de
Suleimani ou des Gardiens de la Révolution, mais bien de l'ensemble
du pouvoir iranien. Le chef du renseignement des Gardiens de la
Révolution, Hojjat al-Eslam Hossein Taeb, est impliqué dans
l'effort dès mai 2011 au moins. En février 2012, un drone iranien
Monajer est déjà utilisé au-dessus de Homs. En septembre 2012,
Iran Electronics Industries a déjà fourni au moins deux millions de
dollars de matériel à la Syrie, dont des brouilleurs radio.
Mohammed Nasif Kheirbek, un proche du clan Assad, dont la famille est
très impliquée dans l'appareil de renseignement, sert
d'intermédiaire avec les Iraniens : il va discuter à l'été
2011 pour l'établissement d'un complexe militaire et de dépôts à
l'aéroport de Lattaquié.
L'Iran
utilise principalement la voie aérienne pour ravitailler le régime
syrien. Les compagnies commerciales sont mises à contribution :
Iran Air, Yas Air (qui transport combattants, munitions, roquettes,
canons antiaériens et obus de mortiers). En septembre 2012, une
centaine d'appareils commerciaux est déjà impliquée, sans compter
les appareils militaires : au moins 3 An-74 et 2 Il-76. Il faut
dire que les Gardiens de la Révolution utilisent la Syrie comme hub
pour leurs livraisons au Hezbollah depuis au moins 2000. Au départ,
les membres de la force Qods sont d'ailleurs acheminés par avion.
L'aviation syrienne engage ses Il-76 également, dont au moins un a,
en 2012, navigué via l'Iran et la Russie, pour ramener des
hélicoptères de combat Mi-25 « remis en condition ».
En mars 2011, la Turquie avait saisi un Il-76 de Yas Air transportant
des fusils d'assaut, des mitrailleuses, des obus de mortiers ;
l'Iran utilise ensuite l'espace aérien irakien. Le passage est
facilité par la collusion du ministre du Transport irakien, Hadi
al-Amiri, et l'organisation Badr en Irak.
Par
voie de terre, à la fin 2012, il ne restait qu'un seul point
d'entrée à la frontière syro-irakienne que pouvait utiliser les
Iraniens : Al Walid-At Tanf. Les trois autres ont été perdus
de par la progression des Kurdes au nord-est, de l'activité des
groupes sunnites en Irak et de l'avance des rebelles syriens. Al
Walid-At Tanf, la route la plus au sud, est aussi la plus rapide vers
Damas. L'Iran a aussi déployé des navires via le canal de Suez, et
ce dès avant le déclenchement de la révolte, en février 2011.
L'Alvand et le Kharg rallient ensuite Lattaquié. Deux autres navires
font le même voyage en février 2012 vers Tartous. Des tankers
ramèneraient du pétrole syrien brut vers l'Iran. Toujours est-il
que le soutien iranien au régime syrien passe d'abord par le
ravitaillement aérien, qui s'opère sur une base quasi quotidienne.
Source : http://understandingwar.org/sites/default/files/FINAL%20SYRIA%20MAP.jpg |
Dès
l'été 2012, l'Iran commence aussi à former les milices
paramilitaires syriennes, et en particulier Jaysh al-Sha‘bi, qui
regroupe à la fois des chiites et des alaouites. En septembre,
Mohammad Ali Jafari, le chef des Gardiens de la Révolution,
reconnaît que cette milice compte déjà 50 000 hommes. Basée sur
le modèle de la milice Basij iranienne, cette milice est encadrée,
aussi, par la force Qods. Dès le début du conflit en 2011, de
nombreuses milices pro-régime se sont en effet constituées :
aux comités populaires, minorités armées pour se protéger des
sunnites jugés menaçants, se sont ajoutés les milices des gangs
criminels de la bande côtière alaouite, les fameux shahiba.
D'où le nom générique de shahiba donné à toutes ces
organisations. Au printemps 2013, l'Iran est encore présent quand
l'ensemble de ces milices est plus ou moins regroupé dans les Forces
Nationales de Défense : il en assure probablement
l'entraînement. D'ailleurs, des miliciens syriens sont formés en
Iran même, comme ces 4 combattants de Homs qui assurent avoir reçu
là-bas un entraînement au combat urbain. Les Gardiens de la
Révolution et la force Qods se sont fréquemment retrouvés engagés
dans les combats en Syrie contre les insurgés. Hormis les 48
« pélerins » capturés en 2012 puis relâchés,
et le général Shateri, ces corps ont subi d'autres pertes. Le
lieutenant-colonel Amir Reza Alizadeh, par exemple, a été tué à
Damas le 1er mai 20135.
Ce documentaire, réalisé par la BBC à partir d'images fournies par les insurgés syriens, montren des membres de la force Qods des Gardiens de la Révolution opérant dans le pays, où ils ont été tués lors d'une embuscade (août 2013).
Le
Hezbollah
-
Une intervention pour quels objectifs ?
Jusqu'en
avril 2013, le Hezbollah n'a pas reconnu officiellement son
implication dans la guerre civile syrienne, probablement de peur des
conséquences néfastes qu'une telle reconnaissance impliquerait sur
la scène libanaise6.
Il faut dire que la Syrie et le Liban partagent une longue histoire
conflictuelle. En outre, le nord du Liban est peuplé majoritairement
de sunnites qui soutiennent la rébellion syrienne, et comprend aussi
des minorités alaouites, comme à Tripoli, qui elles appuient plutôt
le régime.
Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/fr/f/fe/Drapeau_du_Hezbollah.jpg |
Né
en 1982 dans la vallée de la Bekaa en réaction à l'invasion
israëlienne du Liban7,
le Hezbollah est à la fois un parti politique et un mouvement
religieux chiite tout en assurant des fonctions sociales. En outre,
ses forces armées sont les plus imposantes du Liban et c'est un
proche allié de l'Iran. Le Hezbollah se définit lui-même comme un
mouvement de « résistance »8
aux manoeuvres américaines et israëliennes au Proche-Orient, et ne
reconnaît pas le droit à l'existence de l'Etat d'Israël. Il tire
sa popularité au Liban du combat contre l'Etat hébreu, alors que
ses forces conventionnelles et non-conventionnelles sont, de fait,
supérieures à celles de l'armée libanaise. Le Hezbollah est
particulièrement bien implanté au sud du pays, dans la vallée de
la Bekaa et dans certains quartiers de Beyrouth. Sur le plan
politique, le Hezbollah milite pour un système de gouvernement
islamique par les clercs : présent aux élections depuis 1992,
il n'obtient que des résultats modestes mais a tout de même deux
ministres dans le gouvernement de coalition depuis 2011. Il contrôle
toutefois 60% des municipalités du Sud-Liban et quasiment toutes
celles de la vallée de la Bekaa, en plus de gagner du terrain à
Dahiyeh, faubourg sud de Beyrouth. Socialement, le Hezbollah cherche
à s'attirer les faveurs des chiites libanais (27% de la population
selon un recensement réalisé en 2011, soit autant que les sunnites
et plus que les chrétiens maronites), notamment (mais pas
exclusivement) par des soins médicaux qui remplacent ceux de l'Etat.
Jusqu'en
avril 2013, le mouvement a tenu un discours conciliant sur la guerre
en Syrie, niant son implication et soulignant les dangers que
celle-ci pourrait entraîner sur la scène libanaise. Cependant, dès
octobre 2012, alors que le Hezbollah intensifie l'aide sociale pour
les réfugiés syriens au Liban, il accroît également son
engagement pour soutenir Bachar el-Assad. Le 30 avril 2013, son
secrétaire général, Hassan Nasrallah, révèle ce qui est devenu
une évidence : le Hezbollah intervient en Syrie pour empêcher
la chute du régime. Beaucoup d'observateurs pensent qu'il s'agit
d'un pari risqué pour l'avenir et que la déclaration de Nasrallah
est un vrai « franchissement du Rubicon ». Ceci
dit, les cérémonies funéraires pour les « martyrs »
tués au combat en Syrie étaient de plus en plus difficiles à
dissimuler. Le Hezbollah revient ainsi au rôle de milice sectaire en
lieu et place du mouvement de résistance, ajoutant les djihadistes
sunnites à la liste de ses ennemis. Pour lui, la Syrie est un point
de transit vital pour son armement et un des moyens de recompléter
son stock d'armes et de munitions. Il s'agit pour Nasrallah, aussi,
de combattre les sunnites en Syrie en empêchant la chute du régime
plutôt que de les combattre au Liban si Bachar el-Assad vient à
tomber... Le discours de Nasrallah le 26 mai 2013, date anniversaire
du retrait définitif de Tsahal du Sud-Liban, inscrit l'aventure
militaire en Syrie dans la continuité de la lutte contre Israël.
Mais en présentant l'intervention syrienne comme un enjeu de
sécurité nationale pour le Liban, le Hezbollah ébranle la
pertinence de la « résistance »9.
Source : http://s1.lemde.fr/image/2012/10/31/534x267/1783798_3_02da_le-mausolee-de-zeinab-l-un-des-lieux-les-plus_4851dcd47cd36603bf7ff8e45b4a6539.jpg |
Le
Hezbollah a commencé à envoyer des conseillers militaires pour
assurer des missions de sécurité en Syrie dès 2011, et ce jusqu'en
2013. Ce n'est qu'au printemps de cette année-là que l'engagement
se fait plus important, preuve que le régime syrien est alors en
mauvaise posture. Les Iraniens et le Hezbollah s'engagent alors dans
la formation d'une milice chiite considérable, Jaysh al Sha’bi,
qui a pour objectif de compter jusqu'à 150 000 hommes. Au-delà de
l'aide au régime syrien, il s'agit aussi de s'implanter dans les
zones chiites et alaouites syriennes. Le Hezbollah fournit une aide
technique en matière de guérilla, de renseignement, et tactique,
sur le terrain. Il verrouille également au mieux la frontière
libanaise et mène une campagne de propagande en faveur du régime.
A
partir du 19 mai 2013, le Hezbollah, aux côtés des Iraniens, des
miliciens irakiens, aide l'armée syrienne à prendre la ville
d'al-Qusayr, une ville qui fait le lien entre la montagne alaouite
côtière, Damas et la vallée de la Bekaa. Entre 1 500 et 2 500
hommes du Hezbollah auraient participé à la conquête de la ville,
qui tombe le 5 juin 2013. La victoire est cependant à double
tranchant, car le Hezbollah a subi des pertes non négligeables et
son engagement en Syrie se retrouve mis sur le devant de la scène,
ce qui ne va pas être sans conséquences sur la scène libanaise.
Des sources évoquent plus de 4 000 combattants chiites acheminés au
nord, sur Alep, pour tenter de reprendre la ville ; d'autres
sont présents au sanctuaire chiite de Sayyeda Zaynab, au sud de
Damas, tandis qu'un autre contingent encadre et forme les habitants
de deux villages chiites au nord d'Alep. Au 18 juin 2013, le
Hezbollah aurait déjà perdu 180 à 200 tués en Syrie. On retrouve
les combattants du Hezbollah en juillet à Homs et en août à Damas,
où un des chefs importants du contingent, Hossam Ali Nisr, est tué
par les rebelles.
