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Stephen TURNBULL et Richard HOOK, Tannenberg 1410. Disaster for the Teutonic Knights, Campaign 122, Osprey, 2003, 96 p.

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Stephen Turnbull est un écrivain et historien britannique, plutôt spécialisé dans l'histoire militaire asiatique et en particulier celle du Japon. Il est d'ailleurs diplômé de l'université de Leeds où il enseigne sur les religions d'Extrême-Orient (!), puisqu'il est également intéressé par cette matière. Depuis 1977, il a écrit une cinquantaine de livres, principalement chez Osprey. Visiblement, il a aussi un intérêt pour l'ordre teutonique et les croisades dans la Baltique puisqu'il est l'auteur de ce volume de la collection Campaign dédié à la bataille de Tannenberg. Les illustrations sont signées Richard Hook.

Comme l'auteur le rappelle en introduction, la bataille de Tannenberg est devenue un enjeu mémoriel. En 1914, les Allemands, qui avaient battu deux armées russes dans la même région des lacs Mazures, s'empressent de baptiser ce succès du nom de Tannenberg pour effacer le souvenir du désastre des chevaliers teutoniques face aux Polonais et aux Lituaniens. Turnbull décrit ensuite l'installation de l'ordre en Prusse, puis le conflit avec la Pologne, qui commence en 1308 alors même que le siège des chevaliers teutoniques est établi l'année suivante à Marienbourg, au centre de leurs possessions, entre la Poméranie et la Livonie. Les Teutoniques se retournent ensuite, pendant une bonne partie du XIVème siècle, contre le duché de Lituanie, païen, contre lequel sont menées de nombreuses expéditions bénéficiant de l'apport "d'invités" de l'ordre (Turnbull commet d'ailleurs une erreur p.14 en affirmant que Jean de Bohême est mort à Poitiers, en 1356 : c'est à Crécy, dix ans plus tôt). Tout change en 1386 lorsque Jagellon de Pologne, devenu chrétien, réunit sous son autorité ce royaume et la Lituanie désormais convertie au christianisme, ce qui enlève aux Teutoniques le motif principal de leurs raids. En guise de prélude à l'affrontement ouvert entre les deux puissances, la Samogitie, région mal soumise cédée par Jagellon avant son accession au trône aux Teutoniques, se soulève à plusieurs reprises, déclenchant des expéditions de représailles de Marienbourg.



 

D'après Turnbull, les chiffres des forces en présence à Tannenberg font débat, et il retient 27 000 Teutoniques opposés à 39 000 Polono-Lituaniens, sans trop expliquer pourquoi ni comment, d'ailleurs. Les Polonais sont organisés autour du système des bannières féodales, avec le renfort de mercenaires tchèques. Les Lituaniens fournissent une cavalerie légère et sont appuyés par un petit contingent mongol de la Horde d'Or, dirigé par un khan en exil, Jelal-el-Din, fils de Toqtamish. Côté teutonique, l'organisation repose sur le système des lances, mais le nombre de chevaliers de l'Ordre est faible, peut-être 250 en tout. Le gros des troupes repose sur des contingents de chevaliers laïcs, parfois d'ascendance polonaise, de mercenaires et de quelques "invités".

Les coalisés ont pour objectif de prendre Marienbourg, le siège de l'Ordre, au coeur de la Prusse. Les Teutoniques, quant à eux, restent en position centrale de façon à pouvoir contrer toute menace sur leurs frontières. Les Polonais franchissent la Vistule le 2 juillet alors que des attaques de diversion ont été lancées à l'ouest et à l'est pour retenir une partie des forces teutoniques. Le 10 juillet, l'armée coalisée approche d'un affluent de la Vistule, la Drweca, aux gués de Kauernick, surmontés d'une forteresse teutonique. Le Grand Maître, Ulrich von Jungingen, défend le passage avec son armée, ayant laissé 3 000 hommes à Schwetz sous les ordres d'Heinrich von Plauen. Incapables de franchir les gués, les coalisés rebroussent chemin pour passer la rivière plus au nord ; pendant ce temps, les Teutoniques traversent la rivière en aval et se positionnent le 14 juillet près des villages de Grunwald et Tannenberg, barrant la route de Marienbourg le lendemain aux coalisés qui cherchent à regagner la Drweca.

