« Et combattez-les jusqu'à
ce qu'il ne subsiste plus d'association, et que la religion soit
entièrement à Allah. »1.
Un portrait des combattants étrangers de l'insurrection en Syrie.
Article publié simultanément sur l'Alliance Géostratégique.
La guerre en Syrie a entraîné l'intervention de milliers de combattants étrangers qui sont venus soutenir les insurgés luttant contre Bachar el-Assad. L'attention des Occidentaux se focalise, bien sûr, sur ceux qui viennent combattre auprès des groupes liés à al-Qaïda, et qui pourraient éventuellement constituer une menace dans ces pays, mais c'est aussi oublier que l'intervention étrangère est sans doute bien plus considérable en faveur de Bachar el-Assad2. Cet article se propose d'esquisser un portrait d'ensemble du phénomène des combattants étrangers qui sont venus se battre en Syrie du côté de l'insurrection, de façon à démonter quelques idées reçues et à fournir des exemples circonstanciés qui aident à mieux saisir la réalité du phénomène, à partir de sources fiables.
La guerre en Syrie a entraîné l'intervention de milliers de combattants étrangers qui sont venus soutenir les insurgés luttant contre Bachar el-Assad. L'attention des Occidentaux se focalise, bien sûr, sur ceux qui viennent combattre auprès des groupes liés à al-Qaïda, et qui pourraient éventuellement constituer une menace dans ces pays, mais c'est aussi oublier que l'intervention étrangère est sans doute bien plus considérable en faveur de Bachar el-Assad2. Cet article se propose d'esquisser un portrait d'ensemble du phénomène des combattants étrangers qui sont venus se battre en Syrie du côté de l'insurrection, de façon à démonter quelques idées reçues et à fournir des exemples circonstanciés qui aident à mieux saisir la réalité du phénomène, à partir de sources fiables.
« Les
volontaires étrangers en Syrie, combien de divisions ? »
En
Europe, l'afflux de volontaires aux côtés des rebelles étrangers
commence à inquiéter à partir du printemps 2013. The
Independant estime que 100 Britanniques sont déjà partis ;
le Figaro parle de 50 à 80 Français ; Der Spiegelévoque des douzaines d'Allemands ; et le Jyllands-Poste
parle de 45 Danois. Les Pays-Bas haussent leur niveau d'alerte en
raison du retour de certains au pays, parmi la centaine ou plus de
musulmans qui sont partis combattre en Syrie. A ce moment-là, ce
sont entre 140 et 600 Européens environ qui sont déjà allés se
battre du côté des insurgés, soit 7-11% du nombre total de
volontaires étrangers3.
En
avril 2013, Aaron Zelin estimait le nombre total de volontaires
étrangers partis en Syrie depuis 2011 à 2 000-2 500, dont 135 à
590 Européens. Il y en avait entre 70 à 441 encore sur place, parmi
ces derniers, à ce moment-là. Sur 249 notices de martyrs des
groupes djihadistes syriens, seules 8 (3%) concernaient alors des
Européens. De fait, les combattants étrangers représentent au
maximum 10% de l'insurrection, et probablement moins. En novembre
2013, Thomas Hegghamer parlait de 1 100 à 1 700 Européens de
l'ouest partis en Syrie, ce qui d'après lui représente déjà plus
que tous les autres contingents des conflits entre 1990 et 2010. Le
phénomène, globalement, semble s'accélérer tout au long de
l'année 2013.
Nombre
de combattants étrangers en Syrie par pays d'origine, estimation des
services de renseignement en 20134.
A gauche : estimation minimum ; à droite : estimation
maximum
France | 200-400 |
Allemagne | 200 |
Royaume-Uni | 200-300 |
Belgique | 100-300 |
Espagne | 95 |
Danemark | 65 |
Bosnie | 60 |
Autriche | 57 |
Pays-Bas | 50-100 |
Italie | 45-50 |
Norvège | 30-40 |
Suède | 30-40. |
Récemment,
le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung5,
citant une étude à paraître de The International Centre for the
Study of Radicalisation, évoque au total 11 000 combattants
étrangers en Syrie, dont 1 800 Européens de l'Ouest (et 240
Allemands). L'étude en question, parue finalement le 17 décembre6,
confirme effectivement ces chiffres : 11 000 volontaires
étrangers venant de 74 nations différentes depuis 2011 ; le
nombre d'Européens de l'Ouest a triplé depuis avril 2013, passant
de 600 à plus de 1 900. La fourchette se situe désormais entre 3
300 et 11 000 combattants, et le total est probablement de plus de 8
500. Les Européens de l'ouest constituent désormais 18% du
contingent, avec en tête la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la
Belgique et les Pays-Bas. Rapportés à la population totale, les
chiffres sont les plus élevés pour la Belgique, le Danemark et les
Pays-Bas. Les pays du Moyen-Orient continuent à fournir près de 70%
des volontaires étrangers, les plus gros contingents venant de
Jordanie, d'Arabie Saoudite, de Tunisie, du Liban et de Libye, mais
les chiffres sont ici probablement moins fiables. Les Balkans et les
anciennes républiques soviétiques fournissent le dernier gros
contingent. En tout cas, malgré cette augmentation, le nombre de
combattants étrangers ne représente pas plus de 10% de
l'insurrection, qui se monte au moins à 100 000 hommes.
Les
combattants étrangers en Syrie, d'après Süddeutsche, citant
l'ICRS + l'étude de l'IRCS parue le 17 décembre 2013 (à gauche,
estimation basse, à droite, estimation haute).
