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Panic Room ? Analyse de la vidéo GoPro d'un combattant de l'EI de Vice News

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Le 27 avril dernier,Vice News met en ligne une vidéo récupérée sur le corps d'un combattant de l'Etat Islamique. Le commentaire de l'article accompagnant la vidéo est le suivant :

"VICE News a obtenu des images prises par la caméra frontale d'un combattant du groupe État islamique (EI), mort en mars dernier, alors qu'il se battait contre les troupes peshmergas dans le nord de l'Irak. La bataille a eu lieu à 50 kilomètres au nord de Mossoul.

Contrairement à la propagande de l'EI — qui présente souvent les combattants de l'EI en train de prendre des villes avec facilité — cette vidéo montre la panique et le manque de préparation des djihadistes, alors qu'ils engagent une retraite sous le feu peshmerga."

J'étudie et je décortique les vidéos de propagande militaire de l'EI depuis maintenant plus de 8 mois. Il est inexact de dire que les vidéos présentent souvent "les combattants de l'EI en train de prendre des villes avec facilité" : si cela a pu être vrai au moment des grandes victoires de l'EI à l'été 2014, et encore en 2015 (chute de Ramadi, de Palmyre, etc), les vidéos plus récentes sont loin désormais de ce lieu commun. Cela amène à s'interroger sur la fin du commentaire : les djihadistes sont-ils seulement paniqués et désorganisés sous le feu ? Est-ce le seul élément à prendre de l'analyse de ce document ? J'ai décidé de l'analyser comme j'ai pu le faire avec des dizaines de vidéos de l'EI.




Chronique d'un assaut mécanisé raté


La vidéo, qui dure 6 minutes 40, commence par un petit montage d'introduction qui résume le contenu. Le résumé qui suit nous apprend que le film a été récupéré sur le corps d'un combattant de l'EI tué au combat contre les peshmergas en mars 2016. La bataille aurait eu lieu à 30 miles au nord de Mossoul (soit 50 km environ). Si c'est le cas, on est dans le wilayat Ninive de l'EI. Or il se trouve qu'en réalité, le document montre la bataille autour de la localité de Naweran, à 23 km au nord-est de Mossoul. Pour la contextualisation et la description des combats, j'emprunte une bonne partie du contenu, enrichi de quelques observations personnelles, à mon collègue le blogueur Oryx (les images tirées de son blog sont également signalées).

Après la prise de Mossoul en juin 2014 et en particulier l'année passée, les ateliers de l'Etat Islamique tournent à plein régime pour fournir des véhicules de combat improvisés bâtis sur les prises de l'offensive éclair de l'organisation à l'été 2014. A Mossoul, la ville la plus importante contrôlée par l'EI, on trouve ainsi 3 formations blindées dont la brigade al-Farouk qui comprend elle-même 3 bataillons dont le "bataillon d'assaut", engagé dans cette opération. Il y a aussi un "bataillon suicide" avec des véhicules kamikazes improvisés qui accompagnent ces formations blindées et servent à ouvrir la voie aux véhicules blindés. Ces deux bataillons sont engagées dans l'opération de la vidéo. L'EI lance fréquemment depuis janvier 2015 au moins ses véhicules blindés contre les positions des peshmergas, en pure perte : ces derniers, situés en surplomb, les déciment à coups de missiles antichars ou de roquettes. Mais les combattants de l'EI savent qu'ils disposent d'une réserve de véhicules conséquente et par ailleurs ils s'inspirent des tactiques de l'ancienne armée irakienne qui préconisait depuis les années 1970 de lancer des vagues blindées en avant pour rompre le front. Voir cette tactique à l'écran n'a donc rien d'étonnant. L'attaque montrée par Vice News a eu lieu probablement le 16 décembre 2015 et a donné lieu d'ailleurs à un reportage photo de l'EI, alors que les Kurdes eux-mêmes ont également filmé l'attaque et les conséquences de l'échec de l'assaut de l'organisation.

