Samuel Zaffiri, vétéran du Viêtnam, reconverti dans l'écriture sur le conflit, est surtout connu pour avoir signé l'un des seuls ouvrages de référence, en anglais, sur la fameuse bataille de Hamburger Hill, en 1988. Six ans plus tard, cet ancien membre de la 1st Infantry Division "Big Red One" livre la seule biographie de référence, là encore, sur le général William C. Westmoreland, le commandant en chef du MACV (Military Assistance Command, Vietnam), de 1964 à 1968. La récente biographie de l'historien révisionniste Lewis Sorley, parue en 2011, n'a en effet pas convaincu les spécialistes, qui y ont une une analyse tronquée par le désir de l'auteur de conforter sa théorie précédente, à savoir qu'Abrams, le successeur de Westmoreland, avait mené la guerre de bien meilleure façon, ce qui est plus que contestable.
A défaut d'introduction, Zaffiri commence par mettre en scène Westmoreland dans son discours devant la Chambre des Représentants le 21 avril 1967, à la suite de Pershing, Eisenhower ou MacArthur. Ce jour-là, Westmoreland est applaudi par les parlementaires. Neuf mois plus tard, la plupart de ces mêmes hommes, après l'offensive du Têt, vouera le chef du MACV aux gémonies et exigeront son remplacement.
Westmoreland est issu d'une famille d'émigrants britanniques probablement liée aux partisans de Charles Ier pendant la guerre civile anglaise et forcés à l'exil. Installés en Caroline du Sud, ils prospèrent et plusieurs membres de la famille combattent du côté confédéré pendant la guerre de Sécession. A l'image de la famille d'un Patton, ils entretiennent le souvenir de la "cause perdue" du Sud. Né en 1914, Westmoreland grandit dans un milieu plutôt aisé et ne manque de rien. Il a même l'occasion d'effectuer le traditionnel voyage en Europe. En 1931, suivant les traces de son père, il finit par entrer au collège militaire de Caroline du Sud, baptisé The Citadel.
Il s'y fait remarquer pour ses qualités et choisit d'intégrer, en 1936, la prestigieuse école de West Point. Difficile de faire mieux que la promotion 1936, qui compte entre autres 3 futurs chef d'état-major de l'armée américaine, un futur chef de l'USAF, un futur commandant du SAC, 8 futurs commandants d'armée en Corée ou de l'OTAN, deux futurs commandants des troupes américaines au Viêtnam et le premier général noir de l'armée américaine. Westmoreland devient l'élève modèle de l'école. A la sortie de West Point, il choisit l'artillerie bien qu'il aurait préféré servir dans l'aviation. En garnison dans l'Oklahoma puis à Hawaï, il subit la routine, l'ennui et les tracasseries de la petite américaine du temps de paix. L'attaque de Pearl Harbor change cela. Westmoreland va prendre part avec intérêt au conflit qui s'annonce et rencontre rapidement le général Gavin, de la 82nd Airborne Division, manquant déjà d'intégrer les troupes aéroportées.
Westmoreland participe aux opérations en Afrique du Nord en tant que commandant de l'artillerie de la 9th Infantry Division. Il s'y distingue déjà par l'utilisation de l'artillerie lors des premiers engagements de l'armée américaine contre les Allemands. Lors du débarquement de Sicile, il renoue avec Gavin et rencontre Maxwell Taylor, qui aura une grande influence pour sa carrière ultérieure : on parlera plus tard de "mafia aéroportée" au sein de l'armée américaine. Promu colonel avant le débarquement en Normandie, Westmoreland, toujours dans la 9th Infantry Division, connaît son heure de gloire lors de la contre-offensive des Ardennes et surtout en tenant la tête de pont de Remagen conquise le 7 mars 1945 au-delà du Rhin. Remarqué par Patton, Westmoreland est pourtant beaucoup moins accommodant que son supérieur dans les relations avec les Allemands à l'intérieur de sa zone d'occupation.