Jordanie | 180-2 089 |
Arabie Saoudite | 386-1 016 |
Tunisie | 382-970 |
Liban | 65-890 |
Libye | 336-556 |
Turquie | 63-500 |
Egypte | 119-358 |
Pakistan | 7-330 |
Algérie | 68-123 |
Territoires
palestiniens | 74-114 |
Yémen | 14-110 |
Somalie | 6-68 |
Irak | 59-247 |
Soudan | 2-96 |
Maroc | 77-91 |
Koweït | 54-71 |
Afghanistan | 12-23 |
Bahreïn | 12 |
Qatar | 14-15 |
Emirats Arabes Unis | 14 |
Israël | 15-20 |
Iran | 3 |
Mauritanie | 2 |
Oman | 1 |
France | 63-412 |
Royaume-Uni | 43-366 |
Irlande | 11-26 |
Belgique | 76-296 |
Luxembourg | 1 |
Allemagne | 34-240 |
Suisse | 1-8 |
Pays-Bas | 29-152 |
Kosovo | 4-150 |
Albanie | 9-140 |
Espagne | 34-95 |
Danemark | 25-84 |
Autriche | 1-60 |
Bosnie | 18-60 |
Macédoine | 3-20 |
Serbie | 3 |
Bulgarie | 1 |
Italie | 2-50 |
Suède | 39-87 |
Norvège | 33-40 |
Finlande | 4-20 |
Australie | 23-205 |
Canada | 9-100 |
Etats-Unis | 17-60 |
Russie | 9-423 |
Tchétchénie | 36-186 |
Kazakhstan | 14-150 |
Kyrgyzstan | 9-30 |
Chine | 6-100 |
Du
côté des rebelles sunnites, il y a probablement eu en tout au moins
5 000 combattants étrangers, une fourchette plus large menant à 10
000 ou un peu plus, ce chiffre recouvrant tous ceux qui sont arrivés
depuis 2011 -beaucoup ont été tués, arrêtés ou sont repartis
entretemps7.
La mobilisation de ce vivier reste néanmoins sans précédent, même
comparée à celle en Irak contre les Américains ou contre les
Soviétiques en Afghanistan. La majorité des volontaires vient des
pays arabes -Arabie Saoudite, Tunisie et Libye, principalement, avec
peut-être un nombre d'Irakiens plus important que ce que l'on peut
savoir actuellement. L'Europe occidentale fournit le second plus gros
contingent avec en tête l'Angleterre, la France, la Belgique et les
Pays-Bas, selon Zelin, au début 2013. Il y a également des
volontaires moins nombreux des Balkans, du Caucase, et d'autres
régions du monde, soit au total plus de 60 pays d'où viennent ces
combattants sunnites. La plupart de ces combattants intègrent les
factions islamistes les plus radicales, en premier lieu l'EIIL et le
front al-Nosra, mais également des groupes salafistes comme Ahrar
al-Sham. Ils constituent aussi une bonne partie des groupes armés
liés de près ou de loin à l'EIIL ou à al-Nosra comme l'Armée
Muhajirin wa-Ansar, les bataillons Suqqour al-Ezz, le mouvement Sham
al-Islam, le bataillon Vert, la brigade Umma et le Jund al-Sham.
Source : http://raymondpronk.files.wordpress.com/2013/06/al-nusra-front.jpg |
La
plupart des volontaires étrangers ont peu d'expérience et passent
d'abord par des camps d'entraînement. Quelques-uns ont pu déjà
être formés dans des camps en Afrique du Nord, comme ceux mis en
place par Ansar al-Sharia en Libye ou d'autres milices islamistes. Il
y a également, cependant, des vétérans d'Afghanistan, de Bosnie,
de Tchétchénie, du Yémen et de la Libye. La majorité des
djihadistes syriens ou étrangers considère les Tchétchènes comme
les plus expérimentés, après vingt ans de guerre contre la Russie.
Mais les volontaires caucasiens viennent surtout d'Europe et ont
aussi peu d'expérience que les autres, généralement. Ceux qui sont
intervenus en premier sur le champ de bataille ont eu souvent le plus
d'impact. L'armée Muhajrin wa-Ansar, liée à l'EIIL, a ainsi joué
un rôle clé dans la prise de la base aérienne de Minnagh, en août
2013. D'autres formations de volontaires étrangers ont attaqué
furieusement dans la région de Lattaquié, en plein coeur du pays
alaouite, procédant d'ailleurs à des nettoyages de population dans
les zones conquises8.
La brutalité du régime de Bachar el-Assad a probablement entraîné
une radicalisation de ceux qui sont venus combattre en Syrie. En
outre, les djihadistes étant mieux financés que les autres acteurs
de l'insurrection, ils ont beaucoup plus attiré. Il semblerait que
les combattants tunisiens, profitant de l'expérience d'Ansar
al-Sharia, aient contribuer à préparer un programme de prosélytisme
(dawa) pour l'EIIL. Ce programme vise à briser l'image
négative qu'a l'organisation depuis la guerre en Irak et à
s'attirer la bienveillance des habitants. C'est pourquoi, aussi, ce
programme vise les enfants et les adolescents de 8 à 16 ans.
Les
volontaires pakistanais : une contribution au djihad mondial du
TTP ?
De
nombreux commandants du Tehrik-i-Taliban Pakistan (TTP) ont précisé
avoir envoyé des militants en Syrie pour combattre le régime de
Bachar el-Assad9.
Mohammed Amin, le coordinateur du TTP pour la Syrie, a ainsi affirmé
que son organisation avait établi une base en Syrie avec l'aide de
vétérans de l'Afghanistan. Un commandant de rang intermédiaire du
TTP justifie l'envoi de militants par le fait que des chiites
seraient également recrutés par l'Iran au Pakistan pour aller
combattre aux côtés du régime de Bachar el-Assad. Le réseau qui
se charge d'acheminer les volontaires en Syrie est tenu conjointement
par le TTP et par le Laschkar-i-Jangvi (LJ), deux groupes affiliés à
al-Qaïda. Il aurait envoyé de 100 à 150 hommes. Abdul Rashid
Abbasi, un proche du chef du TTP, Hakimullah Mehsud, a précisé que
120 combattants pakistanais se trouvaient en Syrie et qu'ils étaient
sous les ordres du commandement local d'al-Qaïda. Le réseau est
dirigé par Usman Ghani, un ancien commandant du LJ, et Alimullah
Umry, un commandant du TTP de la province de Khyber Pakhtunkhwa.
Selon al-Jazeera, les Pakistanais se trouvent dans la Katibat
Mujahiroon, un groupe djihadiste composé de volontaires étrangers
qui combat à Lattaquié et qui est commandé par un Libyen, Abu
Jaafar il Libi. Le TTP, le LJ et un autre groupe sectaire, le Hafiz
Gul Bahadur, ont envoyé des combattants. Le TTP a également demandé
à ses commandants de Mohmand, Bajaur, Khyber, Orakzai et des agences
tribales du Waziristan de procéder à des recrutements.
