Comment
analyser les tactiques militaires de l'EI ? Travaillant sur l'analyse
de leurs vidéos militaires depuis plus de six mois désormais1,
la meilleure solution m'a paru être de partir de cas concrets pour
en tirer des conclusions plus générales. Pour ce faire, j'ai dressé
un questionnaire-type que j'applique maintenant à chaque vidéo
militaire de l'EI, afin de la renseigner au mieux. Le passage des 5
premières vidéos (janvier-février 2016) par ce questionnaire-type
permet de dresser une esquisse des tactiques employées par l'EI.
Dans cette démarche, je m'appuie sur un article récent du CTC
Sentinel2écrit par un véritable spécialiste, ce que je ne suis pas. Il est
évident, en effet, que davantage de lectures me sont nécessaires
pour déterminer en particulier les origines des méthodes de combat
employées par l'EI que l'on peut observer à travers leurs vidéos.
Les
chevaliers de la victoire - épisode 6 (wilayat Falloujah)
Cette vidéo a été mise en ligne le 26 janvier 20163.
Elle évoque une opération qui a manifestement eu lieu le 1er
janvier précédent, dans le secteur de Saqlawiyah, ville au
nord-ouest de Falloujah, dans la province irakienne d'al-Anbar, que
l'armée irakienne tente de reprendre à l'EI. Ce dernier attaque une
installation fixe de l'armée irakienne, probablement une caserne
défendue par une petite garnison. Les défenseurs disposent de
véhicules (plusieurs Humvees) et surtout d'un char T-72 qui
va donne du fil à retordre aux attaquants. Ils sont appuyés par des
appareils américains (1 A-10, 1 C-130J-30) et irakiens (1 Su-25).
Pour
attaquer cet objectif, l'Etat Islamique engage quelques dizaines
d'hommes, dont au moins un tireur RPG-7, plusieurs tireurs à la
mitrailleuse PK et au moins un tireur d'élite avec SVD Dragunov.
La caserne est bombardée avec un canon sans recul SPG-9 porté à
l'épaule par un combattant, par un mortier de 82 mm et un autre
léger de 50/60 mm. Le T-72 est engagé par le SPG-9 et le tireur
RPG-7 (sans succès). Au crépuscule, l'EI engage des inghimasi
qui font partie du groupe d'assaut : l'un se fait sauter avec sa
ceinture explosive contre le char T-72 et un autre également à
l'intérieur de la caserne. En appui, le groupe d'assaut dispose
aussi d'une mitrailleuse M2HB et d'une mitrailleuse DSHK de 12,7 mm,
bien protégées derrière des positions de sacs de sable, qu'il va
changer plusieurs fois de position. Le groupe d'assaut engage un
bulldozer blindé pour ouvrir la voie à ses fantassins dans
l'installation. Les défenseurs font sauter une chaîne d'IED devant
lui, sans le détruire, mais le bulldozer ne peut accomplir sa tâche
et se replie. Un canon de KPV de 14,5 mm monté sur pick-up
prend pour cible les appareils venant soutenir les défenseurs. Un
kamikaze irakien sur VBIED est alors lancé sur camion protégé par
un blindage artisanal pour ouvrir la voie dans l'installation : il
explose contre celle-ci, mais le groupe d'assaut ne peut emporter la
place -la fin de la vidéo sur l'investissement et le butin semble
être un montage à partir d'images anciennes.
Cet
exemple nous montre d'abord que l'Etat Islamique, à l'offensive,
n'hésite pas à attaquer un objectif en infériorité numérique.
Ici nous ne connaissons pas la taille de la garnison mais le ratio
est au plus de 1 contre 1 et probablement légèrement en défaveur
de l'EI4.
L'organisation a donc du mal à se départir des habitudes héritées
de l'époque de la guérilla en Irak, alors même qu'elle mène un
type de guerre différent. Ce qui est intéressant ici, c'est
l'emploi des inghimasi avant le VBIED, configuration assez
rare dans les choix tactiques de l'EI. Les inghimasi sont les
troupes de choc de l'EI, revêtus de ceintures d'explosifs qu'ils
font exploser si besoin est (ce qui est le cas ici pour deux d'entre
eux au moins), entraînés pour le combat rapprochés et pour
s'emparer de positions difficiles comme les points fortifiés.