Au
Liban, dès le mois de juin 2013, un groupe de chiites anti-Hezbollah
qui manifestait devant l'ambassade iranienne à Beyrouth est attaqué
et une personne tuée. En juillet et en août, des attentats visent
le bastion du Hezbollah à Dahiyeh, au sud de la capitale. En outre,
un groupe rebelle syrien, la brigade Liwa 313, a revendiqué
l'attaque à la bombe contre un supermarché d'un des faubourgs tenus
par le Hezbollah, Bir al Abed, ainsi qu'au moins une autre attaque
contre le Hezbollah, en représailles de la participation du
mouvement aux combats à Homs. La brigade Liwa 313, formée justement
de rebelles de la région de Homs, existe depuis novembre 2012 et a
été créée pour des opérations spéciales, comme le bombardement
à la roquette de fiefs du Hezbollah près d'Hermel, dans la vallée
de la Bekaa. Le groupe est lié au front al-Nosra et semble assez
bien armé.
En
ce qui concerne le Liban, les tensions sectaires apparaissent dès
mai 2012 après la mort de Sheikh Ahmad Abdel Wahed, un clerc sunnite
éminent et anti-syrien, qui provoque des accrochages à Tripoli et à
Beyrouth. Dès le mois de mai 2013, au moment de la bataille de
Qusayr, les rebelles syriens commencent à bombarder la vallée de la
Bekaa et à attaquer les convois du Hezbollah, ou bien encore à
organiser des attentats. A partir de juin 2013, les hélicoptères du
régime syrien font des incursions près d'Arsal, une ville du nord
de la vallée de la Bekaa, sunnite, qui sert de noeud logistique à
la rébellion syrienne. A Tripoli, les affrontements sectaires sont
particulièrement violents en mai-juin 2013, entraînant la mort de
plusieurs dizaines de personnes. Le 23 août, ce sont deux mosquées
sunnites de Tripoli qui sont visées par des attentats à la bombe,
faisant 45 morts. Ce même mois, le 15, une voiture piégée avait
également explosé dans un fief du Hezbollah à Beyrouth. Attentats
et batailles rangées se sont depuis multiplés, en particulier à
Beyrouth, à Tripoli et dans la vallée de la Bekaa10.
-
Protéger l'approvisionnement en armes et sauver, si possible, le
régime syrien
Bien
que le Hezbollah a au départ admis combattre en Syrie, il invoquait
la protection de la minorité chiite syrienne ou la défense du
tombeau de Zaynab. Il faut dire que ce dernier site religieux a servi
aussi, dès les années 1980, de centre de recrutement pour des
militants, notamment des Saoudiens chiites, qui faisaient le transit
jusqu'aux camps du Hezbollah au Liban ou en Iran via Zaynab. 5 des
conspirateurs de l'attentat des tours de Khobar, en 1996, qui a tué
19 hommes de l'USAF et blessé 372 autres Américains, avaient été
recrutés à Damas. Un des cadres recrutés à Zaynab, Ali
al-Marhoum, retourne plus tard en Arabie Saoudite pour enrôler de
nouveaux militants. Abdel Karim al-Nasser, le cerveau de l'attentat,
avait réuni son groupe à Zaynab quelques jours avant de passer à
l'action pour peaufiner les derniers détails.
Le
Hezbollah avait annoncé la mort d'un premier combattant en Syrie dès
l'été 201211.
Mais les pertes grimpent avec l'implication massive du mouvement
libanais dans la bataille d'al-Qusayr. Le 19 mai 2013, le Hezbollah
délivre la liste de 12 de ses combattants tués au combat, et dès
le lendemain, on atteint le chiffre de 20 tués. Pendant les
funérailles, individuelles ou collectives, comme dans la valée de
la Bekaa, on insiste sur le fait que les martyrs sont morts pour
défendre le sanctuaire de Zaynab, au sud de Damas12.
Le
Hezbollah s'est en fait engagé en Syrie dès la première année des
troubles, en 2011. En mai, on signale déjà la présence la force
iranienne Qods et en juin, les premiers indices évoquant l'arrivée
du Hezbollah se font jour. Iraniens et Libanais fournissent en
particulier des snipers et autres outils pour briser les
manifestations d'opposants. Selon un officier des Gardiens de la
Révolution, des snipers du Hezbollah serait intervenus lors
de l'offensive à Zabadani dès février 201213.
En août 2012, Musa Ali Shehimi, un des commandants du Hezbollah, est
tué en Syrie ; quelques semaines plus tard, c'est au tour de
Ali Hussein Nassif, abattu avec ses deux gardes du corps près
d'al-Qusayr. En octobre 2012, les Américains annoncent que des
centaines de combattants du Hezbollah se trouvent en Syrie, ce qui
est confirmé par l'ONU deux mois plus tard. En outre, le Hezbollah
installe un de ses camps d'entraînement, en novembre, à côté d'un
des dépôts d'armes chimiques de Damas. Le Hezbollah a une relation
de longue date avec Damas : née sous Hafez el-Assad, qui avait
parfois montré sa volonté de réfréner les ambitions du mouvement
libanais, elle s'est accrue sous Bachar el-Assad, qui en 2010 a
fourni au Hezbollah des missiles Scud modifiés tirés de son
propre arsenal. Mais c'est surtout parce que la Syrie est le lieu de
transit des armes iraniennes à son propre usage que le Hezbollah
intervient pour maintenir le régime en Syrie. Convoyé par avions
iraniens jusqu'à l'aéroport international de Damas, ces armements
étaient ensuite acheminés en camions, fortement escortés, jusqu'à
la frontière libanaise. Le Hezbollah cherche à garantir le contrôle
du régime sur Damas, son aéroport et les routes principales, ou au
pire sur la bande côtière alaouite, pour recevoir les armes par le
port ou l'aéroport de Lattaquié, par exemple. Le FBI a mis à jour
ces dernières années deux opérations où le Hezbollah a cherché
en Europe ou aux Etats-Unis à se procurer des armes (notamment des
MANPADS) destinées à être rapatriées à Lattaquié. Dans le cas
où le régime ne pourrait remporter la guerre civile, le Hezbollah a
déjà bâti des intermédiaires suffisants, via les milices, pour
maintenir sa présence au-delà et continuer de déstabiliser le
pays14.
