Mohammed Hafez avait déjà écrit, avant cet ouvrage, d'autres travaux consacrés à des sujets approchants, dont l'un sur les kamikazes palestiniens. En 2007, alors que la violence en Irak est à son paroxysme, il publie ce travail sur les kamikazes en Irak. Ces kamikazes frappent surtout des Irakiens, chiites essentiellement, et sont majoritairement des étrangers. L'emploi des kamikazes est le fait de deux groupes surtout, al-Qaïda en Irak et Ansar al-Sunna, qui cherchent à faire s'effondrer l'Etat irakien pour le remplacer par leur propre Etat. Les attaques suicides se font donc en réaction aux initiatives politiques et militaires de leurs adversaires. Ce mode opératoire et son succès est lié à la dispersion d'al-Qaïda après la chute du régime des talibans ; à la répression des régimes arabes autoritaires ; et à l'exemple des kamikazes palestiniens qui a rendu cette pratique légitime. Les salafistes radicaux ont ainsi légitimé une pratique qui au départ était plus en vogue chez les chiites que les sunnites.
Les kamikazes ont été utilisés notamment à partir de la décennie 1980 par le Hezbollah, puis par le LTTE, le PKK et les mouvements palestiniens. Impossible de déterminer un profil type du kamikaze. La tactique présente plusieurs avantages : elle tue beaucoup, elle est précise, elle coûte peu et la mort de l'auteur protège l'organisation qui l'a chapeauté. Stratégiquement, elle montre la détermination de l'organisation, sa capacité à frapper plus fort, à dissuader les "neutres", à humilier l'adversaire et à attirer des recrues. Il s'agit d'efface la frontière entre le soldat et le civil, de désorienter l'ennemi. Le groupe peut ainsi se démarquer par rapport à d'autres dans un contexte d'affrontement interne, et provoquer une répression qui gonflera ses rangs. La particularité de l'Irak est le grand nombre de volontaires étrangers commettant les attaques suicides, pour l'échantillon connu à l'époque (l'auteur s'arrête au début 2006). Le livre se divise en 3 parties : la première dépeint les insurgés irakiens, la deuxième les attaques-suicides elles-mêmes, et la troisième les réseaux qui ont permis d'acheminer les kamikazes étrangers.
Dans la première partie, l'auteur sépare nettement l'insurrection irakienne en deux groupes : d'un côté les nationalistes islamistes, qui par leur résistance cherchent surtout à obtenir une réintégration dans le système existant, et de l'autre les baathistes idéologiques, qui cherchent à détruire le système pour le remplacer par un autre, ce qui les empêche pas de collaborer à l'occasion. Les salafistes djihadistes, eux, visent aussi à détruire l'Etat en irakien en construction pour le remplacer par un autre Etat, remplaçant la base perdue en Afghanistan. D'où les attaques suicides visant les chiites, considérés comme des hérétiques à exterminer, et les forces de sécurité irakiennes. Les attaques suicides ne sont qu'une tactique des insurgés irakiens. Elles sont surtout menées avec des véhicules kamikazes (VBIED). Elles commencent dès le début de l'occupation américaine mais se développent à partir de la fin 2004, preuve qu'elles sont le fait d'insurgés et non des anciens fidèles de Saddam Hussein. Plus de la moitié des attaques suicides ont lieu à Bagdad ou autour de la capitale. Dès ce moment-là, les attaques se font souvent à plusieurs véhicules, pour des raisons tactiques (destruction de masse ; plus d'impact dans les médias ; ouvrir une brèche avec le premier pour permettre aux suivants de frapper un objectif de valeur ; pression du groupe sur le kamikaze). Les attaques répondent aux mouvements militaires et politiques des adversaires des insurgés. En août 2006, elles représentent 37% des attaques faisant plus d'une victime. Les attaques se détournent vite des forces de la coalition, qui apprennent vite à contrer les VBIED : les insurgés visent donc les forces de sécurité irakiennes pour déstabiliser l'Etat et les chiites pour provoquer la guerre civile dans le cas des salafistes djihadistes. Il est difficile d'établir des statistiques car toutes les attaques ne sont pas revendiquées. Mais les groupes djihadistes salafistes sont les commanditaires les plus nombreux : ils veulent déclencher une guerre sectaire, ils ont une assiste faible en Irak contrairement à la résistance nationaliste, et ils font l'éloge du "martyr"appuyant aussi sur le discours anti-chiite.
