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Général Guy FRANCOIS, Le canon de 75 modèle 1897, Armes et véhicules de la Grande Guerre, Ysec Editions, 2013, 32 p.

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Le général Guy François est l'un des spécialistes de l'artillerie française de la Grande Guerre (notamment sur voie ferrée). Il revient dans ce court volume des éditions Ysec sur une véritable légende : le canon français de 75 modèle 1897, symbole de l'artillerie hexagonale de la Première Guerre mondiale.

Le 75 trouve son origine dans le renouvellement de l'artillerie française suite à la défaite de 1870 contre les Prussiens, qui montre l'infériorité des pièces françaises face aux canons de ces derniers. Les nouveaux modèles se développent rapidement mais un problème persistant est celui de la lenteur du tir, en raison du recul qui oblige à remettre le canon en position après chaque coup. En 1892, le commandant Deport, à l'atelier de Puteaux, reçoit l'ordre de tester son système de frein hydropneumatique sur un canon de calibre 75 mm. C'est le capitaine Sainte-Claire Deville, avec son adjoint le capitaine Rimailho, qui finalise la conception du 75. Si les premières commandes sont passées dès 1895, le matériel n'est officiellement adopté qu'en 1898 sous le nom de canon de 75 mm modèle 1897. Présenté au grand public en 1899, le canon de 75 fait l'admiration des Allemands lors des combats en Chine et ces derniers sont obligés de modifier leur pièce comparable, le 77 mm, en 1906, avec 10 ans de retard.

Comme le 75 se distingue par sa très grande cadence de tir, les batteries comptent désormais 4 canons au lieu de 6 et équipent toutes les unités jusqu'au corps d'armée, alors que les Allemands comptent des obusiers de 105 mm en plus des pièces de 77 mm. Le 2 août 1914, la France a 4 780 canons de 75 en ligne, mais cet effort se fait au détriment de l'artillerie lourde, de l'équipement individuel et de la tenue de campagne. Les personnels français de l'artillerie, issus de Polytechnique et des grandes écoles scientifiques, sont bien formés ; en outre les obus explosifs français sont supérieurs à ceux allemands du 77 et comparables aux obus de 105. Seul problème, les 75 n'ont que peu de matériel téléphonique, ce qui est un handicap car le tir de l'artillerie se fait de plus en plus masqué.

Le 75 se distingue dès les premiers mois de la guerre, même si l'artillerie appuie les attaques et ne les prépare pas. Le 7 août 1914, une batterie décime le 21ème régiment de dragons allemands au nord-est de Verdun. Avec la pénurie rapide d'obus, le ministre de la Guerre confie la production des munitions à des firmes privées ; faute d'expérience, la qualité s'en ressent et de nombreux 75 connaissent des éclatements de tubes prématurés qui tuent et blessent nombre d'artilleurs. La fabrication est ensuite confiée à de grands industriels, comme Citroën, et la crise est résolue à l'automne 1915. On produit jusqu'à 230 000 obus de 75 par jour en 1918. Après une baisse du nombre de pièces jusqu'en mai 1915, le nombre de canons ne cesse de croître pour atteindre 6 039 en novembre 1918. 1 828 canons sont fournis aux Américains.

Le tir du 75 est rapide grâce à sa stabilité : le canon est calé par une bêche enfoncée dans le sol, le recul du tube amorti par le frein hydropneumatique ; le chargement est rapide, l'obus est encartouché comme une balle de fusil ; deux servants effectuent le pointage. Au départ, le 75 tire deux types de munitions : l'obus à balles (shrapnell) et l'obus explosif. Les types d'obus se diversifient, avec notamment l'apparition des obus à gaz, même sur le 75 (ypérite en 1918). En 1917, le canon est jugé de trop courte portée avec l'amélioration du 77 allemand. On prescrit de ne pas tirer plus de 12 coups par minute pour ménager les tubes. Les 75 étaient faciles à entretenir à l'arrière en raison de l'interchangeabilité des composants et de la simplicité du matériel.

Dès 1911, l'armée française réfléchit à une utilisation antiaérienne du 75. L'auto-canon modèle 1913 combine le canon avec un affût spécial créé à Puteaux monté sur un châssis automobile De Dion Bouton. 199 exemplaires sont construits et remportent de nombreux succès contre les avions allemands. D'autres montages sont improvisés pour le camp retranché de Paris avant que Puteaux réalise, là encore, une plate-forme métallique moins problématique pour les freins, endommagés par les tirs à la verticale sur montage improvisé. En mars 1918, on fait aussi monter les pièces de 75 de DCA sur remorque tractée par camion pour les rendre plus mobiles. Le 75 standard est également tracté dès 1915. En 1918, on compte 34 régiments d'artillerie de campagne portée (RACP). Les tracteurs sont des Jeffery et Pierce-Arrow américains ou des Latil TP et Panhard français. Les RACP font partie de la réserve générale d'artillerie, sous les ordres du commandant en chef, qui attribue ce puissant dispositif pour des offensives ou pour contrer une attaque ennemie. En 1917, on conçoit aussi la version antichar du 75, fabriquée à 350 exemplaires, et qui montre son efficacité en juillet 1918 en Champagne contre les quelques chars allemands rencontrés. Dès 1899, le 75 est adapté pour la défense des côtes et en 1914, il équipe également les forts de Bourges. On le trouve aussi sur les vedettes rapides et bâtiments de lutte anti sous-marine, comme arme de bord.

Une bonne entrée en matière sur ce matériel mythique, abondamment illustrée, peu onéreuse. Seul regret : pas d'indications bibliographiques, même minimes, en fin de volume.



Les aventures du capitaine Wyatt (Distant Drums) de Raoul Walsh (1951)

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1840. Le lieutenant Tufts (Richard Webb), de la marine américaine, raconte comment il a été envoyé par le général Taylor auprès du capitaine Quincy Wyatt (Gary Cooper), qui vit isolé au milieu des Indiens, sur une île à l'intérieur de la Floride, avec son fils de 5 ans. La mission des soldats et des éclaireurs de Wyatt est de mener un raid commando en territoire séminole pour détruire un fort espagnol utilisé comme place de ventes des armes à feu pour les Indiens. La mission est un succès mais le bateau qui devait ramener les hommes du raid est repoussé par le feu des Séminoles. Commence alors une longue marche de retour à travers les Everglades...

Les aventures du capitaine Wyatt appartient au sous-genre du western baptisé "Florida Westerns", peu nombreux, surtout réalisés dans les années 1950, qui situent leur action pendant la deuxième guerre contre les Séminoles (1835-1842). La plupart de ces films mettent d'ailleurs en scène le chef indien Osceola (ici Oscala), qui a incarné la résistance aux Américains. Dans Distant Drums, on le montre comme un chef assoiffé de sang qui livre ses prisonniers aux alligators. Le fort Castillo de San Marcos, construit par les Espagnols au XVIIème siècle, et qui a servi aux Américains de prison pour les Indiens pendant la guerre, est placé ici près de la côte est de la Floride, alors qu'il est sur la côte ouest.



Ce n'est pourtant pas le meilleur film de Walsh, qui la même année réalise aussi Capitaine sans peur, sur les aventures du capitaine Hornblower, à mon avis beaucoup plus palpitant. Il faut dire que Distant Drums est un décalque à peine masqué de Aventures en Birmanie(Objective Burma !), de 1945. Le scénario est le même : un commando détruit un objectif en territoire ennemi, mais connaît les pires difficultés pour rentrer à bon port. Les Séminoles remplacent les Japonais et la Floride la Birmanie, mais les ficelles sont les mêmes. La copie est malheureusement moins bonne que l'original : les seconds rôles ne sont pas travaillés, le scénario ne ménage aucune surprise et les décors naturels ne sont pas exploités. Seule différence, un final un peu plus somptueux où Gary Cooper donne seulement la pleine mesure de son talent, car son personnage de Wyatt n'est vraiment pas travaillé sur l'ensemble du film, et c'est bien dommage. Les scènes d'actions ne sont pas là pour remonter le tout. Bref, une déception.

 


Les cinq secrets du désert (Five Graves to Cairo) de Billy Wilder (1943)

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Juin 1942. Le caporal britannique John Bramble (Franchot Tone) est le seul survivant de son char M3 Lee touché par les Allemands lors de la progression de l'Afrikakorps vers l'Egypte. Victime d'une insolation, délirant, il arrive à l'Empress of Britain, un petit hôtel tenu par Farid (Akim Tamiroff). Farid n'est assisté que d'une bonne française, Mouche (Anne Baxter). Le cuisinier s'est enfui et le maître d'hôtel, Davos, a été tué durant un bombardement allemand. Avant que Farid et Mouche aient pu décider quoi faire de Bramble, les Allemands investissent l'hôtel pour en faire le QG de Rommel (Erich von Stroheim). Bramble, pour éviter d'être capturé, usurpe l'identité de Davos dont les Allemands ne savent pas qu'il est mort. La situation se complique quand Bramble découvre que Davos était en réalité un agent allemand qui renseignait l'Afrikakorps...

Les cinq secrets du désert est l'adaptation par Billy Wilder, comme dans le cas de Stalag 17 plus tard, d'une pièce de théâtre de Lajos Biro. Le film a été tourné en janvier-février 1943 à Hollywood, et a bénéficié du soutien de l'armée américaine, avec une scène de bataille reconstituée à Yuma, dans l'Arizona. D'ailleurs tout le matériel des Allemands, dans le film, est américain, comme les chars M2 que l'on peut voir dès le début.



Le film est le deuxième de Wilder pour Hollywood. C'est une oeuvre de propagande, au ton grave, mais non dénué d'humour, même si certains personnages frisent la caricature (Farid, et surtout le général italien, qui renvoie à pas mal de poncifs...). Ils sont en fait là pour compenser les autres personnages, beaucoup plus dramatiques. Le réalisateur joue à fond la carte de l'usurpation d'identité, alors que l'intrigue principale elle-même (Bamble déguisé en Davos reçoit des confidences de première importance de Rommel, qui le croit un agent allemand) n'est que secondaire. Malheureusement Franchot Tone, le héros, est un peu faiblard dans le rôle principal, avec que von Stroheim campe un Rommel très noir, bien avant le mythe qui s'attachera à sa personne après la guerre. La fin du film est d'ailleurs tout sauf convenue et rappelle que la guerre, d'abord, tue. La violence n'est pourtant pas montrée, comme dans la scène où Bramble doit éliminer le lieutenant allemand (Peter von Eyck) lancé à sa poursuite pour l'avoir démasqué, sous un bombardement.



Film de commande, de propagande même (Wilder est cependant assez habile pour en éviter les plus grosses ficelles), Les cinq secrets du désert d'une direction d'acteurs remarquable, d'un scénario (qui se déroule quasi intégralement en huis clos, ce qui renforce la tension) et d'une réalisation soignée qui font la "patte" de Wilder. Les qualités se retrouvent d'ailleurs tout au long de la carrière de ce réalisateur, comme le montre un de ses autres films de guerre, Stalag 17.

 

David M. GLANTZ, Kharkov 1942. Anatomy of a Military Disaster Through Soviet Eyes, Ian Allan Publishing, 2010, 414 p.

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David Glantz est le spécialiste américain, sur le plan militaire, du volet soviétique de la Grande Guerre Patriotique. Ses travaux, qui commencent au tournant des années 1970 et 1980, ont contribué à ressortir de l'ombre une Armée Rouge très discrète, jusqu'ici, dans une historiographie occidentale largement conditionnée par le récit allemand -reconstruit après la guerre- du front de l'est. Ce livre est une réédition d'un ouvrage de 1998 traitant du désastre soviétique à Kharkov, en mai 1942.

Comme il le rappelle dans la préface, l'historiographie soviétique aussi a ses limites. Sous l'URSS, les histoires officielles taisent volontairement les échecs militaires retentissants de l'Armée Rouge et les discordes politiques nées pendant la guerre. Après la mort de Staline, la déstalinisation a également eu son rôle dans le portrait de certains maréchaux comme Joukov ou Koniev. Khrouchtchev et Brejnev ont évidemment cherché à valoriser leur prestation, pour le premier au détriment de Staline. Pourtant, dès 1957, l'histoire militaire soviétique se penche, à l'ère nucléaire, sur la surprise initiale en temps de guerre, ce qui met en lumière les désastres des débuts de Barbarossa. Les Soviétiques ont également pu dissimuler leurs échecs en raison de leurs gigantesques opérations ayant conduit au succès que l'on sait. Grâce aux nouvelles archives soviétiques, Glantz peut revenir sur le désastre de Kharkov. Cet échec n'a quasiment pas été abordé par les Soviétiques avant les années 1960 : la défaite est bien mentionnée, sans plus. Khrouchtchev, qui a été commissaire politique du Front du Sud-Ouest, cherche alors à se défaire des accusations pesant sur lui quant à ce désastre, d'autant que les Allemands, à l'ouest, écrivent beaucoup sur le sujet. Moskalenko, un proche de Khrouchtchev et ancien commandant de la 38ème armée, est le premier à évoquer cette opération ; Bagramian, chef d'état-major du Front du Sud-Ouest, l'aborde aussi dans ses mémoires en 1973. Juste avant la chute de l'URSS, Gorbatchev fait déclassifier un certain nombre de documents, dont une étude de l'état-major de l'Armée Rouge, datée de 1951 (avant la chute de Staline donc), qui traite en détails du désastre de Kharkov. Glantz a repris cette étude dans le livre et la commente, en la croisant avec des archives et des sources allemandes et d'autres documents soviétiques.



La partie de contextualisation et sur la préparation de l'offensive soviétique constituent sans doute un des meilleurs morceaux de l'ouvrage, car Glantz fournit ici beaucoup de commentaires, contrairement à d'autres parties. En novembre 1941, sur le front sud, l'Armée Rouge reprend Rostov, puis, au moment de la contre-offensive d'Hiver, taille une tête de pont, en janvier 1942, sur le Nord-Donets, le saillant de Barvenkovo, qui menace Kharkov au nord et le Donbass au sud. Alors que les Allemands préparent leur offensive d'été, Chapochnikov, le chef de l'état-major général soviétique, Vassilievsky, qui dirige la section opérations, et Joukov, membre de la Stavka, pensent qu'une prudente défensive s'impose. Staline, grisé par les succès de la contre-offensive, choisit pourtant une défense active et donne des ordres de contre-attaque, notamment au Front Sud-Ouest, dès le mois de mars 1942. Pour des raisons surtout politiques d'après Glantz, Timochenko, le chef du front, son chef d'état-major Bagramian et Khrouchtchev, le commissaire politique, appuient le projet d'offensive, pensant comme Staline que les Allemands sont focalisés sur l'axe central et Moscou, alors que l'offensive d'été portera en réalité au sud, dans le secteur d'attaque choisi par les Soviétiques. Timochenko doit combattre à la fois les résistances de certains membres de la Stavka mais aussi de ses propres subordonnés, comme Moskalenko. Il fixe à son attaque en pinces, au nord et au sud de Kharkov, des objectifs démesurés : atteindre la ligne du Dniepr (!). Le Front du Sud de Malinovsky doit servir de flanc-garde. Le déploiement soviétique, avec les renforts nécessaires, est ralenti par la rapoutitsa, et prend plus d'un mois, ce qui oblige à retarder le début de l'attaque. En outre la surprise est compromise, et les Allemands ont eux-mêmes prévus, avant leur offensive d'été, de réduire le saillant de Barvenkovo. Ils ont détecté les préparatifs soviétiques mais ne s'attendent pas à une offensive si rapide et si puissante.

L'historien américain rappelle que la région de Kharkov, où les combats ont été particulièrement nombreux pendant le conflit, est le pivot du front. Située entre Moscou et la mer Noire, elle est au centre de deux axes stratégiques est-ouest au nord et de deux autres au sud. Les Allemands cherchent à éviter l'erreur de 1941 : les Panzer de Guderian remontant vers Moscou par le sud et ceux de von Kleist fonçant sur le Donbass et Rostov, l'axe central autour de Voronej était découvert, favorisant les contre-attaques soviétiques de l'hiver. En 1942, l'offensive prévoit deux groupes, un vers Voronej et l'autre vers Stalingrad ; mais la naissance d'un troisième axe, le Caucase, désarticule tout l'ensemble. Les Soviétiques veulent affaiblir l'effort principal allemand qu'ils placent sur Moscou et détruire l'effort secondaire au sud.

Les forces soviétiques sont alors en pleine réorganisation depuis les débâcles de 1941. Les formations trop lourdes ont été réduites pour être mieux dirigées par des officiers qui apprennent pour beaucoup sur le tas leur métier. Plus petites, les divisions de fusiliers comptent un bataillon d'entraînement et un bataillon pénal. Les premiers corps de chars apparaissent en avril 1942, mais la cavalerie reste importante. L'artillerie est réorganisée et l'Armée Rouge cherche à la concentrer pour maximiser ses effets. Timochenko, le chef du Front Sud-Ouest, excellent organisateur, est cependant une créature de Staline : il reste associé au désastre de Kiev en 1941. Khrouchtchev, le commissaire politique, tisse des liens avec les militaires qui lui seront utiles après la guerre. Bagramian, qui vient comme Timochenko de la cavalerie, a servi depuis 1941 au sud-ouest, de même que Kostenko, son adjoint. Le Front du Sud-Ouest comprend la 28ème armée de Riabyshev, un officier expérimenté ayant survécu aux désastres de 1941. On y trouve des unités prestigieuses comme la 13ème division de fusiliers de la Garde de Rodimtsev. La 38ème division de fusiliers est composée de Kazakhs. La 175ème division de fusiliers est formée de Sibériens, Bachkirs et Tatars, assez âgés, pour beaucoup sortis des camps. Le 3ème corps de cavalerie de la Garde est également une unité d'élite. La 38ème armée de Moskalenko est également une formation expérimentée. La 226ème division de fusiliers est commandée par Gorbatov, un autre vétéran des campagnes de 1941. La 21ème armée est aussi une formation de vétérans, mais durement éprouvée. On trouve par ailleurs la 6ème armée de Gorodniansky. Au sein de celle-ci, il y a la 103ème division de fusiliers, avec une moitié de recrues d'Asie Centrale, 90 % d'hommes autour de la quarantaine et 10% de très jeunes (19-21 ans). La 248ème division comprend également 40% de Kirghizes et et de Kalmouks, aux côtés de 60% de Russes, avec les mêmes tranches d'âges. La 253ème division de fusiliers est composée d'hommes du NKVD en 1941. Le groupe d'armée Bobkin opère sur la gauche de la 6ème armée. En réserve, Timochenko garde notamment le 2ème corps de cavalerie. Le front du Sud de Malinovsky, un des meilleurs officiers généraux soviétiques, couvre Timochenko. Son chef d'état-major n'est autre qu'Antonov, un des officiers les plus brillants du genre de l'Armée Rouge. La 57ème armée est l'une des premières armées de réserve formées à l'automne 1941. On y trouve des unités d'élite comme la 14ème division de fusiliers de la Garde ou la 99ème division de fusiliers avec des Sibériens. La 317ème division de fusiliers comprend de nombreux Azéris. La 9ème armée est dirigée par Kharitonov, autre commandant expérimenté. On y trouve aussi la 333ème division de fusiliers, avec 10% de vétérans et de nombreuses recrues non-russes. Malinovsky dispose en réserve du 5ème corps de cavalerie de Pliev, créé en décembre 1941. L'Armée Rouge, au printemps 1942, est ainsi un mélange de vétérans du désastre initial et de nombreuses nouvelles recrues. L'entraînement est moins soutenu et l'Armée Rouge cherche surtout à fournir un noyau de cadres vétérans aux nouvelles formations ; c'est pourquoi elle limite également l'initiative, comptant davantage sur la masse que sur la finesse d'exécution. L'Armée Rouge, en pleine transition, n'est en réalité pas encore capable d'accomplir la contre-offensive voulue à Kharkov par Staline et Timochenko. Côté allemand, si les divisions d'infanterie comptent parfois pour le double d'une division de fusiliers soviétiques, les unités blindées se sont rétrécies en taille. L'expérience allemande, notamment dans le maniement des grandes formations blindées et mécanisées, reste inégalable, avec de grands chefs comme von Bock, Paulus, von Kleist. Le soldat allemand reste également plus expérimenté que son adversaire soviétique, malgré les pertes.

L'offensive soviétique commence le 12 mai. Au nord, les progrès sont parfois très nets, comme dans les secteurs des 226ème division de fusiliers et 13ème division de fusiliers de la Garde. D'après les sources allemandes elles-même, la 297 I.D. est pulvérisée par le choc initial. Les Allemands doivent relâcher les unités prévues pour la réduction du saillant de Barvenkovo, pour parer au plus pressé. La 28ème armée soviétique bute sur la résistance allemande à Ternovaia, mais son aile droite progresse mieux. Néanmoins les contre-attaques allemandes des chars des 3. et 23. Panzerdivisionen surviennent rapidement. Les pertes soviétiques sont lourdes et empêchent d'exploiter davantage les premiers gains. Glantz est malheureusement moins disert sur la pince sud de l'offensive soviétique, probablement en raison de ses sources. Les Allemands décident de réduire le saillant de Barvenkovo, la pince sud, comme ils l'avaient prévu. Le 15 mai, au nord, le 42ème régiment de la 13ème division de fusiliers de la Garde mène des combats particulièrement éprouvants ; la division ne compte que 50% de ses effectifs de départ. Le recul de l'aile gauche de la 28ème armée met en péril le dispositif soviétique. Bagramian accuse plus tard le Front du Sud de Malinovsky de n'avoir pas suffisamment préparé son aile droite à la contre-attaque allemande, notamment en lançant une offensive locale dans un autre secteur du front. Le 17 mai, les Allemands percent le front de la 9ème armée soviétique et avancent rapidement. Timochenko, Khrouchtchev et Bagramian ne font pourtant rien auprès de la Stavka pour suspendre l'offensive en cours. Le 19 mai, Timochenko reconnaît la gravité de la situation mais ses nouveau ordres vont accélérer la destruction de ses forces de la pince sud. Les forces soviétiques encerclées tentent de se dégager, mais sont matraquées par l'aviation allemande et hachées par les mitrailleuses (de façon étrange, Glantz, qui reprend le récit de Paul Carell, pseudonyme d'un ancien propagandiste SS, ne questionne pas l'épisode des corps allemands mutilés, si fréquents dans les récits allemands sur le front de l'est). De nombreux officiers soviétiques de valeur périssent lors de ces tentatives de percée.

