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Loretta NAPOLEONI, Insurgent Iraq. Al Zarqawi and the New Generation, Constable & Robinson, 2005, 281 p.

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Loretta Napoleoni est une journaliste italienne, qui s'est entre autres spécialisée dans l'étude du terrorisme. En 2005, elle publie cet ouvrage consacré très largement à Abu Musab al-Zarqawi, fondateur d'al-Qaïda en Irak et largement révéré aujourd'hui par l'EI.

Préfacé par deux autres journalistes anglais (Jason Burke et Nick Fieldings : les lignes de ce dernier sont prophétiques sur les attaques menées actuellement par les djihadistes revenus des territoires de l'EI...), le livre part d'une idée maîtresse : la figure d'al-Zarqawi a été "gonflée" par les Etats-Unis pour justifier la guerre en Irak, notamment par Colin Powell devant l'ONU en février 2003. Zarqawi a su ensuite bâtir sa propre légende pour se poser en champion d'un monde musulman dont les différences sont gommées et qui s'oppose à l'Occident. Le mythe a encouragé la guerre sectaire en Irak et le terrorisme en Europe.

Ahmed Fadel al Khalaylah est né en 1966 à Zarqa, cité pauvre au nord-est d'Amman en Jordanie. Son père meurt en 1984. Il bascule alors dans la petite criminalité, fait de la prison. Le roi Hussein de Jordanie a empêché les Palestiniens de créer un Etat dans l'Etat avec le "Septembre noir" de 1970, mais a ouvert la voie aux Frères Musulmans et aux salafistes radicaux qui prêchent à Zarqa. Les Palestiniens n'ont pas déserté le royaume : Abdallah Azzam, le mentor de Ben Laden, y séjourne. Ce dernier y enseigne de 1973 à 1980 avant d'être expulsé. Fin 1981, il est au Pakistan pour encadrer les volontaires arabes qui viennent se battre en Afghanistan contre les Soviétiques. Les prêcheurs radicaux formés par Azzam en Jordanie relaient l'appel au djihad. Ahmed fréquente la mosquée Hussein Ben Ali de Zarqa. Au printemps 1989, il part pour le Pakistan, le voyage étant facilité par les autorités jordaniennes qui cherchent à se débarrasser des éléments turbulents. Il devient Abou Muhammad al Gharib (l'étranger).

 

Zarqawi arrive bientôt à Khost en Afghanistan. Il ne prend pas part au combat mais marie sa soeur à un camarade mujahidin. Il part pour Peshawar au Pakistan en 1990. A ce moment-là, Azzam envisage l'idée d'une armée de combattants à l'avant-garde d'une insurrection musulmane globalisée : il veut se servir de l'Afghanistan comme une base d'où projeter cette avant-garde. Ben Laden, qui représente lui les Saoudiens, bientôt rejoint par les Egyptiens autour d'al-Zawahiri, veut en faire une organisation terroriste. Azzam est assassiné le 24 novembre 1989. En 1991, al Gharib rencontre al-Maqdisi, grand théoricien du salafisme djihadiste, et se rapproche de lui, de par leurs points communs, notamment la Jordanie. C'est au camp d'al-Sada, où se forment de futurs participants aux attentats du 11 septembre, qu'al-Gharib est initié au salafisme djihadiste par al-Maqdisi : le salafisme parle au jeune homme qui y trouve une vision pour l'avenir.

En 1993, al Gharbi et Maqdisi reviennent en Jordanie pour mener le combat dans leur pays. Ils fondent Bayat al-Imaam, un groupe destiné à déclencher une guerre sectaire en Jordanie pour faire tomber le régime, qui signe des accords de paix avec Israël en 1994. Arrêtés en mars de la même année, al Gharib et Maqdisi se servent de leur procès comme tribune, mais sont emprisonnés. Al Gharib, à la prison de Suwaqah, connaît l'isolement en confinement, la torture : il se maintient en forme physiquement en soulevant des pierres, selon la légende (!). Surtout, de part son passé de délinquant, il se démarque de Maqdisi et rallie autour de lui les autres détenus de la prison. Il noue des contacts qui lui seront précieux pour établir des réseaux, les détenus continuant à communiquer avec l'extérieur. C'est l'expérience de la prison qui donne naissance à al-Zarqawi.

