Article publié simultanément sur l'Alliance Géostratégique.
Manstein. Le nom est comme nimbé d'une aura de légende. Le « coup de faucille » de mai 1940, la conquête de la Crimée, le « coup de revers » de la contre-offensive de février-mars 1943 devant Kharkov : autant d'épisodes, soigneusement orchestrés d'ailleurs par Manstein lui-même dans ses mémoires, qui semblent témoigner du brio de celui que Guderian appelait « notre plus brillant cerveau ». Les mémoires de Manstein, devant lesquelles un Basil Liddell Hart tombait presque en pamoison, ont d'ailleurs fortement contribué à modeler la vision occidentale du conflit germano-soviétique à l'heure de la guerre froide. Paradoxalement, le maréchal allemand n'a pas passionné les historiens1, à l'inverse d'un Guderian ou d'un Rommel. Sa condamnation après la guerre a probablement joué, en dépit de la portée de ses mémoires -qu'une récente biographie française (qui ne se veut pas biographie, d'ailleurs2) suit presque quasi exclusivement3. Manstein, le joueur d'échecs, n'a pas été qu'un brillant officier d'état-major : ses succès comme ses revers témoignent de ce que la Reichswehr avait voulu créer après la défaite de 1918. Le retour à une guerre de mouvement, dans la plus pure tradition prussienne, avec les armes apparues pendant la Grande Guerre ; une armée « apolitique », cantonnée à l'exécution tactique et opérative, abandonnant la stratégie au pouvoir politique, quand bien même est-il nazi ; et, in fine, le culte de l'offensive, quels que soient les risques, pour emporter rapidement la victoire par la bataille décisive. C'est cette conception de la guerre, de l'armée et de son rôle qu'illustre Manstein, et qui sera prise en défaut pendant la Seconde Guerre mondiale.
Manstein. Le nom est comme nimbé d'une aura de légende. Le « coup de faucille » de mai 1940, la conquête de la Crimée, le « coup de revers » de la contre-offensive de février-mars 1943 devant Kharkov : autant d'épisodes, soigneusement orchestrés d'ailleurs par Manstein lui-même dans ses mémoires, qui semblent témoigner du brio de celui que Guderian appelait « notre plus brillant cerveau ». Les mémoires de Manstein, devant lesquelles un Basil Liddell Hart tombait presque en pamoison, ont d'ailleurs fortement contribué à modeler la vision occidentale du conflit germano-soviétique à l'heure de la guerre froide. Paradoxalement, le maréchal allemand n'a pas passionné les historiens1, à l'inverse d'un Guderian ou d'un Rommel. Sa condamnation après la guerre a probablement joué, en dépit de la portée de ses mémoires -qu'une récente biographie française (qui ne se veut pas biographie, d'ailleurs2) suit presque quasi exclusivement3. Manstein, le joueur d'échecs, n'a pas été qu'un brillant officier d'état-major : ses succès comme ses revers témoignent de ce que la Reichswehr avait voulu créer après la défaite de 1918. Le retour à une guerre de mouvement, dans la plus pure tradition prussienne, avec les armes apparues pendant la Grande Guerre ; une armée « apolitique », cantonnée à l'exécution tactique et opérative, abandonnant la stratégie au pouvoir politique, quand bien même est-il nazi ; et, in fine, le culte de l'offensive, quels que soient les risques, pour emporter rapidement la victoire par la bataille décisive. C'est cette conception de la guerre, de l'armée et de son rôle qu'illustre Manstein, et qui sera prise en défaut pendant la Seconde Guerre mondiale.
On
ne naît pas maréchal ?
La
Prusse, dès le XVIIème siècle, aurait développé selon certains
historiens4
une forme de guerre de mouvement (Bewegungskrieg),
véritablement théorisée par la création de l'état-major général
au XIXème siècle. Environnée d'ennemis et fréquemment inférieure
en nombre, elle aurait favorisé des manoeuvres opérationnelles
audacieuses de façon à désorienter l'adversaire puis à le vaincre
rapidement par la recherche d'une seule bataille décisive. Ce schéma
aurait été appliqué contre l'Autriche en 1866, puis contre la
France en 1870-1871, et le fameux « plan »
Schlieffen n'en serait qu'une énième illustration. Mais pendant la
Première Guerre mondiale, l'Allemagne échoue : elle est
condamnée à une guerre de positions (Stellungskrieg) et
d'attrition pendant quatre ans. Manstein est aux premières loges
pour observer cette évolution, en tant qu'officier d'état-major.
Manstein
est un produit de cette forme de guerre de mouvement, qu'il
appliquera pendant la Seconde Guerre mondiale au service du IIIème
Reich. C'est lui qui conçoit le fameux « coup de
faucille » (Sichelschnitt) qui met la France à
genoux en six semaines. Puis, il conquiert la Crimée suite à
l'invasion de l'URSS, avant de rétablir une situation compromise, au
printemps 1943, par le désastre de Stalingrad, tout en redonnant
l'initiative opérationnelle à la Wehrmacht par une brillante
contre-offensive. Manstein se fait ensuite l'avocat d'une défense
mobile qui éviterait à l'Allemagne une guerre de positions et une
attrition trop sévère. C'est aussi un innovateur sur le plan
tactique : il est à l'origine de la Sturmartillerie
avant la guerre. Mais son style de commandement est de moins en moins
adapté à la situation de l'Allemagne qui est en train de perdre la
guerre. Il bâtira sa légende après la guerre, et s'autoproclamera
le « général le plus brillant » d'Hitler :
pourtant, ses compétences sont loin d'être uniques au sein de
l'armée allemande, et Manstein n'a fait que porter à son pinacle la
manoeuvre opérationnelle telle qu'elle s'inscrivait dans un art de
la guerre que l'on peut faire remonter, donc, jusqu'au royaume de
Prusse.