Source : http://www.5pillarz.com/wp-content/uploads/2013/11/hakimullah.jpg |
Une
première vidéo, le 31 juillet 2013, confirme la présence de
combattants du TTP en Syrie. Elle montre un groupe de 10 à 20
Pakistanais et a été mise en ligne par l'EEIL. En septembre, les
médias annoncent que les corps de 30 Pakistanais ont déjà été
rapatriés au pays, la plupart appartenant au LJ ou à la faction du
Punjab du TTP. Cette participation du TTP à l'insurrection syrienne
ne doit pas surprendre : elle fait partie de la stratégie
d'internationalisation promue par Mehsud, qui veut participer aux
djihads à l'étranger en lien avec al-Qaïda. Il y en a eu d'autres
exemples : en juin 2012, le président du Niger affirmait que
des Afghans et des Pakistanais entraînaient des hommes au nord du
Mali. Au Yémen, des Pakistanais convoyés par al-Qaïda formeraient
des militants aux explosifs, l'un d'entre eux, Ragaa Bin Ali, étant
même tué par un drone en 2013. Faisal Shahzad, un jeune Pakistanais
résidant aux Etats-Unis et qui avait tenté de placer une bombe à
Times Square en mai 2010, était lié au TTP. L'envoi de
combattants en Syrie a aussi eu pour effet de raviver les tensions
sectaires au Pakistan entre sunnites et chiites.
Les
Jordaniens : la radicalisation des salafistes
Depuis
le début de l'insurrection, les militants jordaniens ont eux gagné
la Syrie10.
Au départ, ils comptaient renverser Bachar el-assad pour installer
un Etat islamique sunnite, dans une dimension guerrière proprement
religieuse. Cette approche s'est intensifiée avec le caractère de
plus en plus sectaire du conflit. Parmi les Jordaniens, salafistes ou
djihadistes, qui sont partis pour la Syrie, il y a certains vétérans
d'Afghanistan ou d'Irak, et certaines sources parlent de plusieurs
milliers d'hommes en tout. On sait que Zarqawi, un Jordanien, avait
dirigé la branche d'al-Qaïda en Irak jusqu'à sa mort en juin 2006.
Son mentor spirituel, Abu Muhammad al-Maqdisi, un Jordanien d'origine
palestinienne, est le chef de file du djihadisme en Jordanie. Les
djihadistes semblent gagner du terrain autour des villes de Maan et
de Zarqa, cette dernière étant d'ailleurs la ville natale de
Zarqawi. En octobre 2012, les autorités démantèlent une cellule
qui s'apprêtaient à commettre des attentats anti-occidentaux à
Amman grâce à des explosifs et à des armes venus de Syrie. Il faut
dire qu'au départ, elles ont eu tendance à fermer les yeux sur le
transit de combattants jordaniens en direction de ce pays. Mohammed
el-Shalabi, un des leaders djihadistes jordaniens, affirme que de 700
à 800 combattants sont partis en Syrie, un chiffre qu'il est
difficile de vérifier. D'autres rapports parlent de 500 hommes.
On
sait par contre que Mahmoud Abdoul Al, le gendre de Abu Muhammad
al-Talawi, un des cheiks djihadistes influents de Jordanie, s'est
fait sauter à Deraa en octobre 2012. Al-Tahawi lui-même encourage
les Jordaniens à se joindre au djihad sous la bannière d'al-Nosra.
D'autres clercs sunnites jordaniens ont fait de même depuis, à
l'instar du chef d'al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri. Au début des
hostilités, les Jordaniens franchissent la frontière dans les
provinces de Deraa et de Rif Dishmashq. Ils sont aussi présents à
l'ouest et à l'est de la Syrie, à Alep, Homs et Deir es-Zor. Le
gouvernement jordanien laisse d'abord faire, sans doute dans
l'intention de se débarrasser à peu de frais de ses djihadistes.
Mais quand le conflit s'éternise, les autorités verrouillent la
frontière et mettent le hola sur le trafic d'armes qui revient vers
la Jordanie. En conséquence, les Jordaniens font désormais un
détour via la Turquie et pénètre en Syrie par le nord. La plupart
des volontaires s'intègrent dans le front al-Nosra, et les
combattants expérimentés semblent même diriger certaines brigades
de l'organisation. Deux Jordaniens d'ascendance palestinienne,
originaires de Zarqa, ont aidé à l'établissement du conseil de la
Choura d'al-Nosra, aux côtés d'Abu Muhammad al-Juhani, le
chef de l'organisation. Ces deux militants, Iyad Toubasi et Mustafa
Abdul Latif, ont fait partie du commandement d'al-Qaïda en Irak. Ils
sont présents en Syrie depuis le début du conflit. Le premier est
par ailleurs marié à la soeur de Zarqawi. Abou Gelebeb, c'est son
nom de guerre, est l'émir d'al-Nosra pour les provinces de Deraa et
Damas. Blessé en décembre 2012, il est soigné en Turquie avant de
rejoindre le combat. C'est Latif qui prend la suite du front sud
d'al-Nosra. Proche de Zarqawi, il avait notamment organisé l'arrivée
des Syriens venus se battre en Irak contre les Américains.
Les
Néerlandais : un recrutement dans une communauté ciblée
Au
moins 20 Néerlandais sont partis combattre en Syrie depuis le début
de la guerre civile et 6 y ont trouvé la mort11.
Il n'y a pas de réseaux organisés jusqu'à présent qui recrutent
les musulmans néerlandais sur place, mais des groupes comme
Sharia4Holland, Behind Bars, Hizb-al-Tahrir et Millatu Ibrahim
se servent du conflit pour promouvoir leur cause, ce qui est un
facteur potentiel de radicalisation de leur public. Il est d'ailleurs
fort possible que le nombre total de Néerlandais partis en Syrie
dépasse en fait la centaine. Les 20 personnes qui ont été
identifiées proviennent des communautés marocaine, somalienne et
turque surtout, bien que l'une d'entre elles soit originaire de
Bosnie. La majorité est néanmoins d'origine marocaine. Ils viennent
de Zeist, Delft, Rotterdam et La Hague (en particulier le quartier de
Schilderswijk). La plupart des hommes recrutés ont entre 23 et 26
ans, même si deux étaient des mineurs. Le soutien à la cause
s'exprime via un site Internet et le recrutement s'effectuerait par
des activistes de Sharia4Holland et Behind Bars qui ont
déjà effectué le voyage en Syrie. Les volontaires gagnent la
Turquie via les Pays-Bas ou la Belgique et entrent dans le nord de la
Syrie.
