Comme de coutume, un petit supplément gratuit pour les lecteurs.
La
bataille d'Aix-la-Chapelle est rapidement devenue une référence
dans le cadre de l'étude du MOUT (Military
Operations in Urban Terrain) au sein de l'armée
américaine. Les extraits ci-dessous sont tirés de documents publiés
par l'association du 26th IR, eux-mêmes issus de rapports
écrits par les principaux officiers de l'unité ayant mené les
combats d'Aix-la-Chapelle et de documents officiels.
La
1st Infantry Division (ID), qui mène
la poursuite du VIIth Corps sur le flanc gauche en direction
de la frontière allemande, pénètre le Westwall le 12
septembre 1944 autour d'Aix-la-Chapelle, le même jour que la 3rd
Armored Division (AD) sur le flanc droit. Le 26th
Infantry Regiment (IR) de la 1st ID est alors divisé
en deux : le 1st Battalion
accompagne la Task Force Hogan de la 3rd AD, et le
Regimental Combat Team sert de réserve à la division et
protège le flanc nord. Le 13 septembre, le 26th IR reçoit
l'ordre d'attaquer le secteur au sud-est de la ville, pour permettre
aux 16th et 18th IR de se déplacer plus à
l'est, et de percer au nord vers Ellendorf et Verlautenheide. Mais la
résistance allemande se durcit. Il faudra en fait plus d'un mois
pour encercler Aix-la-Chapelle et en venir à bout, le 26th
IR se chargeant du combat de rues pour nettoyer la ville.
Mason
(chef d'état-major de la 1st ID) :
Le désir militaire non satisfait de pousser pour s'emparer de la
ville a été l'une de nos plus grandes frustrations. Au nord,
l'épopée du maréchal Montgomery pendant l'opération Market-Garden
se termine en échec. En outre, nous sommes désormais trop éloignés
de notre base logistique, en Normanie . Nous manquons d'essence,
de munitions, notre progression ralentit chaque jour et l'artillerie
lourde ne tire plus que quelques obus. Une division d'infanterie
comme la nôtre requiert pas moins de 600 tonnes d'approvisionnement
par jour pour être opérationnelle ! Les généraux
américains, Bradley, Patton, Hodges, pestent contre le détournement
de la logistique en faveur de Market-Garden : mais en
réalité, nous n'avons ni la cohésion nécessaire après la
poursuite, ni le soutien logistique pour attaquer correctement la
ligne Siegfried. Nous montons donc des « reconnaissances
en force », de la taille du bataillon, pour sonder les
premières défenses. Certaines réussissent à trouver des brèches,
tout simplement parce que les Allemands n'ont pas installé de
troupes sur les positions défensives. Mais ces pénétrations ne
sont pas exploitées, et la défense allemande se renforce. De
l'artillerie, des chars arrivent progressivement et pour la première
fois depuis longtemps nous sommes pilonnés régulièrement. La pluie
qui commence à tomber n'arrange évidemment rien à nos affaires.
Le
bataillon du génie de notre division est l'une des unités les plus
efficaces que j'ai jamais vues. Son commandant est le
lieutenant-colonel Bill Gara. A l'ouest d'Aix-la-Chapelle, lors de
notre première attaque, nous avons récupéré deux tramways
abandonnés sur les rails au bout de la ligne. Gara vient alors me
voir pour me parler de l'utilisation, par les Allemands, de petits
chars télécommandés bourrés d'explosifs lancés contre nos
troupes, qui d'ailleurs n'atteignent que rarement leur cible. Les
Allemands les avaient baptisés « Goliaths ». Gara
veut améliorer l'idée. Ayant découvert un dépôt allemand de
mines Teller et autres explosifs, il pense charger les tramways avec
deux tonnes de ces engins et les précipiter dans Aix-la-Chapelle
avec un détonateur à retardement. Je lui donne mon accord. Après
l'avoir ainsi lesté, les sapeurs poussent le tramway avec un
bulldozer. Le tramway commence sa descente, plus lentement que Gara
l'escomptait. Des Allemands commencent à tirer au fusil sur l'engin.
Finalement, à mi chemin entre nos lignes et leurs, le tramway
explose.
Gara
n'était pas en panne d'idée. A ce moment-là nous combattons
contre, dans ou autour de bunkers. Parfois les Allemands réoccupent
une de ces positions après que nous l'ayons prise. Ces ouvrages en
béton sont invulnérables aux tirs d'artillerie. Il faut dépenser
une quantité considérable de TNT pour faire sauter les ouvrages, or
nous n'avons que peu de stocks en explosifs. Gara pense que si nous
plaçons des matelas dans les fentes de tir des bunkers, une petite
charge suffirait à les ébranler. Des essais lui donnent raison. On
réquisitionne alors tous les matelas des environs : à chaque
fois que nous capturons un bunker, nous plaçons des matelas dans les
embrasures avec une petite charge, l'ouvrage se désintègre, et nous
sommes tranquilles.
