Quantcast
Channel: Historicoblog (3)
Viewing all 1172 articles
Browse latest View live

VON OPPENHEIM, Le domaine tchadien de Rabah (trad. Roger Pascal), Racines du présent, Paris, L'Harmattan, 2001, 143 p.

0
0
Le baron Von Oppenheim, conseiller à la légation allemande du Caire, publie en 1902 un texte consacré à Rabah, seigneur de la guerre soudanais et trafiquant d'esclaves qui affronte les Français lors de la colonisation du Tchad. Von Oppenheim ne travaille pas avec des sources de première main, ce qui explique les inexactitudes et le caractère incomplet de son travail : cependant, comme le rappelle le traducteur, le texte est précieux, car il est l'un des rares à présenter un personnage africain important pour l'époque, même si c'est sous un angle de vue européen.

L'Allemand insiste sur le caractère fulgurant des conquêtes de Rabah, qui fonde sa capitale en 1894 et disparaît au combat contre les Français six ans plus tard. L'empire ne survit pas à sa disparition. Von Oppenheim comptait monter une expédition à partir du Caire mais en a été empêché par la progression de Rabah : c'est pourquoi il rassemble des informations sur lui à partir de 1896, puisque la colonie allemande du Cameroun est frontalière, au nord, du Tchad.

Rabah a servi sous Ziber Pacha, marchand d'esclaves puissant du Bahr-el-Gazal que le Khédive d'Egypte a préféré mettre sous résidence surveillée en 1876. Son fils Suleiman reprend le flambeau mais périt en affrontant le Khédive d'Egypte et ses mercenaires, dont Gessi, un Italien, et Gordon, en 1879. Rabah, qui a probablement 30 ans à cette époque, a servi Ziber, puis Suleiman ; il s'enfuit vers l'ouest après la mort de ce dernier, emmenant plusieurs centaines de bazinguers (soldats irréguliers) qui lui permettent de s'installer au niveau du Ouaddaï. Il essaie d'attaquer cet empire en 1887, sans succès. Rabah, qui récupère certains partisans du Mahdi, s'enfonce encore plus à l'ouest, défait l'empire du Baguirmi puis celui du Bornou (1892-1893). Il amasse un trésor de guerre considérable.

A partir de Dikoa, sa nouvelle capitale près du lac Tchad (qui aurait compté jusqu'à 100 000 habitants à sa mort) , Rabah règne en seigneur de guerre, avec une armée de 20 bannières comptant chacune 250 hommes, avec un système de forts, de points d'appui avec magasins de vivres et de munitions. Il dispose probablement de 4 à 5 000 hommes équipés d'armes feu mais de beaucoup d'autres armés de lances ou d'armes blanches ou de jet. Rabah se soucie de son approvisionnement en armes, en munitions et en poudre, d'autant qu'il bloque le commerce des Tripolitains et ne peut négocier avec le Ouaddaï.

Avant d'avoir pu consolider son pouvoir, Rabah doit affronter, en 1898, les Français qui cherchent à s'implanter dans ce qui deviendra le Tchad ; ce conflit, en plus de l'hostilité des Sénoussis, lui sera fatal. La France cherche en effet à assurer la réunion territoriale de ses différentes colonies africaines : en 1897, Gentil descend le Chari jusqu'au lac Tchad avec un vapeur et signe un traité avec le Baguirmi. Rabah se venge en ravageant le Baguirmi, exécutant ensuite un Français, de Béhagle, venu en exploration économique. Bretonnet, subordonné de Gentil, envoyé en avant-garde, présume de ses forces : acculé par les forces de Rabah, très supérieures en nombre, il est massacré avec tout son détachement. Gentil arrive ensuite, bâtit Fort-Archambault. Renforcé en hommes en artillerie, il affronte l'armée de Rabah à Kouno (29 octobre 1899) : le combat est très dur, les Français y laissent la moitié de leurs forces, tuées ou blessées.

Gentil attend ensuite l'arrivée des deux autres missions françaises, envoyées depuis le nord et l'ouest, pour gagner le Tchad. La jonction est faite en février 1900 : les Français s'emparent de Kousséri, où ils installent leur camp. Après avoir défait le fils de Rabah, Fadel Allah, la bataille décisive a lieu le 22 avril non loin de la localité : aux 700 à 800 Français sont opposés 5 000 hommes, dont 2 000 armés de fusils, Rabah disposant de quelques pièces d'artillerie prises à Bretonnet (les Français ont 7 canons dont 5 de montagne modèle 1880). Rabah est vaincu et tué de même que Lamy, un des chefs de mission français. Les Français détruisent le reste de l'empire tandis qu'ils fondent Fort-Lamy, en face de Kousséri.

Fadel Allah tente de rassembler les lambeaux de forces de son père, prend contact avec les Anglais au Bornou. Le fils de Rabah est finalement surpris et tué en août 1901 par les Français, en territoire britannique. Mais la fin de l'empire de Rabah ne signifie pas la fin des combats pour les Français. Les premières expéditions montées vers le nord, dès novembre 1901, se heurte aux Touaregs et à la Sénoussiya. 

Une traduction utile, donc, même si l'on regrette de ne pas avoir plus de détails sur la source, son origine, à partir de quel texte elle a été réalisée, etc. Sans compter que les illustrations -une ou deux images et quelques cartes d'époque- sont un peu limitées.




Boris LAURENT, Les opérations germano-soviétiques dans le Caucase (1942-1943), Campagnes et Stratégies 115, Paris, Economica, 2014, 357 p.

0
0
Boris Laurent, qui a dirigé le défunt magazine Axe et Alliés, et qui a commenté les carnets de Paulus et de Patton (livres que je n'ai pas lus), propose dans la collection Campagnes et Stratégies des éditions Economica cet ouvrage consacré aux opérations germano-soviétiques dans le Caucase, en 1942 et 1943. Sont-elles pourtant si méconnues que l'affirme l'auteur dans son avant-propos ? En réalité, les travaux étrangers (en particulier anglo-saxons) donnent déjà un bon aperçu sur la campagne (avec David Glantz et sa trilogie sur Stalingrad au premier chef) et même en français, le compilateur habile qu'est Jean Lopez en parle assez longuement dans son propre ouvrage consacré à Stalingrad (rappelons d'ailleurs que Jean Lopez est... co-directeur de la collection Campagnes et Stratégies désormais). Dès lors, on ne sera pas surpris de retrouver les mêmes thèmes : l'enjeu du pétrole, la pression exercée par l'Allemagne sur la Turquie pour la faire rentrer dans la guerre et couper le « corridor persan » du Prêt-Bail, l'URSS « au bord du gouffre » économiquement parlant en 1942, etc. Boris Laurent tente de se démarquer en annonçant vouloir présenter les forces en présence et leur spécificité, ainsi que le rôle des alliés de l'Allemagne, pays satellites ou peuplades du Caucase. Côté soviétique, il se propose de décrire trois phases successives : le repli et la résistance, la réorganisation des forces et la reconquête. Il insiste sur l'importance de la bataille aérienne du Kouban (évoquée assez rapidement par contre dans le livre de Jean Lopez sur Koursk, y compris dans la réédition de 2011) et sur l'inversion de comportement des deux dictateurs à l'égard de leurs généraux (qui est cette fois assez développée par Jean Lopez dans ses propres travaux). L'idée maîtresse du livre est que les nazis avaient une chance, à ce moment-là, de priver l'Armée Rouge de pétrole et donc d'empêcher sa réorganisation mécanisée en 1943, chance qu'ils ont laissée passer. Cependant, Boris Laurent ne répond pas forcément à toutes les attentes définies au départ (il va par exemple surtout parler d'Hitler, et beaucoup moins de Staline).



Dès la première partie, sur l'avancée allemande dans le Caucase, en juillet-octobre 1942, on retrouve des éléments similaires au Stalingrad de Jean Lopez (même tableau sur la contribution de la Roumanie à l'économie pétrolière allemande, p.23 ; la carte sur la question du pétrole est à la p.26 dans les deux livres...). Quand on regarde les notes présentes dans le premier chapitre, il est patent que l'auteur fait appel à un nombre de sources (secondaires) limitées : des articles spécialisés (celui de J. Hayward, qui revient souvent), des mémoires soviétiques (surtout celles de Grechko), des ouvrages écrits par des vétérans allemands pour l'armée américaine après 1945, et quelques ouvrages, surtout anglo-saxons, plus récents, comme ceux de David Glantz. A l'inverse de Jean Lopez, en revanche, et rejoignant sur ce point Nicolas Bernard dans sa somme sur le conflitgermano-soviétique, Boris Laurent insiste sur l'impact catastrophique selon lui de la directive n°45 du 23 juillet 1942, dans laquelle Hitler écartèle l'effort entre le Caucase d'un côté et ce qui va devenir la bataille de Stalingrad de l'autre. On retrouve en revanche des considérations similaires sur l'économie soviétique et la situation périlleuse de 1942 (le tableau p.40, par exemple, est lui aussi issu du Stalingrad de Jean Lopez). La présentation de l'armée allemande engagée dans le Caucase se concentre surtout sur les généraux (avec des descriptions parfois assez « lisses » : celle de Hoth, par exemple, p.52, écarte la dimension nazie du personnage) et les unités (là encore, la présentation de la division Wiking est assez rapide ; on remarque la mention en notes d'un article d'Axe et Alliés, qui n'est à mon avis pas très sa place ici...). La description des forces soviétiques est plus rapide et quasiment non sourcée. Le récit des opérations, bien qu'illustré par quelques cartes générales, manque cependant de cartes ou de schémas tactiques et sub-tactiques pour suivre les mouvements des protagonistes : on perd assez vite le fil. L'un des chapitres les plus intéressants est peut-être celui consacré à l'opération Chamil, l'utilisation de Caucasiens par la Wehrmacht au sein du Sonderverband Bergmann pour s'emparer des puits de Grozny. C'est l'occasion de rappeler l'historique de la présence allemande dans le Caucase et les manoeuvres nazies pendant l'offensive (même si l'auteur aurait pu se dispenser là encore de citer le dossier du Guerres et Histoire n°2, p.101). Hitler n'a pas voulu raser les puits de Grozny et de Bakou quand il en avait l'occasion, pensant que l'offensive dans le Caucase reprendrait : quand il acte de son échec, il est trop tard. La présentation des Gebirgsjäger (p.121-127), là encore, omet leur implication dans de nombreux crimes de guerre (comme ceux commis par la 1. Gebirgs Division une fois celle-ci transférée en Grèce en 1943, comme le souligne l'historien Mark Mazower dans son ouvrage sur l'occupation de la Grèce). Hitler et ses généraux ont surestimé les capacités de l'armée allemande, notamment sur le plan logistique, et ont gravement sous-estimé la réorganisation des forces en cours chez l'adversaire soviétique.

L'échec survient dans le Caucase entre septembre (alors que la première partie allait jusqu'à octobre ?) 1942 et janvier 1943, moment où Hitler s'immisce de plus en plus dans la conduite des opérations, limogeant List, heurtant de plein fouet Jodl. Le récit des opérations, à nouveau, manque terriblement de cartes pour suivre la progression des deux camps. Au moment d'évoquer le plan des « quatre planètes », Boris Laurent emprunte encore largement le tableau de l'art opératif soviétique (qui n'est d'ailleurs pas exempt de reproches) au Berlin de Jean Lopez (cité en notes). La description de l'échec de l'opération Mars semble également tirée du dossier du n°11 de Guerres et Histoire, qui cette fois n'est pas cité. L'ouvrage ressemble donc parfois à une compilation de compilation (cette dernière étant constituée par le travail de Jean Lopez).

Dans la dernière partie (décembre 1942 alors que la seconde se terminait en janvier 1943, jusqu'en octobre 1943), Boris Laurent insiste sur le tournant que représente le printemps 1943 dans l'ensemble de la guerre. La 17ème armée allemande se maintient dans la péninsule de Taman pour empêcher les Soviétiques de bénéficier pleinement de l'accès à la mer Noire, tout en conservant des forces prêtes à bondir en cas de succès de l'offensive d'été prévue autour du saillant de Koursk. La retraite allemande vers le Kouban et les attaques soviétiques dont décrites en détail, mais là encore sans beaucoup de cartes, ce qui entrave la compréhension de toutes les manoeuvres. La description de la campagne du Kouban en 1943 est pourtant intéressante, car relativement méconnue il est vrai. Néanmoins, on observe que la partie consacrée à la montée en puissance des VVS, que j'ai moi-même traitée dans un article du magazine 2ème Guerre Mondiale assez récemment, n'est qu'une reprise du chapitre correspondant du livre de von Hardesty réédité en 2012 : cité une fois p.276, il fournit la matière à quasiment 10 pages, et l'auteur y pioche aussi une bonne partie des dix pages suivantes. La vision de la bataille de Koursk (p.295) ne colle pas tout à fait aux dernières avancées historiographiques, s'arrêtant à la simple révision du mythe de Prokhorovka mais sans les nuances apportées plus tard par d'autres historiens (dont certains d'ailleurs étaient partie prenant du courant que l'on pourrait qualifier de « révisionniste »).

Le Caucase est libéré en octobre 1943. L'échec allemand, politique et militaire, est conséquent. Les Soviétiques ont retrouvé une puissance militaire certaine, tandis que Beria conduit la déportation des peuples caucasiens accusés d'avoir collaboré avec l'ennemi. Pour Boris Laurent, l'échec allemand est dû avant tout à la démesure hitlérienne : le Führer se fixe un objectif censé au regard de l'impact en cas de réussite, mais qui ne correspond pas à ses moyens, encore plus après la directive n°45 : le plan Blau est en échec dès septembre-octobre 1942, avant même les combats les plus féroces dans Stalingrad. Comme ailleurs, Hitler refuse de se servir des peuples caucasiens contre le pouvoir soviétique. Les services de renseignement allemand ont grossièrement sous-estimé l'ennemi, qui se réorganise de manière efficace. Hitler est persuadé que la défaite de l'URSS va hâter le débarquement des Anglo-saxons à l'ouest, d'où le choix d'une attaque pour conquérir le pétrole, nécessaire à une guerre longue.

Pour le connaisseur, le livre n'apporte malheureusement pas grand chose de neuf par rapport au Stalingrad de Jean Lopez, paru dans la même collection (!) et qui est déjà une certaine forme de compilation, en particulier des ouvrages anglo-saxons. Boris Laurent, lui, compile beaucoup d'éléments issus du Stalingrad, et quand même bien la bibliographie est un peu plus étoffée, il n'utilise en réalité qu'une dizaine d'ouvrages ou articles le plus souvent, ceux qui apparaissent le plus souvent en notes : Blau, Eichholtz, Glantz, Grechko, Hayward (pour un article), Tieke, Ziemke, Harrison. Sur le Caucase, on note d'ailleurs l'absence d'au moins un ouvrage récent consacré au même sujet en français, celui d'Hoesli (que pour ma part je n'ai pas encore lu). La présentation des chefs et des forces allemandes laisse parfois songeur, de par l'absence de mention des liens étroits parfois entretenus avec le nazisme et ses pratiques pendant le conflit. De manière générale d'ailleurs, le récit est plus germanocentré : les notes et les sources sont plus rares (à part les mémoires de Grechko et les travaux de D. Glantz, dont viennent aussi une bonne partie des annexes fournis) sur le côté soviétique des opérations. Le livre est-il indispensable ou même nécessaire ? Assurément non pour ceux qui ont déjà lu un peu sur le sujet, en particulier les sources principales de l'auteur, les livres de Jean Lopez (en particulier le Stalingrad) et les travaux anglo-saxons et autres les plus utilisés (Glantz, les vétérans allemands, etc). Pour ceux qui découvrent le sujet, il peut constituer une bonne entame, à compléter cependant par d'autres lectures.

Robert BUIJTENHUIJS, Le Frolinat et les guerres civiles du Tchad (1977-1984), Paris, Editions Karthala, 1987, 479 p.

0
0
Robert Buijtenhuijs, mort en 2004, était un africaniste néerlandais. Chercheur à l'Afrika Studiecentrum de Leyde, il est particulièrement connu pour ses travaux sur les conflits au Tchad depuis l'indépendance, qui sont pour ainsi dire devenus incontournables à toute personne s'intéressant au sujet. Buijtenhuijs a également beaucoup publié dans la revue Politique Africaine.