Selon certaines sources, l'unité 901, une unité militaire du
Hezbollah, a franchi la frontière dès juillet 2012 pour combattre
autour de Homs, al-Qusayr, al-Rastan, Talbiseh. Le mouvement chiite
aurait aussi participé à la formation d'une division de 60 000
hommes, sur le modèle des Gardiens de la Révolution, protéger le
coeur du bastion alaouite à Lattaquié. Le 6 octobre 2012, un
officier déserteur du renseignement de l'armée de l'air syrienne a
affirmé que le Hezbollah avait déjà 1 500 hommes en Syrie. C'est
un effort important pour un mouvement dont les forces régulières
sont estimées entre 2 000 et 4 000 hommes, précédemment déployés
surtout au Sud-Liban et près des dépôts d'armes et autres
installations sensibles du mouvement chiite. Les forces spéciales du
Hezbollah, les « Scorpions » mèneraient des
embuscades dans les zones rurales et perturberaient l'acheminement
logistique des insurgés via la frontière turque15.
Pour
le Hezbollah, le maintien au pouvoir de Bachar el-Assad est un enjeu
vital, car la Syrie lui sert à renforcer sa capacité militaire
(fourniture d'armes, transit de celles qui viennent de l'Iran) contre
Israël16.
En outre le clan Assad a régulièrement soutenu le Hezbollah dans le
jeu politique libanais et lui a offert, aussi, une profondeur
logistique. Dans les discours survenus au moment de la reconnaissance
officielle de l'implication du mouvement chiite en Syrie, Nasrallah a
également insisté sur la solidarité avec la population chiite
syrienne (400-450 000 personnes) « menacée » par
les djihadistes sunnites, comme ceux du front al-Nosra, et dont les
sanctuaires, comme celui de Zaynab, ne seraient plus en sécurité.
Le Hezbollah intervient donc aux côtés de l'Iran pour d'abord,
sauver le régime, puis donner les moyens aux Alaouites et aux
chiites de résister par eux-mêmes en formant une milice conséquente
(100 à 150 000 hommes). Il cherche également à acquérir du régime
syrien des armements plus sophistiqués pour son combat contre Israël
(missiles surface-surface contre le Fateh 110 iranien ; missiles
antinavires, comme le Yakhont russe ; missiles sol-air
portables, SA-17 russe ou autres). Dès le mois de mai 2013,
l'aviation israëlienne frappe d'ailleurs à deux reprises (le 3 et
le 5) un dépôt de l'aéroport international de Damas suspecté
d'abriter des missiles Fateh 110 envoyés par l'Iran au Hezbollah ;
en février, un convoi transportant des SA-17 avait également été
visé. Le Hezbollah intervient ainsi à al-Qusayr notamment parce que
vit autour de la ville une communauté chiite d'origine libanaise au
milieu de populations sunnites, près de la frontière.
Hassan
Nasrallah avait gagné Téhéran en avril 2013. Il y a rencontré
Khamenei, le chef de la force Qods, Qassem Suleimani et d'autres
membres importants du régime iranien. La décision de soutenir plus
massivement Bachar el-Assad a donc probablement été prise dans la
première moitié d'avril 2013. Suleimani, qui a fait une visite en
Syrie en février 2013, a dépeint à son retour un tableau très
sombre : il a conseillé d'envoyer davantage de volontaires
chiites pour pallier au manque de soldats du régime. Le Hezbollah
n'avait cependant pas attendu le printemps 2013 pour s'engager
puisque, dès mai 2012, plusieurs milliers de combattants de ses
unités spéciales oeuvraient déjà en Syrie. Cependant,
l'engagement du mouvement chiite reste pour l'instant limité à des
secteurs où il a un intérêt sectaire : al-Qusayr, le sud de
Damas. Le Hezbollah assure aussi la formation des troupes de Bachar
el-Assad en matière de guérilla, où il a une expérience
opérationnelle : combat urbain, sniping, sabotage... en
outre, il fournit du renseignement et cherche à verrouiller la
frontière libanaise, notamment le long de la vallée de la Bekaa.
Les chiites représentent seulement 2% de la population en Syrie :
la plupart vivent autour de Homs, Damas, et dans la campagne des
provinces d'Alep et d'Idlib. Les attaques sectaires se multiplient
après la mi-2012. En conséquence, le Hezbollah commence à former
des miliciens chiites et alaouites, le financement étant assuré par
l'Iran. En mars 2013, ce serait déjà 50 000 hommes qui auraient été
préparés au combat. Des chiites syriens seraient même, pour ce
faire, spécialement entraînés dans les camps du Hezbollah de la
vallée de la Bekaa. Cette armée populaire serait déployée près
de Lattaquié, près du sanctuaire de Zaynab, à al-Zabadani au
nord-ouest de Damas, près de la frontière libanaise, où elle
travaille de concert avec les Gardiens de la Révolution iraniens.