Après la fin des combats, les Allemands soulignent les pertes adverses : 239 000 prisonniers, 1 250 chars et plus de 2 000 canons détruits. Le rapport de 1951 n'évoque pas les pertes. Des documents soviétiques déclassifiés ont permis plus tard de les établir : les pertes totales seraient de plus de 266 000 hommes, 652 chars et 4 924 canons et mortiers. Sur le total de pertes humaines, plus de 46 000 blessés et malades ont été évacués ; 13 556 morts sont enterrés en territoire allemand. Reste donc 207 057 prisonniers. De nouvelles évaluations plus hautes placent le total des pertes à  277 190 hommes : 170 958 ont été tués, faits prisonniers ou portés disparus ; on compte 106 322 blessés. Les pertes en cadres expérimentés sont particulièrement sévères. Timochenko, Bagramian et Khrouchtchev rejettent, dans leurs rapports ultérieurs à la Stavka, l'échec sur le front du Sud. Lequel se défend. Staline de faire de Bagramian un bouc-émissaire ; Timochenko aura encore quelques commandements importants mais après un échec devant le saillant de Demyansk, en février 1943, il n'obtient plus de fonctions clés. David Glantz précise que le rapport de 1951 n'évoque pas l'appui aérien dont ont bénéficié les Allemands à partir du 15 mai, qui constitue une des clés de leur succès. Cependant il n'évoque que fort peu, comme de coutume, les opérations aériennes dans le corps du texte. Le rapport établit par contre la responsabilité du Front du Sud-Ouest, mais sans s'interroger sur le bienfondé de l'opération elle-même, contingences politiques sous Staline obligent.

En conclusion, Glantz souligne que Staline, la Stavka et la direction du Front du Sud-Ouest se sont largement fourvoyés sur les intentions allemandes, entraînant la perte de 250 000 hommes. Ce qui explique le peu de densité des forces soviétiques lors du déclenchement de l'opération Blau le 28 juin, et le repli réussi des Soviétiques sur le Don puis Stalingrad. Le rapport de 1951 ne dit pas non plus que le désastre de Kharkov met fin à la bouffée d'euphorie de l'état-major soviétique après la contre-offensive d'hiver : le réalisme est de mise, l'heure de Joukov et Vassilievsky va bientôt sonner. Molotov part d'ailleurs demander l'ouverture du second front en Angleterre et aux Etats-Unis en mai-juin 1942, et ne reçoit qu'un refus désolé. Khrouchtchev cherche, sous son règne, à faire porter le blâme sur Staline ; après sa chute en 1964, on cherche au contraire à souligner sa propre responsabilité, et celle du Front Sud-Ouest. Des travaux récents cherchent à minimiser la supériorité numérique soviétique pour expliquer la défaite ; mais les Allemands l'emportent surtout par des qualités tactiques supérieures et la concentration des chars et des avions. D'autres historiens russes ou soviétiques insistent beaucoup sur les carences de Timochenko et plus largement du corps des officiers.

Le travail de David Glantz laisse ici un goût d'inachevé. Glantz explore les documents soviétiques (en annexes, on en trouvera quantité, issus du rapport de 1951, plus les ordres de batailles, quelques lignes sur le sort des officiers soviétiques, et une courte bibliographie) pour remettre à sa juste place une Armée Rouge longtemps délaissée. Cependant, il ne traite que d'histoire militaire (cependant bien illustrée avec près de 40 cartes), certes indispensable pour comprendre le conflit, mais désormais un peu limité par rapport aux nouvelles directions prises par la recherche. Sources obligent, il n'évoque ici, globalement, que le côté soviétique, et assez peu le côté allemand. Même pour la partie soviétique, on a dit que tout n'était pas traité de manière égale : au déséquilibre nord-sud en faveur du premier s'ajoute aussi l'absence de considérations sur les opérations aériennes, qu'il faut chercher dans d'autres ouvrages. Surtout, Glantz ne fournit pas partout les mêmes commentaires sur le rapport soviétique de 1951. S'il a des pages éclairantes sur la mise au point de l'offensive et sur les effectifs de l'Armée Rouge engagés dans l'opération, on regrette le trop peu de lignes consacrées au déroulement de l'offensive lui-même et surtout à l'historiographie de cet échec, Glantz ne parlant fort peu, finalement, des questions politiques qui y sont attachées. Voici donc  un livre qui montre en définitive les limites du travail de l'historien américain pourtant devenu une véritable référence sur le sujet. 



Les hommes-grenouilles (The Frogmen) de Lloyd Bacon (1951)

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Pendant la Seconde Guerre mondiale, dans le Pacifique (probablement en 1945). Le Lieutenant CommanderJohn Lawrence (Richard Widmark), prend la tête de l'Underwater Demolition Team 4, qui vient de perdre son précédent chef, Cassidy. Or les hommes étaient très attachés à leur ancien commandant, particulièrement soucieux de la vie de ses hommes. Lawrence, beaucoup plus tâtillon sur la discipline, ne se rend pas populaire en donnant tort à ses hommes qui se battent avec les marins du navire sur lequel ils sont embarqués. Le capitaine du bateau, Pete Vincent (Gary Merrill), comprend que les hommes de l'UDT portent leur ressentiment après la mort de Cassidy sur Lawrence, et suggère à ce dernier de régler le problème d'une manière non disciplinaire. Mais la première mission de reconnaissance de l'UDT sur les plages d'une île lourdement défendue par les Japonais ne va pas arranger les relations entre Lawrence et son groupe de plongeurs...



The Frogmen est un film en noir et blanc produit par la Fox. Il évoque le combat des Underwater Demolition Teams, ancêtres des Navy Seals, dans le Pacifique. C'est l'un des premiers films de guerre à évoquer les plongeurs sous-marins et il est devenu, pour cette raison, une référence. Les UDT, nées pendant la Seconde Guerre mondiale, avaient pour fonction principale de nettoyer les plages visées par des débarquements américains des obstacles, en particulier sous-marins, d'où leur rôle de poids dans le Pacifique. Ils repèrent aussi les obstacles naturels pouvant gêner le déplacement des engins de débarquement, font sauter les obstacles posés par les Japonais à l'explosif. Les plongeurs coupent aussi les filets protégeant les ports ennemis, posent des mines sur des navires ou marquent les mines adverses pour les dragueurs de mines. Les Américains réfléchissent à ce type de combat dès 1941, mais les choses s'accélèrent surtout à partir d'août 1942, moment où l'armée de terre et la marine combinent leurs efforts pour créer un premier semblant d'organisation en Floride. La pression s'accélère après les lourdes pertes subies lors du débarquement à Tarawa (novembre 1943), qui montre le besoin d'équipes de ce genre. Les premiers combattants du genre sont engagés lors du débarquement en Afrique du Nord (novembre 1942). Dans le Pacifique, il faut attendre l'assaut sur Kwajalein, le 31 janvier 1944. Les UDT sont composées de 16 officiers et 80 matelots ; en général elles embarquent sur un navire de transport du type APD (des vieux destroyers convertis en transports de troupes). A Kwajalein, les UDT utilisent d'abord la reconnaissance en canot pneumatique : c'est après les premières expériences que les UDT deviennent sous-marines, avec équipements de plongée. En tout 34 UDT sont formées et elles servent dans toutes les opérations amphibie jusqu'à la fin de la guerre, l'une d'entre elles dépendant même de l'OSS. Après la Seconde Guerre mondiale, les UDT sont encore utilisées pendant la guerre de Corée et au début de l'engagement américain au Viêtnam (phase du soutien au Sud-Viêtnam avec les conseillers militaires). Avec la naissance des SEAL, dès 1962, les UDT voient leur rôle diminuer et elles sont officiellement dissoutes en 1983.



La Fox a été le seul studio à pouvoir obtenir la collaboration de l'US Navy pour le film, qui se voit immédiatement par la mention faite dans le générique. Bacon, qui attrape la grippe pendant le tournage, doit être remplacé par son assistant durant un certain temps. Le film ne comprend aucun rôle féminin (!) : aucune actrice n'est visible, car les conditions de tournage étaient particulièrement éprouvantes et les hommes étaient à cran... Le transport qui embarque l'UDT est l'USS Kleinsmith (APD-134), un navire qui a servi tout à la fin de la guerre avec une UDT à bord. Le navire de commandement visible pendant certaines séquences est l'USS Taconic (AGC-17), qui sert dans l'Atlantique en 1945. Les scènes où l'on voit des navires en mer ont d'ailleurs été tournées au large de la Virginie. De nombreux SEAL citent ce film comme motivation pour leur engagement dans cette branche de l'armée américaine. Aucun lieu ni aucune date ne sont mentionnés, ou presque, dans le film : il est question du débarquement à Iwo Jima où Cassidy aurait été tué (en février 1945, on serait donc après), mais à un autre moment du film, le capitaine du bateau parle de l'invasion des îles Bonin (où se trouve Iwo Jima). On est donc un peu perdu sur la date et le lieu.


Chantal ANTIER-RENAUD et Christian LE CORRE, Les soldats des colonies dans la Première Guerre mondiale, Paris, Editions Ouest-France, 2014, 128 p.

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Chantal Antier-Renaud est l'une des spécialistes françaises sur l'emploi des troupes coloniales pendant la Grande Guerre, et plus largement sur l'étude de la Première Guerre mondiale et de ses conséquences sur les populations civiles. Ce volume, qui est une réédition après une parution initiale en 2008, vise, comme tous ceux de ces collections Ouest-France, à une vulgarisation accessible sur le sujet.

L'empire colonial français, qui s'étend sous la IIIème République, va largement être mis à contribution pendant la guerre. Encouragée par Jules Ferry, la conquête coloniale, effrénée entre 1880 et 1900, donne à la France un empire de 10 millions de km² en 1914. Un ministère des Colonies est créé en 1894. Les troupes de marine sont les premières à recruter des indigènes ; l'armée coloniale est rattachée en 1900 au ministère de la Guerre, mais garde une autonomie. Joffre, Galliéni, Mangin, officiers de première importance pendant la guerre, ont tous servi dans les colonies. La question du recrutement indigène fait d'ailleurs débat avant la guerre. Les colonies n'ont pas le même statut. L'association l'emporte aux Antilles, au Sénégal, en Cochinchine, en Guyane et à la Réunion, les plus anciennes ; en Afrique du Nord en revanche, la domination française est plus militaire.




En 1914, on trouve au sein de l'armée française l'armée d'Afrique, composée de Français d'Afrique du Nord servant aux côtés de Marocains, d'Algériens et de Tunisiens (19ème corps d'armée), de la Légion Etrangère, des tirailleurs sénégalais et des Bataillons d'Afrique, disciplinaires. L'armée coloniale, depuis 1900, regroupe des unités françaises stationnées dans les colonies, ou en métropole en attente de ce service, et des unités indigènes encadrées par des Français. En 1915, les pertes sont telles qu'on mélange dans un deuxième corps d'armée réservistes français et tirailleurs sénégalais, et la pratique perdure. Le terme indigènes est flou : les tirailleurs sénégalais regroupent ainsi de nombreuses populations de toute l'Afrique Occidentale Française (du Soudan au Sénégal). On recrute d'abord des indigènes soucieux d'améliorer leur niveau de vie et qui servent en premier lieu à écraser les soulèvements chez eux. Ces hommes ont l'habitude des guerres coloniales : des officiers français pensent qu'ils sont inutilisables en Europe, contrairement à Mangin, qui plaide dans son livre La force noire (1910) pour l'enrôlement massif des colonisés. Les chiffres sont discutés. Le gouvernement et les historiens se basent sur le rapport parlementaire de 1924. Ceux de Réunion, de Guyane, de Martinique, de Guadeloupe, de Saint-Pierre-et-Miquelon, des comptoirs indiens et du Sénégal sont 38 220. Les Africains du Nord forment le plus gros  contingent : 293 756 hommes. Ceux d'Afrique noire et du Pacifique sont 275 230. Les travailleurs coloniaux sont 200 000, avec 37 740 Chinois supplémentaires. Au total, 805 726 hommes. A l'arrivée en France, des unités comme celles de la Légion doivent se réorganiser, comme dans le Régiment de Marche de la Légion Etrangère (RMLE). Dès 1889, une loi prévoyait l'octroi de la nationalité française contre l'engagement des indigènes, mais elle n'est pas appliquée. Des décrets permettent de recruter massivement entre 1913 et 1915, puis on décrète la mobilisation générale à partir du 9 octobre de cette dernière année, dès l'âge de 18 ans. L'Algérie fournit, sous pression, des milliers d'hommes dès 1914. En Indochine, le recrutement ne commence qu'en avril 1915 : les Tonkinois fournissent surtout des travailleurs, 49 000, mais aussi 46 000 combattants. Ils ont mauvaise réputation, les autres soldats les considèrent comme des embusqués parce qu'ils travaillent à l'arrière. En 1916, on enrôle aussi les Kanaks du Pacifique. En Algérie, on promet des médailles, de nouvelles fonctions, des armes modernes, et la citoyenneté française aux engagés. Des troubles contre le recrutement ont lieu dès 1914-1915, notamment dans les Aurès. Des révoltes ont également lieu en AOF dès 1916, où le recrutement est difficile. A la fin de la guerre, il continue pourtant, sous l'impulsion du général Mangin et du député du Sénégal, Blaise Diagne. Les troupes coloniales sont installées dans les "camps d'hivernage", établis notamment au sud-est de la France, comme à Fréjus. Malheureusement la fin du texte de ce chapitre est coupé à la p.41 (problème d'édition sans doute).

Les troupes coloniales sont présentes dès la bataille de la Marne en septembre 1914, où des bataillons algériens et marocains combattent au corps-à-corps. Recrutés en masse en raison des pertes, les coloniaux sont de tous les combats en 1915 : Ypres, avec les premiers gaz de combat, la Champagne... A Verdun, en 1916, unités maghrébines, tirailleurs sénégalais et annamites se distinguent. Ils sont présents au Chemin des Dames en 1917 et lors des dernières offensives en 1918. Les troupes coloniales se sont bien comportées pendant la guerre. Le Régiment d'Infanterie Coloniale du Maroc, créé en 1915, qui reprend le fort de Douaumont à Verdun en 1916, est le plus décoré de l'armée française. Le 1er Régiment de Marche de Tirailleurs Algériens (RMTA) est de toutes les grandes campagnes entre 1914 et 1918. Les tirailleurs sénégalais impressionnent tellement les Allemands au nord de Reims, à l'été 1918, que ceux-ci n'ont plus que les stéréotypes racistes pour juguler leur peur. Les troupes coloniales servent aussi sur le front d'Orient, aux Dardanelles, en Macédoine, entre 1915 et 1918. Ils participent aussi à l'investissement des colonies allemandes en Afrique. Mais bien que décorés, les indigènes n'obtiennent pas individuellement la reconnaissance attendue : pas de grade équivalent aux Français, notamment. Les frustrations sont énormes.

En 1917, l'armée française ne compte que 6 (!) officiers africains. On encourage généralement ceux qui peuvent aider au recrutement, comme le fils d'Abd el-Kader. En 1918, il n'y a qu'un seul officier supérieur algérien naturalisé, le lieutenant-colonel Cadi, et 8 officiers musulmans. Des figures féminines, comme Fatima la Marocaine ou Madeleine Martin, fille d'un Français d'Algérie à l'origine de la chanson La Madelon (1913), laissent une empreinte durable. Avant 1917, peu de titres de la presse ou même de journaux de tranchée évoquent les troupes coloniales, qui ne constituent qu'une faible partie des effectifs sur le front nord-est. Le 9 juin 1917, lors de la journée de l'Afrique et des troupes coloniales, l'injustice est en partie réparée, notamment dans L'Illustration. Les Français portent un regard complexe sur les troupes coloniales : les Annamites sont considérés comme des embusqués, les Noirs sont réputés comme troupes de choc, mais on estime qu'ils se débandent devant des situations imprévues. En hiver, les troupes coloniales sont repliées dans les "camps d'hivernage", ce que ne comprennent pas toujours les autres soldats. Equipés d'armes blanches, les soldats des colonies ne font pas beaucoup de prisonniers allemands, ce qui, par contre, ne pose pas problème à l'encadrement français. En Orient, les coloniaux forment 16% des effectifs. Les conditions de vie sur ce front sont rudes. Malgré la propagande turque appelant à la désertion, celle-ci est très réduite. Pour remonter le moral des troupes, les autorités concèdent des régimes spéciaux sur la nourriture (pas de porc pour les musulmans, qui découvrent par contre le tabac et le vin). Dès décembre 1914, les soldats musulmans peuvent être enterrés selon leurs rites, de même pour les bouddhistes en 1916. Dans les camps du sud-est, les indigènes recréent un peu l'atmosphère de chez eux. Les relations avec la population française sont surveillées, avec des indicateurs pour le Service de renseignements parmi les interprètes ou les cadres. Les colonisés ont néanmoins des relations avec les femmes françaises, infirmières, marraines de guerre, prostituées. En ce qui concerne les marraines de guerre, l'image du Noir à la sexualité débridée s'installe, et le gouvernement surveille, de peur de la "contagion" avec les Françaises ; les Maghrébins sont moins surveillés. Il y aura pourtant des idylles et même des mariages, notamment avec les Indochinois ; les enfants de ces couples ne sont pas bien accueillis dans la société. Malheureusement, là encore, p.97, la fin du chapitre est coupée (édition encore une fois, probablement).

Les colonies fournissent non seulement des combattants mais aussi des travailleurs : 190 000, là encore les chiffres sont contestés. On trouve 18 000 hommes dans les usines fabriquant les pièces d'artillerie en 1914. Les colonisés représentent 7% des effectifs dans les usines d'armement, mais 16% dans les autres industries. Le député Flandin, en 1919, parle de 600 000 indigènes ayant travaillé en France pendant la guerre. Les chiffres sont difficiles à établir précisément. Les Annamites et les Kabyles sont les plus appréciés comme travailleurs. Des Chinois sont recrutés, après un accord avec ce pays, pour le terrassement ou la coupe des arbres. Les soldats coloniaux blessés sont également utilisés à l'arrière avant d'être rapatriés. Les gouverneurs des colonies se plaignent dès 1917 que leurs territoires sont lourdement ponctionnés en hommes, ce qui n'est pas sans conséquences sur l'activité locale. Les services de recrutement français se chevauchent : travailleurs coloniaux du ministère de la Guerre, main d'oeuvre étrangère du sous-secrétariat d'Etat à l'Artillerie et aux Munitions... Les ouvriers des usines d'armement, séparés des Français, vivant dans des baraquements, sont escortés au travail. Les Indochinois, plus de 48 000, sont appréciés pour leur adaptation au mode tayloriste de travail des usines et leur docilité. Hô Chi Minh en a fait partie. Les tensions sont grandes entre travailleurs français et colonisés, mais aussi entre colonisés : les Sénégalais affrontent les Indochinois ; les Cochinchinois, les Annamites et Cambodgiens se liguent contre les Indochinois, et ces adversaires se réunissent contre les Chinois. A Marseille, dans la nuit du 14 au 15 juillet 1917, des soldats français en attente de départ pour le front d'Orient attaquent le campement africain. A Brest, les soldats français assaillent les travailleurs kabyles et arabes. A Montereau, les permissionnaires et affectés spéciaux de l'industrie attaquent les travailleurs marocains et algériens d'une usine. A Pau, en octobre 1918, une bataille rangée oppose Sénégalais et Annamites pour une histoire de femmes. Dans le monde agricole, on encourage l'instruction des indigènes, comme en Seine-et-Marne, où 7 Tunisiens s'inscrivent pour apprendre le français à l'école. Mais la présence des coloniaux est mal perçue, certains paysans préfèrent des prisonniers de guerre à la place des indigènes. Les colonies fournissent aussi à la France en guerre 2,5 millions de tonnes de marchandises.

Le retour des soldats indigènes se fait à raison de 4 000 par mois jusqu'en 1920. La grippe espagnole et la peste rajoutent au pertes en 1918-1919. Le rapport parlementaire dresse en 1924 le bilan des pertes humaines, qui n'est qu'une estimation : 70 800 tués, et 16 000 Français des colonies morts au champ d'honneur avec eux. Les Maghrébins et les Sénégalais paient le plus lourd tribut. Les pertes des soldats coloniaux sont comparables à celles des soldats français, ce qui contredit le mythe de l'emploi des troupes coloniales comme "chair à canon". Les Allemands conservent une image très sombre des soldats des colonies, et une véritable propagande raciste perdure à leur encontre sous la République de Weimar, notamment lors de l'occupation de la Rhénanie en 1923. Les Français sont impressionnés par les Noirs de l'armée américaine, qui pratique la ségrégation raciale ; les Blancs américains, au contraire, sont choqués de la bienveillance des Français à l'égard de leurs soldats noirs... Au final, si les troupes coloniales défilent sur les Champs-Elysées le 14 juillet 1919, si les décorations pleuvent, les primes ne sont pas forcément versées au retour au pays. Le système de grades et de pensions, qui excluent les Maghrébins, est très contesté. Il a fallu attendre 2006 pour qu'un monument en l'honneur des soldats musulmans morts soit inauguré à Douaumont ; dans les pays colonisés, la mémoire de cet engagement a parfois disparu.

