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William BLANC, Aurore CHERY et Christope NAUDIN, Les historiens de garde. De Lorant Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national, Editions Inculte, 2013, 257 p.

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Voici incontestablement un livre important. Important parce qu'il vient mettre par écrit, de manière posée et ordonnée, la remise en cause des prétentions de L. Deutsch depuis la sortie de son livre, Métronome, en 2009. A l'heure où celui-ci récidive avec un deuxième volume, Hexagone. Mais plus encore, je crois que j'ai apprécié cet ouvrage parce qu'il ne se contente pas d'expliquer les mécanismes sous-jacents au travail de L. Deutsch et de ses comparses, il esquisse aussi un certain nombre de solutions. N'en déplaise à ceux qui soutiennent le contraire.

Il faut lire la préface de Nicolas Offenstadt, un historien universitaire qui justement, lui, s'attache à faire de la vulgarisation, ce que l'on reproche beaucoup en général à l'université (de ne pas en faire). Cet historien est aux antipodes de ce reproche, c'est d'ailleurs un des plus visibles dans les médias, en particulier à l'approche du centenaire de la Grande Guerre, dont il est l'un des spécialistes en France. La préface rappelle combien ceux que les auteurs baptisent "les historiens de garde" n'adoptent pas, en fait, la démarche historique qui est celle retenue par l'université. Le discours des historiens de garde est, au contraire, au service d'une lecture politique de l'histoire. Nicolas Offenstadt rappelle qu'il ne sert à rien d'opposer histoire universitaire et histoire "populaire", lesquelles s'interpénètrent par certaines passerelles, même si elles s'ignorent, aussi. Cependant, faire de l'histoire populaire n'implique pas d'écrire ou de dire n'importe quoi ni de prendre les lecteurs pour des imbéciles.



Dans l'introduction, le trio explique que le succès de Deutsch avec Métronome, en 2009, pose problème non pas parce qu'il aborde l'histoire, mais parce qu'il est consacré par les médias comme une autorité historienne. Or Deutsch ne fait pas de l'histoire, mais une sorte de fiction romanesque qui se rattache à ce renouveau du roman national que l'on peut constater depuis une décennie déjà. Et c'est tout l'intérêt du livre d'en disséquer les mécanismes et la portée.

L'explication se divise en six parties. Dans la première, les auteurs décortiquent le discours et la méthode de L. Deutsch. Celui-ci met l'écriture de l'histoire au service d'un véritable culte de l'identité nationale. Son discours s'inscrit en rejet de l'histoire universitaire, et peut-être plus encore, de l'histoire scolaire. Paradoxalement l'Education Nationale a eu le culot de faire intervenir Deutsch dans certaines classes alors qu'il n'a jamais autant critiqué cette institution ! L. Deutsch ne cite d'ailleurs pas ses sources, et plusieurs exemples démontés par les auteurs montrent combien il en fait une utilisation partiale, au service de son discours. Il a très bien compris en revanche l'intérêt d'exploiter les médias, et en particulier la télévision : Métronome TV, c'est le comble de l'histoire-spectacle. Sur Clovis, sur le Louvre, sur Saint-Denis, la finalité du discours est évidente. A tel point qu'elle est relayée sur la toile par des groupes identitaires.

La deuxième partie montre comment L. Deutsch, à l'image de nombre des auteurs du même courant, a un problème réel par rapport à la Révolution française. Celle-ci est considérée par le prisme de Robespierre, figure totalitaire, qui assure la comparaison entre la Terreur et les régimes du XXème siècle. Une comparaison loin d'être innocente puisqu'elle avait été développée par les royalistes lors du bicentenaire, et qu'elle s'est beaucoup développée depuis. Par dessus ce postulat se greffe la volonté évidente de faire de Paris le centre de l'histoire de France. Et L. Deutsch ne se prive pas non plus de souscrire à la thèse du "génocide" vendéen, fortement contestée, et qui politiquement n'est pas neutre, encore une fois. Catholique, Deutsch cherche aussi, manifestement, à vouloir faire à tout prix de la religion catholique un des ciments de l'identité nationale française. Quant à la Commune, elle est honnie, et Deutsch se paie même le luxe de rajouter des poncifs à la longue liste déjà existante.

