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La défense extérieure de Mossoul par l'EI : analyse tactique

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L'EI a bien préparé la bataille de Mossoul : c'est une évidence lorsqu'on essaie de cerner les moyens et les tactiques engagés pour la défense extérieure de la deuxième ville irakienne. Il n'y a pas eu pour l'instant forcément d'innovation tactique, mais l'EI a su faire bon usage de moyens éprouvés, voire les déployer à une échelle sans précédent. Le degré d'organisation peut laisser songeur sur la phase de combat urbain qui va inévitablement suivre la défense du pourtour de la ville. Comment l'EI a-t-il préparé la protection de l'espace à l'extérieur de Mossoul et que nous apprend-il sur sa façon de faire la guerre ? Ce sont à ces deux questions que nous allons essayer de répondre dans les points ci-dessous.




1 Les tunnels


Comme à Falloujah en Irak, ou en Syrie à Manbij, l'EI a utilisé des tunnels pour organiser la défense des villages environnant Mossoul, au nord, au sud, et à l'est. Rien d'étonnant à cela : avant la bataille, la wilayat Ninive de l'EI avait fait la publicité (photos, vidéos) de ces tunnels. Ces tunnels visent d'abord à offrir une protection contre les frappes aériennes1. Ventilés pour des ouvertures à la surface, ils sont souvent pourvus de courant électrique, de lits. L'EI peut ainsi y dissimuler des snipers qui attaqueront par surprise les combattants entrés dans les villages. Il peut également placer des mitrailleurs ou des tireurs RPG-7 aux entrées, et faire sortir aussi des inghimasiyyi2. Une dizaine de combattants de l'EI a pu, grâce aux tunnels, tenir un village pendant des heures face aux Kurdes irakiens dès le premier jour de la bataille.



Lit et installation électrique dans un tunnel, secteur de Khazir.



2 Les IED


Là encore, aucune surprise : en défense, et en particulier en milieu urbain, l'EI a toujours utilisé les engins explosifs improvisés (IED) qui sont même devenus l'une de ses spécialités. Le premier Américain tombé dans la bataille, près de Bashiqa, le jeudi 20 octobre, le Chief Petty Officer Jason Finan, a été victime d'un de ces engins dissimulés au bord d'une route. L'EI dispose les IED au bord des routes et voies d'accès, pour ralentir les mouvements adverses, mais piège aussi toutes les habitations des localités qu'il contrôle, et jusqu'à des objets que l'on ne soupçonnerait pas, y compris les Corans. Les démineurs kurdes ne sont pas forcément très bien équipés, contrairement aux Américains, pour venir à bout de tous ces engins3. Le lieutenant-colonel Gulani, un spécialiste kurde des IED (il en avait désamorcé 5 000) est d'ailleurs tué par un engin le mardi 18 octobre.

Jason Finan.

Le lieutenant-colonel Gulani.

3 Les VBIED


L'utilisation de VBIED, elle aussi, n'est pas une surprise de la part de l'EI, mais c'est son ampleur qui étonne quelque peu. En une semaine, du lundi 17 au lundi 24 octobre, ce sont pas moins de 58 VBIED que l'EI revendique avoir utilisé contre les assaillants. D'après les images de véhicules capturés sur les différents fronts, il apparaît que l'EI a préparé la défense des localités extérieures à Mossoul jusque dans l'emploi des VBIED, qui ont manifestement été stockés sous des abris dans les villages pour être jetés rapidement sur les assaillants qui approchent. Cela explique sans doute que le nombre le plus élevé de VBIED survienne le premier jour (12), puis le quatrième jour, jeudi 20 octobre (18), quand les Kurdes ouvrent le front nord. Depuis, la plupart des VBIED ayant été « consommés », le nombre a diminué. Les types sont assez variés avec une majorité toutefois de 4x4 avec coque artisanale de blindage (plaques) sur l'avant et les côtés, mais on a aussi vu des pick-up surblindés, des camions blindés sur le même modèle et même un camion-citerne. Les VBIED ont de la même façon été utilisés dans plusieurs attaques à l'extérieur pour soulager la pression sur la ville (Shirqat, al-Rutbah).


VBIED lancé à Shirqat.


VBIED utilisé par la wilayat Dijlah.

VBIED en mouvement sur le front nord.

VBIED à Bartella, filmé par un reporter "embedded" avec la Golden Division.



VBIED détruit sous abri, à l'est de Mossoul, par la 9ème division irakienne.


