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David M. TOCZEK, The Battle of Ap Bac, Vietnam. They Did Everything but learn from it, Naval Institute Press, 2001, 186 p.

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"Ils ont tout fait sauf en tirer des leçons". C'est ainsi que David M. Toczek, ancien professeur assistant d'histoire à l'académie militaire de West Point et diplômé de Fort Leavenworth, résume la bataille d'Ap Bac, en janvier 1963, pensant aux Américains qui conseillent alors l'armée sud-viêtnamienne dans son combat contre le Viêtcong. Si en français la guerre du Viêtnam n'est pas très connue, les ouvrages sur le sujet n'étant pas légion malgré quelques traductions de travaux américains, la période précédant le conflit, entre la fin de la guerre d'Indochine et l'intervention américaine (1954-1964), l'est encore moins. C'est donc un des mérites de l'ouvrage de revenir sur un des engagements importants de cette période.

Le général Rosson, commandant adjoint du MACV en 1969-1970, a préfacé le livre. Il souligne que l'auteur met en lumière l'optimisme des conseillers américains sous le régime de Diêm, qui ont bâti une armée conventionnelle mal préparée à affronter une insurrection. L'ARVN est une force avant tout politique à l'encadrement souvent défaillant. En outre, elle est entravée par la confusion de chaînes de commandement et le président Diêm a insisté pour limiter les pertes (l'obsession du "zéro mort", déjà). A l'inverse, le Viêtcong mène une guerre révolutionnaire où dimensions militaire et politique vont de pair. C'est pourquoi, à partir du 2 janvier 1963, le Viêtcong parvient à résister, à Ap Bac, à l'assaut de 1 200 adversaires avec seulement 340 hommes. 3 Américains et 63 Sud-Viêtnamiens sont tués pour 100 pertes estimées chez l'ennemi -mais le décompte est rendu difficile par le fait que l'adversaire emporte déjà les corps... et pourtant les dirigeants américains ne virent pas ce signe avant-coureur et pensaient pouvoir évacuer entièrement le contingent de conseillers américains dès 1965 !

Dans sa propre préface, Toczek compare la posture du général Stilwell, qui reconnaît avoir pris une râclée en Birmanie dès mai 1942 avant de vouloir y retourner pour chasser les Japonais, contre l'avis des politiques américains, et celle du général Harkins, qui commande le MACV au moment d'Ap Bac, et qui clame haut et fort que l'ARVN a remporté une victoire. Tombée dans l'oubli après le conflit, la bataille d'Ap Bac est remise à l'honneur depuis quelques années, en particulier parce que certains historiens y voient le début de la fin pour Diêm, assassiné en novembre 1963, neuf mois après.

Le plan est classique et commence par une présentation des forces en présence, l'ARVN et le Viêtcong. Deux forces qui n'ont rien à voir. L'ARVN est modelée sur l'armée américaine et reproduit sa stratégie, ses tactiques, sa doctrine : elle recherche une victoire conventionnelle, même si la contre-insurrection est effleurée. Au contraire, le Viêtcong envisage un succès politique autant que militaire, ce qui induit d'autres moyens. L'ARVN bénéficie du soutien des conseillers américains, mais ceux-ci, ne parlant pas la langue, souvent forgés par leur expérience de la Corée ou de la Seconde Guerre mondiale, sont surtout des multiplicateurs de puissance en permettant un accès à l'appui-feu. L'utilisation de Special Forces et le programme des hameaux stratégiques ne changent rien, mais retournent une partie des villageois contre le régime. Le temps aidant, l'ARVN se repose de plus en plus sur la puissance de feu. Pour renforcer la mobilité de l'ARVN, les Américains introduisent des hélicoptères H-21 dès 1961, puis des véhicules blindés M113 l'année suivante ainsi que les premiers hélicoptères gunships. Le contrôle politique de Diêm sur l'armée a des conséquences sur l'efficacité des officiers qui sont souvent issus des classes moyennes et supérieures et donc, aussi, distants de leurs hommes qui eux proviennent fréquemment des classes populaires. Le système de santé n'est pas au point et l'ARVN, organisée sur un système géographique, connaît une importante désertion quand les unités se déplacent dans le pays. A l'inverse, le Viêtcong voit le conflit comme un combat (dau tranh) à la fois politique et militaire. Le concept reprend la guerre révolutionnaire de Mao mais les étapes ne sont pas tout à fait les mêmes. L'insurrection ne doit jamais cesser jusqu'à la victoire. Le Viêtcong cherche à affaiblir l'ARVN par des embuscades et des raids. Il apprend à contrer l'emploi des hélicoptères et des véhicules blindés. L'endoctrinement politique, entre autres, fait que le combattant est plus motivé, en général, que son homologue sud-viêtnamien.