Le livre fait suite à un autre, chronologiquement parlant, celui sur les révoltes populaires au Tchad (1965-1976), et analyse la prise de pouvoir par le Frolinat, qui a grandement déçu l'auteur, comme il le dit lui-même dans l'introduction : le mouvement n'a pas tenu ses promesses. Il y a aussi le problème des sources, toujours difficile quand on évoque un conflit contemporain de l'écriture. 1977 marque une rupture avec l'internationalisation du conflit tchadien et la séparation de plus en plus nette entre le Nord et le Sud du pays. Dans une première partie, l'auteur revient sur la conquête du pouvoir par le Frolinat, puis décrit dans une deuxième partie l'exercice du pouvoir jusqu'en 1984. Dans la dernière partie, il dissèque le Frolinat pour montrer l'échec d'une expérience révolutionnaire.



Les premières rébellions du Tchad indépendant commencent en 1965 et aboutissent à la création du Frolinat en juin 1966. Le nord et le sud du pays s'opposent géographiquement et climatiquement, et de par leur histoire politique. La colonisation bouleverse la situation en offrant des opportunités et en développant économiquement le sud (dont la structure sociale est également modifiée avec la création des chefs de canton), jusqu'ici dominé par le nord. C'est pourquoi le réveil politique, avec le PPT, naît au sud, et que le nord reste en arrière. Le Frolinat est dès le départ, divisé : en 1976, il compte encore pas moins de 5 tendances, et stagne, même si la 2ème armée du Tibesti est en meilleure position que les autres. La situation change en janvier 1977 : la libération des Claustre, otages du Frolinat, montre le soutien libyen à Goukou Oueddeï, qui passe à l'offensive contre les forces gouvernementales du général Malloum. Ce dernier tente de se rallier Hissène Habré, qui a rompu avec Oueddeï en 1976. En janvier 1978, Oueddeï relance son offensive, réunissant apparemment tous les courants de la rébellion ou presque, mais ce n'est qu'une façade, alors qu'apparaît une 3ème armée du Frolinat soutenue par le Nigéria. En revanche le Frolinat se fait suffisamment menaçant pour que la France décide d'intervenir, avec l'opération Tacaud. Ahmat Acyl, plutôt pro-libyen, affirme sa présence lors des combats qui s'ensuivent. Hissène Habré, devenu Premier Ministre de Malloum, en profite pour se placer dans l'échiquier politique tchadien. En février 1979, jouant de la carte musulmane, il déclenche les hostilités à N'Djamena. Les FAN l'emportent, de par leurs qualités et les faiblesses de leur adversaire, mais aussi avec la bienveillance discrète de la France. Le Sud, horrifié par la prise de pouvoir des nordistes, se réfugie dans un vain désir d'autonomie. Goukouni se détache de la Libye et rallie Habré à N'Djamena, ainsi que la France, à laquelle il demande d'installer une base à Faya-Largeau pour contenir Kadhafi : peine perdue. Le succès des FAN et des FAP est à mettre à l'actif de la valeur des combattants toubous mais aussi du ralliement des élites nordistes à Habré à partir de 1979. Surtout, la Libye de Kadhafi, après avoir mis la main sur la bande d'Aouzou, tente de constituer un Frolinat pro-libyen et fournit de l'armement plus sophistiqué (SA-7, LRM) et des combattants à partir de 1978. Le Soudan, lui, soutient Hissène Habré après sa victoire contre Malloum, car il est le rebelle le plus anti-libyen. La France, après avoir soutenu Malloum, le lâche progressivement pour Hissène Habré et Oueddeï, afin de soutenir des rebelles anti-libyens, tout en essayant de recomposer le pays par la négociation ; cependant certains présupposés français sont erronnés et ne permettent pas d'arriver à ces fins. Le Nigéria intervient d'abord dans l'ombre de la France, puis conduit sa propre politique au Tchad.

La conférence de Kano instaure un partage de fait entre Oueddeï et Habré, le retrait de Malloum, une victoire pour le Nigéria et un recul pour la Libye. Le Sud entre de fait en sécession sous l'autorité du colonel Kamougué, bientôt soutenu par Kadhafi en mal de candidat tchadien. Un nouveau GUNT est alors constitué, alliant Oueddeï et Kamougué, dont Habré est le perdant. La France se retire. Les combats débutent à N'Djamena en mars 1980, opposant Habré aux forces coalisées autour de Oueddeï. Habré est vaincu mais pas anéanti, sans qu'il faille y voir forcément le résultat d'un "accord secret" franco-libyen. En réalité la France cherche surtout à ne pas affronter directement Kadhafi et à promouvoir des éléments tchadiens anti-libyens. La Libye, qui a permis le succès de Oueddeï en intervenant massivement à partir d'octobre 1980, tente de fusionner les deux pays, mais le Frolinat et les sudistes s'en offusquent. Goukouni se rapproche de la France, et son opposition entraîne le retrait des Libyens dès le mois de novembre 1981. L'occupation coûte cher en hommes et en argent, et Kadhafi sent bien que les Tchadiens sont hostiles à sa présence, d'autant que les FAN reprennent l'offensive dans l'est dès l'été 1981. Le GUNT subit une véritable déroute face aux FAN de novembre 1981 à juin 1982, alors qu'il est lâché par les sudistes et ses autres soutiens du Frolinat. Les FAN ont vaincu en raison de la division du GUNT et d'appuis extérieurs (Egypte, Etats-Unis, etc). Habré crée littéralement un Etat-FAN et investit le sud, qui vivait en quasi sécession depuis trois ans. Au printemps 1983 pourtant, les FAN ne peuvent à la fois combattre le GUNT réorganisé au nord par la Libye et une offensive du NIgéria sur le lac Tchad. La chute de Faya-Largeau entraîne un soutien discret de la France, et la reprise de la localité une intervention plus massive de la Libye. La France envoie donc de nouveau ses troupes sur place, après bien des tergiversations ; ce qui l'intéresse est de maintenir l'influence libyenne en dehors du Tchad. Le président Mitterrand tient aussi compte des fractures internes du pays, ce qui n'est pas le cas des Américains, qui envisagent le Tchad comme l'énième lieu de confrontation entre leur puissance et celle des Soviétiques, par Libyens interposés. Le statu-quo installé par l'opération Manta conduit surtout à la mainmise de la Libye sur le nord du Tchad. Cependant, le GUNT s'effrite lui aussi et connaît, comme le Frolinat avant lui, de fortes divisions. En septembre 1984, après l'échec de négociations globales, Français et Libyens concluent un accord de retrait mutuel, mais que ces derniers ne respectent pas. En réalité la France ne veut pas s'engager outre-mesure et semble accepter la partition du Tchad qui s'est installée sur le terrain depuis le déclenchement de Manta. Habré tente de juguler le mécontentement du Sud en créant les FANT, mais les "codos" sudistes rendent la région peu sûre pour le pouvoir fin 1984 et en 1985.

Pour Buijtenhuijs, le GUNT, derrière un discours révolutionnaire, a surtout été préoccupé de son maintien au pouvoir. Le bilan d'Hissène Habré est meilleur, mais depuis 1978, son idéologie tourne autour du nationalisme anti-libyen. La Libye sert de prétexte commode pour évacuer les réformes internes au pays. Le Tchad vit sous la coupe de véritables seigneurs de guerre. Les combattants tiennent une place incomparable : l'Etat, affaibli sous le règne de Tombalbaye, achève de se désintégrer avec la guerre civile de 1979. Seul le sud conserve un semblant d'organisation, sans jamais pouvoir basculer dans la sécession, qui n'aurait jamais été acceptée par les autres Tchadiens et les pays voisins. Le Frolinat échoue car il n'est pas représentatif de l'ensemble du pays, partagé entre de multiples factions. Seules les FAN ont un recrutement plus élargi, alors que le CDR incarne la fracture, étant arabe et majoritairement du centre-est. Ahmat Acyl était cependant moins pro-libyen qu'on ne l'a dit. Les divisions internes au Frolinat ou entre le nord et le sud ne sont pas seulement ethniques ou tribales, mais aussi politiques. D'ailleurs une région comme le Ouaddaï n'a jamais compté de faction rebelle propre, ce qui est intéressant. La Libye, utilisé comme moyen par des factions tchadiennes d'avancer leurs intérêts, va grandement déterminer le cours des événements. Plutôt que de sécuriser sa frontière sud, la Libye cherche plutôt à s'affirmer comme puissance régionale (contre la France) et à annexer des territoires, bande d'Aouzou, voire BET. Le Frolinat n'a jamais trouvé un chef à sa mesure, de Siddick à Oueddeï, qui a commis de graves erreurs notamment  à l'égard du Sud, et qui manque d'autorité sur ses combattants et ses partisans. Habré et ses FAN sont plus organisées, car comportant plus de cadres, mais avec un sérieux penchant pour des méthodes autoritaires. Le programme révolutionnaire du Frolinat n'a pas été traduit dans les faits ; Habré, idéologiquement, se sert de l'islam plus qu'il n'y croit.

Buijtenhujjs conclut sur les difficultés économiques suite aux destructions dans la zone contrôlée par Habré et sur les problèmes démographiques entraînés par la guerre. Il signale néanmoins le rétablissement spectaculaire de la situation en 1985-1986 notamment par le ralliement des "codos" sudistes, après une sanglante répression mais des accords négociés. Le livre du chercheur néerlandais, paru il y a déjà presque 30 ans, n'a pourtant jamais été dépassé et reste une référence sur le Frolinat et les guerres civiles tchadiennes dans cette période clé de 1977 à 1984. Incontournable.


Vincent BERNARD, Les poilus du Sud-Ouest, Références, Editions Sud-Ouest, 2014, 170 p.

0
0
Vincent Bernard, auteur dans la presse spécialisée (éditions Caraktère, etc), qui tient le blog Le Cliophage, signe cette année, en plus d'une première biographie française de Robert E. Lee, ce petit volume dédié aux poilus du sud-ouest. Plus précisément ceux de la XVIIIème région militaire, qui formera en temps de guerre le 18ème corps d'armée. Sur 406 000 hommes partis, 63 000 sont restés sur les champs de bataille de la Grande Guerre. Le format et l'intention de l'auteur se résument à une évocation, assez rapide, du parcours de ces poilus du sud-ouest, peu connu d'après lui.

Le propos se divise en six chapitres. Dans le premier, Vincent Bernard rappelle bien à propos l'organisation de l'armée française en 1914, ce qui n'est finalement pas un mal pour bien comprendre la contribution des poilus du sud-ouest. Même si la reconstruction de l'armée française depuis 1870 aurait pu, p.19-22, se faire à la suite dans le texte et non pas peut-être comme un catalogue de dates. De même que le lexique des unités militaires, p.26-28, aurait pu être reporté en annexe. On voit aussi apparaître un problème fréquent dans ce genre de petits ouvrages : l'absence d'apparat critique. Des notes permettraient de renvoyer, ponctuellement, vers les références citées en bibliographie, pour prolonger tel ou tel aspect qui n'est ici qu'évoqué succinctement, justement, ou renvoyer à des travaux plus savants dépassant la simple évocation.



Le deuxième chapitre s'intéresse à la définition de ce que sont les poilus du sud-ouest. Un "grand Sud-Ouest", en vérité, puisque les XIIème, XVIème et XVIIème régions de corps d'armée s'étalent de la Charente à la Creuse en passant par l'Aude et le Tarn pour arriver au Lot-et-Garonne et jusqu'aux Pyrénées-Orientales. Suit la présentation détaillée, toujours un peu fastidieuse à la lecture, du 18ème corps d'armée et de ses subdivisions fournis par la XVIIIème région militaire. Vincent Bernard n'oublie pas les cavaliers, les artilleurs, la Coloniale et même l'aviation. D'ailleurs l'encadré en double page sur l'arrivée de la Coloniale à Bordeaux (p.52-53) aurait pu figurer dans le texte, et non pas sous cette forme. Les réservistes ne sont pas omis, tout comme la territoriale.

Le troisième chapitre décrit le départ des soldats en 1914. C'est l'un des plus intéressants, notamment parce qu'il emprunte beaucoup à des témoignages d'époque (là encore l'encadré sur la loi du 5 août 1914, p.63, ne pouvait-il pas figurer dans le texte ?). Le tableau sur l'enchaînement des déclarations de guerre et des mobilisations en revanche trouve davantage sa place dans le fil du chapitre (p.69-70).

Le quatrième chapitre revient sur les combats de 1914. Les soldats du sud-ouest, dont les premiers engagés au front ont été les cavaliers, se font décimer le 23 août 1914 lors des premiers combats en Lorraine. Placé sur le flanc gauche, le 18ème corps d'armée, sous l'autorité de Lanrezac, contre-attaque à Guise pour freiner la progression des Allemands. Terribles combats avant la retraite. Le corps participe à la bataille de la Marne puis à l'avance jusqu'à l'Aisne, là encore au prix de pertes sensibles. Vincent Bernard a manifestement tenu à consacrer un chapitre entier aux soldats tombés en 1914, dont l'été a été le plus meurtrier de toute la guerre -cf l'exemple du 49ème RI p.108. En volume, le morceau 1914 est le plus gros du livre.

Le cinquième chapitre revient sur la guerre de tranchées. Les faits sont connus, mais illustrés ici par l'exemple des poilus du Sud-Ouest (par exemple sur les fraternisations de Noël, qui n'existent pas trop dans leur cas). Les poilus trompent l'attente entre deux combats par l'artisanat de tranchée, le courrier. Vincent Bernard décrit la rancoeur contre les embusqués, en particulier dans l'infanterie : néanmoins cette rancoeur s'accompagne de l'envie secrète d'en faire partie, comme le rappelle l'historien A. Loez dans ses 100 mots de la Grande Guerre. C'est peut-être dans ces passages moins descriptifs et qui s'approchent de l'analyse que manquent le plus les notes qui renverraient vers tel ou tel ouvrage, ou article, pour indiquer des références sûres. De la même façon, quand l'auteur évoque l'affaiblissement de la logique de recrutement régional, la fusion de la réserve et de l'active, et le "brassage" social qui s'effectuerait alors, on pourrait y mettre un bémol, en citant la même source que tout à l'heure.

Le dernier chapitre décrit plus rapidement le parcours vers la victoire. Au moins 12 régiments du sud-ouest "tournent"à Verdun, surtout jusqu'au mois de mai 1916. Les poilus du sud-ouest participent aussi à l'offensive du Chemin des Dames d'avril 1917, qu'ils connaissent bien pour y avoir stationné en 1915. C'est cette dernière offensive, ratée, qui entraînent les mutineries, passage où là encore quelques notes auraient été bien utiles, puisque Vincent Bernard ne veut pas rentrer dans les "polémiques" (p.145) de ces dernières années sur le sujet. Les poilus du sud-ouest connaissent les troubles, et comptent quelques fusillés. Ils subissent de plein fouet les offensives allemandes du printemps 1918, avant l'arrivée massive des Américains -qui débarquent entre autres à Bordeaux. Et vient la victoire, l'armistice du 11 novembre 1918. Le Sud-Ouest, qui a mobilisé environ 20% de sa population, en a perdu 63 000, ce qui n'est pas sans conséquences démographiques, et même géogaphiques, puisque c'est alors que La Rochelle prend le pas sur Rochefort.

Comme il l'indique en bibliographie, Vincent Bernard a surtout utilisé, pour son petit ouvrage, des témoignages d'époque, les journaux de marche des opérations et historiques d'unité, ce qui explique le caractère très descriptif du livre. Quant aux références solides, certaines y sont aussi : Bach, Becker, Cazals, Cochet, Le Naour, Offenstadt pour ne citer que les plus connues. De même qu'apparaissent dans la sitographie des sites visibles, le CRID, le Chtimiste (mais pas l'Historial de Péronne ?). Le tout est également illustré d'un livret cental court mais bien présent, et par quelques cartes d'époque disséminées au fil du texte (ce qui est appréciable, pour suivre les mouvements). Le contrat est rempli : le travail constitue une évocation, plus ou moins détaillée (plus pour la période de l'été 1914, moins pour le reste de la guerre, notamment après la diminution de la logique régionale de recrutement, même si des passages comme Verdun reviennent un peu à ce qui été fait pour l'été 1914), du parcours des poilus du sud-ouest, une bonne base de départ pour le lecteur qui part de rien ou presque (comme moi). On regrette peut-être l'absence d'un apparat critique qui permettrait d'éviter les raccourcis dans le texte et d'aller un peu plus loin que la simple description tirée des témoignages bruts ou des historiques d'unités, ces fameuses "études historiques classiques et exhaustives consécutives à des années de recherche" que l'auteur cite en introduction. Et qui sont le fait d'historiens à proprement parler. Vincent Bernard, probablement faute de place, se concentre surtout sur le parcours des poilus du sud-ouest en 1914, sans le plus emblématique "régionalement" parlant.