Le
premier Néerlandais tué en Syrie, d'origine marocaine, est mort en
mars 2013. Il faisait partie d'un groupe de 20 jeunes hommes de
Delft, certains ayant un passé de délinquant ; lui-même
cherchait manifestement à « racheter ses péchés »
en partant combattre en Syrie. Un de ses amis, qui jouait dans
l'équipe de foot Delfia, est également tué en Syrie, ainsi que son
frère. Une jeune femme de 19 ans, connue sous le nom d'Oum Usama, de
Zoetermeer, suspectée de procéder au recrutement, est arrêtée en
juillet 2013. Un autre recruteur, Murat Ofkeli, surveillé par les
autorités depuis 2001 et qui avait notamment envoyé en 2005 3
jeunes Néerlandais pour la Tchétchénie, qui avaient été arrêtés
en Azerbaïdjan, n'est pas pris au sérieux jusqu'à ce que la presse
se fasse l'écho de plaintes des parents des candidats au djihad.
Banni de la mosquée As-Soennah de La Hague, Ofkeli aurait trouvé la
mort en Syrie en juin 2013.
Le
chef des djihadistes néerlandais en Syrie, Abu Fidaa, a donné une
interview au journal De Volkskrant en juin 2013. Il fournit
des précisions qui sont impossibles à vérifier, mais qui n'en sont
pas moins intéressantes. On conseille ainsi aux volontaires de lire
48 Laws of Power ou Les 36 Stratagèmes de la guerre, par
exemple. D'après lui, une fois arrivés en Syrie, les volontaires
sont entraînés pendant six semaines ; ils peuvent alors se
porter candidats au martyr. Les Néerlandais sont mélangés avec
d'autres nationalités pour favoriser l'intégration dans un djihad
« global ». On pense que les Néerlandais sont
surtout à Alep mais Abu Fidaa précise qu'ils se trouvent aussi dans
d'autres parties du pays. 3 femmes ont également fait le choix de
suivre leurs maris en Syrie.
Les
Britanniques : au-delà du « Londonistan »
Depuis
le début de la guerre en Syrie, les autorités britanniques ont
arrêté trois hommes suspectés de participer à des réseaux de
recrutement et d'acheminement de volontaires pour les groupes
djihadistes12.
Le cas britannique rappelle de fâcheux souvenirs, notamment celui de
la Bosnie. L'attention est attirée sur les volontaires britanniques
au moment de l'enlèvement d'un journaliste anglais et d'un autre
néerlandais, le 19 juillet 2012, qui sont finalement libérés par
un groupe de rebelles qui les avaient aidés à pénétrer en Syrie.
Or, parmi leurs ravisseurs, se trouve une douzaine de Britanniques,
dont un docteur du National Health Service, Shajul Islam,
d'origine bengalie, intercepté à son retour au pays via l'Egypte le
9 octobre suivant. D'autres arrestations ont lieu en janvier 2013,
dont celle du frère de Shajul, et d'un homme qui avait converti un
MAC-10 tirant à blanc en une arme opérationnelle. Najul Islam,
c'est son nom, aurait assuré le soutien financier du voyage de son
frère et de son complice, arrêté avec lui, et aurait également
convoyé en Syrie des équipements de vision nocturne, des lunettes
de visée et autres matériels sensibles. Dans un autre cas, Nassim
Terreri et Walid Blidi, deux Londoniens d'origine algérienne, sont
tués à Darkoush, à quelques kilomètres de la frontière turque,
le 26 mars 2012. Les deux Britanniques appartenaient à la brigade
Hisham Haboub, de l'Armée syrienne libre : ils sont morts en
ouvrant le feu sur un convoi du régime qui a répliqué à leurs
tirs, un autre Britannique du même groupe étant d'ailleurs blessé
dans l'accrochage.
Source : http://news.images.itv.com/image/file/106123/image_update_5f0cd34c80bde19a_1350476632_9j-4aaqsk.jpeg |
Les
Britanniques se sont en fait retrouvés sur nombre de champs de
bataille du djihad depuis l'Afghanistan. La communauté dite
« Londonistan » avait aussi produit des prêcheurs
radicaux capables d'influencer la jeunesse britannique, jusqu'à
pousser certains éléments à rejoindre al-Qaïda et à commettre
les attentats du 7 juillet 2005 à Londres. Depuis le printemps arabe
cependant, ce sont les communautés arabes en exil, via leurs liens
avec leurs pays d'origine, qui sont devenus importantes, comme le
montre le cas de la Libye et de la Tunisie, ou bien encore de
l'Egypte. On estime qu'il y a au moins 13 000 exilés syriens au
Royaume-Uni, dont une partie fournit des fonds, organise des convois,
alimente aussi le vivier des volontaires. Mais comme on l'a vu, des
Britanniques à proprement parler sont aussi partis en Syrie. Il y en
a au moins 30. La communauté soudanaise de l'ouest de Londres parle
de 21 hommes déjà entraînés sur place, et il y aurait eu des
départs dans les communautés marocaine et somalienne. Des Syriens
comme un prêcheur de l'est de Londres, Abu Basir al-Tartusi, qui
n'était pas parmi les plus radicaux, sont aussi partis combattre en
Syrie. On trouve aussi parmi eux Mustafa Setmariam Nassar, un
théologien djihadiste vétéran de l'Afghanistan arrivé à Londres
dans les années 90, qui avait soutenu les groupes radicaux en
Algérie avant de retourner en Afghanistan et d'être arrêté par
les Américains à Quetta en 2005, livré aux autorités syriennes
qui l'ont relâché, sans que l'on comprenne bien pourquoi, en
février 2012. Muhammad Surur bin Nayif Zain al-Abidin, en lien avec
deux dissidents saoudiens, Saad al-Faqih et Muhammad al-Massari,
contribue au financement des insurgés. Théologien salafiste, il est
revenu au Qatar en 2004 et organise de là le flux financier à
destination de certains groupes rebelles.
Les
Finlandais : un changement d'échelle
En
Finlande, les premières rumeurs à propos de combattants partis en
Syrie commencent à circuler dans les médias à partir d'août
201213.