Ci-dessous, dans l'épisode 2 de la remarquable série Battlefield Vietnam, la bataille d'Ap Bac est présentée à partir de 11:00.





Le 2 janvier 1963, la bataille a lieu près d'Ap Bac, une localité à 20 km au nord-ouest de My Tho, dans le delta du Mékong. On y trouve une station radio du Viêtcong. Celui-ci dispose de deux compagnies renforcées pour protéger le site. En face, la 7ème division de l'ARVN engage plusieurs bataillons, renforcés de compagnies de la Garde Civile et d'un squadron d'Armored Cavalry, puis d'un bataillon aéroporté, le tout appuyé par 15 hélicoptères américains et un important soutien d'artillerie. Le Viêtcong résiste pendant deux jours aux assauts de l'ARVN conseillée par les Américains. D'abord parce que le commandement de l'ARVN n'arrive pas à monter d'attaque coordonnée et à utiliser correctement l'appui-feu en raison de la concurrence des chaînes de commandement, provoquant même des tirs fratricides... l'opération ne repose pas sur la surprise, puisque le Viêtcong a deviné l'intention adverse et s'est retranché en conséquence. L'ARVN souffre d'un commandement fragile et d'un manque d'agressivité. Pour le Viêtcong, la victoire à Ap Bac ne fait que confirmer le choix d'une lutte prolongée reposant sur la guérilla. Côté sud-viêtnamien, vu l'inefficacité des M113, on renforce les mitrailleuses avec des boucliers protecteurs. 5 hélicoptères ont été abattus : les Américains revoient les procédures pour récupérer les équipages, jusque là un peu anarchiques, et prévoient également des PC volants pour mieux coordonner les opérations héliportées. Certains défauts de l'ARVN comme le problème médical ont bien été sentis par les conseillers américains, mais malgré les critiques, le rôle du MACV ne change pas fondamentalement. Les problèmes de fond de l'ARVN et en particulier sa nature éminemment politique ne sont pas revus. Westmoreland, en 1965, ira jusqu'à proposer de payer les officiers de l'ARVN chaque mois pour qu'ils ne complotent pas ! L'ARVN reste focalisée sur la guerre conventionnelle et accentue même le rôle des feux préparatoires. Les Américains restent confiants sur l'issue du conflit malgré quelques voix discordantes. La guérilla a confirmé la pertinence de ses choix, pas l'ARVN et les Américains, mais ceux-ci refusent de le voir.

Ap Bac n'est qu'un engagement somme toute mineur (de la taille du bataillon) mais montre déjà que la copie miniature de l'armée américaine, l'ARVN, ne peut compenser ses faiblesses par la technologie et la puissance de feu. Les conseillers mènent une guerre d'attrition et séparent les objectifs militaires de ceux politiques, une tendance que l'on retrouve jusqu'au sommet de la hiérarchie politique et militaire américaine. Pour le Viêtcong, c'est la confirmation que la guérilla sait comment faire face aux hélicoptères et aux véhicules blindés. L'importance de la bataille réside dans la non prise en compte par les autorités américaines de l'échec de leur stratégie. C'est en ce sens que Toczek cite la formule du journaliste David Halberstam en sous-titre : "Ils ont tout fait sauf en tirer des leçons".

Un ouvrage très intéressant, servi par de nombreuses cartes (que l'on aurait toutefois aimé un peu plus travaillées), de pas moins nombreux annexes et une bibliographie de référence.

 

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