Fury (2014) de David Ayer

0
0
Comme de nombreux autres passionnés de la Seconde Guerre mondiale et "apprentis-historiens", je suis récemment allé voir au cinéma Fury, le film de char de David Ayer. Un film qui s'est déjà vu affublé de critiques à mon sens plus ou moins justifiées, et qui ne touchent d'ailleurs pas qu'à la question du réalisme, vieil apanage des films de guerre. M'étant moi-même prêté au jeu il y a quelques temps sur certains films, j'en mesure maintenant toute l'inanité. A choisir, entre les qualités et les défauts, ce sera plutôt des qualités dont je vous parlerai ici, sans oublier bien sûr de souligner les problèmes que posent le film.




Le petit texte introductif, un peu court, précise que les équipages de chars américains souffrent le martyre face aux Panzer. Plutôt que de retenir qu'un film de char américain ne parle pas des autres alliés et de leur contribution à la victoire (dans un registre récent, le film russe Tigre Blanc, autre film de char intéressant au demeurant, ne parle pas non plus de la contribution des Américains ou des Britanniques à la victoire sur le IIIème Reich. Cela enlève-t-il à la qualité du film ? Assurément pas), je retiens surtout que le réalisateur a manifestement lu certains ouvrages qui tendent à accréditer l'idée selon laquelle les chars américains n'étaient que des cercueils ambulants. C'est faire fi de l'histoire puisque le Sherman, principal char américain du moment, est certes inférieur techniquement pour certains aspects aux mastodontes allemands, mais supérieur sur d'autres. En outre, si vraie crise il y a eu, c'est surtout durant l'année 1944 et particulièrement durant la bataille des Ardennes, où le décalage entre les deux camps est effectivement très prononcé, à tel point que les récriminations des équipages sont légion. En avril 1945, les premiers M26 Pershing, à canon de 90 mm, certes peu nombreux, sont arrivés au front depuis le mois précédent, et le nombre de Sherman à canon de 76 mm -dont le char Fury du film, un M4A2E8 Easy Eight HVSS, évolution ultime du Sherman pendant la guerre, en quelque sorte- est beaucoup plus important (cela ne résout pas tout, mais ça aide). Sans parler du fait que le Sherman est intégré dans un ensemble tactique qui ne se limite pas qu'aux chars. Sans parler aussi du fait que la conception du Sherman, son choix, sa non évolution ou presque pendant plusieurs années a une histoire, qu'il pourrait être utile de connaître avant de dire des bêtises. Passons.



L'un des aspects les plus intéressants de Fury est probablement de faire baigner le spectateur dans cette atmosphère immonde, il n'y a pas d'autre mot, qu'a pu être le combat de chars durant la Seconde Guerre mondiale et particulièrement durant ces dernières semaines de combats à l'ouest. La première scène donne le ton : au milieu de colonnes de véhicules détruits, Brad Pitt élimine à l'arme blanche, en sautant de son char, un officier allemand à cheval passant au milieu des décombres. L'ambiance est placée d'entrée. Fury vient de perdre un membre d'équipage, le co-pilote. Revenu tant bien que mal à la base, le chef de char, le sergent Collier, reçoit un "bleu", Norman, un dactylo expédié en urgence pour boucher les trous dans les unités blindées. Scénario qui effectivement s'est souvent produit dans les divisions blindées américaines pendant la guerre. Les marquages de Fury laissent voir que le char appartient au 66th Armored Regiment, 2nd Armored Division. Cette division blindée, rattachée à la 9th US Army de Simpson comme cela est dit dans le film, a franchi le Rhin fin mars 1945 et a formé la pince nord de l'encerclement du groupe d'armées B allemand dans la poche de la Ruhr. Elle a ensuite atteint la Weser début avril avant d'être la première division américaine sur l'Elbe, où elle s'arrête à la fin du mois d'avril 1945. Durant l'encerclement de la Ruhr, son homologue, la 3rd Armored Division, a rencontré pendant quelques jours une farouche résistance devant la ville de Paderborn, perdant même son commandant, le général Rose, tué par un équipage de Tigre II. Elle a fait face, notamment, à des unités de la Waffen-SS. Je pensais initialement que c'était là la source d'inspiration du film mais il y en a, en réalité, plusieurs, dont ne fait pas partie la bataille autour de Paderborn, et par ailleurs, la période donne effectivement de quoi faire.



Car c'est l'autre intérêt du film que de montrer, ce qui là encore est tout à fait authentique, que l'entrée des Américains en Allemagne fin mars-début avril 1945 n'a pas été, loin s'en faut, une promenade militaire. Sans aller jusqu'à dire qu'on y a vu des combats de l'intensité du front de l'est à la même époque (la comparaison elle-même étant de très loin superflue, à tel point que comparer les deux fronts n'a guère de sens), il faut bien dire que certaines formations de la Wehrmacht ou de la Waffen-SS, mais aussi les autorités locales, ou une combinaison de ces éléments, ont parfois posé problème à l'US Army en marche vers la fin de la guerre. Outre l'exemple de Paderborn que j'ai déjà traité ailleurs, on pourrait rappeler pour mémoire les féroces combats de la 4th Armored Division et de la 45th Infantry Division à Aschaffenbourg, que j'ai là encore évoqués, ou ceux, moins longs mais tout aussi violents, de la prise de Nuremberg (où l'on retrouve encore la 45th Infantry Division). Fury s'inspire encore d'un autre exemple de résistance allemande en avril 1945. Bref, voilà un moment de la Seconde Guerre mondiale qui est clairement à redécouvrir, ne serait-ce que pour ne pas tomber dans le dénigrement d'un film qui, sur ce point-là au moins, n'est pas outrancier. Et pour éviter de faire de faux parallèles, aussi, avec le front de l'est : les situations sont complètement différentes. Et pourtant, à l'ouest, les Allemands ne se sont pas toujours laissés faire, loin s'en faut.



Fury fait découvrir le caractère sordide de la guerre par les yeux du "bleu", Norman, qui rencontre l'intérieur d'un char en montant dedans pour la première fois, et en nettoyant les restes de son prédécesseur déchiqueté à sa place. Norman incarne l'innocence confrontée à la réalité d'une guerre brutale, et d'autant plus atroce qu'elle touche à sa fin. Les autres membres de l'équipage combattent depuis l'engagement de la 2nd Armored Division en Afrique du Nord : la guerre est devenue leur métier, comme ils le disent souvent, et même, pour Collier, un chez soi. Le réalisateur n'épargne rien au spectateur : les tirs de Panzerfäuste sur les Sherman à bout portant, par des adolescents aussitôt fauchés au StG 44 de prise par un sergent Collier impassible ; l'officier en flammes qui sort du Sherman touché et qui préfère se tirer une balle dans la tête pour ne mourir carbonisé ; l'exécution d'un prisonnier allemand, de force, par le bleu, sous la contrainte de Collier, pour le faire rentrer "dans l'atmosphère" de la guerre. Scène qui met mal à l'aise mais qui correspond, là encore, à une certaine réalité, particulièrement en Allemagne en avril 1945 où les combats prennent un côté inexpiable, surtout après les massacres de prisonniers commis pendant la bataille des Ardennes par les Waffen-SS, qui ont connu côté américain une abondante publicité. Quant au réalisme des deux premières scènes de combat, les prétendus experts y trouveront toujours à redire. Oui, les fantassins américains marchent bien alignés derrière les 4 Sherman qui montent à l'assaut des positions allemandes : et pourtant, sur des images d'actualité américaines d'avril 1945, on peut voir exactement les mêmes scènes dans les environs de Coblence, par exemple. Même si la prise est peut-être montée pour la caméra, il n'en demeure pas moins que Fury s'inspire au moins de la propagande. En soi c'est déjà intéressant pour être relevé. De même que la courte scène de combat urbain dans la petite localité allemande reflète probablement assez bien une partie des brefs combats de rues rencontrés par les Américains : là encore le réalisateur s'inspire assez directement d'images de l'époque, aisément identifiables, avec quelques raccourcis.


La scène d'intérieur dans la localité, où Collier et Norman se retrouvent attablés avec deux Allemandes, a quelque chose de poignant. Rarement dans un film de guerre américain on aura autant montré l'ambivalence des soldats entrant en Allemagne en 1945, la "grande croisade" par excellence prenant fin, aussi, sur l'occupation d'un territoire. Or les soldats américains n'ont pas été forcément exemplaires, sans être tous des soudards sans foi ni loi. Cependant Fury se fait l'écho d'un cinéma américain montrant les choses, déjà depuis un certain temps, de façon beaucoup plus nuancée. Mais c'est aussi là qu'on commence à voir les faiblesses du film : Brad Pitt écrase tout le casting, les rôles secondaires sont peu travaillés, même si Norman fait figure de "bleu" crédible ; les autres membres du char sont quasiment insignifiants. C'est souvent une faiblesse dans les films de guerre ; dans un film de char, en huis clos, cela prend davantage d'importance, au vu du sujet. D'autant que la partie finale du film est sans doute la plus décevante.



Quoiqu'en pensent les "experts", le film s'inspire pour la scène finale d'un épisode tout à fait authentique (à la différence près, de taille certes, qu'il n'y avait pas qu'un seul char côté américain...) : une contre-attaque d'une unité de la Waffen-SS qui a rejeté, en avril 1945, des formations américaines d'une ville à peine conquise, menaçant de couper certaines de leurs arrières. Episode critique vite résolu, mais qui existe bel et bien. Fury se retrouve seul, les trois autres chars ayant été détruits par un Tigre I solitaire. D'aucuns ont poussé des cris d'orfraie devant cette scène où le géant allemand finit achevé au canon de 76 mm par derrière. Ils oublient un peu vite que le Tigre pulvérise facilement 3 Sherman, pour n'être détruit que par le dernier. En outre les équipages allemands de 1945, sauf exception, ne sont parfois pas plus entraînés que le "bleu" américain qui grimpe dans Fury. Enfin, à signaler tout de même, c'est un vrai Tigre I que met en scène le film : le seul exemplaire mondial encore en état de marche, celui du musée de Bovington, un Tigre de début de production (capturé en Tunisie en 1943), ce qui, après de multiples montages depuis 1945 (y compris dans Saving Private Ryan), est exceptionnel. Un des seuls films à compter un vrai Tigre au casting était jusque là... La gloire est à eux, film quasi documentaire sur les combats d'Arnhem tourné par les Britanniques en 1946. C'est suffisamment rare pour le souligner.



Le parallèle avec la fin de Saving Private Ryan, dans Fury, peut paraître évident. Néanmoins, même si la survie du char (temporaire) au milieu de centaines de Waffen-SS semble quelque peu déplacée, la scène en rappelle une autre : celle du film To Hell and Back (1955), qui raconte le parcours d'Audie Murphy, un des soldats américains les plus décorés de la guerre, et qui gagne sa Medal of Honor, en janvier 1945, en tirant à la mitrailleuse cal. 50 d'un tank destroyer M10 Wolverine en flammes, en Alsace. Il y a quelque part du Audie Murphy dans le personnage incarné par Brad Pitt, même si la fin est différente, bien sûr. Alors il est vrai que les Waffen-SS n'arrivent pas à "crâmer"Fury au Panzerfaust. C'est oublier que ce lance-roquettes portable n'est pas le principal responsable des pertes en Sherman à l'ouest, en 1944-1945 : la part du lion revient au canons antichars, tractés ou mobiles (Panzerjäger, StuG, etc), ce qui est somme toute logique. La portée pratique du Panzerfaut se comptant en dizaines de mètres, le sort du tireur est souvent celui vu dans le film, tragique. Sauf contexte particulier comme le combat de rues ou en sous-bois. Et même si, reconnaissons-le, cette dernière partie du film n'est pas trop crédible. La fin est d'ailleurs proprement bâclée par le réalisateur, ce qui est regrettable.



J'avais dit dès le début de ce billet que j'insisterai sur les qualités de Fury. Ce n'est pas le film de guerre du siècle. Il ne "révolutionnera" pas le genre comme avait pu le faire il y a presque 20 ans Saving Private Ryan. Et pourtant, à son humble niveau, pour un public américain ou occidental, il montre que même une guerre "juste" comme la Seconde Guerre mondiale, côté allié, a été effroyablement brutale, amère, violente. On est loin de la guerre vue comme un wargame que certains se complaisent à imaginer dans un certain confort : ici les corps sont écrasés sous les chenilles (un instant flash qui rappelle une scène de Croix de Fer de Peckinpah), les Allemands brûlent au phosphore, tout comme brûlent les équipages de Sherman touchés, les hommes sont décapités par les obus, les obus à haute vélocité sifflent dans les airs, les Allemands pendent ceux qu'ils estiment lâches avec des pancartes accrochées au cou (tout à fait authentique, y compris sur le front ouest), les Américains exécutent les prisonniers. Fury montre la violence crue (tarantinesque, diront certains) de la guerre telle qu'elle est, dans le contexte particulier du combat blindé. Ce qui manque peut-être, et l'on revient ici sur les faiblesses des acteurs et du scénario, c'est justement quelque chose de plus profond sur cette brutalité, sur cette violence de guerre. On peut regretter que David Ayer ne fasse du spectateur, finalement, qu'un témoin de cette violence, sans le faire réfléchir davantage. Le nom du char, qui donne celui du film, renvoie à ses créatures de la mythologie grecque (Erinyes, Furies en latin) qui poursuivent les criminels à la fois sur terre et aux enfers : le char devient pour les hommes une sorte de malédiction. Des hommes qui ne vivent que par et pour la guerre depuis des années, voyant la fin de celle-ci approcher, ne peuvent que s'y jeter à corps perdu : c'est bien ce qu'illustre le personnage de Collier, qui cimente tout l'ensemble. Au final, dans Fury, il y a beaucoup plus à prendre qu'à laisser. Quoiqu'en pensent certains, je crois pour ma part que c'est un des films de guerre américains sur la Seconde Guerre mondiale parmi les plus intéressants depuis longtemps. A découvrir, sans le jeter aux orties d'entrée.

Netcho ABBO, Mangalmé 1965. La révolte des Moubi, Pour mieux connaître le Tchad, Editions Sépia, 1997, 106 p.

0
0
Netcho Abbo, un Tchadien, sort de l'ENA nationale en 1987. Au moment de la parution de ce livre dix ans plus tard, il est chef du service des Affaires Sociales et de la Famille au Secrétariat général de la présidence tchadienne. Dans ce mémoire de sa période d'élève énarque, Abbo évoque les événements de Mangalmé, en 1965, autrement dit la révolte des Moubi, population du groupe hadjeraï des montagnes du centre du Tchad (préfecture du Guéra), situées géographiquement entre le nord et le sud du pays.

Créée en 1956 seulement, la préfecture du Guéra est surtout peuplée par les Moubi, dont bon nombre de musulmans (mais il y a aussi des adorateurs de la Margaï dans la préfecture), et qui sont aussi des agriculteurs sédentaires ou des éleveurs.

La révolte de Mangalmé s'inscrit à la suite de la mainmise sur le pouvoir du président Tombalbaye, qui fait arrêter en particulier certains opposants politiques musulmans originaires du nord du pays (1962-1963). Des émeutes, violemment réprimées, éclatent à Fort-Lamy en septembre 1963. Economiquement parlant, le Tchad vit presque en autarcie, la seule culture d'exportation étant le coton introduit par le colonisateur. Un autre élément important de l'économie est l'élevage du bétail. Mais le Tchad reste encore très dépendant, économiquement et financièrement, de l'ancienne puissance colonisatrice. Tombalbaye favorise le développement économique du sud, dont il est originaire, mais Abbo rappelle cependant que l'équipement médical est équitablement réparti sur l'ensemble du pays, ce qui n'est pas le cas en revanche des infrastructures pour l'enseignement (concentrées au sud). En 1964, le président lance un emprunt national pour faire démarrer les projets d'aménagement du pays. Le recouvrement de l'emprunt donne lieu à des abus qui se cumulent avec ceux provoqués par la récolte de l'impôt. En outre les Moubi n'ont pas réussi à imposer leur candidat à la chefferie de canton après que le titulaire soit décédé. Le chef du village de Botchotchi, Zagalo, part en février 1965 dans la capitale pour rencontrer le faki Abdoulaye, représentant des Moubi sur place, et le ministre de l'Intérieur, Selingar. Celui-ci soutient Zagalo dans sa résistance aux autorités. En conséquence, à son retour, le chef de village encourage la révolte : les soldats ne peuvent plus récolter l'impôt et sont même malmenés par les Moubi. Un autre chef de village, Issaka, à Gormolo, rejoint la révolte et en vient aux mains avec le chef de canton. Le préfet vient visiter les deux villages fin mai, mais les choses tournent mal : à Gormolo, la situation dégénère et le préfet, blessé à la cuisse par une sagaie, expire un peu plus tard. En septembre, Issaka est abattu par des soldats. Le mois suivant, une délégation gouvernementale, dont fait partie Selingar, le ministre de l'Intérieur, se rend à Botchotchi. Selingar fait exécuter le faki Abdoulaye, ce qui déclenche la révolte : un député de la délégation est tué de même que le directeur de cabinet du ministère de l'Intérieur. En représailles, le village est incendié après que la population l'ait abandonné. Ce mouvement de révolte populaire, paysanne, survient peu avant la création du Frolinat, le mouvement rebelle tchadien qui va d'abord se développement dans le Batha puis le Guéra à partir de 1966.