Suleimani a indiqué vouloir porter cette armée à 150 000 hommes,
avec des combattants étrangers (irakiens, iraniens, libanais...). On
sait entre outre que le Hezbollah a envoyé des combattants qui
remplissent des missions spécialisées, comme les reconnaissances
dans les zones tenues par les rebelles ou l'assassinat des chefs
charismatiques des insurgés, par des escouades spéciales17.
Au
moment de la bataille d'al-Qusayr (19 mai-5 juin 2013), le Hezbollah
nettoie aussi les villages chiites des environs qui avaient été
investis par les rebelles syriens. Le tombeau de Zaynab, quant à
lui, est situé à 10 km au sud de Damas, en plein milieu d'une zone
sunnite, sur la route menant de l'aéroport international de Damas au
nord à la ville d'Al-Suwayda au sud. La ville d'Al-Sayyidah Zaynab
qui s'est construire autour du sanctuaire vit de l'activité
touristique destinée aux pélerins chiites : rattachée à la
province de Rif Dimashq, elle compterait 150 000 habitants. Le 5 mai
2012, un obus de mortier tombe sur le complexe ; une voiture
piégée explose dans un parking le 14 juin suivant. Le 31 octobre,
un IED placé sur une moto explose près du tombeau, tuant 8
personnes et en blessant des douzaines, près d'un hôtel fréquenté
par les pélerins. Durant la première moitié de 2013, les
salafistes syriens appellent de plus en plus à la destruction du
site. Le front al-Nosra l'attaque en janvier, puis la mosquée est
détruite le 13 février. Le 2 avril, le front al-Nosra prend le
contrôle d'un faubourg proche du sanctuaire, et commence à attaquer
la brigade Abou Fadl al-Abbas (voir plus loin) et le Hezbollah dès
le 18.
Le
Hezbollah intervient en effet près du site dès la seconde moitié
de 2012 et participe aux batailles du printemps 2013. Il y perd au
moins 20 tués, dont de nombreux hommes originaires du Sud-Liban. En
outre, en juin 2013, le mouvement chiite comptait déjà plus de 100
tués et plusieurs centaines de blessés, la plupart lors de la
bataille d'al-Qusayr. 7 combattants avaient été tués dans la
seconde moitié de 2012, autour du sanctuaire de Zaynab et à
al-Qusayr. Les combats autour du premier site, en particulier,
avaient fait monter le total à 50 avant l'offensive contre al-Qusayr
du 19 mai 2013. Jusqu'au 5 juin, le Hezbollah a perdu entre 50 et 74
tués (minimum) pendant la bataille. 63 ont été tués à al-Qusayr,
22 à Zaynab, 2 à d'autres endroits de la Syrie et 8 restent
indéterminés (bien que plusieurs ont sans doute été tués
également à al-Qusayr). 53 des 96 tués identifiés viennent du
Sud-Liban, un tiers (33) de la vallée de la Bekaa ;
quelques-uns seulement sont originaires de la banlieue sud de
Beyrouth et du Nord-Liban, ce qui reflète sans doute la composition
des unités engagées par le Hezbollah. Le recrutement est surtout
rural, au Sud-Liban, avec un grand nombre de villages, peut-être
pour éviter de concentrer les pertes ; 16 morts seulement
viennent de grandes villes (3 de Beyrouth, 9 de Baalbek, 3 de
Nabatieh et 1 de Sidon). Parmi les tués, il y a Ali Hussein Nasif,
un cadre important du Hezbollah enterré le 31 octobre 2012, tué par
l'explosion d'un IED ou abattu ensuite alors qu'il faisait route vers
al-Qusayr. Muhammad Khalil Shahrour, responsable des services de
sécurité du Hezbollah à Balbeek, a également été tué à
al-Qusayr. Ahmed Muhammad Badah, un autre cadre du Hezbollah, a lui
péri près du sanctuaire de Zaynab, tout comme Ali Hussein Sa'ad.
- La bataille d'al-Qusayr : la première intervention massive du Hezbollah
Lors
de la bataille d'al-Qusayr, le Hezbollah aurait engagé en tout,
selon les services de renseignement français, de 3 à 4 000 hommes18.
La bataille, qui dure 17 jours, constitue les prémices d'une
campagne plus vaste du régime syrien pour remettre la main sur des
zones stratégiques perdues précédemment. La chute d'al-Qusayr,
tenue depuis un an par les insurgés, est plus un choc moral et
symbolique que stratégique, alors que le régime commence à
regagner du terrain, que la communauté internationale hésite à
soutenir les rebelles et que les insurgés eux-mêmes sont divisés.
C'est également la première intervention massive du Hezbollah en
Syrie, dans le cadre d'un assaut en combat urbain qui entraîne des
pertes conséquentes et une dégradation de son image au Liban et
dans le reste du monde arabe. Si le Hezbollah a su conquérir
al-Qusayr avec l'appui de l'aviation et de l'artillerie du régime,
le mouvement chiite manque tout simplement de moyens pour reproduire
ce schéma de manière constante dans des villes syriennes plus
importantes19.
Ci-dessous, un documentaire iranien sur la bataille d'al-Qusayr, présentée comme un tournant décisif.
La
ville d'al-Qusayr, assiégée dès novembre 2011 par le régime,
était tombée entre les mains des rebelles en juillet 2012. A
l'ouest et au sud de la ville, le Hezbollah intervient dès cette
année-là en soutien du régime, comme le montre la mort d'Ali
Nassif, tué le 2 octobre près de la cité. Fin avril 2013, le
Hezbollah et les forces syriennes commencent à nettoyer le pourtour
d'al-Qusayr, entamant le processus avec la prise de Tel Nabi Mindo,
au nord-ouest de la ville, une colline qui domine la plaine
environnante. Ils progressent ensuite à l'ouest et au sud-ouest :
à la mi-mai, seul un corridor au nord, passant par l'ancienne base
aérienne militaire de Dabaa, reste entre les mains des rebelles.