Né
en Hesse en 1887, Manstein, né von Lewinski, fils d'un artilleur
prussien, porte en fait le nom de son oncle, qui n'avait pas
d'enfants. De par ses origines familiales, Manstein est apparenté à
pas moins de 5 généraux prussiens : autant dire qu'il baigne
dès le départ dans un milieu militaire, celui des aristocrates
prussiens. Ses deux grands-pères ont été généraux et l'un a
dirigé un corps d'armée pendant la guerre franco-prussienne de
1870-1871. Manstein est également le neveu de Paul von Hindenburg.
Dès l'âge de 13 ans, il est envoyé dans une école de cadets dans
le Schleswig-Holstein et il est enrôlé dans le corps des pages du
Kaiser, Guillaume II. En 1902, il entre à l'académie des
officiers de Gross Lichterfelde à Berlin : il en sort en 1906
comme enseigne dans l'infanterie. Il prolonge sa formation à
l'académie militaire royale près de Coblence. Il est affecté au 3.
Garde-Regiment zu Fuss, le vieux régiment de Hindenburg. Il y
sert pendant huit ans. Son régiment le détache à la Kriegsakademie
en 1913, ce qui lui aurait ouvert les portes de l'état-major
général, mais le déclenchement de la Première Guerre mondiale
annule cette perspective.
En
août 1914, il sert dans le 2. Garde-Reserve Regiment, engagé
en Belgique puis en Prusse-Orientale. Il participe à l'avance sur
Varsovie en octobre 1914 avant que les Russes ne contre-attaquent et
ne refoulent les Allemands. Manstein est blessé près de Cracovie.
Il revient au front en 1915 comme officier d'état-major en Pologne,
puis en Serbie, où il est décoré de la Croix de Fer 1ère classe.
En avril 1916, il part pour la France où il sert toujours comme
officier d'état-major dans le secteur de Verdun puis sur la Somme.
Bien qu'il n'ait pas été formé à l'état-major général, en
octobre 1917, il devient officier opérations au niveau divisionnaire
jusqu'à la fin de la guerre. C'est un parcours atypique pour un
officier d'infanterie, puisqu'il n'a quasiment jamais commandé au
feu : mais son savoir-faire d'état-major lui vaut d'être
intégré par la Reichswehr. Il a acquis son expérience
d'état-major pendant la guerre et non en servant dans la
Kriegsakademie : c'est peut-être là que réside son
originalité et son non-conformisme en la matière5.
Retourner
aux fondamentaux et à la guerre de mouvement : Manstein et la
Reichswehr
Manstein
participe à l'organisation de la Reichswehr, en février
1919, aux côtés du général von Lossberg, à Breslau : ce
général est lui-même un pur officier d'état-major et devient un
mentor pour Manstein. Celui-ci épouse en 1920 une aristocrate
silésienne dont les terres ont été en grande partie récupérées
par les Polonais suite au Traité de Versailles. Ce n'est qu'en
octobre 1921 que Manstein reçoit son premier commandement véritable
dans l'infanterie : celui de la 6. Kompanie de
l'Infanterie-Regiment 5à Angermünde, au nord-est de Berlin.
Deux ans plus tard, Manstein retourne dans un travail d'état-major :
la Reichswehr cherche en effet à contourner le Traité de
Versailles en assurant la formation des officiers. Sous la houlette
de von Seeckt, Manstein étudie la guerre précédente pour donner à
l'armée allemande sa pleine mesure dans la guerre moderne. La guerre
de mouvement est revue à l'aune de l'emploi des chars, des avions,
des tactiques d'infiltration de l'infanterie mises en oeuvre pendant
la Grande Guerre. La Reichswehr prépare la renaissance d'une
armée allemande tournée à nouveau vers l'offensive.
Promu
major en 1928, Manstein est assigné un an plus tard au Truppenamt,
dans la section opérations et planification, qui est en réalité un
état-major déguisé, puisqu'interdit par le Traité de Versailles.
Il se penche en particulier sur les questions de mobilisation et sur
la mise au point de nouveaux matériels. Il est promu
lieutenant-colonel en octobre 1931. Il a l'occasion d'aller en URSS,
où l'Allemagne test de nouveaux concepts et s'entraîne sur des
matériels interdits depuis 1922 : il visite l'école
d'entraînement des Panzerà Kazan et des installations à
Moscou, Kiev et Kharkov. En octobre 1932, il reçoit son second
commandement en prenant la tête du II. Jäger-Bataillon du 4.
Preussen Infanterie-Regimentà Kolberg. Il y est encore
lorsqu'Hitler devient chancelier, le 30 janvier 1933.