L'ouvrage, abondamment illustré, est complété par une chronologie indicative et quelques références bibliographiques.


Tonnerre sur Malte (Malta Story) de Brian Desmond Hurst (1953)

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1942. L'île de Malte, tenue par les Britanniques, est constamment pilonnée par l'aviation allemande et italienne, et sous la menace d'une invasion. Les Anglais ne disposent que de quelques chasseurs pour contrer les vagues de bombardiers ennemis. Le Flight Lieutenant Ross (Alec Guiness), archéologue dans le civil, en route vers l'Egypte, se pose à Malte à bord d'un Hudson. Mais l'avion est détruit  au sol par les raids aériens de l'Axe. Ross est embauché comme pilote de reconnaissance photographique. Il rencontre Maria (Muriel Pavlow), une Maltaise qui travaille au centre des opérations britanniques. Une idylle se noue entre les deux personnages, au milieu des ruines néolithiques de Malte. Mais la situation de l'île est de plus en plus terrible : aux raids aériens qui ne laissent qu'un champ de ruines s'ajoute la faim, les convois maritimes n'arrivant plus à atteindre Malte...

Malta Storyévoque la résistance courageuse de la petite île de Malte, en Méditerranée, qui joue un rôle capital pour menacer le ravitaillement des troupes italo-allemandes engagées en Afrique. En conséquence, elle est copieusement bombardée par l'Axe. Le siège dure de 1940 à 1942. 3 000 raids aériens sont menés en deux ans, mais l'opération Herkules, l'invasion de Malte, ne sera jamais déclenchée. Les convois arrivent à passer et la défense aérienne est toujours active. Les bombardements s'affaiblissent avec la victoire à El-Alamein et surtout le débarquement en Afrique du Nord du 8 novembre 1942. Les forces basées à Malte passent alors à l'offensive jusqu'à la capitulation des troupes italo-allemandes en Tunisie, en mai 1943.



Dans le film, le personnage de Ross serait inspiré de celui, tout à fait réel, d'Adrian Warburton, un pilote de la RAF qui s'est illustré durant la défense de Malte. Malta Story fait abondamment usage de documents d'archives montrant les événements décrits. On peut distinguer des bombardiers-torpilleurs italiens SM79, des Bf 109F, des Ju 88, sans compter les appareils britanniques. Des scènes ont été tournées à Malte, à une époque où des Spitfires étaient encore opérationnels : on voit ainsi 5 Mk XVI, version tardive du chasseur. Alec Guiness, qui tient le rôle principal, a servi en tant que réserviste de la Royal Navy sur le théâtre méditerranéen, ce qui renforce encore la crédibilité du propos. On peut voir également le croiseur mouilleur de mines HMS Maxman converti en croiseur de classe Dido, au moment où le vice-amiral Payne relève son homologue, Banks. Les documents d'archives du film montrent également les porte-avions britanniques HMS Indomitable et Eagle. Le film retrace les grands moments du siège en 1942, en particulier l'opération Pedestalet l'arrivée du pétrolier américain Ohio, touché par les avions de l'Axe, mais qui est maintenu à flot jusqu'à Malte. Réalisé moins de dix ans après la fin de la guerre, à l'image de la Mer Cruelle pour la bataille de l'Atlantique, Malta Story a un ton réaliste, mais ne décolle pas vraiment en dépit d'un casting impressionnant. La faute à un scénario qui se perd peut-être un peu trop dans les histoires sentimentales et déboires familiaux qui paraissent bien accessoires face à l'enjeu du siège.



Marie-Agnès COMBESQUE, Martin Luther King Jr. Un homme et son rêve, Le Félin Poche, Paris, Editions du Félin, 2008, 364 p.

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Marie Agnès Combesque, "journaliste, écrivain, enseignante", d'après le quatrième de couverture (mais aussi membre du comité central de la Ligue des Droits de l'Homme), a écrit cette biographie de Martin Luther King en 2004, rééditée en poche en 2008. Le livre, qui volontairement n'évoque pas la question de l'assassinat du personnage, montre en revanche comment il est devenu le porte-parole du mouvement des droits civiques. Il en est aussi devenu le leader, et quand la violence a submergé son action, il s'est transformé de leader moral en leader politique. Entre 1965 et 1968, il s'oppose à la guerre du Viêtnam, prend la défense de tous les pauvres (et pas seulement des Noirs), songe à la présidentielle de 1968. Si la journaliste écrit ce livre, c'est que le parcours de Martin Luther King reste assez peu connu en français, les traductions de la pléthore d'ouvrages américains n'étant pas légion, comme le montre la bibliographie en fin d'ouvrage, exclusivement anglo-saxonne.

Le livre est divisé en trois parties. La première retrace la longue lutte des Noirs pour leur libération : c'est une mise en contexte du personnage, qui n'est pas le premier à surgir du néant. L'arrière-grand-père paternel de Martin Luther King a été esclave dans des conditions épouvantables (il a servi "d'étalon" pour la production d'esclaves...). L'histoire de l'émancipation des Noirs, avec la guerre de Sécession (et la structuration et la socialisation qu'apporte l'Eglise), de leur place dans la société du Sud, après la guerre, se clôt avec le boycott de la ligne de bus de Montgomery, en 1955, qui va lancer le mouvement pour les droits civiques. Pour l'auteur, c'est le seul mouvement social d'ampleur des Etats-Unis au XXème siècle, qui a même contribué à former les Blancs anti-guerre du Viêtnam par la suite.

La deuxième partie traite de la décennie cruciale 1955-1965. Martin Luther King va réussir à fédérer un mouvement très divers, tiraillé de l'intérieur. Il rallie la culture protestante fondamentaliste de l'Eglise noire et sa dimension sociale. Le personnage se situe entre le protestantisme et le socialisme, dans la non-violence, tout en mettant en parallèle le combat des Noirs américains avec celui des anciennes colonies en train de gagner leur indépendance. Pasteur, Martin Luther King demeure cependant un religieux, inspiré, mystique même, et ce jusqu'à sa mort tragique.

L'année 1965 constitue un tournant par lequel démarre la troisième partie. C'est l'année de l'intervention directe des Américains au Sud-Viêtnam, un conflit que Martin Luther King va désormais critiquer. Quand l'égalité et le droit de vote des Noirs au Sud sont enfin reconnus, il se dirige vers le Nord, pour mener cette fois un combat social, contre la pauvreté. C'est à Chicago en particulier qu'il trouve une opposition parmi les jeunes Noirs, qui préfèrent parfois la voie de la violence ; les Blancs commencent à lâcher le mouvement des droits civiques ; et pourtant, dans un contexte difficile, juste avant son assassinat, Martin Luther King livre parmi ses plus beaux discours. (comme celui juste avant sa mort, le 3 avril, à Memphis).

Marie-Agnès présente cependant l'homme avec ses faiblesses, notamment dans ses relations avec les femmes, pour lesquelles il reste assez prisonnier de son milieu d'origine. Il court perpétuellement après le temps : on l'a choisi car il était jeune, docteur, et qu'il pouvait fédérer les différentes composantes du mouvement pour les droits civiques, ce qui a fonctionné jusqu'en 1965. D'après l'auteur, en France, on a du mal à concevoir qu'un mouvement religieux puisse être un mouvement de "libération", ce qui expliquerait le manque d'ouvrages traduits et la meilleure connaissance des "Black Panthers" et des mouvements nationalistes. Le pasteur devenu homme politique : c'est bien cette transition que même l'historiographie américaine gomme parfois, parce que les aspects sociaux de la fin sont dérangeants. La passerelle entre l'Evangile et le socialisme se fait par la non-violence, apportée par le camarade de King, Bayard Rustin, qui s'inspire lui-même de Randolph.

Il n'est pas anodin que la réédition du livre soit survenue en 2008. 2008, l'année où Barack Obama, un Noir, devient président des Etats-Unis. 40 ans après l'assassinat de Martin Luther King.




Georges BLOND, Verdun, Presses Pocket, Paris, Presses de la Cité, 1964, 313 p.

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Georges Blond est le pseudonyme de Jean-Marie Hoedick (1906-1989), que j'ai déjà évoqué ici à propos de son ouvrage sur le porte-avions Enterprise, premier du nom. Né à Marseille, le personnage est proche du fascisme en France dès l'entre-deux-guerres. Il sert dans la marine pendant la Seconde Guerre mondiale, mais après la défaite de la France, il est interné par les Anglais. Déjà fortement animé d'un sentiment antianglais, la publication d'un ouvrage sur le sujet en 1941 lui vaut l'attention des Allemands. Il va alors travailler au sein du journal collaborationniste Je Suis Partout, même si à la fin de la guerre, il fait partie de la tendance "modérée" du groupe d'auteurs. En 1942, il participe à un voyage d'écrivains français en Allemagne, aux côtés notamment de Drieu La Rochelle. Ses liens collaborationnistes le discréditent à la Libération : il fait partie d'une liste noire publiée par le Comité National des Ecrivains en septembre 1945. Contrairement à d'autres membres de Je Suis Partout, il n'est pas inquiété, même s'il est frappé d'indignité nationale en 1949 seulement. Dès 1946, il a commencé à écrire des romans policiers ; puis dans les années 1950 il publie, dans un surprenant retournement, des ouvrages à la gloire des Alliés... après une vie de marin, il se consacre à l'écriture de romans ou d'ouvrages de vulgarisation historique. Il affectionne surtout la Première Guerre mondiale, l'histoire maritime et la période napoléonienne.

Verdun n'échappe pas au style de l'auteur. Point d'ouvrage d'histoire, mais plus une oeuvre littéraire à tonalité historique sur la bataille de 1916, à l'instar de ce qu'il avait écrit sur l'Enterprise. D'ailleurs Georges Blond répète à plusieurs reprises qu'il a collecté nombre de témoignages pour écrire ce livre, mais sans jamais mentionner ses sources. Et il prend soin quelquefois d'anonymer le nom des officiers supérieurs quand il évoque les questions trop polémiques...

Commençant par les préparatifs allemands, Blond évoque ensuite l'aveuglement des Français devant les indices qui leur sont offerts par l'ennemi, ou par les déserteurs. Dès le récit de l'offensive allemande à partir du 21 février 1916, on comprend que pour l'auteur, ce qui permet aux hommes de tenir sous le feu, c'est la volonté, et rien d'autre, comme le montre l'exemple du bois des Caures et des chasseurs de Driant. L'instinct de survie, point à la ligne. Quant à l'arrière, il semble pour Blond bien éloigné des réalités du front. Il souligne les fautes du commandement français ayant abouti à la prise, sans combat, du fort de Douaumont, l'ouvrage le plus important de l'ensemble fortifié ("Douaumont ist gefallen !"). L'auteur, on s'en doute, n'a pas une idée trop détestable de Pétain, sans verser dans l'éloge parfaitement complaisant. Il n'apprécie pas beaucoup, en revanche, Joffre, Nivelle et les autres généraux. Son récit est celui du soldat, pas de l'officier. Une base saine contre une tête inepte, en somme. Blond préfère sans équivoque Navarre, qui triomphe dans le ciel de Verdun, à Mangin. Le siège du fort de Vaux est le prétexte à la mise en scène de la remise d'une épée, par le Kronprinz, à Raynal, le commandant de la garnison. Ce qui n'empêche pas Blond de réhabiliter les lieutenants Herduin et Milan, fusillés pour avoir reculé avec le reste de leurs unités. L'auteur termine son livre par la reprise du fort de Douaumont par les Français.

En somme, une oeuvre littéraire sur une grande bataille de la Grande Guerre, par un ancien collaborationniste, rien de plus. Avis aux amateurs.

Patrice ORDAS, Patrick COTHIAS et Jack MANINI, S.O.S. Lusitania, tome 3 : La mémoire des noyés, Grand Angle, Bamboo Editions, 2015, 48 p.

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1917. Deux ans après le naufrage du Lusitania, Vanderbilt fournit au contrebandier O'Murchu, qui avait recueilli les rescapés, un nouveau navire. L'une des survivantes, Virginia, noie son chagrin en tuant des sous-mariniers allemands à Ostende... Vanderbilt et son valet Ronald interrogent, en mai 1918, le commandant Turner du Lusitania. Celui-ci leur apprend la présence à bord de Tower, l'agent secret britannique infiltré pour surveiller les caisses de munitions et d'explosifs. Le même Tower, rallié depuis à l'IRA, tente en vain d'assassiner le colonel Meredith, l'officier du MI5 qui lui a donné l'ordre de saboter le bâtiment. Mais il tombe dans une embuscade de ce dernier et perd un bras. Recueilli par Vanderbilt, Tower est soigné par Virginia, infirmière, dans la cache de O'Murchu. Les survivants vont jouer un jeu dangereux avec le colonel Meredith pour venger les morts du Lusitania...

Troisième et dernier tome de cette série de la collection Grand Angle, chez Bamboo Editions, qui a multiplié les titres sur la Grande Guerre avec le centenaire. Après le récit du naufrage, nous voici dans une improbable quête des survivants pour venger les morts du torpillage du Lusitania. Il faut avoir une bonne connaissance des tomes précédents car les personnages sont nombreux, l'action va très vite, change de lieux fréquemment. L'action est rythmée avec un rebondissement final que l'on ne voit pas forcément venir, même si des pistes sont inexploitées (les liens entre services de renseignement britanniques et allemands dans le scénario). Le dessin reste assez agréable. Au final, la série est correcte, même si elle n'est pas transcendantale.



Jeff RUTHERFORD, Combat and Genocide on the Eastern Front. The German Infantry's War, 1941-1944, Cambridge Military Histories, Cambridge University Press, 2014, 423 p.

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Jeff Rutherford, professeur assistant à l'université jésuite de Wheeling, fait partie de cette nouvelle génération d'historiens anglo-saxons en pointe de la recherche sur le front de l'est, dans les directions récentes formulées par l'historiographie. Il a contribué à l'important volume collectif de 2012 sur le sujet, que je fichais récemment.

Ce livre paru l'an dernier prolonge un travail déjà mis en valeur par plusieurs articles, dont on retrouve le contenu ici. En introduction, l'historien rappelle que ce sont les divisions d'infanterie, et non les Panzerdivisionen, qui ont assuré le gros des combats à l'est. Mais elles ont dû également mener à bien des tâches pour lesquelles elles n'avaient pas forcément été préparées, comme l'occupation ou la lutte antipartisans, tout en étant le vecteur de la guerre idéologique voulue par Hitler à l'est. Le comportement de la Wehrmacht de ce point de vue a bien été étudié pour l'opération Barbarossa, mais peu pour la suite, jusqu'à la retraite générale en 1944. Or, à cette date, la majorité de l'armée allemande a eu l'occasion de participer à la guerre d'annihilation voulue par les nazis. La question qui sous-tend l'étude est la même depuis déjà longtemps : pourquoi les soldats allemands se sont-ils comportés de la sorte ?  Rutherford a choisi de se pencher sur 3 divisions d'infanterie : les 121., 123. et 126. I.D., toute levées à l'automne 1940, et qui constituent des divisions "ordinaires" de la Wehrmacht. Chaque division néanmoins recrute plus spécifiquement dans une région, respectivement Prusse Orientale, Berlin-Brandebourg et Rhénanie-Westphalie. Les caractéristiques de chaque zone de recrutement influencent le comportement des soldats, de même que le vécu à l'arrière dans chaque région. Ces 3 divisions ont combattu avec le Groupe d'Armées Nord, le moins bien servi par les historiens même militaires. Or c'est dans ce groupe d'armées que l'occupation allemande a été la plus longue : c'est là que le front bouge le moins entre l'automne 1941 et janvier 1944, les Allemands ont occupé le terrain de deux à trois ans. L'hypothèse de l'historien est que les soldats allemands ne se sont pas forcément comportés de la façon qu'on connaît en raison de l'idéologie nazie, mais plutôt par la doctrine de la "nécessité militaire" répandue par la Wehrmacht elle-même. Johannes Hürter, pour la 18. Armee devant Léningrad, et Manfred Oldenburg, pour la 17. Armee dans le Donets et le Caucase et la 11. Armee en Crimée, ont mis en avant le même postulat. C'est pourquoi l'attitude des 3 divisons envers les civils évolue. Considérés comme des partisans en devenir pendant Barbarossa, exploités pendant l'hiver 1941-1942 alors que la situation est critique, ils bénéficient d'une clémence relative quand l'Allemagne s'installe dans une guerre longue. Néanmoins, nécessité militaire et idéologie nazie ne font pas toujours bon ménage. Et au moment de la retraite, anticipée dès l'automne 1943, la politique de la "terre brûlée" et des "zones de mort" est la règle. En dépit de renouvellements remontant à 35 ans, plusieurs questions restent ouvertes. L'exposition itinérante allemande sur les crimes de la Wehrmacht, en 1995, montre qu'une majorité (60 à 80% selon son directeur) de soldats allemands ont participé à des crimes à l'est. Les travaux d'Omer Bartov expliquent ce résultat par la pénétration de l'idéologie nazie au sein de la troupe. D'autres historiens au contraire, comme Stephen Fritz ou Rolf-Dieter Müller, pensent qu'à peine 5% des soldats ont commis des exactions. Fritz et Christian Hartmann soulignent que les crimes n'ont pas été commis par les soldats de première ligne, mais par des troupes à l'arrière comme les divisions de sécurité. Théo Schulte et Ben Sheperd insistent sur l'utilisation de la terreur comme moyen de pacification dans un contexte où les Allemands sont inférieurs en nombre et en puissance de feu. D'autres historiens se sont penchés sur l'évolution de l'armée allemande entre 1870 et 1945, et notamment sur son face-à-face avec les combattants irréguliers. Les francs-tireurs deviennent un mythe, une légende entretenue dans l'armée allemande après la guerre de 1870, et plusieurs officiers justifient les mesures les plus sévères en raison de la nécessité militaire. Ce qui explique la radicalisation allemande en 1914 à l'égard des civils belges ou français, comme l'a montré le travail de Horne et Kramer. Les Allemands continuent leur politique radicale à la fin de la guerre, dans les combats contre les communistes ou sur les frontières orientales, contre les Polonais. La recherche de la victoire décisive explique déjà la campagne génocidaire dans la colonie allemande du sud-ouest de l'Afrique dès 1904. Cette culture perdure dans l'entre-deux-guerres et jusqu'au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Pendant Barbarossa, l'armée mène une campagne non seulement contre l'armée soviétique, mais aussi contre la société soviétique: une injonction des nazis qui n'a cependant fait qu'accélérer une tendance déjà bien présente dans la Wehrmacht. Pendant la guerre, la force de la Wehrmacht tient à sa cohésion basée sur un système de recrutement régional. Si le système est presque au bord de la rupture en 1941, pendant Barbarossa, il fournit des remplaçants et des convalescents de manière quasi continue jusqu'en 1944. La qualité des remplaçants est même parfois très bonne, car les recrues bénéficient d'un entraînement tiré des premières expériences de combat, à l'arrière du front. Rutherford utilise pour son travail une grande variété de sources : archives officielles, témoignages par l'intermédiaire des lettres ou autres documents écrits par les soldats allemands, littérature secondaire bien sûr, etc.



Dans le premier chapitre, l'historien revient sur les liens entre la Wehrmacht et la société allemande. Une "société violente", comme l'a expliqué l'historien Christian Gerlach. Ces violences, contre les communistes, les "asociaux", les homosexuels, plus tard les Juifs, sont publiques. Les Allemands y participent par congruence idéologique avec le nazisme, mais aussi par une sorte de conformisme. Malgré tout, l'Allemagne reste un Etat fédéral, avec de fortes particularités régionales, même si l'on constate une poussée nationaliste pendant la Grande Guerre. La Prusse Orientale et le Brandebourg connaissent, après 1918, les combats sur les frontières orientales, et l'arrivée de 750 000 réfugiés. Ce sont des régions encore agricoles, à faible densité de population. La grande propriété domine, de même que la classe des Junkers et le protestantisme, le tout donnant une société conservatrice. Le DNVP est majoritaire en Prusse Orientale, et dans le Brandebourg jusqu'en 1928, année où il est dépassé par les socialistes. L'année 1929 est un tournant : le parti nazi s'implante en force dans les deux régions et emporte la mise aux élections de 1932, crise économique aidant. Les nazis n'ont pas instrumentalisé leur idéologie, mais bien les problèmes locaux, pour l'emporter. Berlin, au contraire, qui a pourtant connu les sanglants affrontements entre communistes et Freikorps en 1918 et 1919, devient sous Weimar la "capitale de la modernité". La renaissance culturelle s'opère dans une ville de plus de 4 millions d'habitants, capitale industrielle et commerciale. Pôle ouvrier, Berlin vote majoritairement pour le SPD et le KPD, les deux partis de gauche étant encore en tête lors du raz-de-marée nazi de 1932. Goebbels, nommé Gauleiter de Berlin, savait d'ailleurs fort bien que la tâche serait ardue. En Rhénanie-Westpahlie, les habitants connaissent aussi l'écrasement de soulèvements communistes par les Freikorps. Surtout, les Français occupent la Ruhr de 1923 à 1925 et la Rhénanie jusqu'en 1930. Industrialisée, urbanisée, la région voit l'implantation massive du SPD et du KPD. Mais avec plus de 60% de catholiques, c'est le parti du Zentrum qui domine. Il maintient sa position même avec la poussée des nazis, qui s'affrontent aux communistes. L'importance de ces différences régionales joue incontestablement sur les comportements des soldats dans les divisions étudiées.