Zawahiri, qui comme Zarqawi a connu la prison et les tortures en Egypte, a réorienté le djihad vers l'ennemi proche alors que les deux Jordaniens croupissaient en prison. Zawahiri légitime les attaques suicides qui n'avaient rien d'évident au départ pour les salafistes djihadistes. Zarqawi poussera la logique jusqu'à ce qu'elle remplace les mujahidin comme élément moteur du recrutement, entre autres en Europe. Dans les années 90, tous les combats contre l'ennemi proche (les régimes arabes en place) voulus par Zawahiri échouent. C'est alors que Ben Laden propose de recentrer le djihad contre l'ennemi lointain : un Saoudien, Khattab, qui pilote alors avec un certain succès une partie de l'insurrection tchétchène contre les Russes, s'y oppose. Ben Laden, qui s'est installé en Afghanistan, est mal vu des talibans qui craignent les représailles américaines ; les modérés et les extrémistes d'al-Qaïda, pour des raisons différentes, ne sont pas non plus forcément partisans des idées de Ben Laden, qui passe pour être influencé par une coterie saoudienne qui lui est proche.

Al Gharib est libéré en mai 1999 au moment de l'avènement du nouveau roi Abdallah II. Il part avec sa mère au Pakistan, mais ne rejoint pas le combat en Afghanistan. Al Gharib rencontre toutefois Ben Laden à Kandahar en 2000. Il n'est pas non plus partisan des idées de Ben Laden ; le camp qu'il fonde à Herat, près de la frontière avec l'Iran, semble avoir été financé par les talibans. Le groupe augmente au fur et à mesure qu'arrivent les volontaires, surtout du Proche-Orient, de la Palestine à l'Irak, et devient Jund-al-Sham. Après la chute des talibans, le groupe va trouver refuge dans le Kurdistan irakien, où Ansar al-Islam, un groupe résultant de la fusion de plusieurs ensembles, prêche le salafisme djihadiste depuis quelques temps sans que Saddam Hussein, longtemps persécuteur de ce courant, s'y oppose particulièrement. Le groupe de Zarqawi s'y installe car ce dernier a des liens personnels avec des Jordaniens déjà présents sur place, et non pas en raison de liens avec al-Qaïda ou du camp d'Herat. La sortie d'Afghanistan est d'ailleurs difficile, en plein combat : Zarqawi s'installe temporairement en Iran avant d'en être chassé et de passer en Irak.

Ce n'est qu'à ce moment-là que les Etats-Unis s'intéressent à lui. Les Jordaniens accusent Zarqawi d'avoir coordonné un projet d'attentat sur leur sol et d'avoir fait assassiné un citoyen israëlien ; ils le condamnent à mort par contumace. Les services secrets kurdes insistent sur ses liens avec al-Qaïda. Powell relaie ce discours devant l'ONU, ajoutant que Zarqawi entretient des laboratoires d'armes chimiques et biologiques. Dès le début de l'invasion en 2003, les Américains envoient des missiles sur le territoire d'Ansar-al-Islam.

Dès lors, les médias se mettent à voir la patte d'al-Zarqawi dans tous les attentats ou projets d'attentats, ce qui renforce l'idéologie djihadiste. Zarqawi cherche bien à frapper son pays d'origine, la Jordanie. C'est à cause de l'attention braquée sur Zarqawi que les réseaux préexistants en Europe, par exemple, commencent à acheminer des volontaires pour les attaques suicides en Irak. En réalité, Zarqawi a surtout des contacts au Proche-Orient : la plaque tournant de l'entrée des volontaires et de l'argent est la Syrie, où des réseaux ont été installés de longue date.