Manstein
bénéficie assez rapidement de l'arrivée au pouvoir des nazis
puisqu'il prend la tête de la section opérations du nouvel
état-major de l'OKH, dirigé par le général Beck. Il doit
concevoir un premier plan en cas de guerre contre la France ou la
Tchécoslovaquie. Le Fall Rot prévoit de défendre la Ruhr et
Manstein soumet à Beck l'idée de construire une ligne de
fortifications face à la France. Manstein et Beck s'opposent aux
promoteurs d'une arme blindée indépendante, comme Guderian :
Manstein propose à cette occasion le concept de Sturmartillerie,
pour accompagner l'infanterie, à raison d'un bataillon par division,
sous le contrôle de l'artillerie, plutôt que de donner naissance à
une arme blindée autonome. C'est pourtant les tenants des blindés
qui l'emportent puisqu'Hitler ordonne la formation des trois
premières Panzerdivisionen.
Manstein
est également à l'origine du Fall Winterübung qui conduit à
la réoccupation de la Rhénanie en 1936, année où il passe
également au rang de Generalmajor et devient l'adjoint de
Beck. C'est lui qui met également au point le Fall Grün et
le Sonderfall Otto pour l'occupation de l'Autriche. Il est
cependant victime du conflit entre les nazis et la hiérarchie
militaire traditionnelle : les évictions de Fritsch et de
Blomberg, puis celle de Beck en 1938, conduisent à son remerciement
de l'état-major et il part commander la 18. Infanterie-Divisionà Liegnitz. Cependant, après l'occupation des Sudètes, il est
appelé au QG du général von Rundstedt où celui-ci lui apprend
qu'il est nommé chef d'état-major du Heeresgruppe Süd dans
le cadre du Fall Weiss, l'invasion de la Pologne. Le chef
opérations de l'état-major n'est autre que Blümentritt, une
vieille connaissance de Manstein, avec lequel il organise le
déploiement des troupes.
De
l'ombre au triomphe
Manstein
est bien placé, pendant la campagne, pour observer le renouveau de
la guerre de mouvement appliquée par la Wehrmacht. Il
n'éprouve aucun scrupule à l'encontre de la politique d'agression
du Führer. Le groupe d'armées de von Rundstedt fait ensuite
mouvement à l'ouest : au QG de l'OKH, à Zossen, Manstein
réussit à se procurer le Fall Gelb, le projet d'attaque à
l'ouest. Pris de court par l'entrée en guerre de la France et du
Royaume-Uni et par les exigences d'Hitler, qui veut attaquer
rapidement, Halder, le chef de l'OKH, bâtit un plan largement
inspiré de celui de Schlieffen en 1914.
Manstein
pense que le plan de Halder est trop prévisible : en outre, il
ne correspond pas à la forme de guerre de mouvement « historique »
choisie par les Allemands et ne laisse pas la possibilité de
procéder à des encerclements (Kesselschlachten). Il envoie
donc une note à l'OKH pour insister sur la nécessité d'obtenir la
surprise opérationnelle de façon à pouvoir donner sa pleine mesure
à la guerre de mouvement. Il propose d'utiliser un poing blindé de
plusieurs Panzerdivisionen pour frapper à travers les
Ardennes, puis envelopper les troupes franco-britanniques avancées
en Belgique en Hollande en se rabattant vers la Manche -le fameux
« coup de faucille » (Sichelschnitt). Un
autre enveloppement, en direction de Dijon cette fois, permettrait
aussi d'encercler les troupes françaises qui garnissent la ligne
Maginot. C'est une réponse classique d'état-major allemand, mais
Halder n'en a cure et fait en sorte que les mémos de Manstein
n'atteignent pas le Führer. Manstein obtient pourtant le
soutien de Guderian, grand praticien de l'arme blindée, enthousiasmé
par son plan. Halder finit par se débarrasser de Manstein en
l'envoyant prendre la tête du XXXVIII. Armee Korpsà
Stettin.
Mais
Manstein parvient à faire glisser par l'un de ses proches dans
l'entourage du Führer son plan d'attaque à l'ouest. Lors
d'un déjeûner avec Hitler en compagnie d'autres officiers le 17
février 1940, il parvient à le séduire, d'autant plus que le
Führer n'est pas satisfait du plan de Halder, qui peut
déboucher sur une guerre d'attrition. Le plan de Manstein est adopté
et exécuté, mais son concepteur ne peut constater de visu les
effets que fin mai 1940, lorsque son corps d'armée rejoint le front.
Pendant l'offensive de la Somme, à partir du 5 juin, Manstein fait
progresser ses troupes de près de 500 km en 17 jours. Il est promu
General der Infanterie et reçoit la Croix de Chevalier de la
Croix de Fer.
Il
n'est pas impliqué dans les plans d'invasion de l'Angleterre ni dans
ceux de Barbarossa, soigneusement tenu à l'écart par Halder.