Le chapitre 2 détaille les préparatifs allemands pour l'opération Barbarossa. La guerre contre l'URSS, conçue au départ pour priver l'Angleterre d'un allié possible, se transforme rapidement en guerre d'annihilation, où l'URSS n'est qu'un entrepôt géant à vider et à piller. Les plans allemands de l'OKH et de l'OKW insistent sur l'objectif que constitue Moscou, là où Hitler est plus intéressé par Léningrad et l'Ukraine, et méprise en particulier la résistance que peut offrir l'Armée Rouge. Les trois divisions étudiées par Rutherford font partie du Groupe d'Armées Nord de von Leeb : 18. Armee qui doit foncer dans les Etats baltes, 16. Armee pour faire la jonction avec le Groupe d'Armées Centre, Panzergruppe 4 pour la percée et l'exploitation. Une division d'infanterie allemande comprend alors théoriquement un peu plus de 17 000 hommes, surtout occupés dans les fonctions de combat, une combinaison interarmes organisée autour de 3 régiments d'infanterie et un d'artillerie. Mais les 3 divisions du livre appartiennent à la 11ème vague de mobilisation (10 divisions levées à l'automne 1940), pour porter la Wehrmacht à 180 divisions lors de Barbarossa : elles ne comprennent que 13 000 hommes, dont un tiers de recrues novices et deux tiers de vétérans. Si les hommes sont en moyenne plus âgés, et si la 121. I.D. est satisfaite pour un de ses régiments, il n'en va pas de même pour un autre de ses régiments d'infanterie ; la 126. I.D. se plaint de certains de ses officiers. Au niveau du matériel, la situation est encore pire : seule la 121. I.D. est jugée opérationnelle. Les recrues, préparées dans des bataillons de marche d'environ un millier d'hommes, sont soudées par l'appartenance régionale. On sait que la 121ème, par exemple, regroupe 80% d'hommes venus de Prusse Orientale et 15% de Rhénanie-Westphalie. La 123ème, en revanche, pose de nombreux problèmes de discipline à son commandant : c'est la division qui recrute majoritairement à Berlin, "cité rouge". En résumé, les 3 divisions sont, au sein de la Wehrmacht prête à attaquer l'URSS, plutôt "en-dessous de la moyenne", pour reprendre l'expression de Christian Hartmann sur la 296. I.D. . Dès le 30 mars 1941, Hitler a exposé à ses généraux ses buts de guerre, économiques et idéologiques. La bureaucratie prévoit par exemple, dès mai 1941, d'affamer 30 millions de Soviétiques en pillant de manière organisée les ressources alimentaires. Pour Barbarossa, la Wehrmacht collabore de manière plus étroite avec la SS pour délimiter l'action des Einsatzgruppen, qu'elle voit comme un instrument de pacification à l'arrière. Les ordres criminels, comme celui prescrivant l'élimination des commissaires politiques après capture ou la non sanction d'exactions contre les civils, sont diffusés peu de temps avant l'attaque. Le 2ème corps d'armée, formation qui contrôle la 121ème division, assimile dans ses directives les Juifs aux partisans. La 126ème division prépare ses hommes, dans les entraînements, au combat anti-partisans, avec toutes les "ruses" que peut utiliser l'ennemi (soldats faussement blessés, véhicules faussement détruits pour tirer à courte portée, etc). L'officier de renseignements souligne aux officiers de la 121ème division le traitement spécial à réserver aux commissaires. Dans le cadre de la collaboration avec les Einsatzgruppen, la 123ème division prend contact avec la Gestapo à Eydtkau et Schirwindt en Prusse Orientale. Fin mai,cette même division, lors de wargames de la 16. Armee, astreint ses prisonniers au travail forcé. Un peu plus tard, l'ordre des commissaires est mis en avant. Les trois divisions ont reçu une information idéologique plus renforcée selon les voeux du commandant en chef de l'armée, von Brauchitsch. Küchler, le commandant de la 18. Armee du Groupe d'Armées Nord, illustre la fusion entre la nécessité militaire définie par l'armée allemande et le fond idéologique fourni par les nazis : il édicte dans ses ordres la vision de la guerre d'annihilation et l'ordre des commissaires. Il est difficile de se faire une idée précise de l'impact global de ces préparatifs sur les 3 divisions étudiées, même si l'on a vu les exemples cités ci-dessus.

Dès le 22 juin 1941, les Allemands peuvent mesurer combien l'Armée Rouge n'est pas le "colosse aux pieds d'argile" si longtemps décrit. La 121ème division se heurte le premier jour à une forte résistance en Lituanie, de même que la 123ème division. Elles perdent respectivement 1 100 et 760 hommes en un mois de combat. Seule la 126ème division est relativement épargnée. Dès les premiers jours, les Allemands se sentent les victimes de méthodes de combat non conventionnelles, accumulant les stéréotypes racistes contre les soldats d'origine asiatique ; il n'y a pas de partisans, mais des unités soviétiques dépassées par l'avance allemande qui tentent de se dégager et attaquent les lignes de communication et les arrières de la Wehrmacht. A Kazlai, un village lituanien, la 121ème division manque de fusiller tous les hommes du village après avoir essuyé des coups de feu. Toutes les divisions d'infanterie doivent poursuivre, avec des marches de 35 km par jour. La 126ème division achève les formations soviétiques disloquées par le Panzergruppe 4. Alors que la 121ème division franchit la Dvina et livre de violents combats, la 123ème division a un parcours moins violent. Elle poursuit jusqu'à Kholm, doit néanmoins affronter une violente contre-attaque soviétique et faute de recrues de remplacement, est contrainte de mobiliser ses troupes arrières en première ligne. La 126ème division, qui connaît un dur baptême de feu à la mi-juillet, réagit brutalement lorsqu'un bataillon d'artillerie est pris sous des tirs dans le village de Dorochova : les 7 hommes du village sont fusillés, les maisons incendiées. C'est plutôt l'exception pendant Barbarossa, mais l'incident montre la combinaison entre le contexte militaire et l'arrière-plan idéologique, utilisé pour la justification dans le cadre de la "nécessité militaire". Le commandant de la 121ème division a donné, dès le 22 juin, un ordre du jour très inspiré par les standards nazis. Durant le mois où la Wehrmacht contrôle la Lituanie et la Lettonie avant leur passage sous administration civile, le 25 juillet, le massacre des Juifs commence. La 121ème division semble mieux traiter les Juifs parlant allemand, ce qui montre les limites du processus d'endoctrinement. Elle assiste aux pogroms menés par les Lituaniens à Kovno, sans intervenir : le commandement allemand, au mieux, est indifférent, voire encourage les massacres, qui s'accroissent avec l'entrée en scène de l'Einsatzgruppe A. Les soldats allemands des trois divisions ont des stéréotypes marqués quant aux habitations, aux villes et aux habitants soviétiques qu'ils rencontrent (tout comme à l'encontre des "Asiatiques" de l'Armée Rouge). Cette vision influence leur traitement des civils. Le nazisme n'a pas fait disparaître complètement la compassion du soldat pour les civils, mais en revanche la haine de l'Etat bolchevique est très forte. Le Groupe d'Armées Nord est au départ le moins concerné des 3 par les problèmes de ravitaillement : néanmoins, les consignes initiales interdisant aux soldats allemands de vivre sur le pays (pour préserver le pillage organisé) sont rapidement levées. Il faut dire que dès la fin de l'été, la viande envoyée de l'arrière pourrit ; le système de ravitaillement est dépassé par l'état des routes ; et les soldats soviétiques isolés attaquent les colonnes de logistique, comme ce convoi du 418ème régiment de la 123ème division, anéanti le 19 juillet. Cette division est d'ailleurs la première à vivre sur l'habitant dès la fin juin-début juillet. Le résultat est que les premiers noyaux de partisans s'en trouvent renforcés. Alors que la 121ème division adopte un comportement restreint à l'égard des civils, la 126ème division au contraire réagit avec une grande brutalité. Dans le pillage, en revanche, les 3 unités sont sur le même plan. Cependant, dans les premiers mois, les divisions se concentrent principalement sur la défaite de l'Armée Rouge.

Le chapitre 4 décrit l'avance sur Léningrad. Le front du Groupe d'Armées Nord s'étend en raison de l'avance en URSS, mais ses effectifs s'amenuisent. Début août, le 28ème corps d'armée, qui comprend la 121ème division, avance au nord-est vers Léningrad, flanquant à l'est le Panzergruppe 4 ; le 2ème corps, avec la 123ème division, est en route vers Kholm, à l'est. Le 10ème corps, avec la 126ème division, est entre les deux, dans la direction de Staraia-Russa/Novgorod. Les divisions vont désormais combattre dans des contextes différents, et leur attitude ne sera pas la même. La 121ème division livre encore de durs combats pour percer la ligne de la Louga et franchir le cours d'eau. La 126ème division perd 1 500 hommes en une semaine dans une tentative pour prendre Staraia Russa. La 123ème division doit également faire face à forte partie devant Kholm. Un régiment de cette dernière division est prélevé pour boucher un trou entre les 10ème et 2ème corps d'armée. Le 18 septembre, la 121ème division parvient au terme de son avancée en prenant Slutsk/Pavlovsk. La 126ème division prend part à la dernière grande offensive allemande le 16 octobre, pour détruire les forces soviétiques dans le corridor Schlüsselburg-Mga. Mais la division est finalement rejetée au-delà du fleuve Volkhov à la mi-décembre. La 123ème division, qui connaît encore des problèmes de discipline, pousse à l'est sur les collines de Valdai et la ville de Demyansk. Les effectifs s'étiolent, les distances à contrôler s'agrandissent. Durant l'automne 1941, l'attitude allemande dans la lutte antipartisans se durcit, tournant confirmé par une directive de Keitel le 16 septembre. Les officiers du Groupe d'Armées Nord le traduisent par des ordres de plus en plus brutaux. L'activité des partisans se développe en effet, en particulier dans le secteur de la 16. Armee, où le 2ème corps (avec la 123ème division) fait la jonction avec la 9. Armee du Groupe d'Armées Centre, secteur où se trouve l'une des plus importantes concentrations de partisans. La 121ème division, qui rencontre il est vrai peu d'activités irrégulières, n'a pas laissé de traces d'exactions. La 126ème division, au contraire, monte des opérations anti-partisans ses ses arrières jusqu'en octobre, moment où elle entame une politique de la terreur, avec les premières exécutions publiques. Elle met en coupe réglée le territoire occupé, et s'occupe de recenser la population en vue de son évacuation. Le 30 octobre, après une attaque de faible ampleur contre une unité de ravitaillement, une femme est exécutée. Une autre opération anti-partisan peu après conduit à la mort de 29 "partisans", probablement pour l'essentiel des civils non armés. La 123ème division dispose de peu d'effectifs pour patrouiller un territoire avec de nombreuses forêts et des marécages. Du 15 au 25 août, elle a déjà arrêté 21 "suspects" et exécuté un commissaire. La division procède à des évacuations forcées et à des déportations d'habitants dans le cadre de la lutte antipartisans. L'activité des partisans n'est pourtant pas ralentie : le 2ème corps lance, le 16 décembre, une opération qui aboutit à la destruction de 11 villages, et à la mort de 85 personnes, dont "12 partisans avérés". Fin novembre-début décembre 1941, selon un rapport de la 16. Armee, 387 partisans sont abattus, 124 soldats de l'Armée Rouge et 35 "suspects" sont arrêtés, au prix de 11 soldats allemands tués et 10 blessés. La 121ème division, située dans une région plus urbanisée et mieux servie par les voies de communication, a moins de difficultés de ravitaillement que ses deux consoeurs. Les 123ème et 126ème divisions manquent non seulement de nourriture mais aussi de vêtements d'hiver : 600 hommes de cette dernière sont victimes d'engelures dans la première semaine de décembre.

Le chapitre 5 traite de l'occupation de Pavlovsk par la 121ème division. L'unité y demeure du 19 septembre 1941 au 30 avril 1942, moment où elle est redéployée sur le Volkhov. Les villes soviétiques sont un exemple intéressant de la politique d'occupation : la vitesse de l'offensive impose de les prendre, mais la politique d'annihilation d'affamer leur population. Au moment où la division prend Pavlovsk, des consignes très sévères ont été données à l'encontre des civils qui tentent de passer les lignes. Les Allemands procèdent immédiatement à un recensement : 13 000 habitants, dont 3 000 réfugiés ou soldats de l'Armée Rouge. Les valides sont d'abord transférés dans un camp de prisonniers ; puis 6 000 personnes sont déportées dans des camps de travail en URSS occupée au nord-ouest, ou en Allemagne. 3 500 ne reviennent pas. La 121ème division a établi 3 camps de prisonniers dans et autour de la ville : un millier de détenus meurent de faim. La division laisse les SS massacrer les Juifs de la ville, sans qu'on ait la preuve de la participation de l'unité aux fusillades. Le Sonderkommando 1B, de l'Einsatzgruppe A, vient fusiller le 24 septembre 9 civils dont 6 pris avec des explosifs après le couvre-feu, suite à l'attaque d'un soldat allemand. La division arrête 3 civils avec un émetteur radio et 2 femmes suspectées d'être des espionnes. 5 partisans en possession de papiers allemands sont exécutés le 5 octobre, puis 10 civils sont fusillés en raison des nombreuses coupures de câbles téléphoniques. 10 autres civils sont passés par les armes peu après. En deux semaines, 34 personnes ont été exécutées. La 121ème division collabore, à Pavlovsk, main dans la main avec la SS. Par la suite, bien que continuant la lutte antipartisans, elle confie les exécutions au SD ou à l'Einsatzgruppe, respectant le partage des tâches initial. C'est qu'aussi la propagande allemande tente de détacher les civils du régime soviétique. La 121ème division fait également travailler 1 300 personnes à son service en février 1942. Les Allemands fréquentent quotidiennement la population soviétique, sans séparation stricte, comme en témoignent les 67 cas de maladie vénérienne. Les villes soviétiques vont être affamées pour nourrir l'Allemagne, ainsi Kiev ou Kharkov. Léningrad, que les Allemands décident finalement, à la mi-juillet 1941, d'assiéger pour la réduire à capituler, perd un million d'habitants au moins jusqu'en 1944. La situation alimentaire des civils en zone occupée par les Allemands devant Léningrad est catastrophique. Les Allemands tentent de régler le problème en évacuant la population, mais n'ont pas les moyens de transport suffisants. L'ordre de Reichenau, le 30 octobre, interdit aux soldats allemands de se préoccuper des civils sur le plan alimentaire. Le Wirtschaftsstab Ost est débordé. 6 000 habitants de Pavlovsk meurent littéralement de faim, dont 387 enfants de 3 à 13 ans regroupés par les Allemands dans un orphelinat. La 121ème division doit réprimer des cas de cannibalisme. L'armée allemande continue pourtant, à la marge, de donner de la nourriture aux civils mais dans des proportions insuffisantes. Sans parler du fait que la 121ème division confisque des vêtements d'hiver, dont elle n'est pas pourvue, aux habitants. Ladite division, qui s'installe dans une guerre de positions, n'a plus le moral d'antan : juste avant la prise de Pavlovsk, un bataillon avait refusé de monter à l'assaut, avant que celui-ci ne soit finalement annulé... les fantassins allemands, en novembre-décembre 1941, font face à des contre-attaques soviétiques où ils sont surclassés en artillerie et à la peine face aux chars les plus récents. 10 000 des 15 000 habitants de Pavlovsk ont succombé, sous le coup de la nécessité militaire imposée par la 121ème division et de sa collaboration avec la SS et le Wirchaftsstab Ost. Et paradoxalement les soldats allemands ont parfois donné à manger aux civils ; le 50ème corps doit même faire exécuter publiquement 2 soldats d'un dépôt qui vendaient la nourriture aux Soviétiques...

Dans le chapitre 6, Rutherford revient sur l'échec de Barbarossa. L'échec allemand est dû à un manque d'hommes, à des difficultés de ravitaillement et à une focalisation trop étroite sur le champ de bataille seul, en méprisant totalement le sort des civils qui rejoignent les partisans ou une attitude anti-allemande, comme on le voit très bien dans le parcours des 3 divisions étudiées. Le Groupe d'Armées Nord n'a pas assez d'hommes pour prendre Léningrad, maintenir la jonction avec son voisin et construire des défenses sur ses flancs. Dans le premier mois et demi, il reçoit 14 000 remplacements pour 42 000 pertes. Le général Fromm, qui dirige l'armée de réserve, avait pourtant prévenu que les 400 000 hommes de réserve disponibles seraient probablement épuisés au mois d'octobre, et ce dès mai 1941. La 121ème division perd 6 387 hommes, 35% de son effectif. La 126ème division compte 3 465 pertes et la 123ème 4 839. Juillet-août-septembre ont connu les coupes les plus sombres. Dans le système de remplacements, on regroupe les convalescents en compagnies de marche de 150 hommes pour retourner au front. Entre le 31 juillet et le 12 décembre, la 121ème division reçoit 6 bataillons de marche de l'arrière, 5 267 hommes. Mais beaucoup n'ont pas l'entraînement suffisant. La 126ème division reçoit 4 998 hommes et la 123ème division 2 902 hommes, dont la plupart, contrairement aux deux autres, ne sont pas issus de la même région. Si la cohésion est maintenue dans deux divisions, et si la 121ème division reçoit plutôt des vétérans, le manque d'hommes est là : les compagnies perdent 30% de leur effectif. L'infanterie, composante principale du groupe d'armées, est donc affaiblie. L'autre problème des divisions est le ravitaillement précaire, particulièrement pour les 123ème et 126ème, qui sont dans le "désert" de la 16. Armee. Pour emporter rapidement la décision, la Wehrmacht a fait sienne les directives nazies, comme le montre l'exemple de l'ordre des commissaires, censé désarticuler l'Armée Rouge en la privant de cadres combattifs. La 121ème division conserve le comportement le moins brutal, car elle fait face à moins de partisans, et se trouve dans un secteur où elle est plus densément présente, tout l'inverse de ses deux consoeurs, mais l'occupation de Pavlovsk montre sa participation à la guerre d'annihilation.

Le chapitre 7 aborde la contre-offensive d'hiver soviétique en 1942. Les Allemands eux-mêmes reconnaissent que l'Armée Rouge gagne en capacité, et ce dès avant les contre-attaques de janvier 1942 devant Léningrad, qui vont conduire à des crises locales pour les 123ème et 126ème divsions. Au sud du lac Ilmen, le Front du Nord-Ouest lance le 7 janvier une attaque vers Staraia Russa et Demyansk, menaçant de détruire une partie de la 16. Armee et de couper le Groupe d'Armées Nord de son voisin. La 123ème division reçoit le choc de plein fouet. Les combats sont extrêmement violents et les rapports font état de nombreux corps-à-corps ; la division compte aussi de nombreux cas d'engelures. Enfermée dans la poche de Demyansk, elle ne compte plus que 8 à 9 000 hommes le 19 janvier, dont les trois quarts souffrent du gel. Quelques unités de la division sont aussi dans la poche de Kholm, au sud-ouest. Du 16 janvier au 15 mars, la 123ème division doit repousser d'incessantes attaques soviétiques pour écraser la poche : elle compte 3 500 cadavres devant ses positions. L'artillerie soviétique matraque les habitations et tous les refuges possibles. Le 8 janvier, la 126ème division subit elle aussi le choc de l'assaut soviétique sur le Volkhov. Son front est enfoncé en deux jours, avec 2 500 pertes dont 1 000 par engelures. La 2ème armée de choc soviétique vise Liuban, mais ne parvient pas à avancer et reste bloquée, reliée au reste des forces soviétiques par un étroit corridor. Le 15 mars, la 126ème division fait partie de la pince nord d'une attaque visant à cisailler le corridor, qui échoue. La division a perdu 16% de son effectif combattant à cause du gel. Dans ce contexte de crise, le comportement des 123ème et 126ème divisions se radicalise encore. En se repliant, elles détruisent les habitations et les autres bâtiments, conformément aux ordres reçus des formations supérieures. Les civils sont réquisitionnés pour du travail forcé. La 123ème division, pour éviter les problèmes sur ses arrières, évacuent une petite ville de 1 130 habitants en février. La 126ème division, attaquée sur ses arrières par les partisans, et dont une unité trouve, dans le rapport en tout cas, des cadavres allemands mutilés par les Soviétiques, exécute plus d'une centaine de prisonniers ; les 15 survivants envoyés à l'arrière sont abattus ensuite après avoir tenté d'agresser leurs gardiens. L'incident se répète à plusieurs reprises, à une époque où la 126ème division contrôle des formations de la 2ème brigade SS, une formation utilisée pour les opérations antipartisans par le Groupe d'Armées Nord. La division n'a pourtant pas tenu compte des ordres qui disent de faire des prisonniers. Cette division se signale donc par une application plus idéologique de la guerre que ses deux consoeurs.