Un an plus tard, le ministère de l'Intérieur confirme que plus de
20 Finlandais ont déjà rejoint les groupes islamistes radicaux sur
place. Ce phénomène marque la radicalisation, en filigrane, de
musulmans finlandais depuis environ deux ans. La population musulmane
finlandaise, très réduite au départ, s'est accrue dans les années
90 par l'apport de nombreux réfugiés. On l'estimait à 50 à 60 000
personnes en 2011, dont 90% de sunnites. Ce sont des musulmans de la
deuxième génération, mal intégrés, originaires de zones de
conflit, qui se sont radicalisés. Cependant, la plupart des
musulmans radicalisés sont liés, de fait, à des groupes islamistes
ou autres avec des enjeux locaux, même si plusieurs organisations
comme al-Qaïda, les Shebaab, le Hezbollah sont représentées en
Finlande. Les Shebaab, en particulier, sont plus visibles car ils ont
recruté dans la communauté somalie finlandaise (15 000 personnes en
2012). Le processus semble se restreindre à partir de 2012, moment
où les Shebaab s'associent très nettement à al-Qaïda et
commencent à avoir recours à des méthodes classiques de
l'organisation comme l'attentat à la voiture kamikaze.
On
pense qu'il n'y a pas eu de Finlandais engagés en Afghanistan. Le
premier combattant étranger finlandais mis en évidence est Abu
Ibrahim, parti combattre en Tchétchénie et arrêté par les
autorités géorgiennes. Son père est un officier de l'armée
finlandaise. Le plus gros contingent reste donc celui débauché par
les Shebaab entre 2007 et 2009, avant la radicalisation de ce dernier
mouvement vers al-Qaïda. On évoque aussi, peut-être, la présence
d'un Finlandais auprès du Front National de Libération de l'Ogaden,
en Ethiopie. C'est avec la guerre en Syrie que le contingent de
volontaires finlandais est le plus important. Après les rumeurs
dévoilées en août 2012, un premier martyr finlandais, Kamal Badri,
est identifié en janvier 2013 : il a été tué à Alep.
Quelques mois plus tard, les autorités commencent à parler d'une
dizaine, puis d'une vingtaine de personnes parties en Syrie. Le
portrait d'ensemble reste encore peu clair, faute d'informations
suffisantes, même si l'on peut en déduire que la communauté
musulmane radicalisée, en Finlande, se structure davantage depuis
deux ans.
Source : http://3.bp.blogspot.com/-mBMUTQTaGt4/UTEdhQJETTI/AAAAAAAABwg/wJTuWm_3MOY/s1600/KamalBadri.jpg |
L'Australie :
la communauté libanaise et le djihad
En
ce qui concerne l'Australie, 6 combattants en Syrie ont
potentiellement été identifiés comme australiens, avec cependant
des doutes sur plusieurs d'entre eux14.
Trois cas sont cependant plausibles : Roger Abbas, Yusuf
Topprakaya et un kamikaze connu sous le nom de Abu Asma al-Australi.
Roger Abbas, tué en octobre 2012, venait de Melbourne et était
d'origine libanaise : c'était aussi un champion de kickboxing.
Arrivé au départ pour une aide humanitaire, il a visiblement
combattu ensuite avec le front al-Nosra. Yusuf Topprakaya, tué en
décembre 2012, était originaire de la communauté turque et était
surveillé par les autorités australiennes depuis 2010. Arrivé à
la frontière turque à la mi-2012, il attend de pouvoir entrer en
Syrie et rejoint une unité locale des brigades al-Farouk près de la
ville de Maarat al-Numan. Il se fait remarquer par ses compétences
au tir et dans la fabrication de bombes, avant d'être tué par un
sniper. A la mi-septembre 2013, enfin, Abu Asma al-Australi
jette un camion rempli de 12 tonnes d'explosifs contre une école qui
sert de lieu de cantonnement à des soldats du régime syrien dans la
ville de al-Mreiya, dans la province de Deir es-Zor. L'attaque
kamikaze aurait permis au front al-Nosra de prendre la base aérienne
de la ville. Le martyr, originaire de Brisbane et de la communauté
libanaise, était lui aussi surveillé par les autorités
australiennes avant son départ.
Source : http://resources3.news.com.au/images/2012/10/31/1226506/977691-roger-abbas.jpg |
D'autres
cas sont moins documentés. En août 2012, un cheik de Sydney,
Mustapha al-Mazjoub, est tué en Syrie. D'ascendance saoudienne, il
est à noter que son frère était le seul membre australien du
Conseil National Syrien. Il serait mort au combat. En novembre 2012,
un dénommé Marwan al-Kassab, considéré comme un Australien, meurt
dans une explosion au Nord-Liban alors qu'il fabrique des bombes pour
les rebelles syriens. En avril 2013, Sammy Salma, originaire de
Melbourne, et qui avait voyagé avec Abbas, est également tué. En
tout, on estime que 80 Australiens sont partis en Syrie et que 20,
peut-être, ont combattu avec al-Nosra. La plupart sont issus de la
communauté libanaise, 70% d'entre eux étaient connus des autorités
précédemment et ils sont entrés en Syrie via la Turquie, un peu
moins par le Liban. La Syrie n'est pas le premier cas de départ d'un
contingent australien. Entre 1998 et 2003, 20 personnes avaient
rejoint l'Afghanistan et les camps du LeT au Pakistan. Entre 2002 et
2012, 16 Australiens ont été arrêtés au Liban, ou condamnés in
abstentia, pour activités djihadistes, principalement en lien
avec Ansbat al-Ansar ou Fatah al-Islam. Après l'invasion de la
Somalie par l'Ethiopie en 2006, de 10 à 40 Australiens ont également
rejoint les Shebaab en Somalie. Des Australiens seraient également
partis au Yémen en 2010. Le conflit en Syrie marque cependant un
changement d'échelle. Une des causes est évidemment l'importance de
la communauté libanaise : le conflit en Syrie concerne
davantage ses membres que ceux en Somalie ou au Yémen. Ensuite,
l'accès à la Syrie via la Turquie est beaucoup plus aisé que lors
des conflits précédents. Enfin, le caractère de plus en plus
sectaire du conflit et l'impuissance de la communauté occidentale à
le juguler ont manifestement constitué un appel d'air pour des
groupes comme al-Nosra ou l'EIIL.
Le
combat s'est en outre transposé en Australie. Depuis le début 2012,
17 incidents ont été relevés comme étant en rapport avec le
conflit syrien : principalement des attaques de sunnites contre
des personnes, des biens ou des commerces chiites ou alaouites. Elles
ont lieu surtout à Sydney et Melbourne et impliquent des personnes
issues des communautés syrienne, turque et libanaise. L'Australie a
connu plusieurs préparations d'attentats terroristes déjouées
avant exécution, contre les J.O. De Sydney en 2000, une du LeT en
2003, et deux cellules autonomes démantelées à Sydney et Melbourne
en 2005 qui comprenaient des personnes entraînées en Afghanistan et
au Pakistan. Un attentat prévu contre les Hollsworthy Army
Barracks en 2009, là encore arrêté à temps, impliquait des
hommes qui participaient au réseau de financement et de recrutement
des Shebaab. A noter toutefois que les incidents sectaires ont reculé
en 2013.