Face aux Teutoniques, les Polonais sont à gauche, les Lituaniens à droite. Les chevaliers souhaitent que les coalisés attaquent leurs lignes bien préparées : la pluie empêche de se servir de l'artillerie, mais au matin, les Teutoniques reculent légèrement pour dévoiler leurs pièces malgré tout. Les Lituaniens chargent alors le flanc gauche de l'adversaire, mais sont repoussés : leur retraite distrait cependant des chevaliers et des "invités" qui les poursuivent et pillent leurs bagages. Un contingent de chevaliers russes, de Smolensk, entre les deux ailes des coalisés, tient bon, tandis que le grand duc lituanien Vytautas, cousin de Jagellon, empêche le flanc droit des Polonais de succomber et protège la bannière de Cracovie. Ulrich von Jungingen saisit alors l'occasion : il emmène le gros des Teutoniques sur la gauche de son armée, contourne le village de Tannenberg et charge le flanc droit des Polonais, visant le souverain Jagellon. Celui-ci doit combattre pour se dégager ; les Lituaniens finissent par se rallier et prennent de flanc les Teutoniques ; le Grand Maître, enfin, est tué dans la mêlée, ce qui donne le signal de la déroute pour son Ordre. La poursuite, sanglante, dure jusque dans la soirée. Les Teutoniques laissent la moitié de leur effectif sur le terrain ainsi que 14 000 prisonniers ; seuls 1 500 hommes reviennent à Marienbourg. Les coalisés ont sans doute perdu 4 à 5 000 hommes ainsi que 8 000 blessés.

Ils manquent une occasion unique de venir à bout des Teutoniques en ne fonçant pas immédiatement sur Marienbourg. Heinrich von Plauen a le temps d'en organiser la défense. Le siège dure du 18 juillet au 10 septembre mais finalement, les coalisés renoncent. Von Plauen, élu Grand Maître en novembre, doit faire face à de nouvelles incursions : le traité de Thorn, en 1411, sauve temporairement l'Ordre décimé et sans le sou. Von Plauen est démis dès 1413. A partir de 1440, les Teutoniques sont menacés par la fronde des villes prussiennes, qui en appellent au roi de Pologne Casimir IV. Bien que son armée soit battue à Chojnice en 1454, Marienbourg finit par être livrée par des mercenaires bohêmiens non soldés en 1456. Le second traité de Thorn, en 1466, consacre la mainmise polonaise sur la Prusse même si les Teutoniques conservent un fief au sein du royaume et la Livonie. Le mythe de Tannenberg naîtra, côté allemand, avec les romantiques du XIXème siècle, qui en feront le sacrifice ultime des Allemands pour faire barrière aux "Slaves"et sauver l'Europe chrétienne.

A l'instar du volume sur Lépante, Turnbull fait trop l'impasse, sans doute, sur l'histoire socio-économique des armées en présence ; de même, la postérité de Tannenberg est rapidement survolée -l'auteur se gardant bien, bizarrement, d'évoquer la récupération qu'en font les nazis, par exemple... le récit de la bataille lui-même est un peu confus, mais il est heureusement rattrapé par les cartes et les vues 3D qui permettent de bien suivre à la fois les phases de la campagne et les mouvements successifs lors de la bataille. Les illustrations de Hook sont agréables, bien que manquant peut-être un peu de panache. On pourrait également reprocher à Turnbull une vision quelque peu idéalisée des Teutoniques, qui transparaît dans certaines lignes. La bibliographie, uniquement anglophone (alors que de nombreux ouvrages en français existent sur les Teutoniques), est sans doute un peu limitée. Plus généralement, le format de la collection Campaign est probablement un peu réduit, avec ses 96 pages, pour explorer convenablement tous les aspects d'une bataille donnée : en ce sens, on peut se demander s'il peut remplacer véritablement un ouvrage universitaire ou assimiléau prix parfois équivalent. 


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