Dans le huitième chapitre, Rutherford explique le changement de la politique d'occupation allemande. La 121ème division reste dans un secteur calme avant d'être transférée sur le Volkhov en avril 1942. Les Allemands ont bouclé la poche une première fois le 20 mars, mais au prix de lourdes pertes : 427 hommes pour un régiment de la 126ème division en deux jours. La bataille dure jusqu'au 28 juin pour liquider la 2ème armée de choc. La 121ème division, qui fait partie de la branche sud, y laisse 5 000 hommes environ, dont près de 600 tués. Les massacres de prisonniers soviétiques ont visiblement été monnaie courante. La 126ème division sort également très éprouvée de l'anéantissement de la poche : de janvier à mai 1942, elle perd plus de 1 200 tués, 3 900 blessés, 340 disparus plus 1 545 cas d'engelures. Les Allemands commencent, avec la raspoutitsa, à vouloir une politique d'occupation plus constructive. Même Reichenau, avant de succomber à une crise cardiaque en janvier 1942, l'avait formulé dans un document. L'OKH le formule explicitement en mai 1942. Küchler, le nouveau commandant du Groupe d'Armées, l'a indiqué dès le mois de février. Les 3 divisions pourtant continuent d'employer des civils pour les travaux forcés, notamment pour construire des routes de fortune dans la boue. Hitler annule l'ordre des commissaires le 6 mai ; la 121ème division, qui en exécute encore un le 13 dans la poche du Volkhov, en épargne un capturé le 30 juin. Ce qui ne l'empêche pas de demander 100 prisonniers au 1er corps pour nettoyer un champ de mines. La 123ème division, qui tient le sud de la poche de Demyansk, dont les unités sont fragmentées, malgré ce manque de cohésion, ne bascule pas dans un comportement plus brutal. Une tête de pont terrestre est finalement établie en avril 1942, et les unités allemandes tiendront la poche jusqu'au repli de février 1943. La 123ème division pose devant ses positions, en 1942, 22 000 mines et 400 rouleaux de fil de fer barbelé. Elle fait travailler de nombreux civils aux travaux de terrassement. Des efforts sont faits pour ne pas laisser mourir de faim les civils, victimes de la famine à l'approche de l'été. Les relations s'améliorent, le commandement se désespérant des contacts que les soldats entretiennent avec les femmes soviétiques. Néanmoins l'Allemagne a besoin de main d'oeuvre : dans le secteur de la 123ème division, 774 personnes sont listées en une semaine pour la déportation en Allemagne ; 7 convois emmènent 911 civils. La division déporte entre 2 et 3 000 civils de son secteur pour limiter la famine et la menace des partisans. La Wehrmacht a-t-elle souffert d'un manque d'effectifs de remplacement avec la contre-offensive soviétique d'hiver ? La 121ème division perd 2 208 hommes entre janvier et mai ; la 126ème plus de 5 300 et la 123ème 4 239. Ecartelé au moment de Barbarossa, le système de remplacement, pour le Groupe d'Armées Nord, retrouve une certaine efficacité. La 121ème division reçoit 1 359 hommes en février, et 1 400 en mars-avril, souvent de Prusse Orientale. La 126ème division reçoit plus de 5 000 hommes jusqu'en avril, dont 10% de convalescents. Ces vétérans sont appréciés car les autres recrues sont de moins bonne qualité. Seule la 123ème division, encerclée, est moins bien lotie : 1 765 remplacements. Les deux autres divisions reçoivent plus d'hommes qu'elles n'en perdent, et gardent une bonne cohésion de recrutement.

Le chapitre 9 décrit le prolongement de cette nouvelle politique d'occupation. L'Armée Rouge continue d'attaquer la poche de Demyansk. Les Allemands doivent y transférer plusieurs unités, dont la 126ème division. Celle-ci n'a été retirée du Volkhov que pendant deux semaines. Du 27 septembre au 10 octobre 1942, elle participe à l'opération Michael qui vise à élargir le corridor vers la poche. Les pertes sont lourdes : 1 830 hommes en 13 jours. La 121ème division, elle, est retournée devant Léningrad. Elle est rattachée en septembre à la 11. Armee, celle de Manstein, chargée de mettre Léningrad à genoux. En juillet, elle a dû repousser une attaque soviétique qui a pris ses premières lignes, reconquises au prix de 110 pertes. Le 27 août, l'Armée Rouge tente de réduire le corridor coupant Léningrad des forces soviétiques à l'est de la ville. La 121ème division est engagée pour réduire la pénétration : elle fait 2 060 prisonniers et décompte 1 000 cadavres, mais perd elle-même 591 tués, 2 395 blessés et 97 disparus. Elle est mise au repos pour 3 mois. En juillet, les Allemands ont introduit des cartes de rationnement à Pavlovsk. Mais la 121ème division évacue la population requise pour travailler en Allemagne : 1 410 de Pavlovsk, 1810 de Pouchkine au 9 août. Il ne reste que ceux incapables de travailler ou les femmes et enfants qui travaillent déjà sur place pour la division. La 126ème division, transférée dans la poche de Demyansk, adopte des comportements plus conciliants à l'égard des civils. Cela n'empêche pas qu'elle livre 60 civils, en décembre 1942, à la Geheim Feld Polizei de Staraia Russa. La division utilise cependant des collaborateurs locaux, recrute 237 prisonniers de guerre (Hiwis) et 10 civils en septembre. La Wehrmacht est en effet en pénurie d'hommes : les 350 000 hommes reçus jusqu'en septembre 1942 ne compensent pas les 600 000 pertes. La 121ème division perd un bataillon par régiment d'infanterie, suivie par ses deux homologues, dès le 15 juillet 1942. Les remplacements comblent les pertes mais n'autorisent pas la division à retrouver son niveau d'antan. Néanmoins, les recrues sont mieux entraînées et beaucoup de convalescents reviennent aussi à la 121ème division. La 126ème division, elle aussi, reçoit plus de 2 400 convalescents, ce qui maintient sa cohésion, tout comme la 123ème division qui en réceptionne plus de 1 500, et cette fois de sa région de recrutement. Dans les divisions allemands, ces recrues arrivent dans les unités de combat. C'est la "queue" logistique des unités qui recrute de plus en plus de Hiwis. La 121ème division a un parcours bien différent, en 1942, des deux autres unités, encore une fois. Mais la politique de conciliation avec les civils se heurte aux objectifs d'une guerre d'exploitation. Ce qui assure une énorme variété dans la politique d'occupation.

Dans le chapitre 10, l'historien évoque la reconstruction du Groupe d'Armées Nord. Celui-ci conserve ses positions jusqu'en 1944. Les 3 divisions, dont 2 ont été retirées de la poche de Demyansk en mars, connaissent une période de répit, mais sont davantage impliquées dans les opérations antipartisans et de déportation de la population qui vont gonfler la résistance. En janvier 1943, les Soviétiques rétablissent un corridor terrestre avec Léningrad. Lorsque le 2ème corps évacue la poche de Demyansk, un mois plus tard, le Führer a édicté le Führerbefehl n°4, qui marque le passage à une politique organisée de terre brûlée et de destruction généralisée en cas de retraite. Tous les hommes valides et toute la population sont évacués, les biens confisqués, tout ce qui ne peut être emmené est détruit. La 123ème division emmène à sa suite plus d'un millier de civils. La 126ème division est l'une des dernières formations à quitter la poche, début mars. La 121ème division, quant à elle, gagne la réputation de "pompier" dans son secteur. Engagée pour contrer une percée du Front du Volkhov, elle perd 3 000 hommes, dont de nombreux officiers et sous-officiers. En juillet-août, elle est déployée contre l'offensive soviétique sur les hauteurs de Siniavino, et perd encore 1 900 hommes. La 126ème division, est qui aussi engagée dans ce secteur, doit mener de violents combats, qui là encore se terminent souvent au corps-à-corps. Les trois divisions reçoivent encore, en 1943, des renforts en quantité suffisante. La 126ème division accueille 6 000 convalescents, la 123ème 2 170. C'est de cette année que date l'incorporation des premiers Allemands de l'extérieur du Reich, qui sont souvent regardés avec suspicion. La 121ème développe un programme d'entraînement réaliste pour ses nouvelles recrues ; le SD détache même un élément à Liuban pour la décharger de la lutte antipartisans. La 126ème division fait de même depuis le printemps 1943. En face en revanche, la qualité de l'entraînement des recrues de l'Armée Rouge, vite incorporées, n'est pas toujours à la hauteur.

Le chapitre 11 revient sur la contradiction entre politique d'occupation et nécessité militaire. Si la 126ème division appelle encore à bien traiter les civils en avril 1943, la 18. Armee fait évacuer le même mois une bande de 20 km en arrière du front. Le mouvement s'étale jusqu'en juin. L'activité des partisans monte en puissance au fil de l'année. La 121ème division est impliquée dans de nombreuses opérations antipartisans, notamment dans la redoutée "forêt des bandits". Le 31 mai, la 18. Armee fait détacher le Jagdkommando de la division dans la zone arrière, le Korück 583, sans grand résultats. La 126ème division, qui arrive devant Léningrad en août, combat les partisans en établissant des zones interdites aux civils et en utilisant les services de deux propagandistes russes. La 123ème division affronte une menace d'une toute autre ampleur, avec une formation organisée, la 21ème brigade de partisans. Elle monte sa propre compagnie de chasse : en avril-mai, une opération conduit à la capture de 144 partisans, 177 autres ayant été abattus. La menace partisane étant réduite, la division commence à organiser son secteur d'occupation et à collecter les ressources alimentaires. Elle aussi évacue près de 1 500 civils à l'arrière. En octobre, le Groupe d'Armées Nord prévoit de déporter pas moins de 900 000 civils sur la position de repli prévue, la ligne Panther. Entre le 30 septembre et le 16 octobre, pas moins de 40 000 personnes sont déplacées de force ; en février 1944, le mouvement aura concerné 295 000 civils. Côté allemand, le moral n'est pas au plus haut : à l'incapacité évidente de prendre Léningrad s'ajoute le pilonnage aérien par les Anglo-Américains des villes du Heimat. La 126ème division subit une chute du moral qui se traduit par les premiers cas de désertion, en novembre 1943. La Wehrmacht répond par un renforcement de l'endoctrinement nazi, avec conférences, lectures, films, comme dans le 50ème corps dont dépend la 126ème division.

Dans le dernier chapitre, Rutherford décrit la retraite allemande sur la ligne de Panther et la politique de terre brûlée qui l'accompagne. Les deux projets ont été prévus dès octobre 1943, avec un Groupe d'Armées Nord très inférieur en nombre aux forces soviétiques qui lui font face, et qui sert encore de réservoir pour d'autres parties du front. Dans la seconde partie de l'année, Küchler perd 40% de ses effectifs. Avant l'offensive soviétique de janvier 1944, la 123ème division est ainsi envoyée à la 1. Panzerarmee en Ukraine. Réengagée dans la guerre mobile, au sein de la tête de pont de Zaporoje, la division subit 2 300 pertes en octobre 1943. Elle participe à des déplacements forcés de civils, avant d'être détruite lors d'une offensive soviétique déclenchée le 30 janvier 1944. Les 121ème et 126ème division sont encore considérées comme de bonnes unités. L'offensive soviétique frappe la seconde, déployée entre la poche d'Oranianenbaum et Léningrad, le 15 janvier 1944. 40 000 partisans opèrent désormais sur les arrières allemands. La 126ème division se replie pour éviter l'encerclement. Une semaine après le début de l'attaque, elle n'aligne plus que 673 hommes. Küchler ordonne le repli vers la ligne Panther le 29 janvier, contre les ordres d'Hitler, qui le remplace bientôt par Model. La 126ème division est engagée dans une contre-attaque à partir de la rive est du lac Peïpous. La 121ème division est enfoncée sur le front de Novgorod et perd 2 200 hommes. La 126ème division, fracassée, se retranche dans Pskov. Elle trouve encore l'énergie de déporter 2 500 civils vers l'arrière, et 16 500 en tout jusqu'à la fin mars. La 121ème division, qui finit au sud de Pskov, traverse un territoire où tous les villages ont été systématiquement incendiés, et elle contribue elle-même aux incendies. Lors de l'évacuation de Pskov, entre les 24 jun et 5 juillet, la 126ème division fait sauter tous les bâtiments industriels et de sources d'énergie, ne laissant derrière elle qu'un champ de ruines.

En conclusion, l'historien souligne combien le fantassin allemand a participé à la décimation de la population soviétique. Même au Groupe d'Armées Nord, où la mission première reste le combat de ligne, les trois divisions étudiées ont participé à l'entreprise nazie de guerre d'annihilation : extermination des Juifs, famine organisée, lutte antipartisans, déportation de populations, terre brûlée... sous l'idéologie nazie se cachent en fait des visions et des réflexes qui remontent au moins à la Grande Guerre. L'importance du contexte militaire est là, aussi, comme le montre le cas de la 123ème division, plus brutale quand elle est en difficulté. Surtout, l'armée prussienne et allemande développe une logique de nécessité militaire qui n'épargne pas les civils, pour frapper vite et fort. C'est ce que l'on voit durant l'opération Barbarossa, avant la radicalisation provoquée par la crise de l'hiver 1941-1942. Le changement de politique, plus conciliante à l'égard des civils après l'échec de la première campagne est finalement anéanti par les déportations forcées. Et les divisions allemandes étudiées peinent à se départir de comportements brutaux, qui redeviennent la règle avec la retraite de 1944. La 121ème assiste sans broncher au massacre des Juifs à Kovno puis à Pavlovsk. Le massacre des Juifs a été moins important dans le secteur du Groupe d'Armées Nord, mais c'est aussi qu'ils y étaient moins nombreux. La 121ème division s'est faite la complice de la politique d'annihilation à Pavlosvk. Dans la lutte antipartisans, au déchaînement de violence contre les civils de la 126ème division, puis de la 121ème, répond l'organisation méthodique de la 123ème. Celle-là même qui, menacée dans sa survie, a su adapter sa politique d'occupation vers plus de conciliation. C'est aussi la seule qui disparaît avant la fin de la guerre : la faute à un recrutement dans un bastion antinazi, et à des remplacements non issus de sa région d'origine (contrairement à la 121ème, alimentée de manière continue en Prussiens de l'est ?). La 126ème division reste le cas le plus difficile : comment expliquer la brutalité de 1941-1942 ? Par le recrutement assez homogène, par une idéologie nazie plus présente ? Son comportement montre en tout cas que la Wehrmacht avait envisagé, dès le départ, une guerre féroce, d'une violence sans précédent, pour mettre l'URSS à genoux.


Pierre GRANDET, Ramsès III. Histoire d'un règne, Paris, Pygmalion, 2009, 420 p.

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Pierre Grandet est un égyptologue, qui a étudié à l'université Paris-IV Sorbonne et qui a enseigné à l'université catholique de l'Ouest d'Angers. On lui doit plusieurs ouvrages dont celui-ci, paru initialement en 1993, consacré au pharaon Ramsès III. Un pharaon qui laisse sa trace dans l'histoire avec le temple de Médînet Habou, construction qui raconte sa victoire sur les Peuples de la Mer.

Peu connu, Ramsès III, qui règne de 1184  à 1153 avant notre ère, est le dernier grand phararon du Nouvel Empire et le principal de la XXème dynastie. On l'a souvent ignoré parce qu'il a voulu imiter Ramsès II, et que certains ont préféré le soi-disant original à la soi-disant copie. Est-il cependant possible de procéder à la biographie du pharaon ? Concernant Ramsès III, les sources abondent, notamment les inscriptions. Deux sortent du lot : celles du temple de Medinet Habou et  surtout le papyrus Harris I du British Museum, probablement réalisé par Ramsès IV à la mort du souverain. L'Egypte de Ramsès III se divise encore entre Haute et Basse-Egypte, mais le delta a tendance à se couper entre ses parties est et ouest, tandis que le Fayoum prend de l'importance. Les pharaons sont établis à Pi-Ramsès, dans le delta. L'Egypte a alors renoncé, pour la deuxième fois, à mener le "Grand Jeu" du Proche-Orient contre l'adversaire hittite.



La paix signée par Ramsès II en 1259, après Qadesh, demeure inviolée jusqu'à sa mort en 1212. Après le règne de Mérenptah, la confusion s'installe au pouvoir avec plusieurs règnes très courts marquant la fin tumultueuse de la XIXème dynastie. C'est probablement du milieu des officiers de l'armée qu'est issu Sethnakht, fondateur de la XXème dynastie, qui ne règne que quelques années, mais rétablit l'autorité de la monarchie sur tout le pays.

Ramsès III succède à son père qui ne règne que quelques années. Il est investi à Karnak, mais il est soucieux de sa légitimité : sa titulature montre qu'il veut incarner l'idéal du souverain au long règne, du chef militaire et du roi sage et juste. C'est aussi le moment où pharaon devient le représentant sur terre d'un dieu aux multiples facettes. De ses deux épouses principales, Ramsès III a 5 fils, dont 3 lui succèderont. Le pharaon s'installe à Pi-Ramsès, capitale tournée vers le Levant et la Méditerranée, et y bâtit des constructions. Il réorganise rapidement l'administration et l'armée. En l'an 5 du règne, Ramsès III mène une démonstration de force en Nubie, pourtant l'une des plus calmes des colonies égyptiennes. L'économie de l'Egypte ancienne obéit à un mode redistributif, où le pharaon concentre les richesses puis les répartit entre les institutions. A Pi-Ramsès, le pharaon dispose de la Maison du Roi. Les services administratifs comprennent un grand intendant, chargé de l'économie du royaume, et un bureau des dépêches du seigneur du Double-Pays, pour la correspondance. Un directeur des prêtres de tous les dieux s'occupe des affaires du culte. Les deux vizirs, un pour la Haute-Egypte et l'autre pour la Basse-Egypte, sont fondus en un seul à l'an 29 du règne. Il contrôle l'administration de son territoire et veille à l'application des ordres royaux. Le Trésor royal, qui s'occupe des magasins, et le directeur du double grenier de Pharaon, qui approvisionne en grain les institutions et les mercenaires étrangers, sont des fonctionnaires de poids.

La sépulture funéraire de Ramsès III, le temple de Médînet Habou, résume également son programme politique. C'est même son premier acte politique après son avènement. Situé en face de Louqsor, c'est une copie du Ramesséum. Réalisé par Amenmosé, il ne fut érigé probablement qu'en l'an 5 du règne. C'est un "château d'éternité" et une véritable ville en soi. Achevé en l'an 12, il est décoré de scènes représentant la victoire contre les Peuples de la mer. Le pharaon affecte au complexe plus de 64 000 travailleurs sous son règne, et l'ensemble est desservi par 150 prêtres aux fonctions hiérarchisées. Une flotte de bateaux est affectée au transport des vivres pour ce sanctuaire. Deîr el-Médînéh est le village fermé des artisans chargés des travaux dans la vallée des Rois. Les fonctions dans le village reposent largement sur l'hérédité, comme ailleurs. A la fin du mois, les ouvriers sont payés en nature, en plus d'être ravitaillés par un corps spécial de l'extérieur. Ils travaillent 8 jours et ont ensuite 2 jours de repos. La tombe de Ramsès III est l'une des plus monumentales du complexe.

Les guerres menées par le pharaon, à l'inverse de ses prédécesseurs, vont surtout être défensives, en réaction contre des invasions, libyennes ou des Peuples de la mer notamment. L'armée, qui a joué un rôle considérable en Egypte depuis la XVIIIème dynastie, est cantonnée dans des garnisons-forteresses et dans des réseaux de postes fortifiés. L'armée se divise entre infanterie et charrerie, avec plusieurs divisions de 5 000 hommes. Des généraux commandent ces divisions réparties en régiments de 1 000 hommes, eux-mêmes divisés en compagnies de 200 hommes. On est moins renseigné sur la charrerie mais on suppose que 500 chars se divisaient en régiments d'une centaine d'unités et en escadrons de 20. Les attelages royaux sont à part. L'armée dispose d'états-majors assez étoffés et les garnisons ont des arsenaux et des armureries. Elle est surtout à recrutement égyptien mais comprend des contingents étrangers, notamment d'anciens prisonniers de guerre (Nubiens, Libyens, Asiatiques, Egéens...). La flotte est mal connue mais a ses bases principales à Memphis et Pi-Ramsès. Face aux Libyens, les prédécesseurs de Ramsès III ont établi un système de surveillance à l'ouest, mais les Libyens infestent le delta. En l'an 5, suite à une invasion, le pharaon écrase les envahisseurs, en tue 12 000 et en capture 4 000. Trois ans plus tard survient le choc de l'invasion des Peuples de la mer, dont certains ne sont pas inconnus des Egyptiens. L'invasion détruit l'Ougarit et fait tomber les Hittites. Les Peuples de la mer s'attaquent ensuite à l'Egypte, et sont défaits lors d'une bataille terrestre puis d'une autre bataille amphibie. La victoire est totale, mais les Peuples de la mer s'installent en Palestine, où l'Egypte ne contrôle plus que deux secteurs restreints. En l'an 11, les Libyens font une nouvelle tentative, mieux préparée, ayant acquis aussi des armes égéennes. Mais l'incursion est défaite et les Libyens abandonnent, selon les inscriptions égyptiennes, plus de 2 000 morts et autant de prisonniers, que Ramsès III s'empresse de recruter pour son armée, ce qui ne sera pas sans poser problème plus tard, les Libyens prenant de plus en plus de place sur la scène politique.