Dans la ville, il y a peut-être 2 000 rebelles, provenant notamment
des bataillons Farouq, très implantés dans la région. La mise en
défense d'al-Qusayr comprend la construction de tunnels et de
bunkers, l'érection de barricades en terre à travers les rues, des
pièges disposés dans les bâtiments et des mines sur les routes.
Des IED spéciaux destinés à faire sauter les véhicules, commandés
à distance, sont aussi posés. Le Hezbollah, lui, divise la ville en
16 secteurs et attribue des codes chiffres aux objectifs et aux
points remarquables de la ville. Les 1 200 à 1 700 hommes engagés
dans la bataille (d'après Nicholas Blanford, spécialiste du
Hezbollah), pour la plupart des vétérans membres des unités
spéciales du Hezbollah, sont sous commandement syrien mais ont une
initiative tactique. Les forces auraient été divisées en 17
groupes de 100 hommes, mais dans le combat urbain, l'escouade de 3 à
5 hommes prédomine. Le tour de service dans les combats passe de 7 à
20 jours. Avant l'assaut, les sapeurs du Hezbollah commencent à
nettoyer les pièges dans les bâtiments.
L'attaque
démarre le 19 mai 2013, après un pilonnage aérien et de
l'artillerie. Les combattants du Hezbollah attaquent à l'ouest, au
sud et à l'est. Depuis le sud, l'avance est rapide et le Hezbollah
aurait contrôlé 60% de la ville dans la première journée,
atteignant la mairie. Mais dès le premier jour, deux douzaines de
combattants sont tués dans une embuscade rebelle. L'assaut se fait
dès lors plus méthodique, pour nettoyer chaque pâté de maisons
conquis. Face au tir de mortier rebelle, une véritable gêne, les
combattants chiites cherchent à coller au plus près de leurs
adversaires pour empêcher l'action des mortiers. Ils évitent de
passer par les portes et les fenêtres des bâtiments, en raison des
pièges et des mines, mais creusent des trous à l'explosif dans les
cloisons à l'intérieur pour passer de maison en maison. Les
rebelles eux-mêmes reconnaissent les compétences du Hezbollah :
les hommes continuent d'avancer même sous un feu nourri et cherchent
à flanquer les insurgés. En plus des snipers armés de Dragunov
et les équipes antichars armés de RPG-7, les chiites utilisent
aussi des roquettes de 107 mm modifiées, les fameuses IRAM
(Improvised Rockets Assisted Munitions) pour détruire des
barricades ou des points de résistance dans les bâtiments. Les
rebelles sont progressivement repoussés dans la partie nord de la
ville, bien qu'ils reçoivent des renforts de l'extérieur jusqu'au 2
juin. Le lendemain, les insurgés décident d'évacuer la ville.
L'assaut final, le 5, est précédé par un terrible bombardement et
les rebelles qui fuient par le corridor au nord sont victimes des
tirs de mortiers et de mitrailleuses.
La
bataille a duré 17 jours, plus longtemps que ne l'avait prévu le
Hezbollah, qui a subi des pertes conséquentes -entre 70 et 120 tués,
probablement. Côté rebelle, on reconnaît 431 tués, mais le
chiffre est probablement plus élevé. Pour le Hezbollah, il s'agit
certainement des combats les plus durs depuis les 34 jours de guerre
contre Israël à l'été 2006. Mais la bataille d'al-Qusayr, ville
proche de la frontière libanaise, est aussi l'occasion de tester ses
tactiques de combat urbains avec le soutien de l'artillerie et de
l'aviation syriennes. En outre une nouvelle génération de
combattants s'est formée au feu pendant la bataille, et l'expérience
engrangée par le Hezbollah sera sans doute précieuse en cas de
futurs combats contre Israël. La chute d'al-Qusayr, par ailleurs,
entraîne aussi celle de Tel Kalakh, au nord-ouest, assiégée depuis
deux ans par le régime. Dès le mois de juillet, le régime syrien
repart à la reconquête des quartiers centraux de Homs. Mais ici, le
Hezbollah ne joue plus qu'un rôle d'encadrement : ses vétérans
commandent, comme sous-officiers, des escouades de soldats syriens.
Le Hezbollah n'a en effet pas les effectifs suffisants pour conduire
d'autres assauts urbains dans des villes encore plus importantes
qu'al-Qusayr, comme Homs ou Alep.
- Après al-Qusayr : le Hezbollah plutôt dans un rôle auxiliaire
Suite
au succès remporté à al-Qusayr, le Hezbollah se serait redéployé
pour aider les Forces Nationales de Défense syriennes à faire
tomber la ville d'Alep. 800 combattants auraient investi les
alentours de la cité pour couper l'approvisionnement en provenance
du Liban. 300 membres du Hezbollah, dont des officiers iraniens,
seraient arrivés à l'académie militaire d'Alep en juin 2013, pour
participer à une offensive au nord de la ville. Néanmoins, cette
fois, le Hezbollah semble davantage assumer un rôle d'encadrement et
de conseil que de participation directe aux combats20.