4 Les incendies


L'incendie de colonnes de pneus ou de puits de pétrole avait déjà été utilisé par l'EI en juillet 2016 quand l'armée irakienne attaquait Qayyara, au sud de Mossoul, qui sert aujourd'hui de base logistique aux Américains engagés dans la bataille. De la même façon, on savait avant la bataille que l'EI avait creusé autour de Mossoul des tranchées remplies d'essence destinées à être incendiées pour gêner en particulier l'action de l'aviation. Dès le premier jour de la bataille, l'EI utilise cette arme pour aveugler le ciel. Le samedi 22 octobre, l'EI franchit un cap supplémentaire en incendiant une mine de souffre au sud de Mossoul, forçant les troupes au sol à s'équiper de masques à gaz : prélude, bénin, peut-être, à l'emploi d'armes chimiques par l'EI... Le mardi 25 octobre, l'EI commence à incendier une montagne de souffre aux alentours de Mossoul, répandant des vapeurs toxiques dans l'atmosphère.






5 Les missiles antichars


L'EI ne se contente pas de mener la bataille avec des engins explosifs improvisés ou des VBIED. Le groupe a aussi déployé à l'extérieur de la ville des éléments de défense mobile, comme les équipes de lance-missiles antichars (ATGM). Une des premières vidéos publiées par l'agence Amaq sur les combats autour de Mossoul montre un tir de missile antichar sur une pelleteuse (le lanceur n'est pas visible). Une autre vidéo publiée quelques jours plus tard sur le front nord (ouvert le jeudi 20 octobre) nous dévoile le lanceur : il s'agit d'un lance-missiles antichars Fagot. Les reportages, depuis, ne cessent de montrer des tirs d'ATGM : un Humvee détruit par un missile antichar (lanceur non visible) sur le front nord, un lance-missiles antichars Konkurs en action, de même qu'un Fagot (?), jusqu'à ce tir de missile antichar (lanceur non visible : Kornet? ) qui vient démolir par l'arrière un char irakien M1 Abrams. Un reportage photo de la wilayat Ninive montre de nombreux coups au but de missiles antichars (lanceur non visibles) sur divers véhicules (BMP-1, ce qui semblent être des BAE Caiman). De nouveau, ce n'est pas une surprise : les 2dernières vidéos de la wilayat Dijlah, qui couvre l'approche sud de Mossoul, avant la bataille, montraient des tirs de missiles antichars effectués par une « katiba (détachement) antichar », qui pour la première vidéo comprenait au moins un lance-missiles antichars Metis-M, un TOW et un Kornet-E, ainsi qu'un autre lanceur non visible.


ATGM Fagot.


ATGM Konkurs.

ATGM Fagot ?



Char M1 Abrams détruit avec un ATGM (Kornet ?).


Nombreux tirs de missiles antichars dans un reportage sur le front nord.




6 Un combat d'infanterie légère


La défense des villages à l'extérieur de Mossoul implique l'engagement d'un petit contingent de combattants de l'EI chargés de ce combat de retardement. Tous les indices montrent qu'il ne s'agit que d'une petite partie de l'effectif total de la garnison, au maximum quelques centaines d'hommes. Les premières vidéos et photos de l'EI ne montrent que quelques hommes engagés au feu. Dès le départ, ils font beaucoup usage de fusils de sniping lourd bricolés à partir de tubes antiaériens, munis de frein de bouche (23 mm/14,5 mm), arme classique désormais de l'arsenal de l'EI. Quelques véhicules, technicals avec armes embarquées, sont visibles, ainsi que quelques mortiers : cependant les défenseurs semblent surtout se reposer sur des moyens légers et facilement transportables (mortiers légers de 50/60 mm, canons sans recul SPG-9, plus les armes collectives classiques : mitrailleuses PK ou MG-3, lance-roquettes RPG-7). Il y a également de nombreux snipers (dont un sur la version para du FN FAL modifiée). L'EI a cependant utilisé au moins une mitrailleuse lourde DSHK de 12,7 mm sous affût qu'il nous montre dans la défense d'un village.

SPG-9 porté à l'épaule.


Monotube ZU-23 sur Hilux.

Mitrailleur PK.

Tir en cloche de RPG-7.



M-16 à lunette.

Mortier léger.