Le cameraman de l'EI tué au combat et qui a fourni la vidéo via sa GoPro sur le casque portait le nom de guerre d'Abu Ridhwan. Il filme d'abord un kamikaze du "bataillon suicide" qui va être engagé dans l'opération. On voit ensuite le véhicule de ce dernier, noir, marqué du chiffre "502" sur la gauche. Les explosifs comme souvent sont transportés sur la plate-forme arrière, recouverte d'une bâche.



Le véhicule kamikaze. Les explosifs sur la plate-forme arrière, recouverts d'une bâche. Le chiffre 502 sur le côté.



Le véhicule d'Abu Ridhwan que l'on voit ensuite est un M1114 Humvee (une version améliorée pour mieux protéger l'équipage) modifié par les ateliers de Mossoul pour accueillir une plate-forme supérieure avec 3 combattants et une mitrailleuse. Ici, cette dernière est une MG 3 manipulée par Abu Hajaar ; il y a un tireur au RPG-7, Abu Abdullah ; Abu Ridhwan fait office de commandant de bord, de pourvoyeur pour le tireur RPG-7 et de tireur avec sa "al-Quds" (version irakienne de la RPK). On a plus tard le nom du conducteur du véhicule, Khattab, et l'on sait par les images de la fin qu'il y avait un cinquième membre d'équipage. Mais seuls les 3 combattants de la partie supérieure sont visibles. En plus de son blindage improvisé, la tourelle a été munie à l'intérieur de fauteuils et d'un tissu pour assurer le confort des combattants.

A droite, Abu Hadjaar, le tireur à la MG 3 dont on voit le canon derrière le bras gauche.


Alors que le véhicule fait mouvement, on peut voir une batterie de 45 roquettes artisanales qui sont souvent employées pour bombarder les positions adverses et dont le tir est fréquemment montré dans les vidéos de l'EI.

Des roquettes en batterie.

Photo du reportage de l'EI sur la bataille où l'on voit le tir de ces roquettes. On reconnaît bien la vidéo- via Oryx.
 
Ci-dessus et ci-dessous : salve de roquettes dans une autre vidéo du wilayat Ninive.



La colonne d'assaut se met en marche. A ce moment-là de l'attaque, il est probable que les VBIED (puisque 4 ont été utilisés par l'EI durant cette opération) ont été déjà lancés sur les positions des peshmergas (2 ont été détruits avant d'atteindre leur cible). Le M1114 modifié d'Abu Ridhwan n'est pas seul puisque c'est toute une colonne mécanisée du "bataillon d'assaut" qui semble engagée : on distingue notamment un autre véhicule du même type qui voit exploser devant lui une roquette de RPG-7, ce qui ouvre la partie de combat de la vidéo.

Photo du reportage de l'EI sur la bataille- via Oryx. Le véhicule de la vidéo est entouré.


La roquette de RPG-7 en vol vers le véhicule à l'avant, elle arrive de la droite.

La roquette rebondit devant le véhicule.


Abu Ridhwan vide un chargeur de sa RPK. C'est alors que les ennuis commencent. L'espace de la tourelle supérieure improvisée est assez confiné : Abu Ridhwan est seul au fond. Devant, Abu Hajaar tire à la mitrailleuse MG 3 sur le devant et à gauche, mais les douilles vides sont éjectées du côté droit où se tient Abu Abdullah qui tire au lance-roquettes RPG-7 (que l'on voit alors muni d'une roquette antipersonnelle OG-7V), et qui reçoit les douilles brûlantes sur lui, ce qui évidemment n'est pas très enviable en plein combat. Par ailleurs la MG 3 est posée par Abu Hajaar sur le bord de la tourelle, et on peut voir avec le recul de l'arme que son porteur finit par tirer dans le véhicule lui-même et fait ricocher les balles sur la superstructure, ce qui explique les cris de ses deux compagnons. On note qu'ils sont tous d'ailleurs bien protégés avec casques et gilets pare-balles, et que la tourelle comprend de la nourriture, de l'eau et des chargeurs pour les armes.




A droite Abu Abdullah, le tireur RPG-7 avec ici une munition OG-7V. A gauche, Abu Hajaar, qui tire à la MG 3.