La
Suède : un profil de combattants très ciblé
En
avril 2013, le service de sécurité suédois estime que 30 personnes
ont déjà rejoint les insurgés syriens15.
L'auteur de l'article de référence sur la question a identifié
personnellement 18 Suédois qui, à coup sûr, ont gagné la Syrie.
Presque toutes ces personnes viennent du sud-ouest de la Suède, et
plus de la moitié des faubourgs de Gothenburg, la seconde ville du
pays. 11 sont originaires des faubourgs d'Angered et Bergjsön. Les
liens d'amitié jouent incontestablement : trois candidats
appartenaient ainsi au même cercle d'arts martiaux. D'autres
fréquentaient une mosquée radicale bien connue de Gothenburg, la
Bellevue Masjid. Seul l'un des hommes concernés avait un lien direct
avec la Syrie, où il est entré en juin 2013. Un tiers des personnes
est né en Suède de parents immigrés. Le reste provient de
différents pays : Irak, Jordanie, Kosovo, Maroc et même
Philippines. Pourtant au moins 10 sont d'origine libanaise (dont 2
qui étaient peut-être Palestiniens). Un seul à des origines
familiales suédoises. Ce sont tous des hommes : l'âge moyen
est de 23,5 ans. La plupart viennent de familles avec de nombreux
enfants et à faible revenu ; 8 étaient sans emploi ou revenu
d'aucune sorte. 8 étaient également connus pour délinquance, dont
4 pour des affaires de drogue et 3 pour des violences. L'un des
volontaires, Abo Isa, était un criminel endurci : il a fait
trois fois de la prison et a été condamné en tout à 15 reprises.
Sur
ces 18 Suédois, 8 ont été tués en Syrie. Abu Kamal est victime
d'un éclat d'obus de char à Alep, en janvier 2013. A la mi-mars,
une vidéo le présente comme un membre de Kataib al-Muhajirin ;
un Britannique a d'ailleurs péri au cours de la même opération.
Abu Omar, lui, est tué en avril 2013 par une roquette de RPG ;
là encore, il aurait servi avec un groupe radical. Abu Dharr, qui
avait réalisé la première vidéo de propagande en suédois, est
tué en avril 2013. Abu Abdurahmann a été tué en juin 2013 dans la
province d'Idlib ; il faisait lui aussi partie de Kataib
al-Muhajirin. Deux frères, Abu Maaz et Abu Osman, ont également
péri en Syrie. Ils ont été tués lors de l'attaque d'un checkpoint
du régime près d'Abu Zeid, à proximité du Krak des Chevaliers,
dans la province de Homs. Abu Maaz est mort au volant de la voiture
kamikaze qu'il conduisait et son frère aîné dans les échanges de
tirs qui ont suivi ; ils servaient dans Jund al-Sham. Un autre
frère avait été tué 18 mois plus tôt, en 2012, lors
d'affrontements sectaires à Tripoli, au Liban. Abu Omar Kurdi a lui
été tué en août 2013 durant l'assaut de la base aérienne de
Minnagh. En plus des 8 morts recensés, deux autres pourraient bien
avoir été Suédois : Adam Salir Wali, tué par une grenade le
29 mars 2013 (le seul Suédois qui aurait rejoint l'Armée syrienne
libre et pas un groupe radical), et Abu Mohammad al-Baghdadi, tué
fin août 2013. Tous les Suédois ont rejoint, à l'exception de
Wali, des groupes radicaux : al-Nosra, Kataib al-Muhajirin et
Jund al-Sham. Certains se sont même ralliés à l'EIIL. Plusieurs
sont fortement suspectés de crimes de guerre.
9
des 18 Suédois identifiés étaient précédemment liés au
terrorisme ou au djihadisme. Isa al-Suedi est le frère cadet d'un
homme condamné pour la préparation d'une attaque du type Mumbaï
contre un quotidien danois, avec trois autres hommes, à partir de la
Suède. Il avait été arrêté à la frontière somalienne en 2007
et au Waziristan en 2009. Abu Omar était le fils d'un djihadiste
albanais du Kosovo. Un des oncles de la fratrie est emprisonné pour
avoir participé à la préparation d'un attentat contre des trains
en Allemagne en mai 2006 ; un autre était le quatrième
responsable hiérarchique du mouvement libanais Fatah al-Islam et a
été tué par l'armée libanaise en mai 2007. Abu Dharer Filippino
annonce depuis la Syrie, fin octobre 2012, qu'il a été entraîné
au Pakistan en 2001 par le LeT. Il est retourné en Suède au
printemps 2013 et fait depuis une intense propagande pour le djihad.
Le profil type des volontaires suédois est donc assez ciblé : un
homme jeune, du sud-ouest de la Suède, probablement des faubourgs de
Gothenburg, d'une famille immigrée mais pas syrienne, sans emploi,
déjà condamné pour délinquance. Des amis ou des parents peuvent
le relier au terrorisme ou au djihadisme.
Les
Tchétchènes : peu nombreux mais influents
Les
Tchétchènes figurent également parmi les étrangers partis
rejoindre l'insurrection syrienne16.
Trois commandants, l'émir Muslim, l'émir Seifullah et l'émir
Abu-Musaaba ont gagné la Syrie le 31 octobre 2013 et ont formé un
nouveau groupe sous l'autorité de l'émir Muslim, qui dirigeait
précédemment Jundu Sham. Muslim a probablement attiré à lui
certains combattants servant sous les ordres de l'émir Umar
Shishani, des hommes qui ont combattu en Tchétchénie ou au
Daghestan. Ce sont des combattants expérimentés qui par ailleurs
savent aussi que l'émir Muslim a des liens importants avec des
bailleurs de fonds du Moyen-Orient, depuis l'époque d'Ibn
al-Khattab.