Généralement ils suivent l'emploi du ou des VBIED programmés pour
ouvrir l'attaque. Ici, ils sont lancés directement sur
l'installation probablement pour neutraliser le char T-72 qui semble
avoir gêné l'assaut de l'EI. On note aussi que les 2 inghimasi
morts au combat sont un Syrien et un Irakien, ce qui tranche avec
l'idée que les inghimasi sont pour beaucoup des combattants
étrangers (en tout cas ici ce sont des locaux que l'EI choisit de
mettre en avant, c'est à remarquer). Autre apport tactique
intéressant, l'emploi d'un bulldozer blindé non comme VBIED comme
cela arrive de plus en plus désormais, mais comme engin de génie
destiné à ouvrir la voie aux inghimasi. Malgré l'échec
final probable de l'assaut, on note la souplesse tactique de l'EI
puisque même les schémas "classiques" d'emplois
des forces peuvent être modifiés en fonction des circonstances.
Le
raid des Vautours - Wilayat al-Anbar
Cette vidéo publiée le 3 février 20165
est un montage montrant en particulier deux séquences importantes :
la première concerne des attaques avec VBIED menées à 70 km à
l'ouest de Ramadi, dans la seconde quinzaine de janvier probablement,
et la seconde montre l'assaut d'un petit poste près de Nukhayb, plus
au sud, à moins de 100 km de la frontière saoudienne, le 4 janvier
ou peut-être plus tôt, en décembre 2015. Les attaques avec VBIED
visent manifestement la police fédérale irakienne tandis qu'à
Nukhayb c'est l'armée qui semble ciblée.
A
l'ouest de Ramadi, l'EI engage 3 VBIED (deux pick-up blindés
artisanalement et un camion-benne lui aussi renforcé avec du
blindage artisanal) pilotés par 2 Irakiens et 1 Syrien. Ils sont
lancés successivement tous les 3 contre le même objectif, des
positions de la police fédérale. Leur progression est couverte par
les tirs de 2 mitrailleuses PK. Il y a également en soutien deux
technicals, l'un avec un canon KPV de 14,5 mm et l'autre avec
un canon ZU-23 monotube.
Contre
le petit poste de l'armée à Nukhayb, le groupe d'assaut de l'EI se
compose d'au moins une douzaine d'hommes et d'au moins 2 technicals
(l'un avec canon KPV de 14,5 mm, l'autre avec bitube ZU-23 de 23 mm).
Le groupe d'assaut lance un VBIED (un pick-up renforcé de
blindage artisanal) piloté par un Syrien qui se jette contre le
poste. Il est suivi par des inghimasi dont l'un déclenche
également sa ceinture d'explosifs dans ou à proximité de
l'installation. Les dégâts sont considérables : on peut voir au
moins 3 Humvees détruits par les explosions. Les hommes de
l'EI qui pénètrent dans la position n'ont qu'à achever le dernier
survivant.
Ce
deuxième exemple nous permet de revenir sur le rôle des VBIED pour
l'EI6.
Avec les attaques à l'ouest de Ramadi, on voit que l'héirtage de
l'armée irakienne de Saddam Hussein, qui privilégie dès
l'après-guerre du Kippour (1973) la puissance de feu, s'est
maintenu. L'EI utilise une vague de VBIED (3 ici) pour pallier
l'absence de blindés ou d'artillerie, qu'il peut posséder ailleurs
et utiliser en lieu et place des VBIED, ou combinés à ceux-ci. La
rigidité de l'armée irakienne de Saddam se retrouve dans la
désignation d'objectifs fixes qui restent la cible des VBIED et qui
ne changent pas au cours de l'opération : dans notre cas les 3
explosent quasiment au même endroit sur les positions de la police
fédérale. Dans la deuxième séquence montrant l'assaut du poste de
Nukhayb, nous avons par contre un assaut "type" de
l'Etat Islamique : le VBIED ouvre la voie pour pallier le manque
d'artillerie ou de blindés, il est suivi par les inghimasi
dont un au moins se fait exploser à proximité ou dans la position,
et l'infanterie n'a plus qu'à achever le travail (les dégâts des
explosions étant ici particulièrement considérables ; il n'y a
qu'un seul survivant, vite éliminé).
A
l'ombre des épées - Wilayat Homs
Cette vidéo publiée le 9 février 20167
est un gros montage de séquences tournées sur le front de Palmyre,
à différents endroits. Des tirs de missiles antichars correspondent
à des images de novembre-décembre 2015. Un assaut sur des positions
du régime a eu lieu les 12-13 janvier 2016 à al-Dawaa, à quelques
kilomètres à l'ouest de Palmyre. Une autre attaque de positions du
régime prend à Qasr al-Halabat, à 20 km au sud-ouest de Palmyre.