Daniel
(commandant du 2nd Battalion, 26th
IR) : Après avoir engagé les Allemands pour boucler la
poche de Mons, le bataillon poursuit l'ennemi en retraite sur
Aix-la-Chapelle. Les 14 et 15 septembre, il arrive dans les faubourgs
sud-est de la ville face à une résistance légère et protège le
flanc gauche du 16th IR qui attaque la ligne Siegfried
près d'Eilendorf. Il garde cette position statique pendant un mois,
avant de passer au nettoyage d'Aix-la-Chapelle proprement dit. La
position d'observation est excellente et permet de régler les tirs
d'artillerie et de mortiers. Le bataillon mène aussi des patrouilles
sur la voie de chemin de fer qui encercle la ville et monte des
patrouilles à l'aube pour faire des prisonniers. Le meilleur moyen
est d'envoyer une section de fusiliers soutenue par 3 ou 4 chars. Les
tirs d'artillerie allemand se font plus denses les jours passant,
mais nous sommes bien protégés par les bâtiments que nous
occupons.
Mason :
au PC de la division, nous avons maintenant une idée plus claire de
la façon dont nous allons réduire Aix-la-Chapelle. Il faut
encercler la ville au sud et à l'ouest puis pousser l'encerclement
vers le nord en passant par l'est, pour couper les défenseurs de
leur approvisionnement. Puis, nous entrerons dans la ville et la
nettoieront d'est en ouest, comptant sur le fait que les défenses
sont surtout orientées vers l'ouest et le sud. Le problème étant
que le flanc nord est complètement à découvert, sauf si nous
travaillons de concert avec les unités voisines.
Daniel :
le plan initial est d'utiliser les 2nd et 3rdBattalions pour nettoyer la ville. Le 2nd
Battalion doit se déplacer au nord-ouest, se charger du faubourg
de Rothe Erde puis continuer au sud de la cité... parallèlement,
les deux bataillons doivent également mener des attaques de
diversion. Une section de la compagnie F, avec une section de
mitrailleuses légères, doit mener l'attaque de diversion, soutenue
par 2 chars et 2 TD. Des postes d'observation sont placés pour
fournir un tir continu de mortiers de 81 mm. Une équipe de
transmissions suit le chef de section pour qu'il dispose d'un
appui-feu immédiat si besoin. L'objectif est une portion d'usine au
sud-est de la voie ferrée. Les compagnies F et G doivent ensuite
avancer jusqu'à la ligne de chemin de fer, une section de la
compagnie F faisant la jonction avec le 3rd
Battalion. Un officier de liaison de l'artillerie planifie les
tirs de l'artillerie moyenne ; des observateurs pour les
mortiers accompagnent chaque compagnie et déroulent du fil
téléphonique derrière chaque poste de commandement, une procédure
devenue standard pendant la bataille. En plus des chars et TD, chaque
compagnie reçoit aussi le renfort d'une section de mitrailleuses
lourdes de la compagnie H.
La
voie ferrée représente un obstacle considérable : les chars
et TD devront passer sous la gare de Rothe Erde. Les trois compagnies
attaquent de front, en ligne. Le soutien blindé consiste en deux
sections de Shermans et deux de TD, mais au vu des pertes et
de la maintenance, seuls 2 chars et 2 TD sont disponibles pour chaque
compagnie. Sur les flancs, les compagnies F et G ont une section de
mitrailleuses lourdes. Chaque compagnie a le soutien d'une section de
mortiers de 81 mm. Une escouade d'une section du 1st
Engineer Battalion accompagne également chaque compagnie avec
des lance-flammes et des charges explosives. Le bataillon bénéficie
aussi d'une section de canons antichars de la compagnie régimentaire.
Pour assurer la défense antichar le temps que les half-tracks
amènent les canons au-delà du chemin de fer, chaque section
organise 6 équipes bazookas.
La
compagnie F lance sa première attaque le 8 octobre, sans trop
d'opposition. Le 9 octobre, les compagnies F et G avancent pour
nettoyer la partie au sud-est de la voie de chemin de fer. Un TD est
détruit par un Panzerfaust ; un Sherman Dozer
saute sur une mine qui fait voler en l'air la lame de l'engin. Il se
trouve que les Allemands ont disposé des mines antichars ou
antipersonnels. A 17h00, la zone est nettoyée. Les Allemands montent
des patrouilles agressives contre la compagnie F mais sont repoussés
à coups de grenades et d'artillerie.