La paix retrouvée, le pharaon peut se consacrer au développement du pays. Le chef des archivistes du Trésor royal, Penpatho, réalise une grande tournée des temples en l'an 15 du règne. Cette mission entraîne un programme systématique de réorganisation et de nouvelles constructions voulues par Ramsès III. A Thèbes, où le pharaon a déjà bâti Médînet Habou, il augmente aussi la puissance temporelle de l'institution, avec 2 400 km² de terres cultivables. Le culte du domaine d'Amon est soigneusement organisé, son clergé puissant. Ramsès III fait aussi bâtir un temple-reposoir à Karnak. Le temple d'Amon est restauré et redécoré. Il laisse aussi de nombreux objets cultuels, en or massif pour beaucoup. Quelques travaux sont également réalisé à Louqsor. Ramsès III restaure aussi Héliopolis, quelque peu délaissée. Il entretient, dès l'an 9 de son règne, par des donations, les grandes fêtes de la crue du Nil. A Memphis, ville du dieu Ptah, Ramsès III restaure également, mais dans une ampleur moindre qu'à Thèbes ou Héliopolis : 3 000 travailleurs seulement, 28 km² de terres arables. On trouve également la trace de travaux tout au long de l'Egypte, dans d'autres villes moins importantes. Trois expéditions sont menées à l'étranger pour ramener des ressources pour tous ces travaux. En l'an 20, une est conduite dans le pays de Pount (littoral de la mer Rouge). Une autre va à Timna pour y chercher du cuivre. Une autre gagne le Sinaï.

La fin du règne de Ramsès III est marqué par deux événements qui illustrent une réalité loin de l'idéal affiché : les grèves à Deîr el-Médîneh, qui montre les carences de l'administration, et la conspiration dite "du harem". Le jubilé du règne (fête-sed, ou trentenaire), a néanmoins lieu à Memphis. C'est peu avant le jubilé, en l'an 29, que commencent les grèves, provoquées par des défauts de paiement des salaires. Les grains ont été détournés. Peu avant la mort du roi, la conspiration du harem, impliquant plus de 30 personnes, dont beaucoup seront exécutées, est montée par Tiy, probablement une épouse secondaire du pharaon, qui veut faire monter sur le trône son fils Pentaouret au lieu du prince Ramsès, héritier légitime. En plus de hauts fonctionnaires, la conspiration implique aussi des échansons et au moins un général. Déjouée car probablement trahie de l'intérieur, la conspiration avorte juste avant la mort du pharaon ; certains juges, corrompus par les prévenus, passeront également sur le banc des accusés. Ramsès III meurt en 1153. Son fils, Ramsès IV, lui succède et le fait enterrer : c'est probablement à cette occasion qu'est rédigé le papyrus Harris I, source si précieuse sur le règne. Exhumée par des pillards dès la fin de la XXème dynastie, la dépouille est remise en terre sous Smendès, puis atterrit finalement dans une sépulture désaffectée de reine de la XVIIIème dynastie, où elle est découverte en 1871. Elle est conservée au musée égyptien du Caire.

Pierre Grandet rappelle en conclusion que Ramsès III est le dernier grand pharaon du Nouvel Empire. L'Egypte se fragmente ensuite entre plusieurs entités. Le système de redistribution conduit à des dépenses somptuaires qui fragilisent tout l'ensemble, à des fins politiques. La perte des territoires extérieurs empêche de bénéficier des richesses qui alimentaient le système sous les prédécesseurs de Ramsès III, sans parler des invasions extérieures. L'incapacité de remplir la redistribution mine le contrat social entre le pharaon et son peuple. La légitimité passe aux autorités locales.

Avec ce livre, servi par une abondante iconographie (cartes, plans, représentations des inscriptions et de leurs dessins...), de non moins abondantes notes (près de 40 pages), Pierre Grandet réalise un travail soigné de vulgarisation sur un pharaon méconnu du Nouvel Empire (à tel point qu'il a été plagié sans scrupule par un autre auteur...).


Pascal CYR, Waterloo, 18 juin 1815. Grouchy est-il responsable de la défaite ?, Histoire Contemporaine 2, Lemme Edit/Illustoria, 2015, 109 p.

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Docteur en histoire, enseignant à l'université du Troisième Age de l'université de Sherbrooke (Canada), Pascal Cyr s'est fait une spécialité de la campagne des Cent-Jours et de la bataille de Waterloo.

Dans ce deuxième volume de la collection Histoire Contemporaine des éditions Lemme Edit/Illustoria, Pascal Cyr tente de réhabiliter le maréchal Grouchy, responsable tout désigné de la défaite de Waterloo, notamment dans le Mémorial de Sainte-Hélène dicté par Napoléon. Si l'historien n'a pas à adopter théoriquement la position du juge (à distribuer les bons ou les mauvais points, en somme) comme l'auteur semble vouloir le faire dans l'introduction, on ne peut effectivement qu'être frappé par la persistance de cette idée, reprise par les grands romantiques du XIXème siècle, puis par les historiens, fort peu critiques à l'égard des sources, à commencer par Napoléon lui-même. L'historien entreprend donc une réhabilitation qui passe par une remise en contexte dans le cadre des Cent-Jours, de l'action de Napoléon et de ses subordonnées, et de la somme d'erreurs ayant finalement conduit à Waterloo, sans verser dans le jugement de valeur ou le parti pris comme on pouvait le craindre à la lecture d'une ou deux phrases de l'entame.




Au moment de la première abdication de l'Empereur, en 1814, Grouchy est rétrogradé puis exilé en province. Il le prend très mal, d'autant que Louis XVIII a cherché a rallié les maréchaux. Mais il faut dire que Grouchy est issu d'une famille aristocratique ayant embrassé la Révolution dès 1789. Tempêtant, Grouchy obtient finalement sa réhabilitation, ce qui ne sera pas le cas de nombre d'officiers et de simples soldats, en demi-solde, qui ouvriront les bras à Napoléon en 1815. Très rapidement, Louis XVIII se met à dos la bourgeoisie ; la situation financière catastrophique oblige à des prélèvements d'impôts impopulaires ; l'armée grogne ; les ultras multiplient les déclarations malheureuses ; la censure des journaux est rétablie. Napoléon, qui est lui aussi en difficulté financière faute de recevoir l'argent promis par Louis XVIII, et qui espère naïvement le retour de Marie-Louise et de son fils, finit par quitter l'île d'Elbe le 26 février 1815. Le 1er mars, il touche terre au golfe Juan. La progression, qui débute mal à Antibes, finit par tout emporter. Le 10 mars, Napoléon est à Lyon ; le 20 mars, il est à Paris, alors que Louis XVIII s'enfuit vers la Belgique. Devant les soulèvements royalistes qui éclatent, en particulier dans le Midi, Napoléon rappelle Grouchy. Au terme d'une rapide campagne, celui-ci défait les insurgés, ce qui lui vaut le titre de maréchal le 17 avril. Napoléon tente de nettoyer l'administration des personnels réinstallés par les Bourbons, mais la tâche s'avère difficile, en particulier dans les maires de petites communes où l'on trouve beaucoup de royalistes. Le problème n'est pas résolu en juin 1815. Napoléon a dû aussi faire des concessions aux libéraux, sans vraiment les convaincre. Pour financer l'armée de 800 000 hommes dont il estime avoir besoin, Napoléon est contraint d'emprunter beaucoup d'argent : la dette de la France explose. Il ne dispose au départ que de 235 000 hommes : en rappelant les militaires à la retraite, en traquant les insoumis, et en mobilisant la Garde nationale, pour éviter la conscription, très impopulaire, il obtient 490 000 hommes dont 268 000 réguliers. Mais l'Armée du Nord n'aligne que 124 000 hommes. Celle-ci comprend un certain nombre de vétérans ; l'enthousiasme est de mise, au point même que l'ardeur impériale de la troupe provoque des incidents avec les civils, et la suspicion à l'encontre de certains officiers, ce qui n'est pas sans poser problème. Les officiers d'état-major sont plus pessimistes. Surtout, les maréchaux de Napoléon se jalousent entre eux. L'empereur ne dispose plus de Berthier et doit nommer Davout chef d'état-major. Ney est là également, tandis que Grouchy se voit confier, initialement, la cavalerie.

Napoléon décide de prendre l'initiative, de se placer en position centrale entre les armées anglaise et prussienne pour les battre séparément. Il faut frapper vite et fort, obtenir une victoire pour que la Chambre consente à un emprunt forcé pour financer la guerre. Les 5 corps d'armée française rejoignent la frontière belge : leur apparition est bien notée par leurs adversaires. La mise en marche, dans la nuit du 15 juin, est chaotique : Vandamme fait preuve de mauvaise volonté, Bourmont, un divisionnaire du corps de Gérard, passe à l'ennemi. Napoléon confie dans l'urgence un commandement à Ney, qui découvre quasiment en arrivant sur place la situation. Si le premier mouvement a réussi, on voit déjà les défauts de l'Armée du Nord se manifester, notamment en termes de communication. Le 16 juin, Ney hésite à attaquer les Anglais à Quatre-Bras, tandis que des retards dans la manoeuvre ne permettent pas aux Français d'attaquer dans les meilleures conditions à Ligny contre les Prussiens. Les combats s'enlisent, les ordres de Napoléon arrivent bien tard à Ney. A Quatre-Bras, la bataille provoque 4 300 pertes dans les rangs français et 4 700 chez Wellington. Napoléon ne parvient qu'à enfoncer les Prussiens à Ligny, qui perdent certes 25 000 hommes, mais l'armée de Blücher n'est pas détruite.

Wellington a battu en retraite mais il se retranche à Mont-Saint-Jean, excellente position défensive au sud de Bruxelles, près de laquelle se trouve le village de Waterloo. Napoléon, quant à lui, commet une faute en ordonnant pas la poursuite dès la soirée du 16 juin. Il parcourt le champ de bataille de Ligny. Ce n'est qu'à 11h30, soit bien trop tard, le 17 juin, qu'il ordonne à Grouchy de poursuivre les Prussiens qui ont déjà beaucoup d'avance, et sont 90 000, contre les 33 000 hommes de Grouchy... Mais Napoléon ne connaît pas la direction prise par Blücher. Et il laisse les Anglais se retrancher à Mont-Saint-Jean. Ce n'est que le soir du 17 juin que Grouchy peut savoir que les Prussiens tentent de rallier l'armée anglaise. Le lendemain, 18 juin, Napoléon espère enfoncer le front britannique par une attaque frontale. Ses officiers, qui pour certains ont combattu Wellington en Espagne, sont plus réservés. Il faut attendre que le terrain soit plus sec pour l'artillerie. A 11h30, les Français montent à l'assaut de la position fortifiée d'Hougoumont, où la bataille dégénère en violent corps-à-corps. Cette diversion échoue : Wellington ne dégarnit pas le Mont-Saint-Jean. Napoléon se prépare donc à attaquer au centre, quand les premiers Prussiens apparaissent à distance, sur son flanc droit. Napoléon dépêche donc le corps du général Mouton, qui prive l'attaque centrale de 10 000 hommes, et envoie plusieurs messages à Grouchy, qui mettent du temps à parvenir au maréchal. Les messages sont contradictoires et ne demandent pas explicitement à Grouchy de marcher "au son du canon" pour rejoindre Napoléon. A 13h30, la phalange de Drouet d'Erlon monte à l'assaut au centre. La progression est bonne, mais les Français butent sur la Haye-Sainte et sont finalement culbutés par la charge de la cavalerie britannique, qui subit néanmoins des pertes. Wellington fait reculer son armée pour échapper au tir de l'artillerie française. C'est alors que Ney fait charger la cavalerie française, un mouvement qui, selon Pascal Cyr, n'a pu être entrepris sans l'approbation même tacite de Napoléon. Les 4 charges de Ney entre 15 heures et 17 heures viennent se briser sur les carrés anglais, l'infanterie française n'obtient pas de meilleurs résultats. A 16h30, les Prussiens arrivent sur le champ de bataille : 30 000 hommes contenus très difficilement par 10 000 Français. Napoléon lance la Garde sur les pentes du Mont-Saint-Jean à 19h. Repoussée par les tirs de l'infanterie anglaise, la Garde connaît un moment de flottement, puis recule quand elle voit les Prussiens arriver au lieu de Grouchy. La Garde se replie en carrés, avec au milieu de l'un d'eux, Napoléon, vers 20h30. Wellington et Blücher se rencontrent à la Belle-Alliance, où s'était installé Napoléon, à 21h15. Les Français perdent 7 000 morts, 18 000 blessés, 5 000 prisonniers ; Prussiens et Anglais 5 000 morts et 17 000 blessés. Grouchy a engagé les Prussiens dans la soirée du 18 juin, mais ceux-ci contre-attaquent dès le lendemain. Il réussit à repasser la frontière avec 29 000 hommes dès le 21 juin. L'Armée du Nord a perdu 40 à 50 000 hommes pendant la campagne. Grouchy prend la tête de l'armée, mais Napoléon abdique. Un décret de Louis XVIII le contraint à l'exil dès le 18 juillet, et il s'embarque pour Philadelphie où il restera 5 ans.

En conclusion, Pascal Cyr rappelle que l'armée de Napoléon n'était tout simplement pas prête à entrer en campagne : indiscipline dans le rang, méfiance à l'égard des officiers, jalousie entre les maréchaux... Napoléon commet aussi une erreur en rappelant Ney, trop vite, celui-ci ne connaissant ni ses subordonnés ni la position de ses troupes ! Le déploiement se passe mal et compromet les chances de succès le 16 juin. Ney hésite à attaquer les Anglais rapidement ; quand il le fait, ils sont trop bien installés, et il n'envoie pas l'aide nécessaire à Napoléon à Ligny, contre les Prussiens. Napoléon ne donne pas d'ordre avec la fin de la matinée du 17 juin, ce qui là encore constitue une erreur. Il divise son armée alors même que Wellington est bien retranché et que Grouchy ne peut espérer rattraper les Prussiens. A Waterloo, l'état du terrain, les erreurs tactiques achèvent de précipiter la défaite.

Comme de coutume, l'ouvrage est illustré par un livret central d'une trentaine d'illustrations (cartes, portraits, etc). Si l'on excepte la phrase de de l'introduction ("une forme de réhabilitation devant le tribunal de l'histoire", ce qui peut laisser songeur), on est au final en présence d'une synthèse très claire qui permet de mieux comprendre pourquoi Grouchy ne peut décemment pas être le bouc-émissaire de la défaite de Waterloo. Celle-ci repose sur une accumulation de facteurs qui ne tiennent pas au maréchal, mais à Napoléon, d'abord, à des causes plus immédiates et plus lointaines, ensuite.


Opération Amsterdam (Operation Amsterdam) de Michael McCarthy (1959)

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12 mai 1940. Deux jours auparavant, les Allemands ont lancé leur grande offensive à l'ouest et ont envahi le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas. Les Britanniques envoient une équipe spéciale à bord du destroyer HMS Walpole pour récupérer les stocks de diamants industriels hollandais, pouvant servir dans les usines d'armement allemandes s'ils sont capturés. Deux experts en diamant hollandais, Jan Smit (Peter Finch) et Walter Keyser (Alexander Knox), sont accompagnés du major Dillon (Tony Britton), des services de renseignement britanniques. Débarqués au large d'Ijmuiden, les 3 hommes doivent non seulement affronter les bombes allemandes mais aussi la méfiance des soldats et policiers hollandais face à la "cinquième colonne". Ils réquisitionnent la voiture d'Anna (Eva Bartok), dont le fiancé combat dans l'armée hollandaise ; elle a tenté de faire évacuer ses beaux-parents juifs par bateau, qui a sauté sous les yeux des 3 hommes sur une mine larguée dans le port par les avions allemands. Au lieu de se suicider comme elle en avait l'intention, elle va conduire les 3 hommes à Amsterdam...



Opération Amsterdam est un film se basant sur des faits réels, décrit dans le livre de David E. Walker, Adventure in Diamonds (1956). La séquence initiale du film utilise les archives de la propagande allemande sur l'offensive à l'ouest de mai 1940. C'est un film original, à mi-chemin entre le film de guerre et le film d'espionnage.



Le film démarre sur les chapeaux de roue : après la présentation du contexte -via les images d'archives-, des hommes et de la mission, on est aux Pays-Bas en moins de dix minutes (!). L'efficacité du film ne tient pas au rythme, assez lâche, mais à la tension : tout doit être réglé en moins d'une journée, mais l'équipe doit affronter plusieurs menaces. La guerre d'abord, avec les bombes allemandes et les combats de rues ; la réticence des diamantaires hollandais à lâcher leurs précieux diamants ; la présence d'Allemands infiltrés, la "cinquième colonne", qui oblige à se méfier de tout le monde ; enfin l'arrivée imminente de l'armée allemande dans la ville, avec les tirs d'artillerie qui se rapprochent tout au long du film, en plus des raids aériens. Dans la première partie du film, c'est l'aspect espionnage qui domine, les 3 hommes devant atteindre la ville d'Amsterdam ; une fois la mission commencée, on passe au film de guerre, avec un beau final autour de la banque où sont stationnés les diamants restants que les diamantaires n'ont pu sortir d'un coffre à serrure horaire.  Le scénario montre très bien la chape de plomb qui s'abat sur les Pays-Bas bientôt occupés : les diamantaires juifs hésitent à troquer leurs diamants pour s'en servir avec les Allemands, afin de marchander leur sort ; les quais d'Ijmuiden bondés de réfugiés venus de l'intérieur des terres ; les navires qui coulent sur les mines larguées par les avions allemands ; les rues d'Amsterdam désertes, seulement parcourues par les soldats, et qui recèlent au détour d'une rue des cadavres. Les acteurs sont particulièrement brillants : Peter Finch, qui apporte une touche d'humanité dans sa relation avec Eva Bartok, en contrepoint de Tony Britton, agent secret impassible. La réalisation est efficace sans être géniale, avec de vrais moments dramatiques comme le straffing du chasseur allemand lors du repli final vers Ijmuiden. On regrette peut-être juste que le scénario n'ait pas été plus travaillé, le réalisateur a manifestement voulu coller à l'aspect documentaire.



Le film met en oeuvre une belle panoplie d'armes. Le policier hollandais sur le port est équipé d'un  revolver Smith & Wesson modèle Victory. Le colonel hollandais donne à Anna un Walter PPK. Le lieutenant allemand de la cinquième colonne tire avec un Luger P08. Les soldats hollandais de mai 1940 étaient armés de fusils Hembrug M95 : le film a trouvé une arme approchante avec le Steyr Mannlicher M1895. Les résistants hollandais portent des fusils Lee-Metford. Dans le duel final, les Allemands et les Hollandais utilisent des pistolets-mitrailleurs MP38 ou MP40. Un des barrages hollandais est armé d'une mitrailleuse Lewis, un autre d'une mitrailleuse en position antiaérienne Schwarzlose Modèle 07/12.


DJIAN, Le Tchad et sa conquête 1900-1914, Centre d'Etudes sur l'Histoire du Sahara, Paris, L'Harmattan, 1996, 221 p.

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La très courte introduction de cet ouvrage rappelle que Djian était un interprète, qui a fait partie de la colonne du Borkou qui, sous les ordres de Largeau, a conquis le nord du Tchad en 1913, prenant la zawiya sénoussiste d'Aïn Galakka. Comme interprète, il a interrogé les prisonniers et traduit les documents récupérés sur l'ennemi. C'est ainsi qu'il a pu écrire un ouvrage en 1916. On ne sait que peu de choses sur Djian. Le lieutenant-colonel Ferrandi, qui écrit un livre en 1930, explique qu'il a servi au Maroc oriental. Son ouvrage de 1916 montre la conquête de la partie saharienne du Tchad du point de vue des sénoussistes, ce qui en fait un document unique en son genre. Les éditeurs font précéder le texte de la relation du voyage entre la France et le Tchad par Djian lui-même.

Dans la relation de son voyage, Djian montre sa nostalgie du Maroc où il a servi. Son regard sur les Noirs est paternaliste, comme le  veut l'époque. Il décrit aussi les difficultés pour rallier le Tchad, après avoir débarqué de l'Europe, en utilisant d'autres navires sur les voies fluviales. Djian rapporte aussi les exploits de chasse des officiers français qui l'accompagnent. Il arrive à Fort-Lamy le 9 octobre 1913. Djian accompagne la colonne du colonel Largeau qui monte vers le nord du Tchad. L'assaut de la zawiya d'Aïn Galakka, le 27 novembre, lui fait une forte impression. Jusqu'en mars 1914, il parcourt une bonne partie du Tchad, étant ravi d'admiration, en particulier, dans l'Ennedi et ses paysages tourmentés.

L'étude de 1916 commence par présenter le fondateur de la confrérie sénoussiste, Sidi Mohammmed ben Ali Es Senoussi. Le deuxième chapitre explique la doctrine de la confrérie. Puis Djian raconte le parcours de Sidi el Mahdi, successeur du fondateur, ses relations avec les Ottomans. Il présente ensuite la fondation de la zawiya de Koufra et l'envoi de missions encore plus au sud, dans ce qui n'est pas encore le Tchad. Vient l'entrée en scène des Français et l'intronisation de Sidi Ahmed Chérif, dont le règne est marqué par les premiers combats contre les Français, qui viennent de défaire Rabah : la zawiya de Bir el Alali tombe en 1902. Djian décrit aussi l'organisation des zawiyas du Borkou et leurs relations. La confrérie mène ensuite une guerre d'escarmouches contre les Français, qui annexent un à un les territoires qui composeront leur colonie tchadienne. Alors que les Turcs tentent de réinstaller leur autorité dans le Tibesti et le Borkou (1910-1911), ils entrent en conflit avec les senoussistes, qui eux-mêmes doivent finalement plier devant les Français qui veulent mettre fin aux rezzous.

Le témoignage de Djian et son ouvrage sont intéressants pour appréhender la formation du Tchad comme colonie vue par un autre acteur, la Sénoussiya. Malheureusement, les textes sont dépourvus de tout commentaire critique : il faut donc être un bon connaisseur de l'histoire précoloniale et coloniale pour suivre, le néophyte peut être rapidement perdu sous l'avalanche de noms, de lieux (d'autant que les cartes sont peu nombreuses). Il est dommage que ce document précieu n'ait pas bénéficié d'une édition un peu plus poussée.