L'Etat Islamique fait face ici au régime syrien : on ne voit que des
fantassins en action hormis lors des tirs de missiles antichars et
lors des vues du butin. Le régime est soutenu par les Russes : lors
de l'assaut sur les positions d'al-Dawaa, 2 Su-24 Fencer
bombardent les positions de l'EI. A Qasr al-Halabat, ce sont deux
hélicoptères de combat Mi-24P Hinds qui attaquent les
combattants de l'EI, l'un tirant des salves de roquettes tandis que
l'autre le couvre, selon une tactique souvent vue à l'oeuvre depuis
leur intervention en Syrie.
L'EI
engage des équipes de tireurs antichars avec lance-missiles pour
frapper des véhicules du régime. Une équipe avec un lanceur 9K111
Fagot (AT-4 Spigot) comptant 3 hommes (tireur,
observateur et pourvoyeur) frappe un pick-up. Une autre équipe
(ou la même) avec Spigot touche un char T-55. Une autre
équipe avec un lanceur 9K113 Konkurs (AT-5 Spandrel)
envoie un missile sur une position du régime comptant plusieurs
tentes, Toyota LandCruiser et 3 pick-up. Le
missile frappe le Land Cruiser ; puis un second détruit l'un
des pick-up. Un autre tir de missile (on ne voit pas le
lanceur ; d'après des photos publiées avant la vidéo, il s'agit
peut-être cette fois d'un HJ-8) touche un char T-55 qui précède un
BMP-1. On voit un autre char en train de brûler (peut-être le T-55
touché juste avant dans la séquence).
L'EI
montre également son artillerie en action sur ce front. On voit un
canon D-30 de 122 mm en train de faire feu, ainsi que 2 mortiers bien
protégés derrière des positions défensives et 1 "canon de
l'enfer".
L'assaut
sur les positions du régime à al-Dawaa engage des effectifs des
moyens assez conséquents. On peut voir sur les positions de départ
de l'EI un char T-55, un char T-72, un BMP-1 détourellé servant de
transport de troupes à des inghimasi. Il y a également un
bulldozer qui a sans doute aménagé les levées de terre visibles et
des pick-up dont un porte des barrils d'essence sur la
plate-forme arrière (sans doute un véhicule pour le ravitaillement
en carburant). Le T-55 part en tête suivi par le BMP-1. On voit
ensuite le T-72 progresser vers les positions du régime, tirant 3
obus de 125 mm et avec sa mitrailleuse coaxiale simultanément. Le
T-72 tire encore 2 obus pour couvrir l'approche de fantassins
débarqués d'un pick-up vers une des positions du régime
protégée par des empilements de caisses de roquettes Grad.
Un ZU-23 monté sur Toyota Land Cruiser tire également sur
cette position. Le groupe de combat de l'EI qui monte à l'assaut
comprend un groupe avec tireur PK et pourvoyeur, tireur d'élite avec
Steyr SSG 69 et observateur. Il y a également une 2ème
équipe PK ainsi qu'un tireur RPG-7. Le tireur d'élite fait feu sur
les hommes du régime qui se montrent en dehors des protections
défensives de leurs positions. Un combat rapproché s'engage sur
l'une des positions du régime, les deux camps s'expédient des
grenades ; les défenseurs font intervenir de l'artillerie légère
(mortiers probablement). La position est finalement prise par les
combattants de l'EI. On voit plusieurs corps de combattants du
régime, dont un qui est décapité par les vainqueurs. Le butin
matériel est impressionnant : outre un fusil d'assaut AK-74 avec
lance-grenades et un fusil de précision SVD, les
combattants de l'EI s'emparent de caisses de munitions (dont du 7,62
mm), d'un canon sans recul M40 iranien de 106 mm avec munitions, d'un
lanceur improvisé DIY IRAM avec ses roquettes (fabriqués à partir
de roquettes de 107 mm iraniennes semble-t-il), d'un pick-up Toyota
Tacoma,
d'un guntruck,
doté d'un blindage improvisé, de verrins de stabilisation
hydraulique, et dont le canon S-60 AZP de 57 mm est également
protégé de plaques de blindage, et de 2 chars T-55M dont l'un
évacué sur un porte-chars. On voit également ensuite des munitions
de 14,5 mm, un mortier léger iranien de 60 mm (HM-12 ou 13) avec ses
munitions, au moins 3 missiles 9M111-2 (pour le lance-missile AC
9K111 Fagot),
au moins 2 missiles 9M113M (pour le lance-missile 9K113 Konkurs)
et un lanceur 9P135 (pour le Fagot).