Il prend la tête, en février 1941, du LVI. Armee Korps (mot.),
et il apprend le 30 mars que son corps est rattaché au Panzergruppe
4 de Hoepner, au sein du Groupe d'Armées Nord, pour l'invasion de
l'URSS. Il s'agit de nettoyer les Etats baltes puis de prendre
Léningrad en six à huit semaines. Deux semaines avant l'attaque,
Manstein est présent lorsqu'Hitler avertit ses généraux du
caractère nouveau de la guerre à l'est, conçue comme une « guerre
d'extermination », avec notamment le fameux Kommissar
Befehl, qui enjoint d'exécuter
tous les commissaires politiques capturés.
Le
22 juin 1941, le corps de Manstein, 8. Panzerdivision en tête,
progresse de 70 km en territoire soviétique. Le 26 juin, après
avoir parcouru plus de 300 km, Manstein s'empare, avec l'aide d'un
détachement de Brandenburgers, d'un pont sur la Dvina, à
Daugavpils. Mais Manstein est à 100 km en avant du groupe d'armées,
les réserves d'essence sont épuisées et l'infanterie est à
l'arrière. Le problème logistique se fait déjà cruellement
sentir ; en outre, Manstein n'a pas encerclé ni détruit des
forces considérables, il a fait moins de 5 000 prisonniers. Dès le
28 juin, Manstein affronte les bombardements aériens des ponts sur
la Dvina par l'aviation soviétique et la contre-attaque du 21ème
corps mécanisé du général Lelyoushenko, un des grands experts de
l'arme blindée dans l'Armée Rouge, qui ne débouche pas.
Malgré
le renfort de la division SS Totenkopf, la poursuite des
Soviétiques se ralentit. Manstein doit encercler, avec l'autre corps
motorisé du Panzergruppe 4, le XLI. de Reinhardt, les forces
ennemies sur la Louga. Mais l'Armée Rouge conserve du mordant :
notant que les deux corps d'armées sont trop éloignés pour
s'appuyer mutuellement, une contre-attaque, conçue par Vatoutine,
est lancée contre Manstein par la 11ème armée à Soltsy. La 8.
Panzerdivision, attaquée le 15 juillet par de l'infanterie, plus
d'une centaine de chars T-26, soutenus par l'artillerie et même par
l'aviation, est encerclée et ne se dégage qu'à grand peine, et
tellement amoindrie qu'elle doit être retirée du front. Manstein
reçoit en août deux divisions d'infanterie pour attaquer
frontalement les défenses de la Louga, contournées par Reinhardt.
Il est sur le point de faire la jonction quand, à nouveau, les
Soviétiques lancent une contre-attaque sur le même modèle que
celle de Soltsy mais sur une échelle plus grande, à Staraia Russia,
le 12 août. Le X. Armee Korps se retrouve encerclé.
Manstein, qui a reçu la Totenkopf et la 3. Infanterie
Division (mot.), monte une attaque en deux pinces le 19 août
contre la 34ème armée de Kachanov : avec le soutien de la
Luftwaffe, il parvient à l'encercler et à la décimer.
Envoyé pour appuyer la poussée vers Demyansk, Manstein apprend le
12 septembre qu'il est nommé à la tête de l'AOK 11 au Groupe
d'Armées Sud. Il a commandé, pendant les premiers mois de
Barbarossa, essentiellement à des unités d'infanterie. Son
style de commandement agressif, bien dans la tradition de la guerre
de mouvement allemande, néglige pourtant le facteur logistique et
celui du terrain : en outre, comme le montre la contre-attaque
de Soltsy, il n'a visiblement pas cherché à anticiper les
mouvements de l'adversaire, qu'il sous-estime de beaucoup.
Quand
Manstein prend la tête de l'AOK 11, sa mission est à la fois de
foncer vers Rostov-sur-le-Don et de s'emparer de la Crimée. Il
envoie un corps d'armée pour conquérir, non sans mal, l'isthme de
Perekop, qui contrôle l'accès de la péninsule, mais ne peut
exploiter le succès en raison des contre-attaques soviétiques à
l'est. Il doit fixer les forces soviétiques qui sont encerclées par
le Panzergruppe 1 contre la mer d'Azov, le 7 octobre. Manstein
peut ensuite se concentrer sur la Crimée mais il ne dispose que
d'unités d'infanterie renforcées de troupes roumaines. L'isthme
d'Ishun est forcé, Simféropol puis Kertch sont occupées, mais il
faut mettre le siège devant Sébastopol, lourdement défendue par
l'Armée Rouge. Un assaut échoue en décembre 1941, notamment parce
que Manstein manque d'artillerie, de soutien aérien et d'appui
logistique. Les Soviétiques débarquent à la fin du mois à Kertch
et à Féodosia et la situation manque de tourner à la catastrophe
pour les Allemands avant d'être rétablie en janvier 1942, mais au
prix de l'utilisation des dernières réserves de Manstein.
Celui-ci
se retrouve face à un port, Sébastopol, bien ravitaillé par la
marine soviétique, et face à une armée soviétique de Crimée
supérieure en nombre aux assiégeants. Après avoir repoussé
plusieurs assauts soviétiques entre février et avril 1942, Manstein
propose à Hitler l'opération Trappenjagd pour nettoyer la
péninsule de Kertch puis se retourner contre Sébastopol (opération
Störfang). Utilisant le même procédé qu'en France,
Manstein feinte l'Armée Rouge et attaque par le terrain le plus
difficile, puis encercle les forces soviétiques contre la mer d'Azov
par un nouveau Sichelschnitt, bien soutenu par le VIII.