A
9h30, le 13 octobre, l'ultimatum n'ayant pas été accepté par les
Allemands, la progression commence. Les chars doivent négocier
l'obstacle que représente les voies ferrées, tandis que
l'infanterie procède au nettoyage des blocs d'habitations. Elle a
reçu pour instruction de ne pas s'engager dans les rues mais
d'entrer dans les bâtiments. Les caves doivent être nettoyées à
la grenade. Fort heureusement, la plupart des caves communique entre
elles et cela évite de repasser par les rues. La compagnie F, qui
tient le flanc où la jonction doit être faite avec le 3rd
Battalion, souffre d'un tir de harcèlement qui blesse d'ailleurs
mortellement le commandant de compagnie. Les objectifs sont atteints
à 17h00. A nouveau, les Allemands lancent des patrouilles dans
l'obscurité contre la compagnie F.
Une
attaque coordonnée est lancée à 15h20 le 15 octobre. Un canon
antichar allemand qui tire en enfilade rend la liaison difficile
entre les compagnies E et F et l'endroit dangereux pour les chars,
avant d'être réduit au silence par l'infanterie. La compagnie G
apprend à bien placer ses mitrailleuses lourdes pour ne pas les
faire repérer par les nuages de poussière qui s'élevent lors du
tir dans les gravats. Pendant sa progression, elle découvre des
colis parachutés dans la nuit aux défenseurs par la Luftwaffe.
Les Allemands montent des contre-attaques et profitent de la nuit
pour détruire un TD à courte distance. Le 17 octobre, la compagnie
F doit encore faire face à des tirs de canons antichars assez
gênants.
L'attaque
reprend le 18 octobre à 7h30. Les Allemands utilisent le squelette
du théâtre municipal, réduit en ruines, comme position de défense
pour leurs mitrailleuses et leurs armes antichars. Le canon
automoteur de 155 mm attaché au bataillon tire 7 obus sur l'édifice,
avec de bons résultats. L'avance reprend vers les faubourgs ouest le
19 octobre. Le 20 octobre, à 7h30, le bataillon progresse au-delà
de la cathédrale. La compagnie F se heurte à une dure résistance
du 404ème régiment allemand à l'école technique, dont il faut 5
heures pour venir à bout. Il faut d'abord nettoyer les nids de
mitrailleuses installés sur les toits qui protègent le bâtiment.
L'école technique est finalement investie à la grenade à fusil et
au bazooka, en détruisant un canon antichar que les Allemands
ont disposé pour tirer à courte portée.
Corley
(commandant le 3rd
Battalion) : le parc Farwick est dominé par une
colline sur laquelle est bâti une construction à 4 étages, on y
trouve aussi le Kurhaus et l'hôtel Quellenhof. Une série de
maisons borde l'approche sud-ouest et des blocs de maisons l'avenue
nord-ouest. Le terrain est difficile à observer : le parc était
à l'origine une colline qui a été nivelée pour construire des
jardins, un lac artificiel, des promenades, des cours de tennis et
les deux hôtels. La pente d'Observatory Hill est recouverte
de sous-bois. Le 13 octobre, le 3rd
Battalion est appuyé par une section de Shermans, une de
TD, une de sapeurs et un automoteur de 155 mm. Le lendemain, une
section de mortiers de 4,2 pouces est rattachée à la compagnie M.
Le 16 octobre, l'automoteur de 155 mm détruit le bâtiment sur
Observatory Hill. Le 18 octobre, la Task Force Hogan
nous rejoint. Progressivement, nous découvrons que le Kurhaus
sert de poste de commandement à une compagnie et le Quellenhof à un
bataillon.
La
compagnie I attaque soutenue par 15 obus de 155 mm. Les deux autres
compagnies sont clouées. L'automoteur tire bientôt 30 obus sur le
Kurhaus et le Quellenhof, faisant taire un canon de Flak
20 mm installé sur les étages supérieurs de ce dernier. Toute
résistance organisée cesse vers 10h30. Les tirs de 155 mm à bout
portant ont eu un effet certain sur les Allemands.
Mason :
les automoteurs de 155 mm ont été déjà fort pratiques pour venir
à bout des bunkers. Dans le combat urbain, ils trouvent une autre
utilisation. Pour faciliter la progression de l'infanterie et éviter
les rues balayée par les mitrailleuses, l'automoteur tire un premier
obus dans un bloc de maisons, qui ouvre une brèche. Puis il en
expédie plusieurs autres à travers pour former un véritable tunnel
pour permettre à l'infanterie de progresser et de nettoyer chaque
bloc. L'opération est répétée autant de fois qu'il le faut. La
méthode, lente, surprend pourtant les Allemands et nous épargne
bien des pertes.
Pour
en savoir plus :
Aachen.
Military Operations in Urban Terrain. 26th
Infantry Regimental Combat Team 8-20 octobre 1944, 26th
Infantry Regimental Association, 1999 (4ème éd.).