Le
combat à Qasr al-Halabat se déroule en zone montagneuse. Le groupe
de combat de l'EI progresse vers une hauteur où se trouve une
position du régime : il comprend un tireur PK, un tireur RPG-7 et un
tireur d'élite sur SVD Dragunov. Les fantassins de l'EI sont
pris à partie par 2 Mi-24P russes mais ont des positions protégées
avec sacs de sable. Ils finissent par prendre la position ennemie et
capturent un RPG-7.
L'EI
utilise désormais régulièrement des équipes antichars mobiles,
aussi bien en défense qu'en attaque, pour éliminer des objectifs de
haute valeur : chars, véhicules blindés, mais aussi pick-up
comme ici, ou positions fortifiées pouvant entraver la progression.
Les lanceurs et les missiles eux-mêmes viennent de prises sur le
régime syrien (comme à Palmyre en mai 2015, mais aussi dans
d'autres batailles :à al-Qaryatayn en août 2015, l'EI récupère
des caisses de missiles Kornet) ou sur les rebelles syriens
(TOW, très rare cependant, HJ-8, etc) principalement. Quant à
l'emploi, il est probable que plusieurs influences croisées ont joué
dans la maîtrise de ce type d'armement -avec peut-être celle du
contingent "tchétchène". Par la suite, l'EI a eu
l'occasion de raffiner les tactiques d'emploi des missiles antichars
contre le régime en Syrie, contre les rebelles, sans parler des
camps d'entraînement installés en Syrie ou en Irak pour entraîner
les équipes de tireurs/observateurs/pourvoyeurs que l'on voit ici à
l'oeuvre, par exemple, à Palmyre. On peut remarquer dans cette
vidéo, contrairement à la précédente, qu'en l'absence de VBIED pour
un assaut, l'EI utilise ses véhicules blindés de prise et les met
en avant pour ouvrir la voie à l'infanterie. C'est ici le rôle joué
par le char T-72. On est bien dans la ligne des tactiques de l'armée
irakienne sous Saddam Hussein8.
On note également la présence d'une escouade d'inghimasi
mécanisée sur BMP-1 détourellé. L'assaut frontal semble ici
privilégié avec des moyens d'appui (artillerie et mortiers) qui
sont regroupés. Les escouades de fantassins de l'EI sont souvent
lourdement armées : ici le groupe d'assaut contre les positions du
régime à al-Dawaa comprend plusieurs mitrailleuses PK, un tireur
d'élite et un tireur RPG-7 (souvent les porteurs d'armes lourdes
transportent en plus une arme individuelle). On remarque enfin que
l'intervention de l'aviation russe ne représente pas une gêne pour
les combattants de l'EI : les Su-24 larguent leurs projectiles bien
trop loin et les Mi-24, qui constituent une menace plus crédible,
n'empêchent pourtant pas les fantassins de progresser sur les pitons
rocheux.
Le
raid sur le village d'al-Azim - Wilayat Diyala
Cette vidéo a été mise en ligne le 15 février 20169.
Elle reflète probablement des opérations du mois de janvier. Elle
met en scène un raid sur le village d'al-Azim, au nord-ouest de la
province de Diyala, près de la province de Salahuddine. La garnison
du village semble constituée de miliciens chiites de la mobilisation
populaire, disposant de quelques véhicules blindés, de pick-up
et de camions pour le transport. Un hélicoptère de combat Mi-35 et
un hélicoptère Bell IA-407 de l'aviation irakienne sont filmés par
l'EI au-dessus du champ de bataille.
Du côté de l'EI, nous
avons une colonne motorisée pour le raid de taille réduite mais qui
permet, vu les images, d'être assez précis sur sa composition. La
colonne comprend au moins 10 véhicules dont 2 technicals avec
canon KPV de 14,5 mm, 1 avec ZU-23 monotube de 23 mm et un autre avec
mitrailleuse M2HB de 12,7 mm. Un autre canon KPV est monté sur la
plate-forme arrière d'un camion léger Kia Motors. En
comptant le caméraman et le chef de groupe, la colonne compte au
moins 41 hommes, dont 5 tireurs RPG-7, 6 tireurs PK, 14 fantassins
avec AK-47 ou dérivés, 3 fantassins avec M-16 et 2 tireurs d'élite
sur SVD Dragunov. Tous les hommes sauf 2 (et le chef de
groupe) portent un brassard d'identification blanc autour de la tête.