Le déclenchement de la rébellion entraîne la dévastation de la préfecture : de nombreuses infrastructures scolaires et médicales sont détruites, laissant les habitants démunis. Les rebelles se montrent parfois très brutaux avec la société moubi, complètement déstructurée et soumise à une islamisation forcée. Les rebelles ciblent les activités économiques principales : coton, bétail, arachide, et coupent les voies de communication, détruisant les circuits économiques. Deux structures politiques parallèles coexistent : le gouvernement tient les villes tandis que les rebelles dominent les campagnes. Via les ladjana, les rebelles obtiennent des renseignements et petit à petit les Hadjeraï sont gagnés par le discours de la rébellion, d'autant que le gouvernement ne répond que par la force brute. Par la suite la rébellion se développe dans les préfectures voisines et dans d'autres parties du pays (nord surtout), entraînant les premières interventions françaises.

Comme le rappelle l'auteur en conclusion, la révolte des Moubi est la manifestation de frustrations économiques et politiques non prises en compte par le gouvernement. L'attitude du ministre de l'Intérieur a été plus qu'ambiguë. Cette révolte populaire s'est prolongée avec l'action du Frolinat, qui lui-même a été un facteur de déstabilisation du monde des Moubi.

La courte bibliographie de l'auteur est complétée de deux discussions du travail par des spécialistes français. Marie-José Tubiana. Celle-ci rappelle que cette "jacquerie" doit beaucoup à Selingar, proche collaborateur de Tombalbaye qui a peut-être cherché à prendre la place de ce dernier. Il est d'ailleurs arrêté en novembre 1966 et meurt en prison, dans des circonstances obscures. Elle souligne aussi que les Moubi se fient à la parole donnée, selon le Coran, et combattent à l'arme blanche : ils cachent les armes à feu prises aux soldats ou aux forces de sécurité, faute de savoir les utiliser. Les Moubi n'avaient pas prévu l'ampleur de la révolte et n'en ont tiré que peu de bénéfices. Marie-José Tubiana met en exergue la violence des rapports à l'intérieur du Tchad à cette époque. Claude Arditti explique que les activités économiques ciblées par les rebelles n'ont pas eu les effets ravageurs décrits par l'auteur ; le coton était surtout cultivé dans le sud, et l'Etat n'en tirait que peu de revenus pour les autres, bétail et arachide. L'activité du Frolinat a parfois dégénéré purement et simplement en brigandage.

Au final, ce livre édité par l'association Pour mieux connaître le Tchad se présente comme un aperçu par le bas de cette révolte paysanne, et de ses conséquences. Ce membre de l'administration tchadienne livre un travail d'historien où il se place du côté des administrés, avec les quelques défauts propres à un essai un peu trop académique (présentation administrative un peu aride au début du livre, nombreuses lignes consacrées aux phénomènes magiques, quelques raccourcis). Mais par son originalité et par la qualité des commentaires associés, il reste précieux.


Fred DUVAL, Jean-Pierre PECAU et Colin WILSON, Jour J, tome 10 : Le gang Kennedy, Paris, Delcourt, 2012, 65 p.

0
0
1947. La Nouvelle-Orléans, capitale de la Nouvelle-France, est la base arrière de tous les trafiquants d'alcool de la jeune Union américaine du Nord puritaine, les restes des colonies anglaises après la défaite de Londres pendant la guerre de Sept Ans. Joe Kennedy, l'un des plus gros trafiquants d'alcool, décide de se présenter à l'élection présidentielle de l'Union pour mettre fin à la prohibition. Il demande à ses deux fils, Joe Junior et Jack, d'aller chercher une dernière cargaison d'alcool à la Nouvelle-Orléans. Mais le voyage va s'avérer périlleux...

Tome 10 décevant pour la série uchronique (modification de l'histoire à partir d'un événement déformé) Jour J de chez Delcourt. Difficile en effet de s'immerger dans une histoire qui fait vivre l'uchronie à l'époque en question mais sans très bien expliquer comment on en est arrivé là : on saura juste que les Anglais ont perdu la guerre de Sept Ans, mais pas comment les colonies ont survécu. Et quand bien même le scénario est bien ficelé et se lit bien, on regrette de ne pas en savoir plus sur le point de départ de l'uchronie et ses suites, et ce d'autant plus que l'album se développe sur plus de 60 pages, soit plus que certains autres volumes. On remarque de nombreuses références à des faits ou des personnages tout à fait historiques (Lafitte, la proximité Joe Kennedy-Hitler, Lindbergh, Clouzot, etc). Les deux auteurs du scénario manipulent l'uchronie dans tous les sens, et on a un peu de mal à s'y retrouver : s'agit-il des aventures des deux fils d'un gros bootlegger, ou bien de la dénonciation d'une société inégalitaire, ou bien encore de remplir des cases avec des figures historiques qui n'apparaissent qu'une seule fois ? Ou bien de montrer, par le prisme de la famille Kennedy (où le père fait figure de repoussoir et les fils d'aimants), une société qui vire vers le fascisme ? On finit par s'y perdre un peu. D'autant qu'on reste aussi toujours "collé"à l'histoire franco-britannique, de manière large. Et qu'il faudrait en fait plusieurs tomes pour tout développer.




Fred DUVAL, Jean-Pierre PECAU et Florent CALVEZ, Jour J, tome 11 : La nuit des tuileries, Paris, Delcourt, 2012, 64 p.

0
0
1795. Depuis l'évasion spectaculaire de la famille royale hors de Paris, quatre ans plus tôt, la France est déchirée par la guerre civile. Marie-Antoinette, régente du royaume, est parvenue à lever une armée commandée par un mystérieux général, qui menace désormais Paris. Pour couper court au massacre, Danton échafaude un plan dont Vidocq va être, involontairement, le maître d'oeuvre...

Cette fois-ci, contrairement au précédent, le tome 11 est lui plutôt réussi. D'abord parce que l'uchronie est posée correctement, et dès le départ : la famille royale s'enfuit de Paris le 10 juin 1791, grâce à l'aide de Fersen. Louis XVI meurt durant l'échappée mais Marie-Antoinette survit et devient régente pour le petit Louis XVII. Une longue guerre civile s'installe qui penche progressivement en faveur des troupes royales.

Sur ce scénario uchronique se greffe l'histoire du volume : Danton, pour parvenir à une solution négociée, charge Vidocq de voler des biens précieux détenus par les révolutionnaires. Dans l'affaire est également partie prenante Talleyrand, que l'on retrouve dans le camp royal. Vidocq est poursuivi par Fouché, dans son rôle de policier, alors que Louis XVII a tout à craindre du comte d'Artois, qui espère bien l'évincer du trône (avec cette légende selon laquelle Louis XVII serait le fils de Fersen et non de Louis XVI). Et le général qui commande les armées de Marie-Antoinette est Bonaparte.




Au final, La nuit des tuileries fait probablement partie des meilleurs volumes de la série. Le scénario est cohérent, l'uchronie bien amenée, le dessin correspond à l'ambiance (le même dessinateur avait d'ailleurs oeuvré sur le doublon des tomes 3 et 4). On pourrait peut-être juste reprocher le manque de souffle de l'ensemble, qui se laisse bien porter, mais sans plus. Par ailleurs, il est certain qu'il faut bien connaître l'histoire de la Révolution française pour tout suivre.



Corvette K-225 de Richard Rosson (1943)

0
0
1943. Le Lieutenant Commander McLain (Randolph Scott), de la Royal Canadian Navy, vient de perdre sa corvette torpillée par un U-Boot, avec les deux tiers de son équipage. De retour au Canada, il choisit de commander à nouveau une corvette, et sélectionne un des nouveaux bâtiments en construction, la K-225. En attendant le lancement, McLain se lie avec la soeur d'un de ses officiers disparus, Joyce Cartwright (Ella Raines). Mais la situation se complique lorsqu'un autre frère, Paul (James Brown), devient enseigne sur le HMCS Donnacona, le nouveau bâtiment de McLain. Celui-ci doit escorter un convoi de la Nouvelle-Ecosse jusqu'à l'Angleterre...

Film de guerre peu connu, Corvette K-225 a été réalisé pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1943, sous la férule d'Howard Hawks. Hawks est alors en pleine idylle avec l'actrice Ella Raines, bien qu'il soit marié. Il est en contrat avec la Universal pour réaliser un film à petit budget sur les corvettes, ces indispensables bâtiments d'escorte des convois durant la bataille de l'Atlantique. A la différence de son précédent film de guerre, Air Force, sur un équipage de bombardier, achevé en octobre 1942, Hawks peut inclure dans cette réalisation un rôle féminin plus important, qui sera tenu par Ella Raines. C'est pourquoi il se limite à la production et confie la réalisation à Richard Rosson, avec lequel il a déjà travaillé sur d'autres films et qui est un bon spécialiste des scènes d'action. Hawks veille surtout à bien lancer la carrière de sa protégée. Ce qui ne l'empêche pas d'intervenir directement dans le tournage, comme à son habitude, et de rallonger le budget. Rosson parvient toutefois à mener le projet à son terme : pour les besoins de certaines séquences, il tourne quelques plans à bord de corvettes dans l'Atlantique et aussi les chantiers de construction navale de Montréal. Le film, à sa sortie, connaît un certain succès mais ne rapporte des bénéfices que trois ans plus tard. Oublié, il n'en demeure pas moins qu'il a été le point de départ de la carrière de Raines, définitivement propulsée l'année suivante au rang de star hollywoodienne. La corvette du film n'est pas la Donnacona, nom fictif, mais la HMCS Kitchener, une corvette de classe Flower. Outre la présence de R. Scott, on notera une timide apparition de Robert Mitchum, dans un rôle mineur, qui rejouera de nouveau d'ailleurs avec Scott peu après dans le film Gung Ho !.







 

Robert VAN GULIK, Meurtre à Canton, Grands Détectives 1558, Paris, 10/18, 1983, 248 p.

0
0
680 ap. J.-C. . Le juge Ti est devenu président de la cour métropolitaine de justice, un des postes les plus éminents de l'empire Tang. Il est cependant envoyé en mission secrète à Canton. Le censeur Liou, fonctionnaire important du gouvernement, a en effet disparu dans les rues de l'imposante ville du sud. A l'heure où l'empereur est mourant, son absence pourrait avoir de sérieuses conséquences politiques... et la mission du juge Ti n'en est que plus compliquée.

Robert van Gulik était un auteur néerlandais qui a servi son pays dans différents pays asiatiques, de la colonie des Indes Néerlandaises au Japon en passant par la Chine. C'est en 1948 qu'il traduit un roman policier chinois, 3 affaires résolues par le juge Ti (Dee Jen Djieh en VO), un fonctionnaire de l'époque Tang qui va lui servir de source d'inspiration pour 16 romans policiers construit sur le personnage. Il meurt en 1967. Van Gulik illustrait aussi ses romans, comme celui-ci, avec des images adaptées au fil du récit. A noter que le juge Ti a été adapté deux fois au cinéma par Tsui Hark, en 2010 et en 2013.

Meurtre à Canton, le treizième roman de la série, est celui qui chronologiquement se passe en dernier, en 680. Publié en 1966, un an avant la mort de l'auteur, c'est un retour aux sources puisque l'intrigue mêlant éléments amoureux et politiques revient à celle des premiers volumes de la série. Une des ruses utilisées par le juge Ti à la fin de l'histoire s'inspire d'un fait parfaitement authentique survenu dans la Chine du IVème siècle av. J.-C. . Je n'ai lu que certains tomes de Van Gulik mais Meurtre à Canton reste l'un de mes préférés.


Laurent MOËNARD, J.M. STALNER et Jocelyne CHARRANGE, Bleu Blanc Sang, tomes 1 et 2, Paris, Soleil, 2013

0
0
Nuit du 18 septembre 1944. 4 hommes des FFL enterrent, dans les environs de Saint-Tropez, deux corps, sans se rendre compte qu'ils sont observés par une autre personne cachée à proximité. Dix-sept ans après, un homme d'origine allemande débarque à Marseille, souffrant de violentes migraines. En rentrant dans un café, il lit dans le journal local que deux squelettes viennent d'être retrouvés lors de travaux pour la construction du port de plaisance, et que l'un des deux porte un uniforme allemand. Il se rend immédiatement au cabinet du docteur Claire Moreau Palisson, car il veut expliquer à celle-ci que l'un des deux corps est celui de son frère. Il lui raconte aussi d'où viennent ses certitudes...

Bleu Blanc Sang est prévu pour être une trilogie mêlant à la fois affaires criminelles, histoire et drames familiaux. Le fond de l'histoire réside dans les règlements de compte ayant eu lieu au sein de la Résistance au moment de la Libération. Friedrich Sachs, un pilote de bombardier de la Luftwaffe, en a été le témoin involontaire. Avec l'aide de la soeur d'une des victimes, il cherche à élucider ce dont il a été le témoin ce qui n'est pas sans déranger certains anciens acteurs de la Résistance, désormais notables bien installés ou "usurpateurs" de la dernière heure. Le tout sur fond d'affrontements politiques et personnels bien connus de l'histoire de la Résistance. Le deuxième tome développe l'histoire qui s'accélère dans la seconde partie de ce volume. La difficulté tient aussi aux nombreux flash-backs et à la pléthore de protagonistes qu'il est parfois délicat d'identifier correctement. Certains spécialistes ont noté que les jeeps représentées ne sont pas les Willis de la Seconde Guerre mondiale mais des M151 postérieures au conflit. Là où les choses étaient un peu confuses dans le premier tome, elles ont tendance à s'assembler correctement dans le second. A force de secrets, les auteurs multiplient cependant les révélations qui ont tendance à s'entrecroiser, ce qui ne facilite pas la lecture : le scénario en souffre. J'attends de lire le dernier tome, qui devrait conclure l'histoire, pour me forger un avis définitif.




Normandie-Niémen (Нормандия-Неман) de Jean Dréville et Damir Viatich-Berejnykh (1960)

0
0
1942. Le film s'inspire du parcours du groupe de chasse Normandie-Niémen, constituée au départ par une poignée de pilotes de la France Libre partis combattre en URSS contre les Allemands aux côtés des VVS, l'aviation militaire soviétique...

Film franco-russe, Normandie-Niémen est un hommage au groupe de chasse éponyme qui symbolise à lui seul la coopération interalliée pendant la Seconde Guerre mondiale, ici entre Français et Soviétiques. Malheureusement tous les noms ont été changés et les personnages sont fictifs, ce qui fait probablement perdre en profondeur en scénario. Le film a un aspect quasi documentaire même si là encore les appareils, pour la plupart, ne sont pas ceux réellement utilisés par les belligérants, ce que l'on peut regretter. La voix-off qui commente en permanence le récit est parfois un peu envahissante... cependant le scénario ne fait pas les fioritures habituelles de certains films de guerre américains de l'époque, auxquels on pourrait le comparer. Aucune romance et une évocation sans complaisance de l'antagonisme entre pilotes ayant choisi assez tôt de rallier la France Libre et les arrivées plus tardives d'anciens vichystes qui n'ont pas hésité à abattre des appareils britanniques en Afrique du Nord en 1942...

Bref, pas un grand film de guerre, mais à regarder pour tous ceux qui s'intéressent à la Seconde Guerre mondiale, au groupe Normandie-Niémen et à la guerre aérienne sur le front de l'est.



Nicolas AUBIN, Les routes de la liberté. La logistique américaine en France et en Allemagne, 1944-1945, Paris, Histoire&Collections, 2014, 224 p.

