Depuis
2014, la 104ème brigade de la Garde Républicaine syrienne et son
chef légendaire, le général Zahreddine, sont associés à la
défense de l'aéroport militaire et de la poche tenue par le régime
syrien à Deir-es-Zor, face à l'EI. Pourtant, l'unité avait
commencé, en 2011, par réprimer les manifestants descendant dans
les rues au début de la révolution. L'unité, partie intégrante de
la garde prétorienne du régime Assad, est largement maintenue à
Damas et ses alentours dans les premières années du conflit pour
parer à toute éventualité, fournissant ponctuellement des
détachements pour certaines opérations dans le pays. Avec
l'avènement de l'EI et sa conquête de la province de Deir-es-Zor,
la 104ème brigade est jetée dans la bataille pour conserver ce
bastion du régime dans l'Est du pays. Depuis deux ans et demi,
Zahreddine et ses hommes tiennent, tant bien que mal, cette poche
contre laquelle l'EI s'est jusqu'à présent usé : mais la
récente offensive de janvier 2017 a pour la première fois réussi à
couper en deux tronçons le territoire contrôlé par le régime.
Isolés, ravitaillés uniquement par air, les hommes de la 104ème
brigade constituent pourtant un symbole fort pour le régime, celui
de la combativité. Il n'empêche que le succès de la défense doit
aussi beaucoup au soutien aérien, renforcé par l'allié russe, dont
disposent les combattants de la Garde.
Historique
La
Garde Républicaine a été créée en Syrie par Hafez el-Assad
en 1976. Elle est commandée par Adnan Makhlouf, le cousin de sa
femme. Les recrues viennent d'abord de l'armée de l'air, branche
historiquement la plus liée au clan Assad. Progressivement, cette
unité prétorienne passe au rang d'unité mécanisée, notamment
après la dissolution des Compagnies de Défense de Rifat al-Assad
suite au coup d'Etat manqué de ce frère de Hafez, en 1984. En 2011,
au déclenchement de la révolution, la Garde Républicaine syrienne
comprend pas moins de 3 brigades mécanisées (dont la 104ème, qui
accompagne les 105ème et 106ème : 3 500 hommes chacune), deux
régiments de sécurité (101ème, 102ème, 1 500 hommes chacun) et
un régiment d'artillerie (100ème) : elle équivaut en fait à
une division d'infanterie mécanisée, comparable à la 4ème
division blindée, sauf qu'elle obtient le meilleur matériel et
qu'elle est systématiquement maintenue à plein effectif. La plupart
des officiers et soldats sont alaouites mais on trouve aussi des
sunnites dans l'encadrement, comme le fils de l'ancien ministre de la
défense Mustapha Tlass, qui a fait défection en 2012. La Garde
Républicaine est destinée à prévenir tout soulèvement
intérieur : c'est pourquoi elle est stationnée sur le mont
Qasioun au nord de Damas, près du palais présidentiel.
La
104ème brigade mécanisée, dans la Garde Républicaine, a une
importance symbolique particulière. Elle a été commandée, en
effet, par Basel el-Assad, héritier présomptif de Hafez, avant sa
mort accidentelle en 1994, puis par son frère Bachar el-Assad, avant
qu'il ne remplace son père comme président. Elle est ensuite prise
en main par Issam Zahreddine, un Druze de la province de Suweyda. Au
début de la révolution (et selon les documents fournis par le
régime à l'ONU), la 104ème brigade a opéré pour partie à Deraa,
dans le sud de la Syrie, où un conscrit de Deir-es-Zor est tué le
25 avril 2011. Un autre est tué le 8 juin à Douma (Damas). Un
troisième meurt suite à des blessures à Homs en août 2011. 2
autres sont tués à Douma en août. Un sixième est tué à Harasta
en septembre 2011. 2 conscrits sont tués à Douma en octobre. Un
sergent tombe à Harasta en novembre 2011. La Garde Républicaine
brise les manifestations de mars-mai 2011 dans et autour de la
capitale, et opère principalement dans celle-ci. Au moins un
témoignage de soldat défecteur précise que
la 104ème brigade a battu des manifestants arrêtés, et que le
général Zahreddine donnait lui-même les ordres, portant un bâton
électrique pour procéder aux tabassages. De petits détachements
sont parfois envoyés pour des opérations à l'extérieur de la
capitale, comme c'est le cas pour le siège de Homs à partir de
février 2012 auquel participe manifestement la 104ème brigade.
Le général Zahreddine, un Druze, commande la 104ème brigade. |
En
mai 2013, l'aviation israëlienne conduit des frappes à Damas,
notamment contre des stocks d'armes à destination du Hezbollah, mais
vise aussi la base de la 104ème brigade à Qasioun. Au
moment des attaques chimiques dans l'est de la Ghouta, à Damas,
le 21 août 2013, la base de la 104ème brigade sur le mont Qasioun
est pointée du doigt comme site de lancement probable des roquettes
M14 de 140 mm modifiées qui ont servi à cette attaque. En octobre,
la 104ème brigade est mobilisée pour l'offensive du régime pour
rouvrir le cordon de ravitaillement en direction d'Alep, mais une
partie de l'unité est finalement déroutée vers Deir-es-Zor,
menacée par les rebelles syriens, puis par l'EI qui chasse les
autres rebelles de la ville, et de la province, en juillet 2014.