Fliegerkorps de Richthofen. L'armée de Crimée perd plus de 150
000 hommes et doit se replier au-delà du détroit de Kertch, dans la
péninsule de Taman. La décision a été emportée en une semaine,
du 8 au 15 mai.
Puis,
Manstein se retourne contre Sébastopol. Pour réduire la place, il
concentre cette fois une puissante artillerie, dispose alors du VIII.
Fliegerkorps et obtient des bataillons de pionniers et de canons
d'assaut pour écraser les défenses soviétiques. Manstein ne tient
pas en grande estime les troupes roumaines qu'il a sous ses ordres.
Contrairement à Rommel ou à d'autres généraux allemands, il ne va
pas en première ligne mais coordonne les opérations depuis son PC,
à l'arrière. Fin juin, l'infanterie étant épuisée, les munitions
manquant et le corps de Richthofen étant redéployé pour le Fall
Blau, Manstein joue le tout pour le tout et monte une opération
amphibie à travers la baie de Severnaya ainsi qu'une attaque
surprise de nuit sur la crête de Sapun, le 29 juin. Les Soviétiques
sont obligés d'évacuer Sébastopol où les Allemands entrent le 1er
juillet. Victoire impressionnante mais coûteuse (35 000 hommes de
l'Axe contre 113 000 Soviétiques) qui vaut à Manstein son bâton de
maréchal. Le terrain de la Crimée ne lui a pas vraiment permis de
mener une guerre de mouvement mais il a su très bien exploiter les
opportunités qui se présentaient. Il a aussi collaboré très
étroitement avec les Einsatzgruppen chargés d'exterminer les
Juifs et n'a pas bronché devant les massacres de prisonniers de
guerre et de civils que ses troupes ont commis, voire qu'il a ordonné
(comme à Féodosia).
Devenu
expert de la guerre de siège, Manstein est transféré avec son
armée devant Léningrad, le 27 août 1942, où se déroule une
véritable guerre de positions. Le Groupe d'Armées Nord manque
cependant de tout pour répéter l'exploit de Sébastopol. Manstein
conçoit cependant une manoeuvre selon son style (opération
Nordlicht) pour venir à bout des défenses de Léningrad. Le
but est d'ailleurs de couper toute source d'approvisionnement pour la
cité de façon à entraîner sa reddition. La Stavka, qui a
identifié l'arrivée de Manstein, attaque le jour de son arrivée,
le 27 août, contre les hauteurs de Siniavino. Manstein doit engager
certaines de ses divisions pour colmater la brèche qui menace de
rouvrir un corridor terrestre avec Léningrad. Résultat :
Nordlicht doit être reportée.
Manstein,
« pompier », « magicien » du
front de l'est ?
Le
20 novembre, Manstein est appelé d'urgence pour prendre la tête du
nouveau Heeresgruppe Don. La veille, l'Armée Rouge a lancé
une contre-offensive majeure sur les deux flancs de la 6. Armee
combattant dans Stalingrad. Quand il arrive à Novocherkassk près de
Rostov six jours plus tard, l'armée de Paulus est encerclée dans
Stalingrad. Les communications sont mauvaises et les premiers
renforts pour dégager Paulus de l'étau soviétique n'arrivent qu'au
compte-gouttes. Manstein planifie l'opération Wintergewitter
en deux pinces pour dégager Paulus. Mais les Soviétiques n'ont
guère l'intention de le laisser faire : la 5ème armée de
chars attaque sur le Tchir et immobilise tout un corps d'armée de
Manstein. Celui-ci est donc contraint de lancer Wintergewitter,
le 12 décembre 1942, avec un seul corps d'armée. Dès le deuxième
jour, les Allemands abordent la rivière Aksaï, mais pour renforcer
la faible 51ème armée qui se trouve sur la route de Manstein, les
Soviétiques dépêchent le 4ème corps mécanisé, le 13ème corps
blindé et bientôt la redoutable 2ème armée de la Garde. Le
Kampfgruppe qui parvient à franchir la Michkova, le 19
décembre, à 48 km du chaudron, bute dans cette dernière formation.
Manstein ne veut pas ordonner à Paulus de tenter une sortie, pour ne
pas contrevenir aux ordres d'Hitler : en outre, le 16 décembre,
les Soviétiques ont lancé l'opération Petite Saturne qui
menace le flanc gauche du Groupe d'Armées Don, en plus d'une autre
attaque sur le Tchir. La seule réserve mobile de Manstein a été
gaspillée dans un effort inutile.