On voit très nettement ensuite l'autre M1114 modifié qui a failli être détruit par la roquette de RPG-7 et un autre "monstre" des ateliers de Mossoul à l'arrière duquel se tient un tireur RPG-7. Dans le véhicule, Abu Abdullah demande une autre roquette puisqu'il a manifestement tiré l'OG-7V visible précédemment. Abu Ridhwan en cherche une mais Abu Abdullah ne voit pas la roquette tendue. Ce dernier fait une erreur en demandant à Abu Hajaar de le couvrir et le même manège recommence : les douilles brûlantes de la MG 3 lui tombent dessus et cette fois il s'énerve franchement contre son camarade. Abu Abdullah finit par se dresser pour tirer au RPG-7 : Abu Ridhwan, qui voit que l'effet de souffle du tir va se produire dans le véhicule, lui dit de bien se dresser pour éviter l'effet et le dégager vers l'extérieur, mais cela ne marche qu'à moitié. La caméra d'Abu Ridhwan est endommagée.

On voit un tireur RPG-7 à l'arrière du véhicule de gauche.

 
 




Abu Ridhwan dit à Abu Abdullah de se dresser davantage car l'arrière du RPG-7 pointe dangereusement vers l'intérieur du véhicule : l'effet de souffle risque de blesser ses camarades.


Un M1114 modifié par l'EI est en flammes.


La caméra montre un autre des M1114 de la colonne touché, en feu. Abu Hadjaar réussit encore à tirer dans la tourelle en faisant la même faute que précédemment avec la MG 3, posée trop légèrement sur le rebord. Abu Ridhwan s'énerve aussi sur Abu Hadjaar et finit par prendre unZastava M70 sur lequel a été monté un lance-grenades de fortune. C'est Abu Abdullah qui charge l'arme, mais les deux premières munitions improvisées ne vont pas ; à la 3ème, il essaie d'allumer la mèche, sans plus de succès. Abu Ridhwan allume lui-même la mèche, tire mais frôle de peu la tête d'Abu Hadjaar qui s'est redressé subitement devant lui...




Abu Abdullah enfile les munitions improvisées sur le Zastava M70 modifié.




Abu Ridhwan manque de tirer la grenade improvisée sur Abu Hajaar qui s'est redressé juste devant lui.


A ce moment-là, le véhicule est arrêté : le conducteur Khattab ne semble pas encore mort puisqu'on le voit de manière fugitive quelques secondes plus tard se retourner vers ses camarades de la tourelle. Abu Abdullah cherche une roquette OG-7V antipersonnelle mais n'en trouve pas ; Abu Ridhwan lui tend une roquette antichar PG-7V. Abu Abdullah se dresse pour tirer la roquette mais a oublié d'enlever la goupille de sécurité ; Abu Ridhwan lui dit de le faire mais avant de pouvoir tirer, le véhicule est frappé à son tour par une roquette antichar. Les 3 hommes de la tourelle évacuent le véhicule ; un 4ème homme, qui se tenait sans doute à côté du conducteur, est réfugié au sol avec eux derrière l'épave. Le conducteur Khattab a été tué. Abu Ridhwan se tient à l'arrière-gauche du M1114 et fait feu avec sa RPK. Abu Abullah et Abu Hadjaar roulent sur eux-mêmes pour se replier ; Abu Ridhwan se dresse pour courir et il est rapidement touché... ce qui conduit à sa mort. On peut voir Abu Abdullah courir debout pour retourner vers l'épave...




En haut à gauche, on voit Khattab, le conducteur, qui à ce moment-là est encore en vie ; le véhicule est arrêté.


L'impact d'une roquette antichar (probablement) sur le véhicule.


Abu Ridhwan tire, réfugié à l'arrière gauche de l'épave.



Après s'être redressé pour courir en arrière, Abu Ridhwan est touché.


Abu Abdullah court vers l'épave en tirant.





