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Evan MAWDSLEY, The Russian Civil War, Birlin, 2008, 480 p.

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Evan Mawdsley, professeur à l'université de Glasgow, s'intéresse avant tout à la Russie au XXème siècle et à la Seconde Guerre mondiale. C'est vers cette dernière période que se porte actuellement ses travaux.

Cet ouvrage-ici, initialement paru en 1987, se veut une synthèse abordable sur la guerre civile russe. Cette réédition survient alors que l'URSS a disparu, ce qui permet à Mawdsley de se livrer à quelques analyses sur les causes profondes de la fin du monde soviétique. Cet événement a également ouvert l'accès à d'autres archives. Mawdsley revient aussi sur le débat historiographique propre à la période parmi les historiens occidentaux. Le courant totalitaire, qui remonte aux années 1950, considère que la révolution a été imposée d'en haut par un groupe d'intellectuels utilisant la force brute. Les révisionnistes, qui s'affirment depuis les années 1970, avancent une histoire "par le bas" et montrent le soutien populaire à la révolution. En réaction s'est développé un courant néo-traditionnaliste, qui prolonge le courant totalitaire et insiste sur la hiérarchie du monde soviétique du haut vers le bas et sur la personnalité de Lénine, pas si distincte de Staline, contrairement à ce qu'avancent les révisionnistes. Mawdsley se place lui au-dessus de cette division, prétendant être influencé par les deux visions, même si son histoire de la guerre civile se fait plus par le haut que par le bas. Il insiste dans cette réédition, par exemple, sur l'absence d'alternative politique crédible chez les paysans et donc la moindre importante d'un "front intérieur" derrière l'Armée Rouge. Deux évolutions de l'historiographie lui semblent notables : le développement d'une histoire locale et les liens soulignés entre la Première Guerre mondiale, la révolution et la guerre civile.

La victoire des bolcheviks durant la guerre civile russe tient à plusieurs facteurs. Le programme de Lénine perd de son aura dès 1918 et l'Etat mis en place par les bolcheviks est branlant, mais ils sont plus efficaces que ceux de leurs opposants. La terreur rouge joue aussi un rôle, qui pour Mawdsley est difficile à préciser exactement. Le facteur décisif, pour l'historien, est que la vague de conquêtes des bolcheviks en 1917-1918 leur donne la possession du coeur de la Russie, de la population russe, de l'industrie, des arsenaux, ce qui assure leur succès final. Leurs effectifs ne cessent d'augmenter jusqu'en 1920, ce qui leur donne un avantage décisif dans les affrontements conventionnels ; en outre ils ne sont plus menacés par un effondrement intérieur sur leurs arrières. Le contrôle d'un vaste territoire dès le début de la guerre civile leur permet également d'échanger de l'espace contre du temps. La stratégie de l'Armée Rouge fonctionne par à-coups : l'offensive contre la Pologne, en 1920, est la plus complexe, mais l'état-major souffre aussi des problèmes de chemin de fer et des grandes distances sur lesquelles se déroule le conflit. La victoire bolchevique est cependant bien militaire : c'est celle d'une armée de masse, encadrée par d'anciens officiers, équipés de stocks impériaux et formée de paysans conscrits. La réorganisation de 1918 suite à la campagne sur la Volga contre les socialistes-révolutionnaires prépare l'Armée Rouge aux grands défis lancés ensuite par les Blancs. Réalistes, les bolcheviks ont constaté que la révolution ne s'étendrait pas au reste du monde, et qu'il fallait d'abord remporter la guerre en Russie. En outre, l'état de paix plus ou moins respectée avec les Puissances Centrales en octobre 1917 et mars 1918, s'il conduit à l'intervention des Alliés plus tard, permet aux bolcheviks de consolider leur position et d'assurer leur victoire dans la guerre civile. Lénine a assuré le rôle de direction pendant la guerre. Trotsky a surtout été efficace dans la création d'une armée régulière, contre le parti ; en outre, sa présence a motivé les troupes, avec ses incessants voyages en train blindé.