Pierre PELLISSIER, Solférino 24 juin 1859, Paris, Perrin, 2012, 223 p.

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D'après le quatrième de couverture, Pierre Pellissier est "journaliste et historien". Un coup d'oeil à sa liste d'ouvrages déjà parus à l'intérieur du livre montre effectivement une grande variété dans les thèmes, de la fin des années 1970 à nos jours, de Raymond Barre à Pétain en passant par Dien Bien Phu et Prosper Mérimée... L'historien Alain Ruscio, qui analyse dans un article de 2006 les publications du cinquantenaire de la bataille de Dien Bien Phu, classe P. Pellissier parmi les écrivains et auteurs "réactionnaires". Une impression confirmée par l'intervention de ce dernier, en 2012, au moment de la parution de livre, sur Radio-Courtoisie, une station radio bien connue pour être proche de l'extrême-droite.

De fait, le livre (précédé d'une citation un peu incongrue du Fil de l'épée de de Gaulle) débute par le triomphe de l'armée de Napoléon III après la campagne d'Italie, le 14 août 1859. Un défilé soigneusement préparé, où les Parisiens découvrent la Légion, les zouaves, les tirailleurs algériens... une médaille commémorative est distribuée à la troupe. Ce jour marque en quelque sorte l'apogée du Second Empire, sans que les contemporains s'en rendent forcément compte.



Si Napoléon III est entré en guerre en Italie, c'est au nom de l'idée qui lui est chère des nationalités. Cavour envoie des émissaires en 1858, mais Napoléon III marchande son aide : Nice, la Savoie, et un mariage avec la famille royale piémontaise, pour caser "Plon Plon", le cousin  détesté. L'attentat d'Orsini précipite la décision de l'empereur. Les préparatifs de guerre n'échappent guère aux Autrichiens. Le 22 avril 1859, la division Trochu entre en Savoie ; moins d'une semaine plus tard, les Autrichiens envahissent le Piémont. L'empereur part à la tête de son armée, forte de 116 000 hommes, le 10 mai. L'acheminement des troupes et la logistique ont été mal préparés : la fiabilité des troupes, issues d'un système de recrutement qui favorise l'exonération par versement d'une somme d'argent, est douteuse, sauf pour les troupes venues d'Algérie. Les premiers engagements montrent la supériorité de l'artillerie française, avec des canons rayés, innovation soutenue par Napoléon III. En plus d'une nouvelle baïonnette, les soldats français sont pour la première fois transportés en chemin de fer. Les Autrichiens, plus nombreux, renoncent pourtant, une fois entrés dans le Piémont, à séparer les Piémontais des Français pour les battre séparément, ce qui va favoriser leurs adversaires.

Alors que les Autrichiens de Giulay vivent sur le pays, considéré comme conquis, les Français font attention à ménager les civils. La jonction est bientôt faite entre Piémontais et Français. La bataille de Montebello est un succès français, remporté dans un combat de rencontre ,après que des officiers aient désobéi aux ordres... Les Autrichiens sont bientôt battus à Palestro, et doivent repasser le Tessin, d'où ils étaient partis pour envahir le Piémont. Le 3 juin, l'approche du Tessin est dégagée grâce au succès de Turbigo. Le 4 juin, les Autrichiens se sont retranchés à Magenta : les Français les en délogent, après des combats violents, confus, où Mac-Mahon gagne son bâton de maréchal et le titre de duc de Magenta. Milan est prise le 7 juin. Mais bientôt la Toscane se soulève, chasse le grand-duc Léopold, ce qui va au-delà de l'accord conclu à Plombières avec Victor-Emmanuel. Les Français buttent ensuite sur Marignan, conquise de haute lutte contre l'arrière-garde autrichienne, au prix d'un millier de pertes. La marche reprend le 12 juin ; cinq jours plus tard, l'empereur François-Joseph arrive et prend la tête de l'armée autrichienne, limogeant Giulay. Les effectifs des deux forces en présence sont difficiles à connaître précisément : tout au plus sait-on que les coalisés sont plus nombreux, que les Autrichiens ont plus de canons, mais non rayés. L'armée autrichienne, qui ressemble encore quelque peu à l'armée française d'Ancien Régime, est divisée en deux armées séparées. C'est l'empereur qui décide d'arrêter le repli et de se concentrer autour de Solférino, localité vers laquelles les armées coalisées arrivent le 23 juin. Encore une fois, les armées adverses ignorent exactement la position de l'ennemi, et vont entamer un combat de rencontre.

Le lendemain, la bataille s'engage pour ainsi dire au son du canon. Napoléon III engage 3 corps d'armée dans une attaque frontale, gardant en réserve un corps d'armée et la Garde. Sur la gauche, les Piémontais affrontent une partie de la IIème armée autrichienne. Les combats sont rudes, les Piémontais soutiennent le choc, appuyés par les Français, et grâce à leur brigade de Savoie, une unité d'élite. A l'extrême-droite, le IVème corps de Niel combat à Medole, quasiment seul. Le IIIème corps de Canrobert entre en scène bien tardivement pour le soutenir, étant le plus éloigné, et étant aussi victime d'ordres contradictoires de l'empereur. Les deux ailes sont stabilisées, c'est donc au centre que va se jouer la décision.

Les Ier et IIème corps d'armée français sont au contact dès 4h30. Le mont Fenile, en arrière de Solférino, est emporté. Les 3 corps d'armée autrichiens se défendent vigoureusement, sous les yeux de leur empereur. Il faut prendre les mamelons qui séparent l'armée française de Solférino, puis le cimetière ; l'artillerie autrichienne creuse des trous dans les rangs français, avant d'être contrebattue. Solférino et sa fameuse tour sont aux mains des Français vers 14h00. L'empereur, qui observe les combats depuis les monts Fenile, voit plusieurs membres de son état-major tomber victimes de l'artillerie autrichienne. Le 2ème régiment de tirailleurs algériens se distingue pendant les combats (même si Pellissier ne peut s'empêcher d'en rajouter sur la "férocité" des Kabyles...). Un orage couvre la retraite autrichienne et l'évacuation précipitée de l'état-major autrichien de Cavriana.

Le champ de bataille offre dès le lendemain un aspect pitoyable. Les secours aux blessés s'organisent tant bien que mal ; l'abbé Laine, aumônier de l'empereur, en fait partie. Les Autrichiens évacuent leurs blessés. Il faut faire surveiller les points d'eau, rares, par cette chaleur torride. Les cadavres ont été dépouillés pendant la nuit. Pellissier préfère se concentrer sur les victimes parmi les officiers, français ou autrichiens, relativement nombreuses. Les chiffres des pertes sont d'après lui approximatifs : près de 2 500 morts et plus de 12 500 blessés côté franco-piémontais ; 3 000 morts, 10 000 blessés et plus de 8 600 prisonniers et disparus côté autrichien. Dès le lendemain de la bataille, les récriminations éclatent du côté français : Niel reproche à Canrobert de ne pas l'avoir soutenu, aigreur qui ira jusqu'à la provocation en duel, avant de s'apaiser sur ordre de Napoléon III. L'armée française ne s'est pas lancée dans la poursuite, tout comme l'armée autrichienne n'a pas contre-attaqué. Les Français sont tellement épuisés que le lendemain, une méprise sur des uniformes fait souffler un vent de panique sur la troupe, la population civile ressortant les drapeaux autrichiens pour éviter toute représaille... Napoléon songe à prendre Venise par une opération combinée terre/mer.

Solférino reste aussi associée au nom d'Henri Dunant. Le citoyen helvète est venu, au départ, pour rencontrer l'empereur, comme entrepreneur en Algérie et en Tunisie. C'est en traversant le champ de bataille, le cimetière, qu'il s'émeut. Il tente alors d'organiser les soins aux blessés. Il s'installe à Castiglione, alors qu'on enterre déjà dans les fosses communes, que les prisonniers autrichiens craignent déjà d'être massacrés en raison du comportement féroce de leurs soldats croates à l'égard des blessés. Dunant est lui aussi témoin de la panique du 25 juin. Le lendemain, il recrute des femmes lombardes et d'autres volontaires. Il réussit à rencontrer le maréchal Mac-Mahon, mais probablement pas l'empereur. Le 30 juin, il est à Brescia. Le nombre de blessés est tel que Dunant aura plus tard l'idée de créer un comité international pour le soin des blessés, quel que soit leur camp, la Croix Rouge.

Napoléon III est choqué par la vision du champ de bataille. Surtout, il a peur d'être entraîné trop loin par le Piémont, il mesure les problèmes logistiques d'une campagne rallongée, et cela alors que la Prusse s'agite sur la frontière et que l'opposition à la guerre enfle en France. Dès le 6 juillet, l'empereur envoie un émissaire à François-Joseph. L'armistice de Villafranca est signé cinq jours plus tard. François-Joseph reconnaît la perte de la Lombardie, qu'il cède à la France qui la rétrocède au Piémont. La Vénétie en revanche reste autrichienne. Cavour, ulcéré par cette demi-victoire, démissionne. Dunant fonde la Croix Rouge en 1864, et reçoit le premier Prix Nobel pour la paix en 1901. Les tués n'ont pourtant représenté que 12,5% des effectifs, bien moins que pour d'autres conflits, et Dunant a exagéré les pertes par arme blance, alors que la plupart ont été provoquées par arme à feu. Nice et la Savoie sont rattachés à la France, après des plébiscites. La brigade de Savoie est dissoute, les officiers qui le souhaitent plus ou moins bien incorporés à l'armée française. Deux ans après l'Italie, Napoléon III se lance à la conquête du Mexique, cherchant par là à se rapprocher de l'Autriche, qui fournit un souverain, Maximilien.

En conclusion, l'auteur rappelle que Victor-Emmanuel achève l'unité italienne sans l'aide de la France. Devenu roi d'Italien en 1861, la Vénétie lui est rétrocédé par la France en 1866, après la défaite de l'Autriche face à la Prusse ; Rome ne tombe qu'après la chute de la France elle-même en 1870. Pour l'empereur, Solférino marque bien l'apogée, avant le déclin.

Le récit de P. Pellissier est purement factuel. Il apportera probablement quelque chose au néophyte qui découvre le sujet, beaucoup moins au connaisseur. Un coup d'oeil sur la bibliographie (17 ouvrages listés, dont un de l'auteur...) montre l'utilisation de livres soit datés, soit pour quelques-uns plus récents mais n'ayant pas forcément trait directement à la bataille. On a donc un travail réalisé à l'économie, par un touche-à-tout, avec l'inconvénient que cette tentative de vulgarisation est un peu limitée : elle ne tient pas compte de l'historiographie française (ni étrangère, pas un seul titre cité) la plus récente, mais cela se comprend, car ce n'est pas l'objectif, qui est probablement de raconter une belle page d'histoire militaire française... si tant est qu'on est d'accord.


Damien BALDIN et Emmanuel SAINT-FUSCIEN, Charleroi 21-23 août 1914, L'histoire en batailles, Paris, Tallandier, 2012, 222 p.

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Voici un volume un peu hors norme dans la collection L'histoire en batailles de Tallandier, sorti il y a déjà quelques années (2012). Les deux auteurs, l'un chargé d'enseignement à l'EHESS et conseiller de la mission du Centenaire, l'autre maître de conférences à l'EHESS, livre en effet non pas une synthèse classique sur la bataille de Charleroi, mais bien un ouvrage qui s'assimile plus à une tentative de "nouvelle histoire bataille", telle qu'a pu être définie par certains, mais pas toujours appliquée.

Charleroi, défaite française qui scelle le sort de la bataille des frontières, marque pour les deux auteurs l'entrée dans la violence guerrière du XXème siècle. Le choc entre la 5ème armée française de Lanrezac et la IIème armée allemande de von Bülow, entre soldats français, allemands et belges, dure 3 jours et conduit à la mort d'au moins 20 000 d'entre eux. C'est le baptême du feu d'officiers et de soldats combattant encore largement sur les principes du XIXème siècle, et pas encore conscients de l'efficacité des armes modernes, mitrailleuses et canons à tir rapide. Charleroi a pourtant été assez négligée par une historiographie française soucieuse d'évoquer les violences de guerre. Or, on y voit l'effet des nouveaux canons, le creusement des premières tranchées, des violences contre les civils. Les grands chefs militaires sont dépassé : officiers subalternes et sous-officiers s'imposent sur le terrain. Les auteurs animent leur récit par le témoignage de plusieurs hommes de chaque côté, dont De Gaulle (qui n'a pas cependant participé aux combats de ce secteur) et Drieu La Rochelle côté français.



L'ouvrage se divise en 3 parties. Dans la première, les deux historiens reviennent sur l'entrée en guerre, la mobilisation et l'acheminement des troupes sur le front. La mobilisation est préparée depuis longtemps, en France et en Allemagne. Le Français fait un service militaire de 3 ans puis passe dans la réserve. En Allemagne, le système est identique, même si la réserve est plus complexe. 3,5 millions de Français et 4 millions d'Allemands sont mobilisés. A la mobilisation d'août 1914, les unités d'active sont jeunes, mais côté allemand, les réservistes sont directement engagés, ce qui n'est pas le cas côté français, en théorie. Le 1er août, la mobilisation est annoncée par le tocsin, par le télégraphe, le téléphone, par l'arrivée des gendarmes, par le tambour. En France, le livret militaire donne les instructions pour la mobilisation. Une fois que les réservistes ont rejoint les hommes d'active déjà encasernés, le départ peut commencer. Le transport des troupes nécessite une mobilisation sans précédent des chemins de fer : 16 500 trains militaires entre les 1er et 20 août. Le voyage est une étape marquante pour beaucoup d'hommes, d'autant plus qu'ils ne savent pas exactement où ils vont (dans l'est, mais où ?). Le départ provoque des pleurs, mais aussi une certaine retenue : beaucoup d'hommes partent conscients d'un devoir à remplir, mais l'émotion est là. On pense que la guerre sera courte. Mais les soldats français se rappellent du désastre de 1870, ce qui montre aussi que la guerre qui arrive est perçue comme une du XIXème siècle. La 5ème armée française de Lanrezac est placée au nord de la Champagne, avec le corps de cavalerie de Sordet sur la Meuse. Elle doit bloquer une pénétration allemande venant de la Belgique et du Luxembourg et éventuellement servir à attaquer par les Ardennes. Le dispositif français s'arrête à l'Oise, les Anglais étant censés s'installer au-delà. En face, les Allemands concentrent les Ière armée de von Klück, IIème armée de von Bülow et IIIème armée de von Hausen, l'aile droite renforcée de Schlieffen, couverte par deux corps de cavalerie. C'est l'aile qui doit porter le coup décisif, pour encercler l'armée française : Joffre a sous-estimé son importante et n'a pas anticipé l'engagement des corps de réservistes par les Allemands. Ceux-ci organisent une Armée de la Meuse, qui prend Liège, verrou du passage, dès le 6 août. Les 3 armées achèvent leur concentration et entrent en Belgique à partir du 15. La cavalerie française de Sordet ne peut affronter les forces allemandes et doit se replier. Lanrezac, qui attend toujours des ordres devant une menace insoupçonnée, fait néanmoins occuper Dinant. Les Allemands attaquent la place le 15 août, et change de mains deux fois. L'attaque alerte enfin le GQG français : Lanrezac monte jusqu'à la Sambre. La marche des soldats français est éprouvante, en pleine chaleur du mois d'août, avec un barda énorme sur le dos. On relève des cas de morts par insolation, avec des marches quotidiennes de 40 km parfois. Il faut ranimer les hommes à coups de piqûres de caféine. Côté allemand, la marche est également éprouvante, d'autant qu'il faut se battre contre les éléments de l'armée belge. Les Belges accueillent les Français, qui pénètrent sur leur territoire à partir du 13 août, en libérateurs. Côté allemand, aux premiers combats s'ajoutent au contraire les premières violences contre les civils : de ce point de vue, le passage de la frontière est un vrai rite. Avec les hommes vont les chevaux : 800 000 rien que dans l'armée française, encore largement hippomobile. 100 000 servent les 90 000 hommes de la cavalerie, 10 divisions, 26 régiments autonomes. La cavalerie reste une arme d'exploration, parfois mieux formée au combat à pied avec canons et mitrailleuses, le cheval étant un simple moyen de transport rapide. Les cavaliers, premiers engagés, souffrent aussi de la marche, puis d'un sentiment d'inutilité car après de courtes escarmouches, ils laissent la place aux fantassins. 180 000 chevaux sont perdus en 1914. Les fantassins français voient en revanche assez peu d'avions : la 5ème armée dispose de 4 escadrilles à 6 appareils. Lanrezac forme une nouvelle escadrille avec des Caudron G3. Un dirigeable, le Montgolfier, part bombarder le lignes allemandes le 21 août. Pour ces appareils, la menace vient d'abord des tirs amis, puisque les soldats, au départ, tirent sans distinction sur tout ce qui vole. Le 20 août, la 5ème armée française est installée entre Sambre et Meuse ; la cavalerie de Sordet s'est déjà retirée. Von Klück et von Bülow obliquent de l'ouest vers le sud/sud-ouest, à la rencontre des Français, tandis que von Hausen poursuit vers la Meuse.

Les deux forces en présence ignorent où se situe exactement l'ennemi. 700 000 Allemands se précipitent sur 300 000 Français, auxquels il faut rajouter 100 000 Britanniques et 30 000 Belges qui défendent Namur. Sur ce total, entre 200 et 300 000 hommes seulement sont engagés au feu. Charleroi est une bataille de rencontre, sur un terrain peu propice aux manoeuvre : industrialisé, urbanisé sur la Sambre, agricole mais non moins heurté au sud. Les armes sont plus mortelles qu'en 1870. La poudre sans fumée, les douilles de balles de fusil chemisées en cuivre (France) ou en acier (Allemagne), les systèmes de répétition, la vitesse des balles, font des fusils Lebel et Mauser des armes plus redoutables que leurs ancêtres. L'uniforme français, très visible, répond encore à des besoins de la guerre du XIXème siècle : le feldgrau allemand est plus discret, mais le casque à pointe fournit peu de protection. Les armes blanches sont là : lances des cavaliers, baïonnettes des fantassins, sabres des officiers, aussi munis de revolvers. Les Allemands ont davantage investi dans les mitrailleuses : ils ont 12 000 MG 08 en service (une coquille probablement, car le total est en réalité bien moins élevé comparable aux Français, mais mieux utilisé). L'arme est encore lourde, nécessite beaucoup d'hommes, mais peut faucher des dizaines d'hommes sur un espace confiné, en position défensive. L'artillerie, surtout, va se montrer décisive. Lanrezac a 800 canons, mais surtout de campagne, dont le fameux 75. Les Allemands en revanche disposent de beaucoup d'artillerie lourde, qui leur a déjà servi à pulvériser les forts de Liège : les soldats français vont en faire les frais. Les Allemands arrivent après avoir déjà combattu l'armée belge pendant une dizaine de jours ; dans chaque camp, les hommes sont impatients de connaître le combat. Au matin du 21 août, les Allemands pénètrent dans Charleroi. Von Bülow, apprenant que von Hausen n'est pas encore en place sur la Meuse, annule l'attaque, mais la Garde impériale bouscule le 10ème corps français à Auvelais. A Auvelais, puis à Tamines et Arsimont, les fantassins et artilleurs français sont écrasés sous les coups des canons lourds allemands, même si on défend vaillamment les ponts, enjeux symboliques. Les contre-attaques françaises de l'après-midi, en milieu urbain, échouent sous les balles de mitrailleuses et les obus d'artillerie. Les Allemands expédient un millier d'obus lourds sur les forts de Namur. Ce sont les officiers allemands qui ont pris l'initiative de franchir la Sambre et de gagner les premières localités au sud, contre l'ordre supérieur. Les contre-attaques françaises des 3ème et 10ème corps d'armée, le 22, viennent encore mourir sous les coups des mitrailleuses et des canons allemands. Von Bülow pousse à l'ouest pour séparer la 5ème armée des Britanniques et la repousser contre von Hausen, sur la Meuse : mais le 18ème corps d'armée français bouche le trou, et d'autres renforts sont mis en mouvement. Au soir du 22, les Français construisent leurs premières tranchées pour s'abriter. Le lendemain, les Allemands attaquent après une préparation d'artillerie. Les Français doivent se replier : von Hausen a attaqué sur la Meuse, à droite, et à gauche, les Anglais résistent à von Klück à Mons mais sont durement pressés. Pour éviter l'encerclement, et suite au repli de la 4ème armée française, Lanrezac ordonne la retraite à 21h00. Le 22 août, les Français ont particulièrement subi le feu de l'artillerie allemande - 12 500 pertes sur les 25 000 hommes engagés, peut-être. Le fait est que les Allemands tiennent des positions en surplomb, dans les maisons, dans les usines ; leur artillerie de campagne est surélevée sur la rive nord de la Sambre. Enfin, les batteries de 75 françaises peinent à se mettre en place suite à de mauvaises communications avec l'infanterie : elles sont prises sous le feu des fantassins allemands, puis de l'artillerie parfois renseignée par l'observation aérienne. Le 23 en revanche, en position de défenseurs, les Français hachent les attaques allemandes avec leur artillerie de campagne et enfin un peu d'artillerie lourde, protégeant le repli de l'aile gauche de la 5ème armée. Les charges de l'infanterie française, en ligne, sans protection, ne sont pas moins meurtrières que celles de l'infanterie allemande qui opèrent de la même façon. D'ailleurs, les hommes construisent des tranchées, le soir du 22, et pour le 23, pour se protéger du nouveau feu mortel de l'artillerie. Les chiffres donnent le vertige. L'historien H. Contamine parle de 27 000 morts français pour la seule journée du 22 août, dont la plupart sur le front de Charleroi. Août et septembre 1914 sont les mois les plus meurtriers de la guerre, mais il est impossible de savoir le nombre de tués avec précision, en raison de la confusion régnant à ce moment-là. On peut voir que de petites unités comme les bataillons ou les régiments perdent fréquemment la moitié voire pour certaines 70% de leur effectif en une journée. Les brancardiers, avec la retraite et le feu de l'artillerie, ne peuvent ramasser tous les blessés. L'impréparation médicale est totale, le matériel n'est plus adapté aux nouveaux types de blessures. Les mutilations par obus, mais à Charleroi surtout par balles de fusils et de mitrailleuses, effraient les soldats. Les 21 et 22 août, il y eu aussi des combats au corps-à-corps dans les petites localités sur la Sambre, avec des combats à la baïonnette. Les civils belge ne fuient en général qu'après les combats ; certains sont tués pendant les combats, par les tirs d'artillerie ou les balles. Mais à Auvelais, dès le 21 août, les Allemands exécutent au moins 37 personnes. A Auvelais, à Arsimont, les Allemands se servent de civils belges comme boucliers humains ; à Pont-de-Loup, les mitrailleuses françaises ont probablement abattu les civils ainsi exposés par les Allemands. A Tamines, ravagée par les combats le 21, les Allemands, persuadés de la collusion des civils belges avec l'armée française, exécutent le lendemain 383 personnes, sans véritable méthode, de manière désordonnée. A Dinant, du 22 au 24 août, les Allemands sont beaucoup plus méthodiques : pris sous le feu de soldats français mais croyant qu'ils viennent de civils belges, ils entrent dans la ville et après l'avoir bombardée au canon, massacrent en 3 jours 674 civils sur une population de 7 000 habitants. Si les viols sont peu documentés, mais bien réels, on sait que les Allemands incendient aussi de nombreuses habitations belges, soumises au pillage, dès le 21, ce que confirment de nombreux témoignages.