La troisième partie établit la filiation entre Deutsch et la mouvance royaliste, jusqu'à Patrick Buisson. Royaliste, Deutsch sacralise la monarchie, particulièrement l'Ancien Régime, et a contrario, vilipende bien sûr la Révolution. L'idée court aussi chez les royalistes que l'on a cherché à imposer une histoire "officielle", depuis la IIIème République, pour éradiquer leur influence. L'avènement des programmes Chevènement dans le primaire, au milieu des années 1980, a semblé conforter cette idée, juste avant le bicentenaire de la Révolution, qui est un moment critique pour les royalistes. Mais ces programmes n'ont plus cours aujourd'hui. Deutsch gravite en fait, à ce moment-là, autour de Nicolas Sarkozy, alors président de la République, de Patrick Buisson, son conseiller, qui dirige la chaîne Histoire et qui a fait son fond de commerce de l'exaltation de l'identité nationale, de la colonisation, et de la stigmatisation de l'islam et de l'immigration. C'est pourquoi Deutsch a participé à un DVD de réhabilitation de Louis-Ferdinand Céline, en 2012. La popularité du comédien, la dimension marketing des médias, ont en fait réalisé un rêve impossible pour les royalistes : Deutsch rend leur propos tout à fait lisse, car il fait "sympathique" et joue sur le divertissement.

C'est pourquoi, dans la quatrième partie, on observe comme l'on passe du marketing à l'autorité. Deutsch est l'image de marque même de son produit. Tout est construit à partir de sa personne, la couverture, les affiches, la série télévisée sur Métronome. Storytelling, privatisation, empathie, émotion sont les recettes qui font vendre. Et Deutsch est accueilli à bras ouverts par les médias, dont France Télévisions... Il a également ses entrées à TF1, ce qui semble plus logique, mais aussi à la RATP, qui assure sa pub dans le métro. La presse et les médias n'ont pas fait leur travail sérieusement et ont contribué à asseoir Deutsch comme une autorité. Les pages suivantes sont parmi les plus intéressantes du livre car le trio explique pourquoi les historiens restent relativement silencieux. "Historien" est ici défini par la méthode, même si l'on parle évidemment davantage des historiens universitaires. Le problème est que les historiens négligent, il est vrai, la vulgarisation. En outre, les historiens sont méfiants vis-à-vis des médias de masse, méfiance souvent justifiée, malheureusement. Mais certains vulgarisent néanmoins : loin des caméras, hélas. Par ailleurs, l'université publique souffre de la LRU et leur marge de manoeuvre se réduit, ce qui n'encourage pas les prises de position publiques, d'autant plus qu'un certain anti-intellectualisme s'est fait jour sous le mandat Sarkozy. Cela n'a pas empêché des historiens (dont N. Offenstadt) de prendre position contre Deutsch au nom du problème de la méthode, évidemment. En face, Deutsch prétend avoir reçu le soutien de M. Rouche et de Jean Tulard, qui, en fait, ne l'a soutenu que mollement (et a même reconnu qu'il inventait). Malheureusement, Deutsch, au-delà de la séparation droite-gauche, a obtenu la caution, dès 2009 de responsables politiques comme Bertrand Delanoë ou Robert Hue. Il faut attendre début 2012 pour voir Rue 89, Arrêt sur Images, puis le magazine L'Histoire formuler les premières critiques. Lesquelles sont aussitôt pilonnées par Le Figaro, par Jean Sévillia, ces derniers bientôt relayés par l'extrême-droite. On voit que la coupure entre l'histoire scientifique et la société est profonde, et la faute n'est pas seulement aux historiens, mais aussi aux hommes politiques et aux médias.