Dès 1946, Westmoreland rejoint enfin les troupes aéroportées et prend le commandement du 504th Infantry Regiment (Airborne). Il est sur la "rocket liste" d'Einsenhower, à savoir un groupe d'officiers qui se sont distingués pendant la Seconde Guerre mondiale et seraient susceptibles d'exercer un jour des commandements importants au sein de l'armée américaine. En 1950, il entame la formation du Command and General Staff School de Fort Leavenworth, Kansas. Avide de participer à la guerre de Corée après l'attaque communiste de juin, il n'y parvient qu'en 1952 et prend la tête du 187th Regimental Combat Team. Cependant, la guerre s'est enlisée dans les tranchées et Westmoreland n'est guère enthousiasmé par cette lutte de positions qui s'achève à l'été 1953.
Westmoreland devient alors le protégé de Taylor, chef d'état-major de l'armée américaine après la démission de Ridgeway fin 1954. Le président Eisenhower privilégie alors la doctrine des "représailles massives" et le budget de l'US Army en souffre, ce que n'a pas toléré Ridgeway. Taylor est plus astucieux et ne se prive pas de critiquer la posture présidentielle par des voies détournées. Ce faisant, il attire l'attention de Kennedy qui le gardera comme conseiller spécial auprès de lui quand il sera président. Fin 1956, Westmoreland, devenu général, prend la tête de la 101st Airborne Division. Taylor le nomme ensuite Superintendant de West Point. Westmoreland est convaincu, depuis 1954, que l'armée américaine sera un jour engagé au Sud-Viêtnam : c'est pourquoi il intègre dans le programme de l'école un cours sur la contre-insurrection, ce qui peut paraître étonnant au vu des reproches qu'on lui fera plus tard ! Alors que la situation se détériore et que Diêm, le dirigeant du Sud, est renversé avec l'accord des Américains, Westmoreland est choisi par le successeur de Kennedy, lui aussi assassiné, Johnson, pour remplacer le général Harkins à la tête du MACV. Westmoreland a été choisi au milieu de 4 noms, dont Abrams, son futur successeur, car il était regardé par le pouvoir politique comme ayant la tête froide et n'étant pas destiné à faire de l'ombre ou à vouloir dicter sa conduite aux autorités civiles comme avait pu vouloir le faire MacArthur en Corée avec le président Truman.
Westmoreland, qui a d'ailleurs rencontré MacArthur avant de partir, vient en inspection au Sud-Viêtnam dès janvier 1964. Il est alors beaucoup plus pessimiste que l'homme qu'il va remplacer, le général Harkins. A ce moment-là, le Nord-Viêtnam a déjà accentué son aide au Viêtcong qui profite du chaos politique consécutif à la mort de Diêm pour accélérer le retournement de la situation militaire. L'ARVN subit des coups sévères et Westmoreland est notamment impressionné par la défaite de Binh Gia. Devenu commandant du MACV en juin, Westmoreland s'entoure de diplômés de West Point et d'anciens membres de la 101st Airborne Division. En février 1965, il ne croit pas à l'efficacité des frappes aériennes sur le nord décidées par le président Johnson : contrairement à son protecteur Taylor, devenu un partisan de la "riposte graduée" après avoir été partisan d'une posture plus musclée, Westmoreland plaide pour des opérations agressives.
Westmoreland n'est cependant que le commandant du MACV et n'a pas tous les pouvoirs militaires à l'instar d'un Eisenhower pendant la Seconde Guere mondiale. Il obtient cependant du président Johnson le débarquement des Marines à Da Nang. Après la défaite de Ba Gia, il insiste cependant pour un renforcement du dispositif, arguant des coupes sévères portés par le Viêtcong à l'ARVN. Il rejette la stratégie des enclaves côtières prônée par Taylor pour privilégier une posture plus offensive. Les premiers combats de l'été 1965 menés par la 173rd Airborne Brigade puis à l'automne par la 1st Cavalry Divisionà Ia Drang semblent confirmer son choix d'une guerre d'attrition. En 1966, avec les forces à sa disposition, il met en place le "search and destroy"' pour protéger la zone tactique du Ier corps, les provinces côtières de la zone tactique du IIème corps et les environs de Saïgon. Mais cette stratégie n'arrive pas à empêcher l'adversaire de se renforcer au Sud-Viêtnam, alors même que Westmoreland caresse déjà le rêve de pouvoir envahir le Laos ou le Cambodge pour casser la logistique du Nord-Viêtnam via la piste Hô Chi Minh.