Dans la partie 2, Mohammed Hafez explique comment les salafistes djihadistes ont justifié les attaques-suicides. Des arguments sont repris au Hezbollah ou aux Palestiniens, comme le complot contre les musulmans ; mais ils développent aussi des arguments religieux pour justifier le meurtre de civils, et de civils musulmans. L'utilisation des attaques suicides ne fait d'ailleurs pas l'unanimité dans la sphère djihadiste. Le but des arguments est de soutenir que l'attaque suicide est le meilleur moyen de démoraliser l'adversaire et de semer la peur parmi ses rangs, et de dissuader certains de travailler pour l'occupant : ceux qui le font sont des "collaborateurs"à éliminer. C'est pourquoi les djihadistes communiquent beaucoup sur ces attaques : il s'agit de montrer les humiliations subies par les musulmans, la collusion des régimes arabes avec l'Occident, et l'intervention providentielle des "martyrs".
La partie 3 revient sur les auteurs des attaques kamikazes en Irak. La plupart des volontaires sont acheminés par des réseaux salafistes radicaux qui pour la plupart à la décennie 1990, quand les vétérans du djihad afghan, déçus de ne pouvoir faire aboutir le combat dans leur pays, reviennent en Afghanistan ou au Pakistan et forment une nouvelle génération de djihadistes, en lien avec al-Qaïda. De retour chez eux, ces combattants arabes vont former des réseaux parfois en lien avec al-Qaïda : en Jordanie, en Arabie Saoudite et au Koweït, en Syrie et au Liban ; en Europe. Les raisons de l'engagement des kamikazes sont multiples, l'auteur les liste. Mais à chaque fois, ce sont les réseaux qui servent à achminer les kamikazes : preuve que ceux-ci ont été des structures de mobilisation efficaces. Sur les 102 kamikazes connus de l'échantillon étudié par l'auteur, 15 sont Européens. Ils sont arrivés par la Syrie ou la Turquie pour la plupart. Pour Mohamed Hafez, là encore, l'importance des réseaux est fondamentale. L'islam radical, pour lui, a ses racines dans la sociologie et non la théologie. Les réseaux radicaux issus de mouvements chassés du Maghreb ont en effet conduit de nombreux kamikazes en Irak. C'est ce que montre l'étude du réseau hispano-belge autour des vétérans du Groupe Islamique Marocain Combattant (GICM). Comme dans les cas français et italien présentés ensuite, il y a toujours des liens de parenté, d'amitié ou d'activisme entre les kamikazes et les réseaux. Mais Mohammed Hafez reconnaît que les réseaux n'expliquent pas tout : les motivations sont trop variées. Plusieurs théories ont été avancées pour expliquer l'emploi des attaques-suicides en Irak : une stratégie pour mettre fin à l'occupation ? L'auteur pense que non : les attaques sont bien une fin en soi. Une arme pour se démarquer dans l'insurrection ? Non pour Mohamed Hafez, car peu d'autres groupes l'ont utilisée. Une réponse à des traumatismes individuels vécus par les kamikazes ? Les faits ne cadrent pas. Un fanatisme religieux couplé à l'exaltation du martyre ? Le fait religieux ne semble pas le lien causal avec les attaques suicides, même si l'auteur reconnaît son importance. Pour Mohamed Hafez, le fait est que les salafistes djihadistes ont eu l'opportunité en Irak de se servir d'une arme désormais acceptée par les musulmans sunnites, l'attaque suicide, pour leurs propres ambitions politiques. Avec la chute du régime de Saddam Hussein, les salafistes djihadistes ont utilisé l'insurrection irakienne pour se placer en fer de lance de la résistance islamique et pour viser la défaite des Américains et de leurs collaborateurs locaux. Il s'agit de montrer qu'une superpuissance peut être vaincue, comme les Soviétiques, par l'héroïsme et le sacrifice individuel. L'Irak sert donc de catalyseur au mythe djihadiste.