La cinquième partie montre que l'idée n'est pas neuve. Elle s'inscrit dans un siècle d'écriture du roman national. Bloch, dans Apologie pour l'histoire, reconnaît que les Annales ont trop négligé la vulgarisation depuis le Lavisse. A contrario, les royalistes s'y sont engouffrés, avec Maurras, et surtout Jacques Bainville, qui illustre peut-être le mieux la coupure au niveau de la méthode. L'école capétienne, comme on l'a appelée, rejette les apports de la méthodologie allemande, et préfère travailler à partir de sources de seconde main. Son credo réside dans l'antigermanisme, la nostalgie d'un pouvoir fort (la monarchie) et des penchants pour les régimes fascisants. On sent par ailleurs un antisémitisme prononcé et un rejet de l'histoire scolaire qui annonce déjà Deutsch. Bainville a d'ailleurs été violemment critiqué par les historiens de l'époque, alors même qu'il bénéficiait, déjà lui aussi, de l'appui des médias. Giesbert, Sévillia, Zemmour en font une de leurs références. Bainville est aussi récupéré par Sarkozy au même titre que Guy Môquet ou Jaurès dans le détournement de grandes figures au service de l'unité, ou plutôt de l'identité, nationale. Bainville inspire aussi Pierre Gaxotte, dont Marine Le Pen est friande, et qui fréquentait les cercles de la Nouvelle Droite avec Alain de Benoist ou Jean Mabire, bien connu dans le milieu de l'histoire militaire par ses livres à la gloire des Waffen-SS. A la télévision, cette école est prolongée par les réalisations de Sacha Guitry, puis par des émissions comme La caméra explore le temps, montée par André Castelot (ancien vychiste), Alain Decaux et Stellio Lorenzi. C'est un tournant car le service public fait alors le choix d'émissions plus divertissantes qu'instructives, dont se revendiquent Stéphane Bern ou Franck Ferrand. Les parcs d'attraction, comme celui du Puy du Fou avec Philippe de Villiers, afin de maintenir l'identité vendéenne, le souvenir de la guerre de 1793 et la détestation du centralisme jacobin et de la Révolution, participent de la même logique. L'histoire spectacle, commerciale, divertissante, est aussi en projet à Montereau, où l'on envisage un parc Napoléon sur le même modèle.

La dernière partie montre combien cette tendance se renouvelle depuis une décennie environ. D'abord parce que le politique, in fine Nicolas Sarkozy, a cherché à utiliser l'histoire pour servir le discours sur l'identité nationale. Ces personnes se placent comme persécutées, victimes d'une histoire officielle ou d'un "historiquement correct". Le groupe n'est pas homogène mais ils ont leurs marottes communes, comme la Révolution française. Jean Sévillia est sans doute le plus représentatif, mais Franck Ferrand est davantage visible. Le génocide vendéen affectionné par ces auteurs, ou la Révolution, n'est pas seulement instrumentalisé par des personnes de droite ou d'extrême-droite : Michel Onfray a ainsi pondu un ouvrage qui rejoint les thèses de ces "historiens de garde". Ceux-ci ont toujours la même tactique : ils ont fait partie de l'institution mais l'ont quittée après en avoir lu les limites, ou bien ils l'éxècrent ; cela s'applique particulièrement à l'université et à l'Education Nationale. Zemmour s'y rattache en se plaçant en victime pour mieux faire passer ses piques ambigües sur l'immigration, souvent inspirées par une vieille historiographie du XIXème siècle. Le roman national, c'est aussi un business, comme l'incarne Stéphane Bernà la télévision. La grande croisade de ces auteurs, chaque année, c'est l'enseignement de l'histoire de France à l'école. En 2012, trois ouvrages ont ainsi appuyée la démarche du retour du roman national dans l'enseignement, sans parler du soutien du Figaro Histoire et autres médias. Pas questions pour eux que les programmes s'ouvrent vers d'autres cultures, au contraire : quand on ne dérive pas vers des propos islamophobes, ou vers l'apologie de la colonisation.

Comme le rappelle les auteurs en conclusion, le précédent Deutsch est dangereux, car on assiste à une privatisation de l'histoire pour en faire une machine commerciale, le tout lié à une critique de la fonction publique et au retour du roman national. Le trio recommande non pas de créer un "roman national de gauche", mais bien de s'inspirer de l'exemple des sciences exactes. Il faut contre-attaquer via les médias comme Internet, mais aussi relancer le partenariat histoire universitaire-histoire populaire, ce qui nécessite, à un moment ou à un autre, un investissement public, avec l'implication des politiques et des médias. De cette combinaison pourra naître une amorce de solution.

Le livre se complète, en plus de l'appareil de notes, par une bibliographie indicative qui donne des conseils de lecture fort appréciables pour tout le monde. Notons aussi que les auteurs ont mis en application certaines de leurs solutions, en créant par exemple un site Internet qui fait pendant au livre. Je ne saurais que trop recommander la lecture de ce livre à tous. Je sais que la plupart des lecteurs de ce blog ne considèrent pas L. Deutsch comme un historien et ne sont pas dupes de son entreprise, quelle que soit leur position politique, d'ailleurs, puisque j'échange surtout avec des personnes de droite, sur ce sujet si particulier de l'histoire militaire. Néanmoins, tous les lecteurs du Métronome et maintenant d'Hexagone n'ont pas forcément toutes les clés de compréhension. C'est bien là l'enjeu.




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