Mais cette option n'est pas viable pour le pouvoir politique. Westmoreland colle donc à la stratégie d'attrition en dépit de l'opposition grandissante aux Etats-Unis. Cedar Falls et Junction City en marquent l'aboutissement. Mais les sanctuaires ennemis se déplacent au Cambodge et la stratégie ne permet toujours pas de venir à bout de l'ennemi au Sud-Viêtnam, la pacification prélevant des moyens qui en 1967 empêchent de rééditer ces grandes opérations multidivisionnaires. Westmoreland est rappelé par Johnson dès avril 1967 pour contrer l'opposition à la guerre : bien qu'accueilli chaleureusement, sa visite lui fait perdre en crédibilité car on le suspecte désormais de contribuer au discours jugé trop optimiste du président. C'est aussi à ce moment-là que l'attention de Westmoreland se focalise sur Khe Sanh, base à l'extrémité ouest du cordon de sécurité installé près de la zone démilitarisée, où se déroule la "bataille des collines". Westmoreland comptait s'en servir pour mener les opérations au Laos mais y voit maintenant l'occasion de se servir des Marines comme appât afin d'attirer et d'écraser sous un appui-feu massif l'armée nord-viêtnamienne.
C'est en 1967 également que Westmoreland reçoit comme adjoint Abrams, qu'il n'avait pas voulu en 1964. L'année voit aussi l'arrivée de Robert Komerà la tête du programme CORDS. Désormais, la stratégie d'attrition se double d'une pacification et d'une amorce de "viêtnamisation", mais l'effort est trop mal coordonnée pour aboutir. On a souvent reproché à Westmoreland, également, de se montrer trop indulgents sur le terrain avec des officiers manifestement inaptes au commandement. Sur son livret de chevet se trouvaient le roman de Jean Lartéguy,Les centurions, et les oeuvres de Bernard Fallsur Dien Bien Phu et la destruction du Groupe Mobile 100. Lors de la bataille des frontières, prélude sanglant à l'offensive du Têt, Westmoreland évoque déjà, pour briser les comparaisons faites entre le siège de Con Thien et celui de Dien Bien Phu, un "Dien Bien Phu à l'envers". Il est moins à l'aise face aux pertes sévères subies à Dak To, qui commencentà remuer l'opinion américaine.
Rappelé à nouveau aux Etats-Unis en novembre 1967, Westmoreland fait des déclarations optimistes, persuadé que l'ennemi est proche du point de rupture. Contrairement au secrétaire à la Défense, McNamara, qui est lui beaucoup plus pessimiste. A partir du 20 janvier 1968, Westmoreland reste concentré sur Khe Sanh où se déclenche une attaque nord-viêtnamienne, alors même que se multiplie les signes d'une offensive généralisée à travers tout le pays. Weyand, qui dirige les forces de la région de Saïgon, a perçu une menace, mais comme Westmoreland, pasà l'échelle de tout le Sud-Viêtnam. Quand se déclenche l'offensive du Têt, et malgré la sévère défaite communiste, les déclarations maladroites de Westmoreland à l'ambassade américaine ne font que faire douter l'opinion américaine du résultat réel de l'offensive. Les Etats-Unis constatent avec amertume que leur armée n'a pas de stratégie pour l'emporter et que tous les efforts consentis jusqu'ici ont été bien vains. Le président Johnson finit par jeter l'éponge et annonce, le 31 mars, qu'il ne se représentera pas pour l'élection présidentielle de 1968, tout en demandant l'ouverture de négociations.
Ci-dessous, extrait de la fameuse déclaration de Westmoreland le 1er février 1968, à l'ambassade américaine, au moment de l'offensive du Têt.