0
0
Nicolas Aubin, agrégé d'histoire, s'intéresse de longue date au front de l'ouest pendant la Seconde Guerre mondiale, et contribue de longue date également à plusieurs magazines spécialisés. C'est sous le label Histoire et Collections qu'il publie cet imposant (au niveau du format) volume consacré à la logistique américaine en France et en Allemagne, en 1944-1945.

L'ambition de l'auteur est bien de présenter la révolution logistique qui s'est opérée pendant la période elle-même, et non avant, comme on saurait tenté de le croire. A la mécanique bien huilée souvent décrite s'oppose une logistique, "activités de transport et de ravitaillement indispensable aux opérations militaires", selon la définition retenue, qui se construit empiriquement pour donner aux Etats-Unis la capacité unique de mener une guerre industrielle à l'échelle du globe. L'improvisation donne naissance à une chaîne logistique qui ne donne sa pleine mesure qu'en Allemagne, au printemps 1945.



Dans la première partie, Nicolas Aubin montre comment les Américains ont dû relever les défis matériels et organisationnels, devant la mondialisation d'un conflit devenu industriel. Somervell, architecte de la manoeuvre organisationnelle, fait du Transportation Corps un corps indépendant, injecte une dose de management issue du privé, rationnalise la chaîne logistique. Un système semi-automatique est mis en place pour le ravitaillement (rapports jusqu'à la commande). Pour pallier le manque de navires de transport, on met au point les fameux Liberty Ships.

La deuxième partie revient sur la planification d'Overlord, une des opérations les plus planifiées de l'histoire. Les trois phases du plan initial auraient imposé une "tyrannie de la logistique", avec des questions lancinantes qui reviennent : capacité des plages, des ports bretons, nombre de péniches de débarquement. La simple répartition des Américains dans le sud-ouest de l'Angleterre et des Britanniques à l'est a changé la configuration de la bataille en Normandie. Malgré la planification, la logistique est en pleine confusion le 6 juin et dans les jours suivants : le désordre règne dans les ports anglais, les Engineer Special Brigades ont le plus grand mal à gérer le trafic sur les plages. Heureusement, l'improvisation permet de pallier aux défauts qui se sont faits jour, même avec la grave tempête de fin juin qui détruit le port artificiel d'Omaha. Les Américains, aidés par les Français, arrivent à remettre en état, en un mois, le port de Cherbourg ravagé par les Allemands. L'exploitation en revanche est plus difficile, mais la logistique alliée souffre assez peu du problème du manque de ports consistants. La planification minutieuse avant l'opération s'est combinée à l'improvisation pour pallier aux carences survenues après Overlord.

La percée du mois d'août remet en question la situation. La logistique a le plus grand mal à ravitailler les pointes mécanisées. L'allongement des distances, la confusion des services explique ce chaos. 4 plans sont proposés à Eisenhower, qui tranche le 23 août en appuyant au nord tout en conservant une poussée secondaire vers l'est, pour rechercher le compromis au sein de la coalition, ce qui ne satisfait personne. C'est alors que naît le Red Ball Express, gigantesque noria de compagnies de camions chargées d'amener le ravitaillement au front, avec priorité de circulation. Les Afro-américains constituent 80% de l'effectif des conducteurs, aidés par des prisonniers. Les conditions de travail sont dantesques, et conduisent aussi à des comportements dangereux ou violents. Chaque armée adopte un style différent dans son ravitaillement : Patton renforce le nombre de camions dans ses divisions, par exemple. L'aviation ne peut supplér les camions, le chemin de fer commence alors à peine à être remis en état. Les oléoducs installés en France ne seront que de peu d'utilité lors de la poursuite. Le Red Ball Express tient son quota jusqu'à sa fin officielle à la mi-novembre 1944. Mais la 1st Army, qui en a bénéficié, ne progresse pas assez rapidement, la 3rd Army est arrêtée par manque d'essence, et Ike, qui prend le commandement du théâtre le 2 septembre, rétablit la stratégie du large front. Plus que le ravitaillement, c'est la maintenance qui coince en septembre, suivie des munitions (en particulier les obus) pour septembre-octobre. En réalité, les Alliés manquent d'un port conséquent pour décharger le ravitaillement, et les choix de Monty renforcent le problème en septembre. La logistique américaine a donc failli à l'été, le rationnement en munitions de septembre en fait foi.

Les causes sont multiples. Les expédients utilisés pour maintenir la logistique ont fait exploser la consommation d'essence et de pneus, d'autant que des dépôts n'ont pu être établis à proximité des armées en raison du déplacement rapide du front. Les Américains doivent faire face au problème du marché noir, gaspillent, immobilisent certaines divisions pour en faire avancer d'autres alors que les Allemands se rétablissent et se renforcent à la frontière du Reich. L'armée américaine manque de poids lourds, malgré l'abondance de GMC, en raison de choix doctrinaux faits avant l'entrée en guerre. On manque aussi de pièces détachées. La logistique de Somervell, depuis la réorganisation entreprise, est en fait séparée des combattants. Les conflits sont tels que Somervell doit mettre sous tutelle Lee, le responsable de la logistique européenne, en janvier 1945. Mais la doctrine américaine n'a pas prévu la logistique nécessaire à une guerre de mouvement sur les arrières adverses. D'ailleurs le moyen logistique privilégié, jusqu'en 1941, reste le rail, non la route. Le niveau logistique opératif fait en réalité défaut aux Américains.

Mais l'armée américaine s'est montrée pragmatique, comme bien souvent dans son histoire. Elle a appris à gérer la pénurie. L'Ordnance Corps s'améliore de lui-même pour réparer les véhicules et distribuer les munitions. Les routes ouvertes après le Red Ball Express tirent profit des enseignements de celui-ci pour l'entrée en Allemagne. Le ravitaillement aérien arrive désormais à soutenir des opérations en profondeur. La route remplace le rail, et les Américains aboutissent finalement au résultat recherché depuis la motorisation des armées : le couple char-camion s'impose. La logistique, qui occupe une place limitée pour les Allemands en mai-juin 1940, montre ses carences en juin-août 1941 quand la Wehrmacht envahit l'URSS. Les Soviétiques, malgré leur redécouverte de l'art opératif, souffrent aussi de carences logistiques y compris lors d'opérations aussi talentueuses que l'offensive Vistule-Oder, en janvier 1945. Mais les Soviétiques ont su exploiter le peu de moyens à leur disposition. Chaque armée a fait des choix doctrinaux différents : cependant les Américains étaient quasiment les seuls à avoir des moyens conséquents mais pas de doctrine appropriée, qu'ils ont élaboré pour ainsi dire "sur le tas".

La logistique américaine se résume en miniature dans la construction du Pentagone. Elle a répondu au défi d'une guerre mondialisée, mais a connu des ratés sur le théâtre européen, à cause de moyens de transport routiers inadaptés, de confusions dans les services, et d'une doctrine inadaptée à la guerre de mouvement appliquée à partir de l'été 1944. Mais les Américains ont su finalement créé la logistique opérative qui a manqué aux Allemands et même aux Soviétiques, beaucoup plus en avance sur le plan doctrinal (du moins dans la réflexion avant le conflit). L'opération Tempête du Désert est la digne fille de l'aboutissement que constitue, en 1945, l'apparition réelle du couple char-camion.

Comme cela était énoncé en introduction, le livre de Nicolas Aubin comble assurément un manque en français sur un sujet abondamment traité par les Américains, et plus largement les Anglo-Saxons. C'est une synthèse qui permet de se dispenser, ou presque, de ces lectures. Surtout, si l'auteur semble reprendre les travaux américains, l'idée de de la transformation de la chaîne logistique et de l'intégration empirique de la dimension opérative semble plus originale. Un des autres points forts du livre, qui justifie le prix, réside dans les nombreuses illustrations, dont beaucoup en couleur, légendées de manière détaillée, sans parler de nombreux encadrés sur des matériels (Jeep, GMC, etc) ou questions importantes (prise d'Anvers, logistique pendant la Première Guerre mondiale, etc). Au registre des quelques défauts mineurs, on note parfois quelques coquilles dans le texte ou les notes et dans les références qui apparaissent dans celles-ci (problème fréquent malheureusement, je l'ai eu également avec mon offensive du Têt), certains articles de magazines (en particulier Batailles et Blindés) qui eux-mêmes s'inspirent de travaux de ce thème mais sans jamais les citer, défaut récurrent de ce magazine. En outre, Nicolas Aubin cite fréquemment le blog du colonel Goya, La voie de l'épée, qui certes évoque un peu les questions logistiques au fil de ses billets, mais qui n'est pas pour autant un spécialiste de la question : ces mentions étonnent un peu (même si le colonel Goya parle de questions managériales, qui intéressent en fait plus Nicolas Aubin ici). L'auteur renvoie également beaucoup à Jean Lopez, choisissant l'exemple de Vistule-Oder tiré du Berlin de ce dernier auteur. On remarque aussi l'utilisation d'autres articles de magazines qui ne semblent pas cités, de même que les articles ci-dessus que j'évoquais, dans la bibliographie finale. Mis à part ces quelques points, c'est donc un ouvrage passionnant sur cette question un peu trop éclipsée en français, il est vrai, de la logistique américaine en 1944-1945 sur le front de l'ouest.


2ème Guerre Mondiale n°57 (décembre 2014-janvier 2015)

0
0
Peu d'écrits pour moi dans ce numéro : je signe un focus Actualité sur l'Irak pendant la Seconde Guerre mondiale et une petite chronique cinéma sur le film L'aigle s'est envolé (1976). Vous trouverez également p.4-5 quatre résumés de fiches de lecture parues sur le blog. A noter une couverture non German Bias, pour une fois !

- Franck Ségretain revient à la Résistance, où il est à mon sens meilleur que quand il s'attaque à l'histoire militaire pure. Il explique comment la Résistance a appliqué le plan "d'insurrection nationale", avec plus ou moins de bonheur : efficacité dans le sabotage, échec dans le cadre des confrontations plus classiques avec l'armée allemande. Le retour à la guérilla mobile s'est imposé. Les FFI auront apporté un soutien appréciable aux armées alliées -et payé par un prix du sang assez élevé- sans avoir de résultat vraiment décisif.

- la chronique Ecrire l'histoire de Benoît Rondeau est en quelque sorte un modèle du genre. L'auteur incorpore d'ailleurs les références incontournables dans le texte. Les Britanniques ont eu à coeur de souligner leur contribution pendant le conflit, parfois en écartant un peu vite leurs alliés. Ils sont plus enclins à dénigrer leurs adversaires (Italiens) ou leurs alliés (Américains) qu'à reconnaître leurs propres échecs. L'armée britannique, diverse, cosmopolite, a su cependant atteindre un maximum avec Montgomery, qui a su lui aussi entretenir sa légende. Et pourtant, la Seconde Guerre mondiale marque sans aucun doute la fin du déclin de l'Angleterre face aux Etats-Unis et à l'URSS, autres grands vainqueurs du conflit.

- le dossier de Vincent Bernard est consacré à la bataille de Bastogne. Les Allemands manquent l'occasion de changer la configuration de la bataille le 19 décembre, par prudence et absence de renseignements précis. S'ensuit un siège en règle qui ne débouche pas, comme on sait. Pour les Américains, Bastogne est d'abord un carrefour routier qu'il s'agit de conserver. Comme les Allemands, les Américains surestiment souvent les forces qui leur font face. Le dossier se termine par quelques témoignages américains sur la bataille.

- la fiche Personnage porte sur le général allemand Hasso-Eccard Freiherr von Manteuffel. Comme de coutume, le portrait est aussi détaillé que faire se peut, en revanche Benoît Rondeau n'a pas indiqué cette fois-ci quelques références bibliographiques.

- Vincent Bernard signe également l'article sur la bataille de Brest. Le port de Brest pourrait soulager la logistique alliée. Les Américains lancent, après la percée de Cobra, le VIIIth Corps sur la Bretagne, et en particulier les 4th et 6th Armored Divisions. Les blindés ne peuvent empêcher les Allemands de se retrancher dans la ville. A ce moment-là, la capture du port n'est plus nécessaire pour des raisons stratégiques, mais bien plutôt pour montrer que l'armée américaine ne renonce pas. Il faudra près d'un mois de siège en règle pour aboutir à la capitulation de Brest, le 19 septembre 1944, après un combat de rues acharné qui dissuadera les Alliés de mener à bien d'autres sièges de poches sur l'Atlantique. Dans sa biblio, l'auteur ne parle pas du chapitre du livre de M. Doubler consacré à la bataille, ni l'histoire de la 29th ID de Balkoski, pourtant intéressants pour son sujet.

- enfin, Benoît Rondeau évoque l'infanterie de l'Afrika Korps. Article de facture plus classique que la chronique Ecrire l'histoire, sur le sujet maîtrisé par l'auteur qui a signé un livre sur l'Afrika Korps. Ce dernier manque d'une infanterie pourtant bien utile sur les positions défensives. Rommel manquera toujours d'infanterie, qui subit par ailleurs de lourdes pertes durant l'opération Crusader. La carence est toujours présente en 1942, d'autant que les pertes peinent à être comblées.

- la fiche Uniforme porte sur un Aufklärer de la 90. Leichte-Afrika-Division.

John BARBER et Mark HARRISON, The Soviet Home Front 1941-1945. A social and economic history of USSR in World War II, Longman, 1991, 252 p.

0
0
John Barber est docteur au King's College de Cambridge, et spécialiste de l'URSS pendant la Seconde Guerre mondiale. Mark Harrison, professeur à l'université de Warwick, est un spécialiste des questions économiques sur la Seconde Guerre mondiale, à propos desquelles il a beaucoup écrit depuis cet ouvrage à quatre mains. En 1991, Barber et Harrison publient en effet un livre qui tente d'expliquer, de manière contemporaine à l'effondrement de l'URSS, comment cet Etat a fait face à l'invasion allemande à partir de 1941. Bien que la recherche ait progressé depuis, l'ensemble reste une bonne base de départ pour une histoire économique et sociale de l'URSS pendant le conflit.

La réorganisation de l'économie soviétique sous les plans quinquennaux a conduit à l'industrialisation mais a porté un coup fatal à l'économie rurale. La transformation se fait de manière violente et les purges de 1936-1937 entraînent plusieurs années de stagnation, prolongées par le début de la Seconde Guerre mondiale. Des millions de Soviétiques profitent de ces changements structurels mais des millions d'autres en souffrent : la base sociale du régime reste étroite. L'Etat prend une place considérable, le pays est centralisé : mais la direction n'est pas aussi monolithique qu'il est souvent dit, le centre ne contrôle pas forcément étroitement les autorités locales et les populations savent s'adapter et improviser. Staline bénéficie à la fois de la répression mais aussi d'un véritable soutien populaire. Au départ, l'adversaire probable et désigné est plutôt le Japon : ce n'est qu'au milieu des années 1930 que l'URSS penche pour l'Allemagne. Le pays se prépare à la guerre sur une échelle fantastique, mais l'effort est coûteux, et les Soviétiques n'envisagent pas une guerre immédiate, ce qui fragilise les forces armées, surprises en cours de modernisation perpétuelle. L'effort s'accélère avec le début de la Seconde Guerre mondiale.



Le deuxième chapitre dresse brièvement le portrait du conflit, choses bien connues sur lesquelles je ne reviens pas. Les auteurs soulignent en revanche combien la guerre germano-soviétique a été un conflit de production et d'extermination, le front décisif de la Seconde Guerre mondiale. Outre les pertes humaines (dont près de 9 millions de soldats), la guerre a détruit 30% du capital de l'URSS avant la guerre et les deux tiers dans les territoires occupés.

L'invasion allemande jette au départ l'Etat soviétique dans la confusion. Staline connaît un grave passage à vide, surtout entre le 28 juin (chute de Minsk) et son discours du 3 juillet. La création du Comité d'Etat à la Défense, cabinet de guerre constitué surtout de civils, dope l'effort de guerre. Le centre moscovite est capable de laisser la bride sur le cou aux autorités locales. En parallèle, la création de la Stavka fournit un organe de commandement militaire au niveau stratégique. Le rôle du NKVD est renforcé. Staline, qui aurait pu souffrir du désastre initial de l'invasion, retourne la situation à son avantage au fil de la guerre. La création du Comité de Défense de l'Etat renouvelle le personnel autour de sa personne.