Le combat est assez bref.
La seule arme d'appui est un mortier artisanal. Le KPV sur camion
léger engage les véhicules des miliciens (M113 et Humvee)
qui prennent rapidement la fuite, abandonnant un fusil SVD. Les
combattants de l'EI font un prisonnier et incendie 2 véhicules, dont
un Humvee de couleur sombre (forces spéciales/police
irakienne).
Cette vidéo montre que
dans la province de Diyala, où les milices chiites et les forces de
sécurité irakiennes sont intervenues en force pour contrer l'EI dès
2014, l'organisation est capable de revenir à des tactiques de
guérilla. Ici, la vidéo montre un raid motorisé mené par une
petite colonne littéralement surarmée : 4 technicals sur 10
véhicules, 5 tireurs RPG-7 et 6 tireurs PK sur 40 hommes, sans
compter les 2 tireurs au SVD. C'est donc un effet "boule de
feu" qui est recherché en concentrant le maximum de
puissance de feu sur un objectif réduit (un petit poste local tenu
par les miliciens chiites probablement). Manifestement l'EI est
également bien renseigné car le groupe d'assaut attaque un
adversaire du fort au faible, et les moyens engagés, réduits,
permettent de venir aisément à bout d'une résistance minime.
La
victoire vient de Dieu et la conquête est proche - Wilayat Shamal
Bagdad
Cette vidéo a été mise en ligne le 9 février 201610.
Elle montre une opération de l'EI s'étant déroulée le 5 janvier
ou avant. L'action se situe au nord de Badgad, à l'ouest du barrage
de Samarra d'après les bandeaux de la vidéo. L'EI attaque des
positions tenues par des miliciens de l'organisation Badr (dont on
voit le logo de la branche militaire sur un bulldozer Fiat Allis
capturé par l'EI) encadrés par l'armée irakienne (mobilisation
populaire ?) puisqu'un capitaine de l'armée figure parmi les
victimes de l'attaque.
Le
groupe de combat de l'EI comprend plusieurs dizaines d'hommes au
minimum (on en voit plus de 20 sur une séquence) avec des escouades
de 7 à 8 hommes organisées autour d'un tireur PK et parfois d'un
tireur d'élite sur SVD Dragunov.
La première position attaquée est bombardée avec 2 mortiers (1 de
82 mm, 1 de 120 mm). Un VBIED (Humvee
avec plaques de blindage supplémentaires) piloté par un Syrien est
lancé contre cet objectif. Sa progression est appuyée par plusieurs
technicals
: l'un avec ZPU-2 de 14,5 mm, un autre avec ZU-23 monotube de 23 mm,
un autre avec KPV de 14,5 et un dernier avec bitube Type 65 ou 74 de
37 mm AA. Une mitrailleuse DSHK de 12,7 mm et une mitrailleuse PK
fournissent également un tir de suppression pour le VBIED. Celui-ci
explose au milieu de la position adverse, détruisant plusieurs
véhicules (pick-up
et camions) et endommageant un camion portant un bitube ZU-23. Les
combattants de l'EI investissent la position couverts par le tir du
ZU-23 sur pick-up
et par les tirs de mitrailleuses PK. Ils mettent la main sur un
véhicule léger Safir
iranien avec canon sans recul M40 de 106 mm et sur un pick-up
aménagé typique des milices chiites irakiennes combattant l'EI. Les
fantassins de l'EI prennent ensuite en chasse des fuyards, dont un
groupe de 8 hommes, cerné par les hommes à pied et par un groupe
transporté en pick-up.
Un capitaine de l'armée irakienne, capturé, est égorgé ; un autre
homme est exécuté d'une balle dans la tête et criblé de balles.
Un cadavre est lardé de munitions. Une dizaine de corps au moins est
visible.