Les bolcheviks ont aussi gagné parce que leurs adversaires ont été plus faibles qu'eux. Ils n'ont jamais réussi à mobiliser politiquement les paysans, remarquablement passifs. Leur stratégie n'est pas coordonnée, entravée par les distances : les armées blanches du sud, de Sibérie, du nord et de la Baltique sont séparées par des milliers de kilomètres. L'échec principal réside surtout dans la non-jonction entre Denikine, au sud de la Russie, et Kolchak, dans l'ouest de la Sibérie, à l'été 1918 ou 1919. Les Blancs, conservateurs nationalistes, ont peu de ressources militaires car ils n'ont pas su s'attirer le soutien de la population. Effrayés par la politique et par les masses, ils voient la guerre civile comme un retour du "temps des troubles" du XVIIème siècle. Les Blancs n'ont pas fait preuve, également, d'une grande discipline sur leurs arrières et paradoxalement, ils manquent dans certains secteurs d'officiers entraînés. Leur base est réduite et les cosaques, qui constituent une bonne partie du vivier, se montre farouchement attachés à leur indépendance. Les généraux blancs ne font pas de concessions aux minorités qui auraient pu les soutenir -Ukrainiens, Biélorusses, Baltes...

Les minorités nationales se sont en partie émancipées à la faveur de la guerre civile (Pologne, Finlande) mais au final, 80% de l'ancien empire multiethnique des tsars tombent entre les mains des bolcheviks. Les Russes, dans l'ancien système, sont en fait dominants dans les villes, dans les transports, ce dont vont profiter les nouveaux maîtres. Le programme bolchevik et une semi-indépendance bancale ont plus attiré les minorités, avec le maintien d'un Etat et d'une armée centralisés et la promesse d'une révolution sociale. L'intervention alliée s'est en fait limitée à peu de choses. La présence étrangère la plus décisive a été, en fait, celle des Puissances Centrales. Celles-ci occupent de fait le sud et l'ouest de la Russie jusqu'en novembre 1918. L'aide alliée n'arrive massivement aux Blancs qu'à l'été 1919. Elle ne fait que prolonger un peu la guerre civile. Les bolcheviks l'emportent au départ grâce aux ouvriers et aux soldats, puis, devant l'effondrement du pouvoir, parce que le tsarisme n'a laissé aucune force digne de s'opposer à eux.

Le bilan humain n'en reste pas moins lourd : au moins 800 000 morts militaires, dont beaucoup par maladie. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont été victimes de la Terreur rouge et de la Terreur Blanche. Au final, la guerre civile russe a probablement coûté la vie à 7 à 10 millions de personnes. L'économie du pays a également beaucoup souffert, en particulier dans certaines régions : Ukraine, Donbass, Oural, en particulier. Mawdsley conclut en se demander si la guerre civile està l'origine de l'URSS de Staline. Certains révisionnistes pensent que les méthodes du conflit ont été réintroduites à la fin des années 1920. Pour Mawdsley, le problème tient à la différence que l'on fait entre la révolution et la guerre civile, qui pour lui ne sont pas séparées -il commence d'ailleurs son récit après la Révolution d'Octobre.De son point de vue, la guerre civile et le stalinisme sont la conséquence de la prise du pouvoir par les bolcheviks, le tout lié à l'autocratie du tsar qui n'a pas pu créer d'autres alternatives. 

L'historien fournit donc un récit chronologique des différentes campagnes de la guerre civile, assortis d'explications et de quelques chapitres thématiques. Il se concentre surtout sur les opérations militaires sans descendre jusqu'àà un niveau de détail trop lassant à la lecture. Un exercice de synthèse plutôt réussi. Mawdsley fournit ensuite une bibliographie thématique commentée, puis de même par chapitres, avant de la donner en listing, ce qui est pratique. En revanche les cartes, assez peu lisibles, sont placées en fin de volume, ce qui n'est guère pratique : il faut sans cesse s'y reporter pour suivre les opérations. Un livret photo central complète l'ensemble.


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