A la fin juillet 2013, le Hezbollah déplorait plus de 200 tués au
combat en Syrie et plusieurs centaines de blessés ; 23 ont été
tués entre la fin juin et la fin juillet. La plupart tombent à Homs
et Alep, où le Hezbollah intervient en soutien du régime (en plus
de la participation à une contre-offensive à Lattaquié21),
mais 8 sont également morts près du tombeau de Zaynab, au sud de
Damas. Si le mouvement chiite engage moins de combattants et de
manière moins visible qu'à al-Qusayr, c'est aussi parce que la
reconnaissance officielle de son implication en Syrie a provoqué de
fortes critiques au Liban et dans le monde arabe. Sur les 23 tués
entre fin juin et fin juillet, 9 viennent du Sud-Liban, 8 de la
vallée de la Bekaa, 3 de Beyrouth et 3 d'une ville syrienne proche
de la frontière vers al-Qusayr. Sur les 200 combattants tués à
cette date, près de la moitié vient du Sud-Liban (97) et plus d'un
tiers de la vallée de la Bekaa (72). 3 cadres importants du
Hezbollah22
font partie des victimes : deux ont été tués à Homs et le
dernier à Zaynab. Deux d'entre eux étaient des commandants de
bataillons de la milice Liwa Abou Fadl al-Abbas et l'un des deux a
péri à Homs, ce qui tendrait à prouver que la milice n'opère pas
qu'à Zaynab, mais aussi dans d'autres parties de la Syrie, sous
commandement/encadrement du Hezbollah23.
Fin
2013, le Hezbollah intensifie encore son effort militaire en Syrie et
subit des pertes conséquentes. Il opère désormais dans trois
secteurs, essentiellement : la Ghouta orientale, à l'est de
Damas ; la région montagneuse du Qalamoun, au nord de Damas,
près de la frontière libanaise ; et le tombeau de Zaynab, au
sud de Damas. Il intervient dans ces zones comme force auxiliaire aux
troupes du régime syrien, et non de manière indépendante comme à
al-Qusayr. Le Hezbollah a probablement plusieurs milliers de
combattants en Syrie au mois de décembre 2013. Les objectifs sont
multiples : il s'agit d'assurer le contrôle du régime sur la
Ghouta orientale et de compenser les succès des rebelles (capture
des dépôts d'armes de Mahin, au sud d'Alep), et de couper les
insurgés du nord de leurs camarades de Damas et de la frontière
libanaise. Il s'agit également d'isoler l'insurrection au nord et de
marquer le maximum de points pour la conférence de Genève 2. Pour
le Hezbollah, nettoyer le Qalamoun correspond aussi à un objectif
plus particulier : faire cesser les attaques des insurgés
sunnites, et particulièrement celles des groupes djihadistes, contre
le mouvement chiite au Liban. C'est en effet de là que sont tirées
les roquettes contre la vallée de la Bekaa. En outre, les voitures
piégées qui sautent au Liban seraient fabriquées à Yabroud puis
expédiées, via le Qalamoun, à Arsal, puis vers les objectifs à
l'intérieur du pays.
Ce
renouveau de l'engagement militaire du Hezbollah entraîne une hausse
proportionnelle des pertes : 47 tués en novembre et pour la
première moitié de décembre 2013. Le total des morts avoisine les
300, dont 272 bien identifiés. Sur les 47 morts récents, 13 ont été
tués dans la Ghouta, 5 à Qalamoun et 24 à Zaynab. Comme
précédemment, la plupart des morts sont originaires du Sud-Liban
(20), de la vallée de la Beqaa (11). Il est possible que le
Hezbollah exagère le nombre de tués à Zaynab, pour des raisons de
propagande, et qu'un certain nombre de morts soient tombés aux deux
autres endroits. Parmi les morts, deux commandants éminents :
Ali Iskandar, commandant important d'al-Bazourieh au Sud-Liban,
officier opérations et commandant des forces du Hezbollah dans la
Ghouta, tué le 23 novembre, et Ali Hossein al-Bazi, commandant
important à Harat al-Saida, qui entraînait les cadres du mouvement
et qui a été tué dans le Qalamoun le 8 décembre. Dans une
interview du 3 décembre 2013, Hassan Nasrallah a indiqué que le
Hezbollah avait commencé à intervenir en Syrie en dépêchant 40 à
50 hommes pour protéger le sanctuaire de Zaynab24.
Pour
la première fois, le Hezbollah s'est donc embarqué dans une
véritable « guerre expéditionnaire » dans la
durée, qui le détourne du traditionnel discours de « résistance »25.
Le combat n'a pas été des plus aisés même si le mouvement chiite
engrange une expérience certaine, notamment en matière de combat
urbain. Il est difficile d'évaluer l'effectif total engagé par le
Hezbollah en Syrie. Les plus hautes estimations parlent de 10 000
hommes, mais si c'était le cas, ce serait par rotation des effectifs
et non de manière permanente. Un maximum de 4 000 combattants
présents ensemble semble un chiffre déjà élevé, une estimation
entre 2 000 et 4 000 paraît plus raisonnable. Le Hezbollah aligne
des combattants en uniforme, bien équipés en armes légères, qui
ont manipulé à l'occasion des véhicules blindés (comme à
al-Qusayr) quand ils opéraient aux côtés des forces du régime
syrien. La structure de commandement en Syrie est probablement
décentralisée par province (Homs, Damas, Alep notamment). Le
Hezbollah combat aux côtés des restes de l'armée régulière, des
miliciens des Forces Nationales de Défense, des miliciens étrangers,
et des Iraniens eux aussi présents aux côtés du régime. Ses
troupes servent surtout d'infanterie légère dans les opérations
offensives et défensives. Elles entraînent les forces régulières
et irrégulières au combat urbain et à la contre-insurrection,
encadrent certaines unités régulières ou irrégulières,
corsettent les milices chiites notamment à Damas (mais aussi à
Lattaquié, Deraa, Idlib), et ont mené parfois directement les
opérations de combat, comme à al-Qusayr. C'est dans ce dernier cas
que les pertes ont été les plus importantes. Par son rôle de
formation, en améliorant la qualité des unités régulières et
surtout en rendant les miliciens des FND utiles, le Hezbollah a
grandement contribué à sauver le régime syrien au printemps 2013.