La dernière partie du livre est consacré à la confusion extrême de la bataille, qui crée un choc chez les combattants et annonce pour les deux auteurs la faillite des états-majors, et du commandement. Les messages concernés montrent que les liaisons sont mauvaises, que les officiers ne savent pas exactement ce qui se passe, y compris dans les unités voisines aux leurs. Les ordres de la 5ème française arrivent trop tard. Les officiers craignent le désordre militaire, surtout face à une armée allemande réputée modèle d'ordre. En réalité, von Bülow ne commande théoriquement qu'à von Klück, pas à von Hausen. Par ailleurs, les officiers allemands prennent souvent des initiatives, sanctionnées par le blanc-seing d'un général ne contrôlant que fort peu de choses, si elles réussissent. Les communications entre Français et Anglais ne sont pas bonnes, barrière de la langue aidant. Les moyens de liaison sont divers : pigeons voyageurs, télégraphe électrique, téléphone, moyens optiques. Mais ces derniers deviennent problématiques avec la guerre de mouvement. Il faut donc recourir, dans les deux camps, à des agents de liaison. Les officiers de liaison sont souvent vus comme des espions du commandant d'armée ou autre qui les envoie pour analyser une situation locale. Le désordre a régné dans les trains, dans les marches d'approche, malgré le consentement et l'obéissance. Des soldats français se débarrassent de pièces d'équipement jugées inutiles dans un barda trop lourd, comme les pelles, qui leur manqueront cruellement plus tard. L'armée allemande est relativement indisciplinée en dehors des combats : peur du franc-tireur, défaillance de la logistique, conduisent au pillage généralisé. Les Allemands pillent avant Charleroi, car ils ont déjà combattu ; les Français après, au moment de la retraite, où le chaos militaire s'accompagne du reflux des civils et de l'évacuation des blessés graves, particulièrement démoralisants. Les postes de secours et l'évacuation des blessés sont problématiques à organiser. Désordre, mais pas déroute : dès le 29 août, la 5ème armée peut arrêter les Allemands au sud de Guise, puis participer en septembre à la contre-offensive sur la Marne. La particularité française, en revanche, réside dans la faillite des généraux, dont un tiers (sur 400) sont "limogés" par Joffre en septembre. Ces généraux ont en moyenne autour de 60 ans : ils viennent d'une génération qui n'a connu ni les avions, ni le téléphone ou le télégraphe. Les effets des mitrailleuses et des canons nouveaux leur sont inconnus, de même que le bruit et la violence visuelle du champ de bataille, en dépit des observateurs français écrivant sur les conflits les plus récents (guerre russo-japonaise, balkaniques, etc). Ces officiers sont porteurs d'une éthique morale et d'un comportement sur le champ de bataille correspondant plus à l'époque napoléonienne. A Charleroi, de nombreux généraux, qui commandent des unités parfois dix fois plus importantes que celles qu'ils avaient eu sous leurs ordres en temps de paix, flanchent, comme Sauret, chef du 3ème corps d'armée. L'un de ces généraux, Roucquerol, écrit en 1934 un ouvrage qui résume le vécu des généraux à Charleroi : peur des responsabilités, peur des défaillances, en un mot peur de la peur. L'incompétence des généraux français devient manifeste dans ces terribles journées. Côté allemand, les généraux ont l'avantage de recevoir le baptême du feu en Belgique, et de corriger leurs premières erreurs contre les Français. Mais les défauts sont parfois identiques. Victorieux jusqu'en septembre, les généraux allemands ont aussi contestés et remerciés après la défaite sur la Marne. En revanche, il est vrai que la formation des officiers allemands encourage la décentralisation sur le champ de bataille, l'autonomie, la prise d'initiative. Le choc de Charleroi montre les mutations du commandement qui se confirment pendant la guerre. Les officiers subalternes français formés entre 1900 et 1913 ont en revanche eu accès aux compte-rendus des conflits récents, ont vu les nouvelles technologies. Ardant du Picq, dans son célèbre ouvrage, avait déjà parlé du rôle de la peur sur le champ de bataille et du rôle capital des sous-officiers et officiers de contact. Des officiers-écrivains, des civils s'intéressant aux questions militaires comme Jaurès, anticipent largement la réalité du champ de bataille de la Première Guerre mondiale. A Charleroi, les 300 000 soldats français sont encadré par 35 000 officiers et sous-officiers, active et réserve mélangées. Les réservistes sont mal vus par les généraux d'active, dans les deux armées. Les officiers ont subi de lourdes pertes ; en octobre, Joffre ordonne de les rendre moins visibles par leur uniforme pour les "économiser"... le pacte de sang du baptême du feu scelle la confiance entre les soldats et leurs officiers. C'est que les officiers ont payé un lourd tribut : l'officier compétent et d'autorité fait contrepoint au général défaillant, comme l'adjudant. Cette solidarité explique aussi la résistance de l'armée.

En conclusion, les deux auteurs soulignent combien la bataille de Charleroi reste oubliée, sauf par les Belges, qui célèbrent le martyre de leurs civils. Les Allemands lui préfèrent le succès de Tannenberg à l'est, qui survient peu après. Les Français passent vite sur cette défaite effacée par le succès sur la Marne. Pas de contrôle postal, donc pas de témoignages, y compris du côté allemand. Pas de photos non plus. Seule la propagande en donne une image déformée. Pour le couple d'historiens, c'est aussi que la violence nouvelle du XXème siècle a dépassé les mots des contemporains qui s'attendaient à une guerre du XIXème siècle.

L'ouvrage se révèle être l'un des plus intéressants parus jusqu'ici de la collection L'histoire en batailles. A travers l'exemple de Charleroi, on constate combien les outils militaires français, mais aussi allemand, étaient finalement inadaptés à la violence de la guerre du XXème siècle et encore calqués sur une guerre rêvée par les états-majors du XIXème. L'ouvrage passe un vite sur l'histoire militaire à proprement parler (cela se voit sur le plan Schlieffen, par exemple, ou sur le caractère radicalement novateur des affrontements de 1914, alors que plusieurs conflits cités dans le livre reflètent déjà ce qui interviendra cette année-là) et comprend parfois des coquilles (notamment sur la question de l'armement, mitrailleuses, canons, etc). On sent parfois des généralisations abusives concernant ce qui est l'idée maîtresse de l'ouvrage, et réservée pour la troisième et ultime partie du livre : la faillite des généraux, des officiers d'état-major, ceux qui reçoivent le qualificatif "d'embusqués" dans un passage, et la montée en puissance des officiers subalternes et sous-officiers, plus jeunes, dont on peut se demander si certains, voire beaucoup, n'étaient pas eux aussi gagnés par les théories de "l'offensive à outrance", elle-même sujette à débat récemment. Il y a probablement des raccourcis et un manque de contextualisation dans certaines citations. Pour autant, ces limites ne doivent pas masquer l'intérêt de l'ouvrage : sur une bataille méconnue de la Grande Guerre, les deux auteurs livrent un ouvrage pleinement inscrit dans une "nouvelle histoire bataille", qui pour une fois, se vérifie un peu. Alors certes, ce n'est pas un ouvrage écrit par des militaires, sur un conflit, la Première Guerre mondiale, mais l'écriture de l'histoire ne saurait être l'apanage des militaires, y compris sur l'histoire de la guerre. Cet essai d'histoire universitaire mériterait d'être approfondi pour en corriger les lacunes. Pour autant, il montre à son niveau ce que peuvent faire les universitaires pour renouveler le genre de l'histoire militaire, et pour de vrai cette fois. 


Publication : 2ème Guerre Mondiale n°60 (et arrêt de mes contributions au magazine)

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On trouve dans les maisons de la presse depuis quelques jour le n°60 du magazine 2ème Guerre Mondiale, qui démarre une nouvelle formule, avec de nouvelles rubriques et une forme différente également pour le contenu.

Pour ma part, j'ai livré le dossier consacré à l'as des Tigres I allemands Otto Carius, décédé à l'âge respectable de 92 ans en janvier dernier. Mon but toutefois n'a pas été de retracer une énième biographie de Carius, élogieuse et dépourvue de recul, ni de me perdre dans les détails techniques des machines utilisées par Carius. Je n'ai pas souhaité non plus proposer un article un peu différent de cette litanie mais absolument pas sourcé. Ma démarche a été la suivante : montrer comment le parcours d'Otto Carius s'inscrit dans la réalité de la guerre à l'est menée par la Wehrmacht.

Cette démarche a été conditionnée par les sources disponibles. Contrairement à Joachim Peiper sur lequel j'avais livré un dossier similaire il y a quelques temps, il n'existe pas de biographie historienne d'Otto Carius (avec son décès, espérons qu'elle vienne !), ni d'articles spécialisés portant directement sur le personnage. J'ai donc pris comme base les mémoires de Carius, publiées dès 1960 en allemand mais traduites en anglais seulement dans les années 1990, donc finalement assez tard), que j'ai remises en contexte avec les travaux les plus récents. Mais j'ai essayé de dépasser le simple récit militaire et d'effectuer cette contextualisation, aussi, dans les directions récentes (qui ont maintenant, tout de même, une bonne trentaine d'années) de l'historiographie, avec des ouvrages en anglais, en allemand et en russe. J'ai notamment utilisé le travail de M. Bariatinsky, de D. Glantz, de J. Kilian. Malheureusement je n'ai pas eu le temps d'utiliser l'ouvrage de J. Rutherford que je fichais récemment, qui aurait été bien utile ici.

Pour ce numéro, j'ai également écrit la désormais traditionnelle chronique cinéma, qui porte sur le film russe Bunker (2012). Je profite de ce billet pour annoncer également qu'il s'agit là de mes dernières contributions au magazine 2ème Guerre Mondiale, si j'excepte la parution à venir d'un thématique dans les prochains mois.

Bonne lecture.

Brigitte et Gilles DELLUC, La vie des hommes de la Préhistoire, Ouest-France, 2003, 128 p.

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Lesépoux Delluc, docteurs en Préhistoire, chercheurs à l'abri Pataud (Les Eyzies), sont les auteurs de nombreux livres et autres publications, et des spécialistes de l'art et de la vie des Cro-Magnons.

La vie des hommes préhistoriques a longtemps relevé du mythe, du "clochard de la nuit des temps", entretenu par le cinéma (La guerre du feu) ou la bande dessinée (Rahan). Darwin, avec sa théorie de l'évolution des espèces, avait pourtant tenté d'expliquer qu l'homme et le singe partageaient sans doute un ancêtre commun. La Préhistoire est une science qui n'apparaît qu'au XIXème siècle, elle est d'abord française. Depuis 1,8 millions d'années, nous sommes dans l'époque quaternaire, marquée par des phases de glaciation puis de réchauffement. Pour retrouver les traces des hommes de la Préhistoire (depuis environ 2,5 millions d'années), André Leroi-Gourhan a réalisé la paléo-ethnologie des structures d'habitats. La technique de stratigraphie lors des fouilles se combine avec le décapage. Sciences et techniques coopèrent : géologue, sédimentologue, anthropologue, paléo-zoologue...

L'homme est né en Afrique. Mais ce n'est pas un singe évolué. Homme et singe ont un ancêtre commun, inconnu. Les Australopithèques sont des pré-hommes. C'est un groupe disparate. L'Homo Habilis, qui apparaît il y a environ 2,5 millions d'années, est notre ancêtre direct. Il a un langage articulé, sait confectionner des outils, des habitats. C'est un opportuniste du point de vue alimentaire. L'Homo Erectus, qui apparaît au début du Quaternaire, perdure 1,5 millions d'années. Né en Afrique orientale, il se répand dans nombre de régions du monde. Les Erectus d'Europe sont des anténéandertaliens. On en trouve en France, comme à Tautavel. Ils débouchent sur le type Néandertal il y a 100 000 ans. Vers 500 000 ans, on relève les premières traces d'habitat sophistiqué. La maîtrise du feu, vers 400 000, permet aux Erectus de remonter vers le nord et des zones plus froides. Les Erectus chassent de gros animaux, pratiquent pour certains le cannibalisme. Ils utilisent des outils plus complexes comme les bifaces, et plus variés aussi.

L'évolution se fait dans deux sens. En Europe, une impasse évolutive, les Néandertaliens. En Palestine, l'ancêtre de l'homme actuel, l'Homo Sapiens. Les Néandertaliens, apparus il y a 100 000 ans, disparaissent vers 35 000. Ils s'éteignent d'abord en Europe. D'autres sont au contact des Homo Sapiens au Proche-Orient. Son nom vient d'une découverte faite près de Düsseldorf, en Allemagne, en 1856. On considère aujourd'hui le Néandertal comme une caricature d'Erectus dont il amplifie les caractéristiques. Robustes, il est omnivore et chasseur-cueilleur. Leur outillage, plus évolué, est dit "moustérien". Il a laissé une cinquantaine de sépultures. Le mystère plane encore sur sa disparition. Les tombes des Homo Sapiens, ancêtres des Cro-Magnons, sont plus anciennes que celles des Néandertaliens. Ce sont eux qui vont peupler l'Europe.

Venus en plusieurs vagues, les Homo Sapiens vont se répandre dans le reste de la planète. Ils ont un cerveau identique au nôtre, un langage structuré. Pas de portrait. On sait en revanche qu'il vit dans un climat plus froid, les eaux sont plus basses qu'aujourd'hui, la steppe prédomine (et pas la banquise...). Les Cro-Magnons sont des chasseurs-cueilleurs semi-nomades : quelques dizaines de milliers sur le territoire de la France actuelle. Hommes et femmes ont des fonctions distinctes. Les échanges existent entre les groupes, notamment matrimoniaux. Les conditions sanitaires sont précaires : les enfants meurent souvent en bas-âge, mais les Cro-Magnons sont plutôt en bonne santé, malgré des problèmes dentaires. La vie est courte : pas plus de 25 ans pour la plupart. Ils enterrent leur mort, avec probablement déjà une hiérarchie.

Les Cro-Magnons choisissent bien leur habitat, souvent orienté au sud. Les constructions ne sont pas standardisées. Parfois elles sont ornées de représentations. Le feu a un rôle matériel mais aussi social. Les spécialistes découpent l'époque des Cro-Magnons en fonction de leur production d'outils : Aurignaciens, Gravettiens, Solutréens, Magdaléniens. Ils fabriquent leurs outils avec des lames de silex, sont bien équipés pour la chasse et la pêche, notamment avec des sagaies.

Harpon, épieu, sagaies sont bien connus. L'arc apparaît également. Les hommes partent à la chasse tandis que les femmes et les enfants s'occupent de la cueillette et du ramassage. On connaît les pratiques de chasse par les dessins. Les chasseurs guettent la fin de l'été et le début de l'automne, en raison du cycle saisonnier du gibier. A la chasse, une partie de la viande est consommée sur place, l'autre est ramenée. La pêche est moins pratiquée, mais l'Homo Sapiens a bien dû maîtriser aussi la navigation pour peupler la planète. Les végétaux fournissent au moins la moitié de l'alimentation. Quand ils manquent de viande, ils concassent les os pour en extraire la graisse.

Dès 100 000, les Cro-Magnons mettent au point des sifflets, des instruments de musique basiques. Les bijoux et objets de parure sont fréquents, avec des formes variées : Vénus, phallus, ... certains objets sont décorés avec des rennes ou des poissons, motifs les plus fréquents. L'art pariétal se trouve dans les pays calcaires. Il commence vers 35 000. Les Cro-Magnons ont des lampes à suif pour s'éclairer. Les artistes exécutent au trait, avec des silex ou autres instruments, puis complètent avec des pigments de couleur. Les animaux sont un sujet central. Les humains sont bien moins représentés. Les mains négatives au pochoir, en revanche, sont fréquentes. Il y a aussi des motifs géométriques. Cet art apporte en réalité plus de questions que de réponses.

Vers 10 000, le climat se réchauffe, les chasseurs-cueilleurs deviennent producteurs, c'est l'avènement du Néolithique. L'homme est un peu différent, les animaux beaucoup plus. Les outils sont plus petits, toujours aussi différenciés. Un nouvel artisanat se développe, l'homme se sédentarise. Les haches de pierre polie apparaissent, on entasse les réserves alimentaires dans des silos. Les hommes sont enterrés en groupe.

Aujourd'hui, la fouille privilégie les grands gisements et les sauvetages. L'essentiel est de savoir conserver et de mettre en valeur les découvertes. De nombreuses questions théoriques et pratiques se posent encore. Le couple de préhistoriens plaide pour un retour au mode de vie ancien des hommes du Paléothique, devant les excès de nos sociétés modernes (!).



Flammes sur l'Asie (The Hunters) de Dick Powell (1958)

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Pendant la guerre de Corée. Le major Cleve "Iceman" Savill (Robert Mitchum), vétéran de la Seconde Guerre mondiale, retourne au combat, désireux de piloter le nouveau chasseur à réaction F-86 Sabre. Son commandant d'unité, le colonel"Dutch" Imil (Richard Egan), le place à la tête d'un flight de son escadrille. Sous les ordres de Saville, il y a un jeune lieutenant un peu fou mais excellent en combat aérien, Ed Pell (Robert Wagner). Lors de leur première mission, les F-86 rencontrent des MiG-15. Pell abandonne son leader pour abattre un appareil ennemi ; le lieutenant Corona (John Gabriel) est touché et s'écrase en essayant de ramener son appareil endommagé. Saville veut punir Pell, mais Imil souhaite que le major le prenne sous son aile pour en faire un pilote de premier ordre. Saville a aussi sous ses ordres le lieutenant Abbott (Lee Philips) qui manque de confiance en lui et noie ses problèmes dans l'alcool. Kristina (May Britt), sa femme, demande à Saville de veiller sur lui. Mais Saville s'éprend de la jeune femme...

The Hunters est l'adaptation d'un roman de James Salter, décédé récemment (19 juin 2015), un ancien pilote de F-86 en Corée reconverti dans l'écriture (le roman éponyme date de 1956). Les scènes aériennes ont été principalement filmées dans le sud-ouest des Etats-Unis, autour de deux bases en Arizona (Williams et Luke Air Force Bases). Les scène de décollage ont été tournées sur un terrain auxiliaire dont l'environnement rappelait celui de la base de Suwon, en Corée du Sud (on peut voir le nom de cette base à plusieurs reprises dans le film, sur les panneaux d'entrée). Les rues de Kyoto, les restaurants japonais, la base aérienne d'Itami (Osaka) ont été reconstitués en Californie dans le ranch de la Fox. Les F-86, parfaitement authentiques, encore avions de première ligne à l'époque, font partie d'un 54th Fighter Group fictif, qui reprend les marquages du51st Fighter-Interceptor Wing, basé au Japon en 1950 et qui a été parmi les premières unités aériennes américaines dépêchées en Corée du Sud. Ce sont en fait des F-86F du 3525th Combat Crew Training Wing. La séquence de crash à l'atterrisage utilise les images d'archive montrant celle d'un F-100 Super Sabre sur la base d'Edwards, le 10 janvier 1956. Les MiG-15 communistes sont des F-84F Thunderstreakmaquillés du 3600th CCTW, qui finiront plus tard dans la Garde Nationale de l'Ohio (on les surnommait encore les "MiG" en 1969 !). Un C-130A a servi pour les prises de vue aériennes. De fait, The Hunters est l'un des premiers films à montrer les combats entre avions à réaction : un lointain ancêtre de Top Gun, donc (Saville porte le surnom d'"Iceman"...).



Le film ne s'inspire que très vaguement du roman, et ne brille pas par son scénario, mais bien par les combats aériens et les appareils. Flammes sur l'Asie fait partie de ces nombreux films aériens américains sur la guerre de Corée, qui met cependant ici en scène, pour une fois, des appareils de l'USAF, non de la Navy.


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