Les inghimasi
(c'est seulement à ce moment-là de la vidéo qu'ils sont nommés
ainsi) poursuivent l'attaque contre d'autres positions des miliciens
du Badr et de l'armée. Ils sont appuyés par un ZPU-2 sur technical
et par le ZU-23 monotube sur technical déjà vu précédemment
qui engage notamment le bulldozer blindé Fiat Allis. Celui-ci est
finalement abandonné par les adversaires de l'EI. Les hommes de l'EI
opèrent avec des escouades de 7 à 8 hommes comprenant une
mitrailleuse PK. Les opposants de l'EI finissent par prendre la fuite
à bord de leurs véhicules.
Cette vidéo montre un
assaut "classique" de l'EI. L'absence de blindés ou
véhicules blindés conduit à l'emploi d'un VBIED ouvrant la voie à
l'assaut sur les positions irakiennes. On remarquera que l'explosion
du Humvee kamikaze semble complètement désorganiser ici le
dispositif des miliciens chiites irakiens, qui "paniquent"
littéralement et s'égaillent dans la nature. Le VBIED, en plus
d'être un blindé ou une artillerie de substitution, a donc aussi un
rôle psychologique évident dans ce cas précis. Le tir d'artillerie
précède l'intervention du VBIED mais les moyens engagés ici sont
relativement légers (2 mortiers seulement). Les inghimasi
suivent immédiatement après l'explosion du VBIED. Ce qui frappe ici
c'est le nombre conséquent de technicals déployés dans
l'attaque, avec notamment l'engagement d'un bitube antiaérien de 37
mm. L'exécution des fuyards a probablement pour but de compléter le
choc psychologique provoquer par l'explosion du VBIED : il s'agit de
terroriser les miliciens chiites en montrant qu'aucun prisonnier
n'est fait et que l'EI réserve la mort à tous ceux qui osent
prendre les armes contre lui. Là encore, les escouades de fantassins
de l'EI sont surarmées (mitrailleuses PK, armes individuelles,
tireurs sur SVD Dragunov).
Conclusion
Sur le plan militaire,
l'analyse des vidéos militaires de l'EI confirme que l'organisation
est un objet "inclassable". Ce n'est ni une guérilla
ni l'amorce d'une armée conventionnelle, mais un hybride capable
d'adapter ses moyens et ses tactiques aux circonstances et surtout à
l'adversaire. Dans ses 5 premières vidéos, l'EI fait face 4 fois à
l'armée irakienne et/ou aux miliciens chiites, mais n'emploie pas
les mêmes tactiques. Quoi de commun en effet entre l'attaque du
poste de Saqlawiyah et le raid motorisé dans la province de Diyala ?
En Syrie, contre le régime, l'EI met en oeuvre des moyens beaucoup
plus conséquents devant Palmyre (blindés, artillerie) mais recourt
aux tactiques de guérilla avec ses lance-missiles antichars. Bien
qu'héritier des aspects militaires de l'armée irakienne, l'EI mêle
en fait dans ses forces armées un conglomérat d'influences
diverses. D'autres ont noté sa flexibilité, sa souplesse tactique.
Plus intéressant à déterminer peut-être, les origines de ses
tactiques et méthodes de combat si l'on excepte l'influence
irakienne. Un travail qui reste encore à écrire.
1J'ai
commencé en août 2015, en raffinant depuis le plus possible les
analyses. Voir liste ici :
http://historicoblog3.blogspot.com/p/la-syrie-cest-par-ici.html
2https://www.ctc.usma.edu/posts/the-military-doctrine-of-the-islamic-state-and-the-limits-of-baathist-influence
3Voir
commentaire détaillé ici :
http://historicoblog3.blogspot.com/2016/02/mourir-pour-le-califat-1-fursan-al-nasr.html
4https://www.ctc.usma.edu/posts/the-military-doctrine-of-the-islamic-state-and-the-limits-of-baathist-influence
5Analyse
détaillée ici :
http://historicoblog3.blogspot.com/2016/02/mourir-pour-le-califat-2le-raid-des.html
6https://www.ctc.usma.edu/posts/the-military-doctrine-of-the-islamic-state-and-the-limits-of-baathist-influence
7Analyse
détaillée ici :
http://historicoblog3.blogspot.com/2016/02/mathieu-morant-et-stephane-mantoux.html
8https://www.ctc.usma.edu/posts/the-military-doctrine-of-the-islamic-state-and-the-limits-of-baathist-influence
9Analyse
détaillée ici :
http://historicoblog3.blogspot.com/2016/02/mourir-pour-le-califat-4le-raid-sur-le.html
10Analyse
détaillée ici :
http://historicoblog3.blogspot.com/2016/02/mourir-pour-le-califat-5la-victoire.html