Source : http://chechen.org/wp-content/uploads/2013/08/Abu-Umar-Shishani.jpg |
Des
Arabes remplacent les combattants qui quittent Umar Shishani, mais
celui-ci aura du mal à maintenir la cohésion d'un groupe composé
d'hommes dont il ne parle pas forcément la langue. La plupart des
volontaires tchétchènes d'Europe semblent cependant rejoindre ce
groupe. En décembre 2013, l'émir Muslim revendique 1 500
combattants tandis que Shishani en alignerait 600. Les deux groupes
comprennnent à la fois des Tchétchènes, d'autres nationalités du
Caucase et des Arabes, syriens ou non. Il existe aussi d'autres
groupes avec des Tchétchènes. Abu Musa, qui est arrivé en Syrie en
2012, dirigerait un groupe de 300 hommes. Le groupe Jamaat du
Caliphat de l'émir Abdulkhakim compterait 100 militants. Si Shishani
reconnaît l'autorité de Doku Umarov, le chef de l'insurrection
tchétchène contre les Russes, ce n'est pas le cas de Muslim. En
outre, Shishani est intégré dans la structure de l'EIIL,
contrairement à Muslim. L'émir Salaudin, le représentant d'Umarov
en Syrie, est devenu le chef des volontaires caucasiens. De
Tchétchénie même, l'afflux s'est accru depuis cet automne mais ne
concerne pour l'instant qu'un maximum de 100 personnes, dont
peut-être quelques femmes. Mais les Tchétchènes ont intégré les
groupes les plus puissants de l'insurrection et leur influence est
sans doute sans rapport avec leur nombre réel.
Les
groupes armés dirigés et/ou entretenus par les volontaires
étrangers
Il
est courant de lire, quand on parle de la guerre en Syrie, que le
front al-Nosra rassemble surtout des combattants syriens tandis que
l'EIIL regroupe surtout les volontaires étrangers. Il est vrai que
la plupart des combattants étrangers sunnites rejoignent l'EIIL,
mais ils contribuent aussi à d'autres formations17.
Jaysh
al-Muhajireen wa al-Ansar est commandée par Omar ash-Shishani, un
vétéran de l'armée géorgienne. En mai 2013, celui-ci est nommé
émir du nord de la Syrie par le chef de l'EIIL, secteur qui englobe
les provinces d'Alep, Raqqa, le nord d'Idlib et Lattaquié. A la
suite de cette désignation, le groupe de Shishani devient donc le
paravent de l'EIIL. Si la désignation d'origine est conservée,
c'est pour montrer qu'un front idéologique plus large existe, alors
qu'en réalité, le groupe de Shishani n'est que le reflet de l'EIIL.
On observe le même phénomène avec les nombreuses milices
iraniennes qui se battent côté régime. En août 2013, le groupe
joue un rôle décisif pour faire tomber la base aérienne de
Minnagh, sous les ordres d'un Egyptien, Abu Jandal al-Masri. Fin
novembre 2013, une nouvelle scission a lieu entre ceux qui restent
fidèles à l'EIIL derrière Shishani et ceux qui conservent le
« label » d'origine et qui ont un nouveau
commandant, Salah ad-Din ash-Shishani.
Jamaat
Jund ash-Sham est un bataillon basé dans l'ouest rural de la
province de Homs. Fondé par des combattants libanais, il comprend
aussi des Syriens. Le groupe se rapproche de l'EIIL mais n'est pas
hostile non plus à al-Nosra. Des activistes libanais sunnistes
pro-EIIL de Tripoli relaient les informations du groupe, ce qui
semble indiquer des liens avec ce milieu.
Source : http://azelin.files.wordpress.com/2013/12/untitled9.png?w=300&h=164 |
Le
Bataillon Vert a émergé en août 2013. Il est proche d'EIIL et
d'al-Nosra mais se démarque par son indépendance, et a pour ce
faire changé d'emblème, par exemple, en septembre. Le groupe est
mené par des Saoudiens mais comprend aussi des Syriens. Il a conduit
des opérations conjointes avec l'EIIL et al-Nosra dans les montagnes
de Qalamoun, ainsi qu'avec d'autres formations importantes comme
Jaysh al-Islam, dans les zones désertiques de la province de Homs
tenues par le régime -où il a d'ailleurs affirmé s'être emparé
de nombreuses armes. C'est le Bataillon Vert, en lien avec l'EEIL,
qui a repris la ville de Deir Atiyeh pendant la « bataille »
de Qalamoun, avant que la ville ne soit reconquise par le régime et
ses miliciens chiites.
Source : http://azelin.files.wordpress.com/2013/12/untitled18.png?w=300&h=166 |
Harakat
Sham al-Islam a été fondé à la mi-août 2013 par des combattants
marocains. Il a participé à l'offensive dans la province de
Lattaquié à l'été 2013 et a aussi collaboré avec al-Nosra dans
la province d'Alep, notamment dans une attaque sur la prison centrale
de la ville, à laquelle n'a pas participé l'EIIL. Pendant
l'offensive de Lattaquié, le groupe a perdu un ancien détenu
marocain de Guantanamo, Mohammed al-Alami. Un autré vétéran
d'al-Qaïda d'origine marocaine, Ibrahim bin Shakaran, dirige la
formation. Le groupe est quasiment lié, de fait, au front al-Nosra,
branche « officielle » d'al-Qaïda en Syrie. Il se
revendique aussi d'un engagement qui sert en quelque sorte de banc
d'entraînement, afin que les combattants reviennent ensuite au Maroc
et dans le Maghreb pour lutter contre les régimes en place.
Suqur
al-Izz, comme le Bataillon Vert, a été créé et reste dirigé par
des Saoudiens, en délicatesse avec al-Nosra et l'EIIL, même si le
logo et certaines déclarations semblent bien rapprocher ce bataillon
indépendant de l'EIIL. Né en février 2013, ce groupe opère dans
la province de Lattaquié, et a participé à l'offensive coordonnée
de l'été avec al-Nosra et l'EIIL. Parmi ses martyrs, on compte un
Indonésien et des Syriens, tués notamment à Alep à la fin
novembre 2013.
Source : http://azelin.files.wordpress.com/2013/12/untitled44.png?w=300&h=166 |
Le
bataillon des Lions du Califat est basé lui aussi à Lattaquié et a
été fondé par un Egyptien, Abu Muadh al-Masri. A la mi-novembre
2013, celui-ci annonce son ralliement à l'EIIL. La brigade Jund
Allah dans Bilad ash-Sham est un groupe qui opère dans les provinces
d'Idlib et de Hama et qui compte son propre bataillon de volontaires
étrangers.
Source : http://azelin.files.wordpress.com/2013/12/untitled57.png?w=300&h=174 |
Conclusion
L'afflux
de volontaires étrangers a entraîné des conséquences
importantes18.