La société soviétique accueille l'invasion, au départ, avec confiance. De nombreux réservistes rejoignent d'eux-mêmes les centre de recrutement. Les civils sont réquisitionnés pour des travaux de défense comme l'érection de fortifications de campagne. Les mesures se font plus coercitives en 1942, année particulièrement critique pour l'URSS. Le pouvoir organise la censure de l'information et réprime sévèrement toute attaque au moral, de peur de voir la discipline s'effondrer. La propagande insiste sur la corde patriotique, en revenant aux héros du passé russe, en mettant en avant les exploits des soldats et sur le génie de Staline, chef d'orchestre de la victoire. Des milliers d'hommes, souvent à l'initiative des autorités locales, forment des milices, qui sont d'ailleurs jetées au feu avec quasiment rien, comme devant Léningrad, alors que les volontaires espéraient plutôt un service à l'arrière en s'engageant.

La population soviétique, de par l'histoire de l'URSS, était probablement mieux préparée que d'autres à une économie de pénurie et de rationnements. Ces derniers sont introduits entre juillet et novembre 1941, particulièrement dans les centres urbains. Les autorités doivent faire des choix tragiques entre les groupes à nourrir. Les rations sont complétées par ce que fournissent les autorités locales, et par les productions sur des lopins individuels (particulièrement pour les paysans), sur lesquelles le pouvoir ferme les yeux. La malnutrition rend les organismes plus vulnérables aux maladies, avec un pic de mortalité en 1942. Des activités criminelles se développent sur la nourriture, sévèrement réprimées par les autorités, ce qui montre l'ampleur du problème. La guerre sépare aussi les familles et fragilise celle-ci en tant qu'institution. Le taux de natalité chute même s'il reste plus élevé en ville qu'à la campagne.

La guerre change à nouveau la classe des travailleurs en raison de la perte de territoire, du déplacement des usines et d'un recrutement massif. On recrute massivement dans les campagnes, parmi les jeunes sans expérience et les femmes. Plus on s'approche du front, plus la main-d'oeuvre est féminine. Mais les travailleurs sont davantage préservés que d'autres catégories de la population. Les campagnes se vident de leurs paysans, et connaissent des moments difficiles ainsi qu'une chute de la productivité. Les paysans, pour survivre, doivent cultiver leur lopin particulier. La guerre accélère la fragilisation de ce groupe social, avec la concentration des personnes en ville. Les intellectuels voient leur place s'améliorer par rapport à l'avant-guerre : leur participation, multiforme, leur donne davantage de reconnaissance, notamment les écrivains. En outre l'encadrement du pouvoir est relâché, ce qui profite à leurs activités. La nomenklatura se renouvelle en raison du départ de beaucoup de ses membres pour le front. En ce qui concerne les nationalités, la collaboration avec les Allemands, bien réelle, est limitée par l'attitude de ces derniers (constat qui vaut aussi pour le groupe social des paysans, d'ordinaire hostile au régime). Mais la sanction est terrible : les déportations consécutives à la reconquête ne font que reprendre le principe de responsabilité collective appliqué avant-guerre. Le nombre de détenus du Goulag décline pendant la guerre, et la situation des camps est parfois dramatique, particulièrement dans les premières années du conflit.

Si l'URSS gagne la guerre, c'est aussi qu'elle est capable de produire suffisamment de matériel et de munitions. L'industrialisation des plans quinquennaux a fourni les outils. Cependant, c'est au prix du sacrifice de la production de consommation, d'un déséquilibre de l'économie et aussi, surtout, d'une localisation des industries d'armement très exposée, comme on le verra en 1941. Si l'URSS réussit à déménager dans l'urgence plus de 1 500 usines, c'est au prix du sacrifice d'autres productions et juste à temps pour fournir le matériel nécessaire à la contre-offensive d'hiver. La conversion à l'économie de guerre était prévue sur une guerre courte et sans avoir anticipé les exigences sur l'économie civile. La reconstruction des usines en un temps record masque la situation dramatique en 1942 : à la fin de l'année, plus de 50 usines du total déplacé ne tournent toujours pas. Il faut attendre 1943 pour que la situation s'améliore nettement.

Paradoxalement, l'URSS, qui a mobilisé son potentiel de travailleurs pour une économie de guerre dès 1942, se retrouve avec un trop-plein de force de travail et de soldats par rapport à la production. La perte de territoires n'empêche pas les Soviétiques de mobiliser leurs réserves de travailleurs, mais uniquement pour la production de guerre. Le gros des bataillons de l'Armée Rouge et des usines est fourni par des paysans, les femmes, les adolescents et les personnes âgées. Dans les territoires envahis, les travailleurs se muent rapidement en miliciens, alors qu'à l'intérieur des terres, le processus de mobilisation économique est plus fluide. La coordination et la centralisation de l'effort, entamées en décembre 1941, ne débouchent véritablement qu'en novembre 1942.

La productivité soviétique avant-guerre est assez faible, par une entente tacite entre les autorités locales et les travailleurs. La contrainte, la propagande politique, l'incitation financière n'apportent pas de changements décisifs. Malgré les mesures drastiques prises avec l'invasion allemande, l'absentéisme et l'abandon de poste restent fréquents, et les autorités ont du mal à stabiliser la main d'oeuvre comme le montre l'exemple de la production de charbon. Dans les campagnes, les paysans travaillent davantage car ils n'ont pas d'autre choix, faute de bras. Les détenus du Goulag sont également requis pour le travail forcé, ce qui explique un taux de mortalité de 20% peut-être parmi les détenus en 1942-1943. L'Etat incite à la productivité par des récompenses financières et en nature, mais leur attribution pose des difficultés. On entretient le moral par "l'émulation socialiste", nouvelle forme de stakhanovisme, et par la présence de bataillons entiers de Komsomols dans les rangs des travailleurs. La productivité soviétique augmente pour les munitions mais a eu tendance à reculer pour les autres branches de l'économie, y compris de guerre.

La production de guerre soviétique est phénoménale. Elle a été indispensable pour soutenir le caractère très destructeur des combats sur le front. La transition de la production a été très violente au départ. Les chiffres de munitions et d'obus chutent à la fin de l'année 1941, comme ceux des chars et des avions. La production de guerre redémarre début 1942 mais au prix du sacrifice de l'économie civile, le rééquilibrage n'intervenant qu'à la fin de l'année. Pour soutenir la production de guerre, il a fallu restaurer dans un premier temps l'économie civile indispensable à son fonctionnement. L'agriculture ne remonte véritablement la pente qu'en 1944, faute de bras et de matériel. L'aide alliée permet à l'Armée Rouge, en particulier à partir de 1943 seulement, d'accroître sa mobilité et ses moyens de communication. Si la situation est critique en 1942, c'est parce que la mobilisation de l'économie de guerre atteint son maximum alors que l'Armée Rouge recule encore, ce qui retarde le rattrapage de l'économie civile. L'URSS arrête seule ou presque les Allemands devant Moscou, Léningrad et Stalingrad, mais poursuit l'effort, aussi, grâce à l'aide alliée.

La planification d'avant-guerre, centralisée, formelle, n'a pas résisté à la guerre. L'improvisation ad hoc permet d'appliquer les mesures du centre sous un régime d'urgence en 1941-1942. On revient à une planification plus traditionnelle à partir de la fin 1942. L'autosuffisance prime d'abord mais progressivement l'économie devient même plus centralisée qu'avant la guerre.

L'URSS est victorieuse en 1945, mais exsangue. Aux pertes humaines s'ajoutent les déséquilibres démographiques introduits par la disparition de tant d'hommes jeunes. En outre, les privations continuent après la guerre alors que Staline et la classe dirigeante ont consolidé leur mainmise sur l'Etat. Un retour conservateur survient très rapidement, le militarisme et le nationalisme restent à l'ordre du jour. Pourtant, une nouvelle génération se fait jour que l'on verra à l'oeuvre sous Khrouchtchev. Reste également la mémoire de ce qui est devenu "la Grande Guerre Patriotique".

L'ouvrage est complété par un lexique, une chronologie, une douzaine de tableaux statistiques placés en fin de volume et par la bibliographie, ainsi que par quelques cartes tout à la fin de l'ouvrage. Si cette synthèse est voulue comme très abordable, on pourra peut-être juste regretter que les deux auteurs ne se limitent un peu trop à leurs spécialités respectives, sans développer davantage d'autres aspects thématiques du sujet (culture, mémoire, etc). Ce n'est donc pas un livre exhaustif et il faut le compléter en le croisant avec d'autres lectures.



Daniel FELDMANN et Cédric MAS, Montgomery, Guerres et Guerriers 27, Paris, Economica, 2014, 183 p.

0
0
Après un premier volume dans cette collection Guerres et Guerriers d'Economica consacré à Rommel, avec des qualités certaines mais aussi quelques défauts liés au format, en particulier, Daniel Feldmann (effectivement bon connaisseur de la Seconde Guerre mondiale, même si le quatrième de couverture en rajoute un peu...) et Cédric Mas (auteur de nombreux articles dans la presse spécialisée en histoire militaire, et donc de plusieurs ouvrages, même si, là encore, le quatrième de couverture est assez dithyrambique) récidivent avec un Montgomery. Sans surprise, on retrouve un contenu propre à la collection et un style également propre aux deux auteurs : le propos se focalise essentiellement sur l'histoire militaire, en termes analytiques plus que descriptifs, et se destine davantage aux passionnés et aux spécialistes de la chose qu'au grand public, même si celui-ci peut y trouver matière à découverte.

Le ton est donné dès la (courte) introduction : les deux auteurs proposent une réhabilitation de Monty, certes adulé par les Britanniques, mais détesté par les Américains. Il est vrai que le personnage a suscité bien des controverses et qu'un regard posé, même en français (la bibliographie anglo-saxonne étant plus qu'abondante), peut être bienvenu. Pour le couple d'auteurs, la grande force militaire de Montgomery est de se concentrer sur le commandement, l'organisation de l'armée, l'entraînement, la planification. Il a une vision "systémique" du champ de bataille : les succès de Monty sont dus à une préparation méticuleuse qui ne laisse aucune chance à l'adversaire.



Fils de prêtre anglican, Montgomery est surtout élevé par sa mère, notamment à partir de l'installation en Tasmanie en 1889. Rebelle à l'autorité, il trouve peut-être un échappatoire avec l'armée, qui satisfait son besoin de reconnaissance. Il n'y entre d'ailleurs pas facilement et manque d'en être renvoyé, son caractère facétieux lui jouant des tours. En 1908, il est lieutenant au Royal Warwickshire Regiment et effectue son premier service en Inde. L'armée britannique, à la veille de la Première Guerre mondiale, souffre de graves carences. Monty n'en a pas forcément conscience mais il est déjà très critique à l'égard de l'institution.

En août 1914, Monty débarque en France avec le corps expéditionnaire britannique et connaît son premier combat le 26, où il manque d'ailleurs de se faire tuer. Son baptême du feu se termine en effet en désastre. Blessé en octobre, Monty termine ici son expérience de la Grande Guerre. Il devient instructeur en 1915. De retour en France avec la 35ème division en janvier 1916, Montgomery assiste à un autre désastre sur la Somme, où il prend véritablement conscience des lacunes de l'armée britannique.

En janvier 1917, il passe à la 33ème division et perfectionne sa formation d'officier d'état-major. Il assiste aux troisième bataille d'Arras et troisième bataille d'Ypres et en retient certaines leçons. Son corps subit de plein fouet une des offensives allemandes de 1918, en mai, sur le Chemin des Dames, qui est un sérieux revers pour les Britanniques. Monty termine la guerre avec la 47ème division. Il n'a pas brillé pendant la guerre, mais il a déjà rempli au pied levé, sans formation, des fonctions d'état-major et a acquis des capacités d'organisateur, tout en se montrent assez critique de la performance de l'armée britannique. Ces deux chapitres sur Monty pendant la Grande Guerre sont de mon point de vue parmi les plus réussis, un point fort que l'on trouvait déjà dans le Rommel d'ailleurs.

Par un tour de génie, il arrive à se faire nommer étudiant au Staff College. En 1921-1922, il sert en Irlande, où les Britanniques font face à la guérilla nationaliste -on aurait d'ailleurs aimé que ce passage soit davantage développé : quel est le rapport de Monty face à ce type de conflit, face aux Irlandais ? On voit là l'un des principaux défauts de la collection, l'incapacité, faute de place, à replacer tel ou tel personnage militaire dans son époque, au-delà de la simple histoire militaire, même analytique. Dans l'entre-deux-guerres, il continue l'instruction, suit les débats doctrinaux sans y participer au premier plan. En 1927, il épouse Elizabeth Carver, dont il a un fils l'année suivante. Instructeur à l'école de Camberley, il sert ensuite en Egypte, puis à Quetta, au Pakistan, entre 1934 et 1937. Cette dernière année survient la mort prématurée de son épouse, qui l'accable de chagrin. Réfugié dans l'armée, Monty est envoyé en Palestine, en 1938 et 1939, où les troubles entre colons juifs et habitants arabes se multiplient. Là encore, on aurait aimé en savoir plus sur l'appréhension par Montgomery des prémices du conflit israëlo-arabe, de sa vision coloniale pour ainsi dire, et de sa vision de la contre-insurrection. Il est nommé à la tête de la 3ème division, en Angleterre, quelques jours seulement avant le début de la Seconde Guerre mondiale.

Débarqué en France, Monty se lie d'amitié avec son commandant de corps, Brooke. La 3ème division subit un entraînement intensif, qui tranche avec l'apathie de nombre d'unités alliées, y compris britanniques. L'attaque allemande du 10 mai ne donne encore une fois à Monty que l'occasion de se distinguer pendant une retraite. Sa division couvre largement l'embarquement de Dunkerque, mais elle a au final peu combattu. De retour en Angleterre, Monty, qui déjà se couvre de succès sans proportion avec la réalité, tempête contre l'institution, qu'il juge responsable du désastre. Brooke, heureusement pour lui, le fait nommer à la tête d'un corps d'armée. Succédant à Auchinleck, il veut trancher avec le style de son prédécesseur, et multiplie les frasques jusqu'en 1941, comme s'il voulait, ainsi que le disent les auteurs, imposer son style à l'armée toute entière. Durant deux ans, Monty réalise en fait beaucoup de gesticulation, de manoeuvres, dont on peut s'interroger sur leur efficacité réelle quant à la préparation des hommes à la guerre. C'est Monty qui prépare le plan de l'attaque sur Dieppe, qui se termine par l'échec que l'on sait. On regrette peut-être d'ailleurs ici que les auteurs ne s'étendent pas davantage sur la controverse, dont les Canadiens sont toujours friands aujourd'hui. C'est par un coup du sort, le même mois que le raid, que Monty devient commandant de la 8th Army en Afrique du Nord en lieu et place de Gott, disparu dans son avion abattu.

Monty arrive en pleine crise. La 8th Army est démoralisée, la situation est dégradée. D'office, il impose son style de commandement, cherche à créér l'équivalent du DAK en groupant les divisions blindées, fait sa publicité pour contrer la propagande allemande, privilégie la défense statique. Le changement est net lors de la bataille d'Alam El Halfa : Monty, qui a bien senti la manoeuvre de Rommel, brise l'assaut allemand sans prendre le risque de contre-attaquer. Son plan offensif est complexe, et fragilisé par le fait que les tankistes britanniques manquent encore de confiance pour l'exploitation. L'opération Lightfoot est un piège tactique dans lequel les Allemands viennent s'enferrer : tandis que l'infanterie germano-italienne est progressivement grignotée, ils usent leurs précieux blindés sans pouvoir briser définitivement la force d'attaque britannique. Supercharge achève de briser la pointe allemande, complètement élimée. La poursuite, en revanche, n'a absolument pas été préparée et n'est pas menée, tout simplement. Monty a adapté la guerre du désert, pour les Britanniques, aux caractéristiques de leur armée, et aux circonstances tactiques.

Il connaît dès lors la célébrité dans le monde entier. Il cherche en parallèle à tirer les leçons du succès à El Alamein. Pourtant, c'est encore une attaque frontale, cette fois pas couronnée de succès, qui est menée contre la ligne Mareth, au sud de la Tunisie : Monty, trop distant du champ de bataille, a sans doute péché par optimisme. La première rencontre avec Eisenhower, en mars 1943, est déjà froide. Monty remporte en revanche un beau succès à l'oued Akarit, en avril 1943, mais les Allemands se retirent en bon ordre. La 8th Army a montré ses capacités durant la campagne, qui contrastent avec le premier engagement des Américains, peu reluisant-mais la performance de la 1st British Army n'a pas été non plus des meilleures...