7 Les attaques extérieures


Ici aussi, selon une tactique éculée, l'EI a lancé des contre-attaques dès le premier jour de la bataille, lundi 17 octobre, pour montrer qu'il conserve des capacités en dehors de Mossoul, pour gêner les assaillants et éventuellement les forces à détourner des moyens de la bataille. Le lundi 17 octobre, les combattants de l'EI lancent un raid au nord de Baiji, la grande ville pétrolière au sud de Mossoul reprise par l'armée irakienne un an plus tôt. Le lendemain, mardi 18 octobre, les combattants de l'EI attaquent près de Shirqat, au nord de la province de Salahuddine, localité qui avait été chèrement défendue par l'EI dans l'approche de Mossoul, en employant un VBIED et au moins un technical. Depuis, l'EI n'a cessé de harceler l'armée irakienne à cet endroit. Le mercredi 19 octobre, l'EI lance une première contre-attaque dans le Sinjar, à l'ouest de Mossoul, qui se double d'une seconde le lundi 24 octobre, avec emploi de VBIED et même d'un véhicule porte-pont et autres engins du génie pour franchir les tranchées et levées de terre kurdes, technique qui avait déjà été testée lors de la contre-attaque dans la plaine au nord de Mossoul en mai dernier. Surtout, le vendredi 21 octobre, l'EI investit par le sud la ville de Kirkouk à partir de la poche de Hawija, que l'armée irakienne n'a pas réduite avant de s'attaquer à Mossoul, et qui invite l'EI à s'en servir pour lancer des contre-attaques. Peut-être aidés par des celulles dormantes dans la ville, les inghimasiyyi de l'EI s'accrochent des heures à certains quartiers et bâtiments de la ville, et les Kurdes irakiens doivent battre le rappel d'effectifs pour éliminer les attaquants, aidées par des renforts du PKK et même de la mobilisation populaire chiite (Turkmènes du Badr notamment). Enfin, le dimanche 23 octobre, l'EI pénètre dans la ville d'al-Rutbah, à l'ouest de la province d'al-Anbar, et parvient à contrôler une partie voire la totalité de la localité, forçant l'armée irakienne à rameuter des troupes pour l'en déloger. Cette attaque n'a rien d'étonnant : la wilayat al-Furat, à cheval sur l'Irak et la Syrie, a développé cette année ses capacités de raids motorisés/mécanisés et dans ses deuxdernières vidéos montraient des assauts tout autour d'al-Rutbah, objectif prévisible.



8 La propagande


Dès le début de la bataille, comme à l'accoutumée, l'EI a su gérer la communication autour des combats défensifs et des contre-attaques extérieures. Une première vidéo montre ainsi 20 à 30 combattants à l'intérieur de Mossoul, à la nuit tombée, les rues désertes, pour montrer que la situation est sous contrôle. Depuis, chaque jour ou presque, des reportages photos et vidéos couvrent les différents fronts, et de nombreux documents sont également publiés pour couvrir les attaques de diversion menées à l'extérieur de la ville, ailleurs en Irak. Amaq publie un communiqué quotidien pour résumer les opérations du jour. Il y a eu cependant un silence relatif mardi 25 octobre. A noter également que l'EI ne donne pas cette fois la majorité des noms des kamikazes jetés dans les VBIED sur les forces adverses, peut-être aussi parce qu'il y en a pléthore.

Bulletin pour le 7ème jour de la bataille (dimanche 23 octobre).

Dépêche d'Amaq pour le lundi 24 octobre.



9 Et après ?


La défense extérieure de Mossoul par l'EI n'est qu'une action de retardement, même si elle a été bien préparée. Les effectifs déployés et la disproportion des forces font que l'EI ne pourra tenir indéfiniment le pourtour de la ville, ce qui n'était pas l'objectif recherché. Il s'agit de gagner du temps pour peaufiner le combat urbain et permettre d'autres initiatives (évacuation des responsables, transfert d'hommes et de matériels par le corridor vers la Syrie à l'ouest/sud-ouest). La véritable question à se poser est la suivante : que nous prépare l'EI pour le combat de rues ? Le degré de préparation de la bataille à l'extérieur de la ville ne peut manquer d'inquiéter. L'EI emploiera-t-il des drones piégés, armequasi nouvelle qu'il a testé juste avant la bataille contre les Kurdes irakiens et les forces spéciales françaises au nord de la ville ? Fera-t-il usage, en dehors des incendies de matières toxiques, de son arsenal chimique ? Emploiera-t-il en combat urbain, en plus de tous les moyens déjà listés ici, des chars et véhicules blindés, des pièces d'artillerie lourde en position enterrée ou semi-enterrée, camouflés, qui pourraient causer des dommages avant d'être inévitablement détruits ? Réserve-t-il d'autres surprises tactiques ? Autant de questions auxquelles nous aurons peut-être une réponse quand la phase de combat urbain, à proprement parler, commencera, ce qui ne saurait tarder.



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