Ci-dessous, extrait de la fameuse déclaration de Westmoreland le 1er février 1968, à l'ambassade américaine, au moment de l'offensive du Têt.
Westmoreland est nommé chef d'état-major de l'armée américaine en juin 1968, une décision prise avant le Têt, mais qui survient alors que le mini-Têt est brisée et la base de Khe Sanh, où le siège communiste a été levé, vient tout juste d'être évacuée. Un retour aux Etats-Unis sans fanfare ni trompette, Westmoreland étant même pris à parti lors de déplacements en public par le mouvement antiguerre. Un temps rassuré par l'élection de Nixon qu'il juge plus dur que Johnson, Westmoreland est cependant rapidement déçu en comprenant que le républicain compte bien retirer l'armée américaine du Sud-Viêtnam. Quand survient l'affaire du massacre de My Lai, Westmoreland diligente immédiatement une commission d'enquête mais sera conspué par le mouvement antiguerre. Une enquête qu'il fait réaliser en 1970 montre également la déliquescence du corps des officiers au Viêtnam et de l'armée en général, les problèmes liés aux tensions raciales, à la drogue (10 à 15% des soldats consomment de l'héroïne en 1971) et le fragging, sans compter les refus d'obéissance d'unités entières, y compris parmi les divisions d'élite comme la 1st Cavalry.Les troubles se transportent d'ailleurs au sein des forces d'occupation en Allemagne qui reçoivent des vétérans du Viêtnam. Westmoreland doit faire le ménage sur place et parallèlement, entamer la conversion de l'armée en force professionnelle.
Dans le même temps, opposé au retrait massif voulu par Nixon, Westmoreland regarde avec envie l'offensive au Cambodge en 1970, mais avec beaucoup plus d'inquiétude le désastre de l'opération Lam Son 719 au Laos l'année suivante où l'ARVN montre des carences manifestes en dépit des déclarations optimistes d'Abrams, qui remplace Westmoreland comme chef d'état-major après l'échec nord-viêtnamien de l'offensive de Pâques 1972. Celui-ci voit avec désespoir la signature des accords de Paris qui autorisent les troupes du Nord à reste au Sud, en échange du retour des prisonniers de guerre. Il assiste impuissant à la chute de Saïgon en avril 1975.
Retiré à Charleston, avec sa famille, en Caroline du Sud, Westmoreland s'essaie à la politique en postulant dans le camp républicain pour le poste de gouverneur, mais faute de véritable implication et de savoir-faire, il échoue. En 1976, il publie ses mémoires, A Soldier Reports, où il tente de justifier sa stratégie du search and destroy et tire à boulets rouges, sans doute à tort, sur les média. Il ne cesse de parader aux côtés des vétérans et de vouloir dialoguer avec les étudiants. Le dernier combat de Westmoreland a lieu contre, encore une fois, les médias : piégé par des réalisateurs peu scrupuleux d'un documentaire de la chaîne CBS sur la guerre du renseignement pendant la guerre du Viêtnam, Westy contre-attaque lors d'un procès qui finit par mettre en évidence la mauvaise foi des personnes incriminées, bien que l'ancien chef d'état-major abandonne bientôt les charges. Le 1er juin 1986, épisode sur lequel se termine le livre de Zaffiri, il est en tête de l'immense parade des vétérans de la guerre du Viêtnam à Chicago.
Ainsi, en un peu plus de 400 pages, dont près de la moitié dédiée au parcours viêtnamien de Westmoreland, Zaffiri réussit le tour de force de bâtir une biographie plutôt équilibrée d'un général qui a souvent servi de bouc-émissaire à l'échec américain dans le conflit. Un travail bâti sur de nombreuses interviews -dont celle de Westmoreland, depuis disparu en 2005 à l'âge de 91 ans)- et une bibliographie en fin de volume. A signaler, l'absence de cartes, malgré un encadré central d'illustrations. Zaffiri date aussi un peu sur certains aspects du conflit, renouvelés depuis par l'accès à de nouvelles archives ou de nouveaux travaux, comme sur le siège de Khe Sanh.
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