A
ce moment-là, Hitler s'entête toujours à conserver le Groupe
d'Armées A dans le Caucase, ce qui laisse le flanc gauche de
Manstein, jusqu'à Rostov, particulièrement exposé. Fort
heureusement pour lui, les défenseurs de Stalingrad tiennent encore
pendant un mois ce qui immobilise de nombreuses divisions
soviétiques. La destruction de la 2ème armée hongroise à partir
du 13 janvier 1943 pousse enfin le Führer, dix jours plus
tard, à commencer le retrait des formations engagées dans le
Caucase, immédiatement utilisées par Manstein pour garantir son
flanc gauche. Les Soviétiques répètent alors leurs erreurs de 1942
et cherchent à exécuter une « opération en profondeur » :
l'opération Galop de Vatoutine, les 29-30 janvier, propulse
le groupe mobile Popov, avec des unités blindées en sous-effectifs,
pour tenter de couper le Groupe d'Armées Don de ses arrières. Le 2
février 1943, le Front de Voronej passe à l'attaque dans le cadre
de l'opération Etoile et avance sur Kharkov. Le 6 février,
Manstein rencontre Hitler et le persuade de céder de l'espace pour
mieux contre-attaquer les pointes soviétiques. Dix jours plus tard,
la 3ème armée de chars entre dans Kharkov, évacuée par le II.
SS-Panzerkorps dont Manstein vient tout juste de recevoir le
commandement. Hitler vient sur place le 17 février, très mécontent
de la chute de Kharkov, qu'il avait ordonné de tenir à tout prix :
mais Hausser a désobéi à Manstein, qui lui-même ne voulait pas
perdre le corps SS pour la défense de la ville. Finalement, Manstein
se voit attribuer le commandement du Groupe d'Armées Sud, à charge
pour lui de briser les éléments soviétiques, puis de reprendre
Kharkov.
Manstein
a reçu d'autres renforts d'Europe de l'ouest et peut maintenant
reprendre la guerre de mouvement, avec des pinces concentriques pour
éliminer les pointes soviétiques. Le 25ème corps de chars est
alors à 40 km du Dniepr, mais les forces soviétiques sont épuisées
et dispersées. Manstein fait débarquer la 15. Infanterie
Division littéralement sous les chenilles du 25ème corps blindé
pour protéger le Dniepr. La contre-offensive débute le 20 février,
essentiellement menées avec les II. SS-Panzerkorps et XLVIII.
Panzerkorps. En trois jours, les Allemands progressent de 100 km,
mais le dégel de printemps précoce noie bientôt les véhicules
dans la boue. Les Panzerkorpen détruisent au détail les
forces de Vatoutine et Manstein peut monter sur Kharkov pour anéantir
le Front de Voronej de Golikov, qui fait face à l'Armee Abteilung
Kempf. Le 10 mars, les Waffen-SS sont dans les faubourgs
de Kharkov et enveloppent la ville par le nord. Hausser s'enfonce,
contre l'avis de Manstein, dans des combats de rues : Kharkov
est reprise le 14 mars, puis Bielgorod le 16. Manstein souhaite
pousser jusqu'à Koursk, mais la Stavka a dépêché des
réserves dont plusieurs grandes unités blindées qui barrent la
route aux Allemands, et la boue prélève son dû. Les II.
SS-Panzerkorps et XLVIII. Panzerkorps ont remporté une
belle victoire mais ont été aussi usés par la contre-offensive.
Manstein a fait moins de prisonniers que dans les précédents
encerclements : il a surtout montré que les Allemands étaient
encore capables de mener leur guerre de mouvement, sur une échelle
limitée et dans des circonstances favorables.
Reste
à éliminer le saillant non réduit qui s'est formé autour de
Koursk. Manstein propose d'en venir à bout dès la fin mars 1943,
alors que le Front de Voronej est encore amoindri. L'OKH reprend
l'idée mais Zeitzler l'incorpore dans un ensemble plus vaste, une
attaque en pinces contre le saillant à la fois au nord et au sud.
Manstein a donc une responsabilité bien plus importante que ce qu'il
concède après la guerre dans ses mémoires en ce qui concerne le
déclenchement de l'opération Zitadelle. Ce qui ne devait
être qu'une offensive limitée se transforme en une entreprise
beaucoup plus importante qui concentre plus de la moitié des blindés
allemands à l'est. Manstein, qui doit percer les trois lignes de
défense du Front de Voronej, compte sur les sapeurs, l'artillerie
lourde et le VIII. Fliegerkorps pour emporter la décision,
comme en Crimée. Mais l'Armée Rouge n'est plus le même adversaire
qu'en 1942 : elle a bâti une défense très dense, capable de
briser la guerre de mouvement allemande dès le 5 juillet. Le succès
allemand, tout relatif, à Prokhorovka, n'y change rien : le 13
juillet, Hitler arrête les frais, devant un Manstein consterné qui
croit encore pouvoir emporter la décision. Si des pertes
considérables ont été infligées aux Soviétiques, Manstein n'a
pas atteint ses objectifs opérationnels : aucun encerclement
n'a été réalisé.