Monty s'est beaucoup impliqué, dès avant la fin de la campagne tunisienne, dans la genèse de Husky, le plan d'invasion de la Sicile. C'est lui qui impose ses propres vues alors que le plan d'origine est relativement faible, victime du caractère désordonné de la planification. Néanmoins son attitude de fanfaron le rend déjà détestable aux yeux des Américains, ce qui augure mal d'une guerre de coalition rendue nécessaire par l'hétérogénéité du camp allié en Méditerranée. Un voyage en Angleterre conforte Monty dans la très haute opinion qu'il a de lui-même. Lors de l'invasion de la Sicile, il a l'avantage de pouvoir quasiment dicter ses ordres à Alexander, qui chapeaute l'opération. La campagne n'est pas aussi prometteuse qu'espérée pour Monty, d'autant qu'à son terme, Eisenhower le relègue dans un rôle secondaire pour l'invasion de l'Italie continentale, Patton ayant été lui aussi écarté pour ses frasques. La lente progression depuis la botte italienne jusqu'aux lignes fortifiées allemandes ne convient guère à Monty qui veut jouer les premiers rôles pour l'invasion de l'Europe. Ce qui arrive finalement le 24 décembre 1943.

Monty cherche encore une fois à imposer ses vues. Il modifie le plan du COSSAC, sans doute inadéquat, pour le débarquement, n'en veut pas d'un second en Provence qui lui ferait de l'ombre et divise les ressources. Ceci étant dit, Eisenhower s'est lui-même consacré à l'élargissement du plan initial de l'invasion, peut-être davantage encore que Monty. S'il se consacre largement au moral des troupes et à la planification générale de l'opération, il délaisse étrangement l'entraînement concret pour le Jour J, ce qui n'est pas sans créér des faiblesses.

Montgomery débarque en Normandie dès le 8 juin. Entouré d'un état-major de fidèles, réduit mais à sa dévotion, il s'isole quelque peu du reste du commandement dans sa caravane de campagne. S'il donne priorité dans un premier temps à la prise de Cherbourg, quelle est ensuite la stratégie : tenir à l'est en prenant Caen pour laisser aux Américains le temps de percer à l'ouest ? La situation n'avait probablement pas été envisagée, le front devant s'étendre de Caen à Falaise avant que les Américains ne percent vers le sud-ouest. C'est par défaut que Monty tient le rôle "d'aimant" pour les Allemands. Lesquels auraient probablement concentré leurs Panzerdivisionen pour bloquer la route de Paris et contrer un second débarquement qui est toujours jugé possible, pendant longtemps. Les offensives britanniques à l'est ne débouchent pas, et l'armée britannique manque cruellement d'hommes. Mais les Allemands s'épuisent à tenir le front devant les Britanniques à l'est. Les Américains peuvent mener à bien Cobra, qui débouche sur l'encerclement de Falaise, lequel n'est pas parfait, mais plus par responabilité collective qu'uniquement de Monty, comme veulent le faire croire les Américains. Comme la supériorité des Alliés est évidente dès les premiers jours de la campagne, Monty veut empêcher les Allemands se créer une réserve pour une contre-attaque, d'où les attaques incessantes à l'est. Il joue la sécurité en étant parfaitement conscient des capacités et des limites de son armée.

A la fin de l'été 1944, les Britanniques ne jouent plus que les seconds rôles face aux Américains. Eisenhower prend le commandement des opérations en Europe ce qui agace profondément Monty, qui se juge bien plus brillant soldat que Ike. Se pose alors la question de la suite à donner à la campagne, alors même qu'une pause logistique apparaît évidente. Mais les généraux n'en ont cure : faut-il progresser sur un front large, ou sur un axe précis ? Monty propose de sauter le Rhin, pour atteindre la Ruhr, via les Pays-Bas et Arnhem. L'opération Market-Garden, aux antipodes de la planification méticuleuse de Montgomery, échoue. On aurait d'ailleurs apprécié que les auteurs consacrent plus de pages à cet échec assez cinglant de Monty qui montre là ses limites de stratège et où ses qualités d'organisateur, d'entraîneur semblent complètement se dissoudre. C'est probablement une des faiblesses principales du livre. Monty néglige aussi la capture du port d'Anvers et le nettoyage de l'estuaire pendant un bon mois. Il achève de ruiner sa crédibilité auprès des Américains en venant à leur secours pendant la bataille des Ardennes, mais non sans son mépris habituel. Encore une fois, Monty montre là qu'il est bien mal taillé pour une guerre de coalition. Les opérations menées début 1945, notamment pour le franchissement du Rhin, sont expédiées assez rapidement : dommage à nouveau, car il y aurait eu peut-être matière à développer sur ces succès finalement peu connus de Monty (Plunder notamment). D'autant qu'ici, comme le disent les auteurs en conclusion du chapitre, Montgomery tire quelques leçons des échecs de l'automne 1944, et les appliquent, ce qui montre qu'il est capable de rebondir.

Gouverneur militaire de la zone d'occupation britannique en Allemagne après la capitulation, Monty ne mène pas une politique revancharde et se désinteresse rapidement d'un rôle non-militaire. Devenu chef d'état-major impérial en 1946 à la place de Brooke, il s'active beaucoup mais avec de piètres résultats. Il se met à dos tout le monde, ne modernise pas l'armée britannique, est en retard sur la question des colonies. Il devient patron du Comité de Défense de l'Europe occidentale, puis adjoint de Ike à l'OTAN. Prenant sa retraite en 1958, il écrit ses mémoires, voyage, multiplie les interventions plus ou moins opportunes (défendant par exemple le régime de l'apartheid en Afrique du Sud...). Sa santé se dégrade après 1964. Il décède en 1976.

Monty est très soucieux de son image pour la postérité. D'autant que les Américains donnent rapidement le premier rôle à Ike dans les premiers ouvrages écrits après la guerre. Dans ses mémoires, Monty se donne le beau rôle, et comme de coutume, se montre très condescendant avec les autres. Il intervient à la télévision, un média qui la convient assez. Practicien, il n'a jamais écrit d'ouvrage sur son art militaire ou la méthode. Les historiens américains le dénigrant assez rapidement, les historiens britanniques, en réaction, l'encensent. Mais des positions intermédiaires existent comme celle de Wilmot. Un renouveau historiographique britannique (Hart, French, Buckley) décèle, dans la décennie 2000, le véritable système militaire appliqué par Monty, que l'on retrouve décrit dans ce livre (ce sont les sources principales du travail des deux auteurs).

En conclusion, C. Mas et D. Feldmann soulignent qu'étudier Montgomery ne peut laisser indifférent. Le personnage est volontiers dominateur. C'est d'abord un practicien de la guerre. Il a développé une capacité d'analyse systémique qu'il peut appliquer à une situation donnée. Tout son travail est rendu vers cette maîtrise de ce système complexe qu'est devenue une armée au XXème siècle. Monty cherche à écraser l'adversaire là où il est le plus fort. Il a quelque chose de très "Première Guerre mondiale" dans cette recherche de la destruction de toute réserve adverse pour ensuite faire s'écrouler le front comme un fruit mûr. Et pourtant Mongtomery n'a jamais pris le temps de véritablement coucher par écrit sa pratique militaire : les auteurs pensent qu'ils n'étaient peut-être pas conscients de ses qualités de chef. Pour autant, la citation qui ouvre l'introduction du livre, où Monty prétend qu'à côté de Napoléon et Alexandre, il est le troisième plus grand chef militaire de l'histoire, plaide plutôt pour le contraire... C'est son incapacité à communiquer sur ce sujet qui a forgé une image parfois très négative du personnage : il en est donc le premier responsable.

La synthèse (assez remarquable au point de vue de l'écriture et de la méthode, dans le cadre d'un ouvrage analytique) de Cédric Mas et de Daniel Feldmann a le mérite de mettre à la portée du lecteur français (passionné ou un peu plus spécialiste, d'une façon ou d'une autre) les acquis récents de l'historiographie anglo-saxonne sur Montgomery : le livre se suffit à lui-même de ce côté. En revanche, on a l'impression, en lisant entre les lignes, que les deux auteurs mènent une réhabilitation de Monty qui peut se contester. Ils insistent davantage sur les succès (El Alamein, etc) que sur les échecs ou les revers (Dieppe, Arnhem). Ils s'attardent plus sur les talents de Montgomery (et notamment ce qui la force de son style de commandement, à raison) que sur ses défauts (incapacité à évoluer dans une guerre de coalition, mépris et recherche avide de gloire préjudiciables à l'effort militaire, etc). Mais les uns ne sont-ils pas aussi importants que les autres ? Il faut donc, quelque part, remettre un peu l'ouvrage à sa juste place : c'est une synthèse des plus intéressantes du point de vue de l'histoire militaire du personnage, très analytique, stimulante même, mais elle ne dépasse pas ce niveau, notamment en ne replaçant pas, faute de place, le personnage, plus largement, dans son époque. D'autant que la bibliographie se limite très clairement cette fois à des sources secondaires (ouvrages plus qu'articles d'ailleurs ; un des auteurs le reconnaît volontiers ; il semblerait que les archives et autres sources primaires aient été déjà plus qu'exploitées par les historiens britanniques en particulier ; c'est peut-être moins vrai pour les épisodes que je soulignais, Irlande et Palestine, où il doit encore y avoir à faire), les principales sources étant indiquées au début de chaque chapitre ou partie importante (en tout, une quarantaine d'ouvrages essentiellement, ce qui n'est déjà pas rien) en notes (plutôt réduites en nombre, mais ce n'est pas l'essentiel). Le couple d'auteurs a donc davantage la fonction de "passeur" en français des acquis de la recherche étrangère (surtout anglo-saxonne), mâtinée d'un effort appréciable de synthèse et d'organisation.


La ligne du Dniepr (Днепровский рубеж) de Denis Skvortsov (2009)

0
0
Le film raconte la défense de la ville de Moghilev, en juillet 1941, par les Soviétiques face au groupe d'armées Centre allemand. Il suit plus particulièrement le parcours du commandant de division de fusiliers Zubov (Igor Sigov), relâché des geôles du NKVD pour orchestrer la défense de la ville. Zoe Sintsova (XeniaKnyazev), une jeune infirmière seule survivante d'un train mitraillé par des chasseurs allemands, oeuvre à l'hôpital de Moghilev et tombe amoureuse de Zubov qu'elle a rencontré avant la guerre.

A l'instar de la Russie, la Biélorussie réalise depuis la dernière décennie de nombreux films de guerre revalorisant la Grande Guerre Patriotique, auxquels on peut avoir de plus en plus accès via Internet et les moyens associés. Sorti avant Brest-Litovsk, qui a connu une certaine publicité en Europe de l'ouest, La ligne du Dniepr s'inscrit parfaitement dans l'esprit des films russes ou biélorusses gonflant l'héroïsme des combattants soviétiques de 1941, même dans la défaite, la romance n'ayant qu'un rôle très secondaire.

L'épisode évoqué ici est tout à fait authentique et s'inspire de la progression allemande au centre du front, après la chute de Minsk et l'encerclement de plusieurs armées soviétiques à proximité de la ville, durant la première phase de l'opération Barbarossa. Le Panzergruppe 2 de Guderian reprend sa marche vers l'ouest et doit franchir le Dniepr. Les Allemands bousculent facilement le 20ème corps mécanisé soviétique et bordent le fleuve. Le 5 juillet 1941, le général Bakounine, arrivé avec l'état-major du 61ème corps de fusiliers, prend le commandement des 3 divisions qui composent le corps d'armée défendant Moghilev : les 53ème, 110ème et 172ème (le général Romanov, qui commande cette dernière division, inspire probablement le personnage de Zubov). Quelques jours plus tard, le 7 juillet, le 61ème corps d'armée est rattaché à la 13ème armée qui arrive de l'ouest, écharpée par les Allemands.



Les 3 corps de Guderian commencent à franchir le Dniepr les 10-11 juillet : le 47. (mot.) Armee Korps, qui traverse au sud d'Orsha, fonce sur Smolensk, le 46. (mot.) Armee Korpsà Shklov et le 24. Panzerkorps au sud de Moghilev. Les Soviétiques échouent à réduire les têtes de pont et Moghilev est bientôt encerclée par le nord, où la 53ème division de fusiliers est dispersée. Ce même jour, le 12 juillet, la 3. Panzerdivision de Model tente de forcer le verrou au sud de Moghilev, tenu par la 172ème division de fusiliers, qui oppose une résistance inattendue aux Allemands dans le secteur de Buinichi. Le 388ème régiment de fusiliers du colonel Kutepov (qui inspire dans le film le personnage de Shadrin), en particulier, se distingue, et bloque encore la 3. Panzerdivision le lendemain, au prix de lourdes pertes, mais en revendiquant 39 véhicules détruits. Néanmoins les 3. et 4. Panzerdivisionen, en esquissant un mouvement de contournement,finissent par encercler Moghilev. Les contre-attaques soviétiques autour de Bobruisk détournent cependant pour un temps les Allemands de la réduction de la poche.

Buinichi, 14 juillet 1941. Un Panzer III de la 3. Panzerdivision est resté sur le terrain, victime de la défense efficace mais coûteuse de la 172ème division de fusiliers.

Ce n'est que le 17 juillet que l'infanterie allemande (7. Armee Korps : 7., 15., 23., 258. I.D., avec la 3. Panzerdivision en soutien) monte à l'assaut de Moghilev. Les restes du 61ème corps de fusiliers et du 20ème corps mécanisé sont tant bien que mal ravitaillés par air. Le haut-commandement soviétique magnifie la résistance des défenseurs de Moghilev, comparée à un nouveau "Madrid". Les combats de rue commencent le 23 juillet. Trois jours plus tard, après avoir refusé une offre de reddition, les Soviétiques font sauter le pont sur le Dniepr. Les défenseurs percent dans la nuit du 26 au 27 juillet, ce qui va à l'encontre des ordres de la Stavka de tenir à tout prix. Certains soldats encerclés arrivent à rejoindre les lignes soviétiques ou forment des unités de partisans. La résistance soviétique à Moghilev, qui ne change rien à la situation stratégique, est l'un des premiers exemples de mobilisation intensive de la population en soutien de l'Armée Rouge. Non seulement une division de miliciens est créée, mais des travailleurs construisent un énormé fossé antichar aux abords de Moghilev. Les miliciens, armés de vieux fusils britanniques et de cocktails Molotov, servent surtout de force d'appoint. La défense de Moghilev a inspiré des lignes fameuses à Konstantin Simonov, célèbre écrivain soviétique du conflit, qui a notamment été marqué par la défense héroïque de la 172ème division à Buinichi. Après la chute de l'URSS, en 1995, la Biélorussie fait construire un mémorial dans les champs de Buinichi, où la 172ème division de fusiliers avait stoppé pour un temps la 3. Panzerdivision.

Une des deux répliques de BA-20 utilisées dans le film, que l'on verra aussi dans le film Brest-Litovsk.


Le film joue d'un parallèle assez évident entre le héros, Zubov, et le maréchal soviétique Rokossovsky, qui lui aussi a connu les geôles du NKVD (où il a également laissé quelques dents...). Si le scénario est moins travaillé que pour d'autres productions biélorusses ou russes, et si les scènes de combat sont moins abouties que pour Brest-Litovsk, par exemple, il n'en demeure pas moins que, comme à l'accoutumée, la réalisation fait appel à un abondant matériel d'époque couplé à de non moins abondantes images de synthèse (en particulier pour les moyens aériens). Outre les armes de poing (PPD-40, SVT-40 côté soviétique, etc), on note les mitrailleuses PK modifiées pour ressembler à des MG 34, et le quad de mitrailleuses Maxim M-4 monté sur camion et sorti tout droit d'un musée biélorusse. On note même la présence d'une vieille Maxim 08 et surtout d'un FM 24/29 manipulé par les Allemands lors des combats de rues. Les Panzer III sont des répliques montées sur châssis des BMP-1 et seront réutilisés dans le film Brest-Litovsk tout comme les 2 BA-20 visibles à l'écran. On note aussi la présence d'un Nebelwerfer 41.




Sir Arthur Conan DOYLE, La compagnie blanche et Sir Nigel, Libretto, Paris, éditions Phébus, 1995

0
0
Comme le rappelle Michel Le Bris dans l'introduction à La Compagnie Blanche, Sir Arthur Conan Doyle, dont la famille faisait remonter ses origines aux compagnons de Guillaume le Conquérant, ne pouvait échapper à une éducation emprunte d'histoire anglaise. L'écrivain dépeint d'ailleurs une réalité sombre, médiévale, qui reflète son propre parcours. Le grand-père, John Doyle, caricaturiste politique du Times, quitte l'Irlande pour l'Angleterre, mais un train de vie trop fastueux oblige le fils cadet, Charles, à devenir petit fonctionnaire en Ecosse. Alcoolique, le père ne peut être un modèle pour les enfants, dont Arthur, élevés par leur mère, Mary, qui les entretient dans le souvenir de leurs nobles origines.