Zahreddine mène en personne le contingent qui engage des T-72 Ural,
des T-72M1, des BMP-1, quelques ZSU-23/4 d'autres unités. La 104ème
brigade dipose aussi de 2 lanceurs IRAM Falaq-2 et d'armes
légères modernes comme des AK-74M et des fusils anti-matériel
iraniens AM-50. Elle vient épauler la 137ème brigade de la 17ème
division, l'unité locale déjà bien entamée par les combats à
Deir-es-Zor. A l'automne 2014, la 104ème brigade combat à la fois
l'EI dans le centre-ville dans de difficiles combats urbains mais
aussi sur l'île Sakr, à l'Est de la ville. Elle engage ses T-72,
suivis par l'infanterie et épaulés par d'autres T-72 et les ZSU
23/4, pour confiner l'EI dans une partie de la ville et laisser le
combat final à la 137ème brigade, aux Forces Nationales de Défense,
et à au moins une milice qu'elle a formée. La 104ème brigade
bénéficie de l'appui aérien du 8th
Squadron basé sur l'aéroport militaire et équipé de MiG-21 ;
il peut aussi compter sur le 819th
Squadron avec des Su-24M2. Des MiG-23BN, Mi-25 et Mi-8 sont aussi
déployés sur l'aéroport militaire. L'EI lance une première grande
offensive d'envergure en décembre 2014 à Deir-es-Zor : les
succès initiaux forcent les troupes de la 104ème brigade à se
replier sur l'aéroport lui-même pour sécuriser l'installation, et
à laisser les Forces Nationales de Défense et autres combattants à
tenir les points les plus exposés sur la ligne de front. L'EI
emploie de nombreux VBIED, notamment un char T-55 bourré
d'explosifs, mais aussi des BMP-1. Il a également fait usage de
nombreux drones pour repérer et étudier les positions adverses.
Durant cette offensive, l'EI exécute par décapitation de nombreux
prisonniers, dans un but évident de guerre psychologique et de
propagande : en face, la 104ème brigade, et jusqu'au propre
fils du général Zahreddine, qui sert comme officier dans l'unité,
se font une spécialité de parader avec des têtes de combattants de
l'EI décapités, et entassent les corps dans des camions qui font
parfois le tour des positions contrôlées par le régime, ou les
déversent dans des fosses communes. La
bataille de Deir-es-Zor est un enjeu symbolique fort, dans les
deux camps.
En
avril 2015, la 104ème brigade est rappelée à Damas, mais est
dépêchée en urgence, de nouveau, à Deir-es-Zor, dès le mois
suivant, l'EI ayant profité du départ de l'unité pour lancer une
nouvelle offensive. On
signale aussi la présence de la 104ème brigade (sans doute une
partie non engagée à Deir-es-Zor) à Wadi Barada au mois de mai.
Dans
la nuit du 6 au 7 décembre, 4 appareils américains frappent la
base de la 137ème brigade à Ayash, base des Panther Forces
et des forces spéciales russes qui guident les frappes aériennes
contre l'EI.
En
janvier 2016, l'EI lance une nouvelle offensive sur Deir-es-Zor qui
lui permet de s'emparer des quartiers nord de la ville. La 104ème
brigade est obligée de céder du terrain malgré l'appui aérien
russse désormais disponible côté régime. En
mars 2016, le général Ghassan Taraaf arrive avec une unité
spéciale de 100 hommes pour renforcer la 104ème brigade à
Deir-es-Zor et préparer des opérations offensives. A ce moment-là,
une
source pro-régime indique que la garnison comprend 4 000 hommes,
entre la 104ème brigade et la 137ème brigade. La 104ème brigade se
repose beaucoup sur la puissance de feu des chars, des canons D-30 et
M-46, et des avions de l'aéroport militaire pour repousser les
assauts successifs de l'EI. En mai 2016, un document montre les noms
de 350
soldats de la brigade tués au combat depuis 2013. Un chiffre
important quand on sait qu'environ un millier d'hommes de la 104ème
brigade aurait combattu à Deir-es-Zor (avec probablement des hommes
recrutés sur place, comme ceux de la tribu al-Shaytat). Le 1er
septembre, la 104ème brigade montre des photos d'un bulldozer blindé
de l'EI détruit dans les combats de rues. Le 6 septembre 2016, la
104ème brigade fait sauter un réseau de tunnels de l'EI découvert
dans la ville de Deir-es-Zor. Ce même mois, l'EI relance une
offensive pour prendre le terrain au sud de l'aéroport militaire,
notamment le mont Tardah qui domine le secteur. Le régime ne
parvient qu'à grand peine à repousser l'assaut. Le 12 novembre
2016, la 104ème brigade abat un drone de l'EI, un quadcopter
type Phantom 4, au-dessus de ses positions.