Il a contribué non seulement à renforcer les factions les plus
radicales de l'insurrection syrienne, mais il a aussi redynamisé les
communautés radicales dans les pays d'où sont partis ces
volontaires. Cet afflux, qui marquera probablement une génération
entière de combattants djihadistes, est facilité par les conditions
d'accès relativement simples à la Syrie, notamment parce que de
nombreux Etats soutiennent le même camp que ces combattants, ce qui
les freine dans la répression d'un tel transit. En outre, la
frontière nord de la Syrie est contrôlée par les rebelles, ce qui
laisse la Turquie, un des principaux soutiens de l'insurrection,
comme seule « garde-frontière », et peu désireuse
de stopper le flux. Les volontaires peuvent ainsi aller en Syrie,
revenir dans leur pays d'origine pour faire du recrutement et de la
propagande, voire repartir. Le nombre élevé de femmes en provenance
d'Europe montre aussi un certain changement d'attitude de la part des
radicaux. En outre, le caractère très localisé de la guerre en
Syrie fait que les combattants peuvent ne pas être forcément
exposés au feu tout de suite, ou même tout court, ce qui rapproche
de ce point de vue la Syrie de l'Afghanistan des Soviétiques. Le
conflit syrien reflète aussi des lignes de fracture sectaires que
l'on avait pu voir en Irak, et qui traditionnellement n'attirent pas
les volontaires étrangers : mais l'important ici est peut-être
plus qui l'on vient aider, plutôt que qui l'on vient combattre.
L'échelle et la vitesse de mobilisation des combattants étrangers
ont été grandement accélérées par Internet et les réseaux
sociaux, mais c'est aussi parce que les autorités des pays de départ
n'exercent pas une répression systématique, comme on l'a dit. Ce
qui explique par exemple que le nombre de volontaires européens ait
triplé en 6 mois.
Bibliographie
Samar
Batrawin « The Dutch Foreign Fighter Contingent in Syria »,
CTC Sentinel, Volume 6 Issue 10, octobre 2013, p.6-10.
Per
Gudmundson, « The Swedish Foreign Fighter Contingent in
Syria », CTC Sentinel, Volume 6 Issue 9, septembre 2013,
p.5-9.
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Hegghammer, « Number of foreign fighters from Europe in Syria
is historically unprecedented. Who should be worried? », The
Monkey Cage, 27 novembre 2013.
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Jawad Al-Tamimi, « Musings of an Iraqi Brasenostril on Jihad:
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décembre 2013.
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With Aaron Y. Zelin », Carnegie Middle East Center/Guide to
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CTC Sentinel, Volume 6 Issue 2, février 2013, p.11-15.
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Jihadology.net, 21 novembre 2013.
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10 Issue: 223, The Jamestown Foundation, 12 décembre 2013.
Zia
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CTC Sentinel, Volume 6 Issue 9, septembre 2013, p.9-11.
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CTC Sentinel, Volume 6 Issue 11-12, novembre 2013, p.5-9.
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Y. Zelin, « CSR Insight: European Foreign Fighters in Syria »,
The International Centre for the Study of Radicalization, 2
avril 2013.
Aaron
Y. Zelin, Sami David, « Up to 11,000 foreign fighters in
Syria; steep rise among Western Europeans », The
International Centre for the Study of Radicalisation, 17 décembre
2013.
1Sourate
8, verset 39 du Coran.
2Lire
l'interview de Tom Cooper, que j'ai réalisée, à ce sujet :
http://lautrecotedelacolline.blogspot.fr/2013/12/la-guerre-civile-syrienne-interview-de.html
3Aaron
Y. Zelin, « CSR Insight: European Foreign Fighters in Syria »,
The International Centre for the Study of Radicalization, 2
avril 2013.
4Thomas
Hegghammer, « Number of foreign fighters from Europe in Syria
is historically unprecedented. Who should be worried? »,
The Monkey Cage, 27 novembre 2013.
5http://www.sueddeutsche.de/politik/radikale-islamisten-staffellaeufer-des-heiligen-kriegs-1.1845410
Merci à Florent de Saint-Victor de m'avoir fourni le lien en
question.
6Aaron
Y. Zelin, Sami David, « Up to 11,000 foreign fighters in
Syria; steep rise among Western Europeans », The
International Centre for the Study of Radicalisation, 17
décembre 2013.
7Aron
Lund, « Who Are the Foreign Fighters in Syria? An Interview
With Aaron Y. Zelin », Carnegie Middle East Center/Guide to
Syria in Crisis, 5 décembre 2013.
8Aron
Lund, « Who Are the Foreign Fighters in Syria? An Interview
With Aaron Y. Zelin », Carnegie Middle East Center/Guide to
Syria in Crisis, 5 décembre 2013.
9Zia
Ur Rehman, « Pakistani Fighters Joining the War in Syria »,
CTC Sentinel, Volume 6 Issue 9, septembre 2013, p.9-11.
10Suha
Philip Ma’ayeh, « Jordanian Jihadists Active in Syria »,
CTC Sentinel, Volume 6 Issue 10, octobre 2013, p.10-13.
11Samar
Batrawin « The Dutch Foreign Fighter Contingent in Syria »,
CTC Sentinel, Volume 6 Issue 10, octobre 2013, p.6-10.
12Raffaello
Pantucci, « British Fighters Joining the War in Syria »,
CTC Sentinel, Volume 6 Issue 2, février 2013, p.11-15.
13Juha
Saarinen, « GUEST POST: The History of Jihadism in Finland and
An Early Assessment of Finnish Foreign Fighters in Syria »,
Jihadology.net, 21 novembre 2013.
14Andrew
Zammit, « Tracking Australian Foreign Fighters in Syria »,
CTC Sentinel, Volume 6 Issue 11-12, novembre 2013, p.5-9.
15Per
Gudmundson, « The Swedish Foreign Fighter Contingent in
Syria », CTC Sentinel, Volume 6 Issue 9, septembre
2013, p.5-9.
16
Mairbek Vatchagaev, « Chechens Among the Syrian Rebels: Small
in Number, but Influential », Eurasia Daily Monitor
Volume: 10 Issue: 223, The Jamestown Foundation, 12 décembre
2013.
17Aymenn
Jawad Al-Tamimi, « Musings of an Iraqi Brasenostril on Jihad:
Muhajireen Battalions in Syria », Jihadology.net,
13 décembre 2013.
18Thomas
Hegghamer, Syria's Foreign Fighters, Middle East Channel,
Foreign Policy. Merci à
Stéphane Taillat de m'avoir offert cet article.