C'est ainsi que le héros des deux romans de chevalerie d'Arthur Conan Doyle, Nigel Loring, dont les aventures commencent en 1348, ressemble à s'y méprendre à l'auteur, vivant avec sa mère solitaire et en quête de gloire et de reconnaissance. En 1885, bicentenaire de la défaite de Monmouth, Doyle se tourne vers le roman historique. Micah Clarke connaît un franc succès alors même qu'Une étude en rouge, où apparaissent pour la première fois Sherlock Holmes et Watson, composition alimentaire, est rejetée. Il projette de mener de front médecine et littérature. Mais en 1889, la visite des ruines de l'abbaye de Beaulieu le ramène vers l'écriture chevaleresque. Il y consacre tout son temps et son énergie, mais le succès parallèle de Sherlock Holmes après son premier roman historique est tel qu'il doit interrompre l'écriture de La Compagnie Blanche pour donner encore vie à son héros détective. Sorti en 1890, ce dernier volume est un succès, le meilleur roman depuis Walter Scott diront certains. Mais cette réussite est effacée par celle, incomparablement supérieure, des aventures de Sherlock Holmes. Arthur Conan Doyle reste prisonnier de sa création, même s'il publie 15 ans plus tard Sir Nigel, qui retrace cette fois la jeunesse de son héros, Nigel Loring.



La réputation des deux romans, très populaires en Angleterre dans l'entre-deux-guerres en particulier, n'est pas surfaite.  Les aventures de l'écuyer Alleyne Edricson, écuyer se mettant au service d'une grande compagnie avec des archers anglais en France, sont chatoyantes. On y croise évidemment quantité de personnages historiques et l'on sent que l'auteur a travaillé considérablement son sujet par des recherches en amont. Arthur Conan Doyle, le créateur de Sherlock Holmes, sait parfaitement faire revivre l'atmosphère des débuts de la guerre de Cent Ans, vue ici du côté anglais. A découvrir.


David CAMPBELL, Barbarossa 1941. German Infantryman vs Soviet Rifleman, Combat 7, Osprey, 2014, 80 p.

0
0
Les éditions britanniques Osprey, bien connues des amateurs d'histoire militaire, ont récemment lancé une nouvelle collection parmi un catalogue déjà bien fourni : Combat. Le volume n°7 de la nouvelle collection, sorti à l'été dernier, signé David Campbell, dresse une comparaison entre le fantassin allemand et le fusilier soviétique pendant l'opération Barbarossa.

Combat présente, pour les éditions Osprey, un nouveau visage. Les illustrations, généralement plus grandes, sont légendées de manière plus détaillée. Les références citées dans la bibliographie en fin de volume sont beaucoup plus citées, non pas en notes, mais entre parenthèses, dans le texte, jusqu'aux pages. Les cartes, généralement en double page, reprennent un système de numéros qui permettent de mieux suivre la chronologie des opérations et les différents mouvements de troupes.




Ce volume s'intéresse donc au face-à-face entre le fantassin allemand et le fusilier soviétique, qui constituent de chaque côté le gros des forces en présence au déclenchement de Barbarossa. Côté allemand, l'auteur s'intéresse plus précisément aux fantassins des divisions d'infanterie motorisée, peu nombreuses, et qui ne sont créées qu'à partir de 1937 pour accompagner et exploiter les succès des formations blindées. Côté soviétique, les divisions de fusiliers, qui représentent 75% de l'Armée Rouge, pâtissent des carences logistiques qui existent encore en 1941. Les divisions d'infanterie motorisée allemandes, en juin 1941, sont à un summum d'efficacité : le moral est bon, l'expérience considérable car ces unités ont souvent été engagées en première ligne. En revanche, elles manquent d'armes antichars efficaces et elles ont dû absorber des matériels français, tchèques, polonais, ce qui pose des problèmes de disponibilité. Les divisions de fusiliers soviétiques, surtout composées de paysans conscrits, sont mal préparées à absorber le choc de Barbarossa : elles vont pourtant tenir, se montrant parfois redoutables de ténacité. Les fantassins motorisés allemands fonctionnent sur le principe de souplesse du commandement, qui dans la Wehrmacht favorise l'initiative des officiers subalternes à partir d'ordres relativement généraux ; en outre, ils ont l'habitude de combattre en formations mixtes changeant souvent de composition (Kampfgruppen) et sont bien équipés en moyens de communication, pour favoriser une guerre très mobile. En face, les purges ont décapité l'encadrement de l'Armée Rouge, qui connaît une grave pénurie d'officiers et de moyens de communication modernes. Les groupes de combat allemands, organisés autour de la mitrailleuse MG 34, manquent d'armes antichars efficaces même si les armes de poing valent largement celles des Soviétiques. Les fantassins motorisés sont habituer aux manoeuvres offensives et à combattre à pied ou à partir des camions qui les transportent (les véhicules de transport blindés ne seront jamais généralisés). En revanche, les Allemands sont moins bien préparés aux situations défensives. Côté soviétique, les groupes de combat, structurés autour de la mitrailleuse légère DP 28, pâtissent d'un entraînement et d'un encadrement faibles, qui conduisent à des tactiques coûteuses en vies humaines.

L'auteur confronte les fantassins motorisés allemands et soviétiques lors de trois engagements différents de par leur nature. La 10. Infanterie Division (mot.) fait partie du XXIV. Armeekorps (mot.) du Panzergruppe 2 de Guderian, au Groupe d'Armées Centre. L'Infanterie Regiment (mot.) 41 approche, début juillet, du Dniepr. La 117ème division de fusiliers s'est installée en force sur la rive est et garde une tête de pont sur la rive ouest, près de Zhlobin. Le matin du 6 juillet, les Allemands arrivant de Bobruisk butent dans le 240ème régiment de fusiliers, qui fait partie d'une manoeuvre de contre-attaque soviétique, et sont repoussés. Mais les Allemands font évoluer d'autres unités sur les flancs des Soviétiques et les fixent par un tir d'artillerie nourri et des automitrailleuses. Repoussés sur Zhlobin, les fusiliers soviétiques s'accrochent à la localité. Deux bataillons du Panzer Regiment 6 (3. Panzerdivision) appuient les fantassins allemands pour l'assaut ; mais les chars allemands qui manoeuvrent sans soutien d'infanterie se heurtent à forte partie, et une vingtaine d'entre eux restent sur le terrain. La division soviétique repasse le fleuve dans la soirée et fait sauter les ponts sur le Dniepr : elle a perdu 20% de son effectif et un matériel considérable. Les pertes allemandes, réduites en hommes, sont cependant lourdes en blindés, obérant de fait la victoire remportée sur le terrain.

Mi-juillet, c'est la 29. Infanterie Division (mot.), une des meilleures de l'armée allemande, qui arrive devant Smolensk. La ville est défendue par le général Lukin qui commande la 16ème armée. Ses forces se composent à la fois de soldats réguliers et de miliciens de la ville encadrés par le NKVD. Au soir du 15 juillet, les Allemands se présentent au sud-ouest de Smolensk et s'emparent de la moitié sud de la ville. Le lendemain, ils franchissent le Dniepr en canot, les Soviétiques ayant fait sauter les ponts. Dans la partie nord, les fusiliers soviétiques lancent contre-attaque sur contre-attaque. Le cimetière est l'objet de combats particulièrement acharnés. La 16ème armée y laisse 40% de ses effectifs mais la 29. Infanterie Division (mot.) est elle aussi particulièrement victime de cette guerre d'usure : elle doit être retirée de Smolensk les 26-27 juillet. La 16ème armée doit cependant se retirer quelques jours plus tard. Les Allemands constatent que la campagne en URSS leur coûte cher : faute d'infanterie à pied, la 29. I.D. (mot), unité destinée à la guerre de mouvement, a perdu 1 000 hommes dans ces combats de rues.

Fin juillet, le premier échelon d'armées soviétique a été détruit lors de la bataille des frontières ; le second a été éventré sur le Dniepr. Les Soviétiques acheminent donc un troisième échelon d'armées à l'ouest, pour briser l'encerclement allemand autour de Smolensk. Le groupe Kachalov, du nom de son commandant, expérimenté, comprend des divisions de fusiliers à peine formées, mal encadrées, mal armées et mal entraînées. Elles vont affronter, notamment, l'Infanterie Regiment (mot.) Grossdeutchland, considéré comme l'élite de la Heer. Ce régiment est en position à Vaskovo-Vorochilovo le 23 juillet 1941. Les 145ème et 149ème divisions de fusiliers se jettent en vagues humaines sur les positions allemandes et sont saignées par les mitrailleuses, l'artillerie et l'aviation, contre laquelle elles n'ont aucune défense ou presque. Kachalov, atterré par le manque d'imagination de ses officiers, dresse des consignes précises pour les assauts, en vain. En quatre jours, les deux divisions soviétiques perdent 3 000 hommes, contre 455 Allemands. Néanmoins, la Grossdeutschland a souffert de problèmes logistiques (approvisionnement en munitions) et sa composition ne lui permet pas, aussi, de tenir un front large en défense.

Pour les Allemands, les débuts de l'opération Barbarossa confirment la pertinence des choix opérés sous la Reichswehr, mais montrent aussi de graves carences, notamment sur le plan logistique. En outre, la Wehrmacht trouve, avec le fusilier soviétique, un adversaire à sa mesure, qui plie difficilement. Pour l'Armée Rouge, l'invasion met à jour toutes les faiblesses structurelles : les Soviétiques survivent, mais à un prix extraordinaire en vies humaines. Néanmoins, ils réussissent aussi le tour de force de réorganiser leur armée en plein conflit, non sans mal, mais avec des résultats certains dès 1942.

Barbarossa ne se termine pas par un succès allemand, faute de véritable stratégie, et parce que l'étroit poing blindé allemand s'est usé dans les six premiers mois de combat. La logistique tourne encore sur une économie civile. L'échec allemand s'explique aussi par les incessantes contre-attaques soviétiques, lancées pour gagner du temps et faute de mieux. L'URSS compte sur son moral inébranlable et sur ses réserves, en pariant sur une guerre d'usure que l'Allemagne ne pourra pas affronter.

La nouvelle collection Combat d'Osprey, pour ce volume en tout cas, représente une bonne surprise. Outre le texte que j'ai rapidement résumé, on apprécie les cartes de situation pour chaque affrontement, numérotées comme toujours pour suivre les phases du combat, et accompagnées ici de photographies aériennes allemandes donnant une vue concrète du terrain. Le tout se complète de la composition des unités allemandes types évoquées ici et de la bibliographie récapitulative. Les références sont à la fois anciennes et récentes, plus ou moins pertinentes, mais l'auteur parvient à en tirer une bonne synthèse, mieux sourcée et probablement plus convaincante que d'autres volumes Osprey. A confirmer avec d'autres volumes de la collection pour voir si la qualité est toujours au rendez-vous.

Représailles (Rappresaglia) de George Pan Cosmatos (1973)

0
0
1944, à Rome. Le père Pietro Antonelli (Marcello Mastroianni) tente de sauver les trésors de la Renaissance présents à Rome de la convoitise des occupants allemands. Le lieutenant-colonel Kappler (Richard Burton) dirige quant à lui la sécurité de la ville de Rome, représentant la SS. Antonelli est contraint de livrer un Masaccio à Kapler. Or les armées alliées, qui ont débarqué à Anzio mais restent bloquées devant le mont Cassin, ne sont désormais plus très éloignées de la capitale italienne, ce qui stimule la résistance à Rome. Les résistants exécutent un attentat qui coûte la vie à 33 soldats allemands. Deux des auteurs de l'attentat sont des étudiants du père Antonelli et se réfugient chez lui. En représailles, Kappler est chargé de mettre à mort 10 Italiens pour 1 Allemand tué, soit 330 personnes. Il commence à dresser les listes pour les exécutions...

Représailles s'inspire largement d'un livre de Robert Katz, Death in Rome, paru en 1973. L'épisode qui fournit la trame du roman et du film est bien sûr le massacre des fosses Ardéatines, commis par les Allemands le 24 mars 1944 après une attaque de partisans, la veille, en plein coeur de Rome, Via Rasella, contre le régiment SS de police Bozen. A ce moment-là, les Allemands occupent Rome depuis septembre 1943 et la chute de Mussolini. Ils ont organisé la déportation des Juifs italiens en octobre et ont réquisitionné de nombreux civils pour des travaux forcés. En décembre, les partisans italiens conduisent les premières attaques contre l'occupant à Rome. La 11ème compagnie, 3ème bataillon du régiment SS de police Bozen, visée par l'attentat du 23 mars, est alors composée d'Autrichiens du Sud-Tyrol, région rattachée à l'Italie après la Première Guerre mondiale. L'attaque est orchestrée par 16 partisans d'un groupe communiste, qui parviennent tous à s'enfuir après avoir déposé une charge explosive dans le chariot d'un balayeur de rues.



Kappler (qui est en réalité beaucoup moins désabusé que dans le film, et qui n'a à l'époque que 37 ans alors que Burton en a 48...) mène l'enquête. C'est en accord avec le commandant de la place de Rome, le général de la Luftwaffe Mälzer, qu'il choisit le nombre de 10 Italiens à exécuter pour chaque policier SS tué. Mälzer voulait en plus brûler une partie de la ville. L'exécution doit avoir lieu dans les 24 heures ; Kesselring, le commandant de théâtre, a interprété l'ordre confirmé par le Führer comme concernant les personnes déjà condamnées à mort. Mais Kappler n'a pas assez de condamnés à mort et doit faire feu de tout bois, raflant aussi les Juifs emprisonnés et d'autres catégories de détenus. Les exécutions ont lieu dans des carrières abandonnées près de la Via Ardeatina : elles sont réalisées essentiellement par des officiers SS n'ayant jamais abattu quiconque. Kappler a choisi comme mode d'exécution des tirs de pistolet à bout portant dans la nuque, par groupe de 5 prisonniers. Il a prévu du cognac pour les officiers SS devant accomplir le massacre. Les corps sont empilés et les caves des carrières scellées à l'explosif. Ils ne seront découverts qu'après la libération de Rome. Le massacre des Fosses Ardéatines, de par son ampleur et le contexte dans lequel il intervient, est devenu emblématique des atrocités allemandes commises en Italie pendant l'occupation allemande. Un débat fait toujours rage à propos de la réaction ambigüe de la Papauté, qui n'a pas condamné le massacre allemand mais à en revanche déploré l'attentat des partisans italiens. Le film Représailles, suivant le livre de Katz, montre que la Papauté était au courant des représailles allemandes mais n'a rien fait, même symboliquement, pour s'y opposer.
 

Cosmatos, le réalisateur, avait proposé au producteur Carlo Ponti d'adapter le livre de R. Katz à l'écran. C'est davantage un spécialiste du film d'action : il signera ensuite Bons baisers d'Athènes, Rambo 2 (sic) ou Cobra. L'image est donc plus parlante en générale que le scénario, cependant Cosmatos est parfois arrivé à marier les deux efficacement, comme c'est le cas ici. Servi par deux acteurs qui dominent largement l'ensemble (Burton et Mastroianni), le propos montre la barbarie dans son caractère le plus froid et inhumain : la bureaucratie SS. C'est ainsi que la mort de 330 personnes se décide sur des coups de téléphone, dans une comptabilité sordide pour le spectateur, mais pas pour les acteurs du crime, qui ne voient qu'une tâche bureaucratique. Le lien improbable entre le père Antonelli et Kappler naît d'ailleurs uniquement de leur passion commune pour l'art. La force du film de Cosmatos est également de montrer le massacre des Fosses Ardéatines de manière quasi documentaire. : les SS emmènent les condamnés dans les grottes et les exécutent à coups de pistolets dans la nuque, par groupes de 5. La dernière scène est particulièrement bouleversante, avec Kappler, dans le rôle du bourreau, qui se retrouve à devoir exécuter Antonelli, qui s'est volontairement approché des carrières pour se faire prendre. De la même façon, la scène d'attentat est particulièrement bien reconstituée. Pour une fois, Cosmatos n'avait pas sacrifié le fond à la forme, comme il le fera souvent par la suite.


Viewing all 1172 articles
Browse latest View live




Latest Images