Le
14 janvier 2017, l'EI lance une offensive de grande envergure contre
les positions du régime à Deir-es-Zor. Au bout de 3 jours, il
parvient pour la première fois depuis le début du siège à couper
la poche du régime en deux tronçons, isolant l'aéroport militaire
des quartiers de la ville et du territoire tenu plus à l'ouest. Le
22 janvier, une centaine de soldats de la 104ème brigade sont
déposés par hélicoptère sur la 137ème brigade, après avoir
transité par avion via Qamishli.
Le 16 janvier, on voit que l'EI (ici sur une carte plutôt pro-régime) a coupé en deux la poche, séparant l'aéroport militaire de la base de la 137ème brigade à l'ouest. |
Combattant de la 104ème brigade tué à Deir-es-Zor en janvier 2017. Le béret rouge est l'apanage de la Garde Républicaine. |
Combattant du Hezbollah tué à Deir-es-Zor, aux côtés de la 104ème brigade. |
Propagande,
idéologie
Une
page Facebook
est dédiée à la 104ème brigade. La photo de couverture de la page
associe le général Zahreddine au général Hassan, le commandant
des Tiger Forces, sur fond de tir de BM-21 Grad. Une
autre page semble être dédiée à une unité de la brigade. La page
du fils du général Zahreddine est également très active.
De
nombreuses photos du général Zahreddine, véritable icône des
pro-régime syriens, sont mises en avant. Le 16 janvier 2017, en
pleine offensive de l'EI, des photos montrent Zahreddine et ses
gardes du corps à côté de cadavres. Le 20 janvier, on voit encore
des photos de nombreux cadavres présentés comme ceux des
combattants de l'EI.
Le
17 novembre 2016, une des pages Facebook se plaint d'un
article d'al-Akhbar (quotidien libanais pourtant proche du
Hezbollah, allié d'Assad) qui dépeint sous un jour un peu trop
sombre la situation de la poche du régime à Deir-es-Zor.
Armement,
matériels, tactiques
Les
T-72 de la Garde Républicaine ont généralement un camouflage
de type désertique. L'unité dispose de la version la plus récente
du char en Syrie, le TURMS-T.
La 104ème brigade a reçu de nombreux AK-74M et AKS-74U quand
elle a été dépêchée, pour partie, à Deir-es-Zor, à l'automne
2014. C'est l'arme de choix de la garde rapprochée de Zahreddine,
Saqr al-Harath, composée comme il se doit de nombreux Druzes.
La
104ème brigade, contrairement à ses deux consoeurs de la Garde
Républicaine, ne dispose pas de BMP-2 : à Deir-es-Zor,
elle se repose sur les vieux BMP-1, en utilisant des tactiques
adaptées. Une photo du 17 janvier 2017 sur une des pages Facebook
montre le général Zahreddine à côté d'un technical
portant un KPV bitube.
Une
analyse en source ouverte des documents produits par la 104ème
brigade durant l'offensive de l'EI débutée le 14 janvier dernier
permet de se faire une idée de ses modes d'opération. Une vidéo du
14 janvier filme des fantassins se protégeant derrière un BMP-1, un
tir de missile antichar Metis-M, des technicals avec
ZU-23 et DSHK. Dans une vidéo du 15 janvier, on peut voir un ZSU
23/4 utilisé en tir tendu et un mortier léger. Parmi les fantassins
filmés le 17 janvier, un tireur d'élite avec SVD Dragunov et
AK dans le dos, comme ceux de l'EI. Dans une vidéo du 18 janvier, on
observe un Shilka sans canon, semble-t-il, et une position
d'artillerie, avec au moins un canon M-46 de 130 mm. Assez
curieusement, une vidéo du 20 janvier montre une charge de
fantassins en ligne, à découvert : on peut supposer qu'une
préparation a été effectuée avant sur les positions adverses. Le
même jour, on peut voir un char T-55 faire feu en tir tendu, passant
à côté d'un technical avec bitube ZU-23. En combat urbain à
Deir-es-Zor, une vidéo du 21 janvier montre quelques fantassins
faire le coup de feu avec AK-47 et RPG-7. Certains fantassins sont
casqués Le même jour, on peut voir un char se diriger vers les
positions adverses. Une autre vidéo montre plusieurs chars, un
technical avec ZU-23, un camion avec S-60 de 57 mm appuyer des
fantassins. Le 22 janvier, outre un char T-55 et un technical
avec bitube ZU-23, on peut voir un lance-grenades AGS-17 russe en
action. La 104ème brigade semble se reposer beaucoup sur les frappes
aériennes : dans une vidéo du 23 janvier, Zahreddine visite la
ligne de front pour la propagande, et observe sinon guide à la radio
un raid aérien. Une autre vidéo montre un mortier lourd de 120 mm
et un ZSU 23/4 en tir tendu. Le 24 janvier, une vidéo montre
Zahreddine faisant le coup de feu avec un vieux fusil de sniperMosin Nagant 1891/30 à lunette.