En Irak, la première insurrection est chiite, et elle naît au sein d'une communauté chiite divisée. Moqtada al-Sadr crée sa propre milice, Jaysh-al-Mahdi, qui s'oppose au courant d'al-Sistani et à l'organisation Badr, proche elle de l'Iran. Les sunnites rejoignent bientôt les chiites dans la résistance, et sont tout aussi divisés. Les salafistes ont trouvé un terreau fertile dans la campagne religieuse menée par Saddam Hussein à partir des années 1990. Les erreurs des Américaines et leur mauvaise compréhension du contexte local vont se payer très cher.

Les salafistes djihadistes, en Irak, doivent au départ s'associer avec les autres composantes de l'insurrection sunnite : ils se démarquent des combattants chiites par la présence de combattants étrangers et le recours aux attaques suicides. Zarqawi, pour éviter que sunnites et chiites se rejoignent dans un combat nationaliste, diabolise les chiites : le combat contre l'ennemi proche et l'ennemi lointain finit par se rejoindre sur le théâtre irakien. En août 2003, deux attaques suicides frappent successivement le QG de l'ONU à Bagdad et le tombeau de l'imam Ali à Nadjaf. Zarqawi explique à Ben Laden que pour rallier les sunnites irakiens derrière lui, car ils sont pour le moment souvent en désaccord avec sa stratégie, il faut cibler les chiites qui sont les partenaires des Américains : les représailles amèneront les sunnites à se ranger sous sa bannière. A l'été 2004, alors que l'insurrection fait rage à Falloujah, al-Sadr soulève ses troupes à Nadjaf : c'est le moment où les deux insurrections sont le plus proche de se rejoindre. Mais al-Sadr est finalement réintégré dans le jeu politique : les sunnites restent seuls.

Les sunnites se retranchent dans les villes pour y mener une guérilla urbaine. Zarqawi kidnappe et décapite lui-même l'otage Nicholas Berg ; il multiplie ce genre d'opérations, très médiatisées, pour renforcer sa figure mythique et devenir incontournable. Les Américains et les forces irakiennes reprennent finalement Falloujah après de violents combats en novembre 2004 : c'est que les djihadistes étrangers du groupe de Zarqawi, peu nombreux, ont été rejoints par un mouvement local d'opposition à l'occupant. Zarqawi a trouvé sa bataille : Falloujah. Ben Laden sanctionne l'importance prise par ce dernier en le nommant à la tête d'al-Qaïda en Irak en décembre.

Al-Qaïda peut ainsi se servir du mythe de Zarqawi, alors même que son groupe ne représente qu'une partie de l'insurrection, baathistes ou islamo-nationalistes. En réalité, les médias ne voient pas non plus que l'insurrection ne se bat pas seulement contre l'occupant : une recomposition des forces est à l'oeuvre entre sunnites, chiites et Kurdes, chaque bloc étant divisé.

La désintégration de l'Irak se voit alors, en 2005, par la floraison de milices dont certaines sont utilisées par le pouvoir en lieu et place d'une armée et police nationales qui ne peuvent pas être employées. Zarqawi a fait oublier tous les autres enjeux.

En conclusion, l'auteur rappelle qu'après les attentats de Londres, en juillet 2005, les autorités cherchent encore à établir l'existence de liens directs entre les auteurs et Ben Laden ou Zarqawi. Faute de mieux, on se jette sur la figure d'Abou Mousab al-Suri, théoricien du djihad, qui là encore reçoit une attention démesurée. Pourtant, la jeune génération djihadiste n'a aucun lien avec les vétérans d'al-Qaïda qui n'ont mené que quelques attaques transnationales. La guerre en Irak a achevé de cimenter le nouveau djihad.

L'ouvrage se complète d'un journal de la bataille de Falloujah tenu par un insurgé et d'un glossaire. Il est surtout bâti à partir de témoignages, en particulier de proches de Zarqawi qui l'ont connu à différentes étapes de sa vie. La bibliographie, assez courte, se compose à la fois d'articles de presse et d'autres parus sur Internet et de quelques ouvrages.

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