Il se laisse prendre aux diversions soviétiques sur le Mious et le Donets, qui immobilisent les réserves mobiles allemandes pour la contre-offensive majeure de l'Armée Rouge, planifiée avant le déclenchement de Zitadelle, Roumantsiev, le 3 août. Les 1ère et 5ème armées de chars reconstituées visent Kharkov. Malgré de furieux combats de chars, les Allemands, débordés, doivent évacuer Kharkov le 23 août et tenter de se replier sur le Dniepr. Le 27, Hitler rencontre Manstein à Vinnitsa : il refuse encore le principe de défense mobile et de retirer les troupes du Kouban pour renforcer le Groupe d'Armées Sud. Ce n'est que le 15 septembre qu'il consent enfin à retirer les troupes de Manstein derrière le Dniepr ; à la fin du mois, les armées de chars soviétiques ont déjà établi deux têtes de pont sur le fleuve. Vatoutine piétine dans la tête de pont de Bukhrin. Puis, dans un trait de génie, il fait passer le gros de ses forces, en particulier blindées, dans celle de Lyutezh, au nord de Kiev. Manstein juge le terrain impraticable pour les opérations mécanisées. C'est pourtant de là que déboule la 3ème armée de chars de Rybalko le 3 novembre : elle s'empare de Kiev trois jours plus tard. Manstein, humilié, reçoit des renforts en blindés pour reprendre Kiev : la contre-attaque démarre le 15 novembre, parvient à reprendre Zhitomir et à bousculer Rybalko, mais la Luftwaffe n'est plus aussi puissante, le temps est exécrable, et le 25 novembre, Manstein arrête les frais, sans être parvenu à encercler des unités soviétiques. Impressionné par les divisions d'artillerie de l'Armée Rouge, il crée sur ce modèle la 18. Artillerie Division, avec 116 pièces lourdes. Une nouvelle offensive, le 6 décembre, parvient à encercler des divisions de fusiliers, mais les Allemands ne peuvent les anéantir complètement. Manstein arrête l'attaque le 23 décembre, mais dès le lendemain, le 1er Front d'Ukraine lance la sienne, avec les 1ère et 3ème armées de chars en pointe : Zhitomir est reprise le 30.
Manstein
transfère alors la 1. Panzerarmee de son flanc droit à son
flanc gauche, ce qui permet à Koniev de s'emparer de Kirovograd le 8
janvier 1944. La 1ère armée de chars soviétique finit également
par enfoncer un coin entre la 1. Panzerarmee et la 8.
Armee. Mais Manstein a effectué le transfert sans prévenir ni
l'OKH ni Hitler, et doit rendre des comptes au Führer le 4
janvier 1944 : il pense surtout à tenter de se faire nommer
commandant en chef à l'est, mésestimant profondément la
psychologie d'Hitler. Quant il retourne sur le front, les 1er et 2ème
Fronts d'Ukraine sont sur le point d'encercler des dernières forces
allemandes dans la boucle du Dniepr, à Korsun-Tcherkassy.
L'offensive commence le 25 juillet et la poche est scellée trois
jours plus tard. Manstein, décidé à ne pas répéter les erreurs
de Stalingrad, met rapidement en place un pont aérien et lance une
opération de dégagement qui parvient à 7 km du Kessel. Le
16 février, il ordonne de sa propre initiative aux défenseurs de la
poche de s'exfiltrer, ce que ceux-ci parviennent à faire, pour les
deux tiers, en abandonnant tout le matériel lourd. Un nouveau
Stalingrad a été évité mais, encore une fois, les réserves
mobiles du Groupe d'Armées Sud sont usées jusqu'à la corde.
Fin
mars, un nouvel encerclement se dessine autour de la 1.
Panzerarmee de Hube. Manstein n'a pas les moyens de monter un
dégagement et doit plaider auprès du Führer
en jouant sur le thème du sauvetage des Waffen-SS
encerclés. Hitler lâche le II. SS-Panzerkorps d'Europe de
l'Ouest, et Manstein ordonne à Hube de pousser vers l'ouest pour
rejoindre la 4. Panzerarmee et les forces de relève. Hube,
réticent, finit par acquiescer d'autant plus que la Luftwaffe
ne peut plus fournir de pont aérien. La manoeuvre surprend Joukov
qui attendait une percée par le sud, le chemin plus court pou les
assigés, et qui comptait aussi sur le caractère statique de la
défense, comme à Stalingrad. Manstein a cependant commis la foucade
de trop en ordonnant de lui-même la percée à Hube : convoqué
par Hitler le 30 mars, il est remplacé par Model, bien que Hube
fasse finalement la jonction le 6 avril.
La
chute et la postérité
Manstein
alors mis au placard. Il a été approché par les conspirateurs
militaires dès 1943, mais il leur a répondu fermement : « Un
maréchal prussien ne se mutine pas. ». Fin janvier 1945,
alors que les Soviétiques approchent, Manstein se replie avec sa
famille vers l'ouest, s'arrête à Berlin, où Hitler refuse de le
rencontrer. A Hambourg, il va voir Dönitz, qui a succédé au Führer
disparu comme nouveau chef de l'Etat nazi, espérant devenir
le nouveau commandant en chef de l'armée. Peine perdue : la
fonction échoit à Schörner, nazi fanatique et fidèle parmi les
fidèles de la dernière heure. Le 5 mai 1945, il se rend à
Montgomery avant d'être emprisonné en Angleterre le 26 août. En
août 1946, il est appelé à comparaître devant le tribunal de
Nuremberg, où il tente de rejeter les crimes nazis sur les SS tout
en disculpant l'armée. Y compris quand le procureur américain lui
montre son ordre du 20 novembre 1941 stipulant que le système
judéo-bolchévique doit être éradiqué pour toujours. En tant que
témoin de la défense, il fait donc piètre figure : Wöhler,
son chef d'état-major de la 11. Armee en Crimée, est
condamné pour ses liens avec l'Einsatzgruppe D qui a oeuvré
dans cette région6.