Le Hezbollah est non seulement une « brigade de pompiers »
mais a aidé à restaurer la capacité offensive des forces de Bachar
el-Assad. Les problèmes posés par le terrain, un adversaire qui n'a
rien à voir avec Tsahal, et la coopération avec les forces très
hétérogènes du régime, ont entraîné des problèmes mais aussi
des ajustements. Le Hezbollah est probablement l'une des forces les
plus efficaces sur le champ de bataille syrien.
1Voir
mon article précédent ici :
http://historicoblog3.blogspot.com/2013/12/et-combattez-les-jusqua-ce-quil-ne.html
2Foreign
Fighters in Syria, The Meir Amit Intelligence and Terrorism
Information Center, décembre 2013.
4Will
Fulton, Joseph Holliday, et Sam Wyer, Iranian Strategy in Syria,
Institute for the Study of War, mai 2013.
5Phillip
Smyth, « Hizballah Cavalcade: Iran’s Losses In the “35th
Province” (Syria), Part 1 », Jihadology.net, 14 juin
2013.
6Linda
Lavender, Blowback: The Unintended Consequences of Hezbollah’s
Role in Syria, CIVIL-MILITARY FUSION CENTRE MEDITERRANEAN BASIN
TEAM, septembre 2013.
7Le
Hezbollah s'appuie au départ sur le mécontentement des chiites
libanais, plutôt favorables au départ à Israël, mais traumatisés
par l'exil vers Beyrouth-sud et l'occupation.
8Fonction
qu'il prétend assumer depuis 1990 et la fin de la guerre civile
libanaise (accords de Taëf) où il a pu conserver ses armes,
contrairement à la milice d'Amal, l'autre mouvement chiite. Après
le retrait israëlien du Sud-Liban en 2000 et l'avènement de Bachar
el-Assad en Syrie, le Hezbollah se rapproche de Damas. Le maintien
de la « résistance », après le retrait syrien de 2005
du Liban, est entretenu par des provocations à la frontière sud
qui débouchent sur la guerre avec Israël en 2006.
9Kathia
Légaré, L’engagement du Hezbollah dans la guerre civile
syrienne : Nouvelle mutation ou indice de décadence du mouvement ?,
PSI, Université Laval, 22 octobre 2013.
10L'Orient/Le
Jour récapitule la liste des incidents ici :
http://www.lorientlejour.com/article/851271/le-liban-dans-lengrenage-du-conflit-syrien.html
11Phillip
Smyth, « Hizballah Cavalcade: Hizballah’s Multiplying Qusayr
Martyrs », Jihadology.net, 20 mai 2013.
12Phillip
Smyth, « Hizballah Cavalcade: The Qusayr Meat Grinder:
Hizballah’s Dead From May 20-May 25, 2013 », Jihadology.net,
25 mai 2013.
13Will
Fulton, Joseph Holliday, et Sam Wyer, Iranian Strategy in Syria,
Institute for the Study of War, mai 2013.
14Matthew
Levitt et Aaron Y. Zelin, « Hizb Allah’s Gambit in Syria »,
CTC Sentinel, août 2013, special issue . Vol 6. Issue 8,
p.14-17.
15Nick
Heras, « What is Hezbollah ’s Role in the Syrian Crisis ? »,
The Jamestown Foundation, Terrorism Monitor, Volume X, Issue
20, 2 novembre 2012.
16Hezbollah
Involvement in the Syrian Civil War, The Meir Amit Intelligence and
Terrorism Information Center, 17 juin 2013.
17Nicholas
A. Heras, THE POTENTIAL FOR AN ASSAD STATELET IN SYRIA,
Policy Focus 132, The Washington Institute for Near East Policy,
décembre 2013.
18Matthew
Levitt et Aaron Y. Zelin, « Hizb Allah’s Gambit in Syria »,
CTC Sentinel, août 2013, special issue . Vol 6. Issue 8,
p.14-17.
19Nicholas
Blanford, « The Battle for Qusayr: How the Syrian Regime and
Hizb Allah Tipped the Balance », CTC Sentinel, août
2013, special issue . Vol 6. Issue 8, p.18-22.
20Following
the victory at Al-Qusayr Hezbollah is preparing to support the
Syrian army forces to take over Aleppo, The Meir Amit
Intelligence and Terrorism Information Center, 19 juin 2013.
21Matthew
Levitt et Aaron Y. Zelin, « Hizb Allah’s Gambit in Syria »,
CTC Sentinel, août 2013, special issue . Vol 6. Issue 8,
p.14-17.
22Ahmed
Habib Saloum, commandant militaire important de Nabatieh, au
Sud-Liban ; Ayman Said Tahini, commandant important du Hamas,
de Itit, au Sud-Liban ; et Khalil Muhammad Khalil Hamid,
commandant militaire du Hezbollah, de Bint Jbeil, Sud-Liban.
23Hezbollah
Operatives Killed in Syria (Updated to the end of July 2013),
The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center,
juillet 2013.
24In
late 2013, Hezbollah again intensified its military involvement in
the Syrian civil war, suffering heavy losses, The Meir Amit
Intelligence and Terrorism Information Center, 22 décembre
2013.
25Jeffrey
White, « Hizb Allah at War in Syria: Forces, Operations,
Effects and Implications », CTC Sentinel , janvier
2014, Volume 7 Issue 1, p.14-18.