Le reportage tourné par les Kurdes de Kurdistan24 montre les épaves capturées après le repli de l'EI. On y voit le véhicule de la vidéo et surtout le "monstre" où se tenait un tireur RPG-7, qui porte l'emblème du "bataillon d'assaut" de la brigade al-Farouk et des échelles, sans doute pour accéder depuis les fentes du véhicule aux positions derrière des levées de terre des peshmergas.


Les peshmergas ont au moins 2 technicals avec armes lourdes qui tirent sur l'EI.



Un tireur RPG-7 des peshmergas va envoyer une roquette.

Photos ci-dessous tiré du reportage kurde, via Oryx.


Le véhicule de la vidéo récupéré par les Kurdes.






Sur le "monstre" où l'on voyait un autre tireur RPG-7, récupéré lui aussi par les Kurdes, l'emblème du "bataillon d'assaut" de la brigade al-Farouk.


Les échelles servent sans doute pour prendre d'assaut les positions retranchées des peshmergas.


Conclusion


Il est évidemment facile de se moquer de la piètre performance des deux combattants du véhicule, Abu Hadjaar le tireur à la MG 3 et Abu Abdullah le tireur au RPG-7. On est clairement face à deux combattants inexpérimentés qui connaissent peut-être là leur baptême du feu. Abu Ridhwan, le chef de bord qui semble être le seul à avoir davantage d'expérience, est pourtant le seul à périr devant la caméra (bien que la charge folle d'Abu Abdullah vers l'épave à la fin laisse mal augurer de son sort). Essayons d'aller un peu plus loin.

D'abord, comme cela a été dit, il est frappant de constater que l'EI continue encore, en décembre 2015, soit près d'un an après avoir expérimenté cette tactique, de lancer des colonnes d'assaut mécanisées contre les positions retranchées des peshmergas. Outre un véritable culte pour l'offensive, on sent encore une fois l'héritage de l'armée irakienne. Surtout, ces vagues de véhicules blindés improvisés lancées en perte nous laissent penser que l'EI dispose encorfe de nombreux engins de prise qui peuvent être modifiés de la sorte dans ces ateliers. Quelque part, ces blindés de fortune, aussi laids soient-ils, économisent le sang. L'EI n'utilise pas seulement les véhicules improvisés dans la province de Ninive : récemment, le wilayat Salahuddin a montré dans ses vidéos de nombreux véhicules du même qu'il utilise dans ses raids mécanisés.

Ci-dessous : d'autres exemples de véhicules improvisés de l'EI montrés dans la dernière vidéo du wilayat Salahuddin de l'EI (images de mars 2016).





 Autre exemple de véhicule improvisé, wilayat Dijlah, début 2016.






La vidéo confirme l'emploi des VBIED comme appui lourd de substitution. Ici, il s'agit d'un véritable bataillon accompagnant une unité mécanisée. De la même façon, on retrouve l'emploi de salves massives de roquettes artisanales pour préparer les attaques. Le véhicule de la vidéo, le M1114 modifié, est lourdement armé : une mitrailleuse MG 3, un lance-roquettes antichars RPG-7 avec différentes munitions, une RPK sans compter les armes individuelles. Très clairement l'EI cherche à maximiser sa puissance de feu à travers ces véhicules improvisés.

Enfin, si 2 des 3 combattants visibles sont manifestement inexpérimentés, il n'en demeure pas moins qu'ils sont bien protégés par des casques et des effets individuels pour partie récupérés sur les forces irakiennes. Quand bien même leur comportement au feu est maladroit, il n'en demeure pas moins qu'ils ne paniquent pas vraiment : leur évacuation du véhicule touché le prouve suffisamment. C'est d'ailleurs le chef de bord, apparemment le plus expérimenté, qui commet l'erreur de trop s'exposer et qui immédiatement abattu. Les 2 autres hommes ont pris la précaution de ramper par roulade pour se replier vers l'arrière. En réalité, on est loin de la "panique" et du "manque de préparation" annoncés dans le commentaire : on est face à des recrues de l'EI jetées dans le feu de l'action, au sein d'une colonne mécanisée qui montre au contraire tout le potentiel de l'organisation avec son matériel de prise - quand bien même cette tactique reste vouée à l'échec.

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