En
août 1949, un tribunal militaire britannique le juge à Hambourg
pour les crimes contre les civils et les prisonniers de guerre et
pour avoir pratiqué la politique de la terre brûlée en URSS.
Manstein pense encore pouvoir se disculper : mais, bien au
contraire, l'ancien commandant de l'Einsatzgruppe D témoigne
des excellentes relations dont il a bénéficié à l'état-major de
la 11. Armee pour mettre en oeuvre ses opérations. Pire,
Manstein nie aux commissaires politiques soviétiques, qu'il a
ordonné d'exécuter en 1941 lors de la marche vers Léningrad, et
qui portent pourtant l'uniforme, tout bénéfice des conventions
internationales relatives au droit de la guerre. Bien que soutenu par
plusieurs éminentes personnalités britanniques, Manstein est
reconnu coupable et condamné à 18 ans de prison. Il est cependant
relâché pour « bonne conduite » dès le mois de
mai 1953. C'est alors qu'il écrit ses mémoires, Victoires
perdues (1955) et Mémoires d'un soldat (1958), qui, avec
d'autres de ses anciens camarades généraux ou maréchaux,
contribuent à forger une vision très germanocentrée et très
édulcorée du front de l'est. Manstein participe aussi à la mise
sur pied de la Bundeswehr, mais il est progressivemnt écarté
en raison de sa condamnation. Il meurt en 1973, à l'âge de 85 ans.
Conclusion
Manstein
aimait à se comparer à un joueur d'échecs, attendant la faute de
l'adversaire pour frapper au bon moment. La surprise, la manoeuvre et
l'offensive qui caractérisent son style de commandement sont les
bases de la guerre de mouvement voulue par la Reichswehr. Chez
Manstein, le Schwerpunkt joue sur l'effet de masse, d'où
l'emploi d'appuis tactiques importants comme les sapeurs ou la
Sturmartillerie. Il favorise souvent un « coup de
faux » et non pas un double encerclement sur le fameux
modèle des Cannes. En revanche, disposant de moyens limités, son
style peut se révéler parfois risqué, d'autant plus qu'il
sous-estime fréquemment l'adversaire, soviétique en particulier. Le
conflit avec Hitler, qui ne l'a probablement pas tenu en grande
estime en dépit de ses qualités, survient surtout à partir du
moment où l'Allemagne est cantonnée à la défensive, une situation
qui convient mal au style de Manstein. Celui-ci, dans la plus pure
tradition allemande, ne retient pas forcément les initiatives
intempestives de ses subordonnés. Il a approuvé la guerre
d'extermination menée à l'est et s'il se moque du Führer,
c'est sur le plan militaire, pas politique. En somme, il illustre
parfaitement cette génération d'officiers cantonnés à la simple
exécution militaire, là aussi forgée par la Reichswehr. Les
mémoires de Manstein, où celui-ci se donne systématiquement le
beau rôle, contribuent à forger pendant longtemps le regard
occidental sur la guerre à l'est. Le plus grand « cerveau »
de l'armée allemande a cependant, comme l'ensemble de la Wehrmacht,
trouvé rapidement ses limites dans la Bewegungskrieg,
incapable de donner la victoire rapide à l'Allemagne contre l'URSS.
Pour
en savoir plus :
Robert
M. CITINO, The German Way of War, University Press of Kansas,
2005.
Robert
FORCZYK, Erich Von Manstein, Command 2, Osprey, 2010.
Lemay
Benoît, « Le Feld-maréchal Erich Von Manstein : étude critique du
stratège de Hitler », Guerres mondiales et conflits
contemporains , 2006/1 n° 221, p. 71-82.
1Qui
se sont aussi plus intéressés à ceux qui ont oeuvré sur le front
de l'ouest.
2Le
volet intérieur de la couverture précise : « Les
ouvrages de la collection Maîtres de guerre ne sont pas des
biographies. Ils visent plutôt à montrer l'influence exercée sur
le cours de la Seconde Guerre mondiale par le caractère,
l'expérience, les initiatives, les intuitions, les forces et les
faiblesses de ses principaux acteurs. » . En réalité, on a
bien à faire au genre biographique, même si ce n'est pas forcément
dans un sens satisfaisant.
3Pierre
SERVENT, Manstein, le stratège du IIIème Reich, Maîtres de
Guerre, Paris, Perrin, 2013.
4Notamment
Robert M. CITINO, The German Way of War, University Press of
Kansas, 2005. La thèse est contestable par certains aspects et
trouve plusieurs limites, mais l'hypothèse n'en demeure pas moins
intéressante.
5Lemay
Benoît, « Le Feld-maréchal Erich Von Manstein : étude critique
du stratège de Hitler », Guerres mondiales et conflits
contemporains , 2006/1 n° 221, p. 71-82.
6Et
exécuté au bas mot 33 000 Juifs. Cf Lemay Benoît, « Le
Feld-maréchal Erich Von Manstein : étude critique du stratège de
Hitler », Guerres mondiales et conflits contemporains ,
2006/1 n° 221, p. 71-82.