Quantcast
Channel: Historicoblog (3)
Viewing all 1172 articles
Browse latest View live

Jean-Joël BREGEON, Napoléon et la guerre d'Espagne 1808-1814, Tempus 513, Paris, Perrin, 2013, 414 p.

0
0
Comme souvent, la collection Tempus réédite des ouvrages grand format parus chez Perrin antérieurement. C'est le cas avec ce livre de Jean-Joël Brégeon (que l'on baptise "historien" sans plus de précisions... et je n'ai pas trouvé mieux) consacre à la guerre menée en Espagne par Napoléon Ier. Une guerre qui a porté plusieurs noms, selon le camp, et que les Espagnols considèrent comme une guerre nationale, et ce jusqu'à la mort de Franco. Côté français, l'historiographie a selon lui longtemps pâti d'une limitation à la pure histoire diplomatique et militaire, jusqu'aux travaux de J. Tulard, J.-O. Boudon, T. Lentz et surtout de Jean-René Aymes, le spécialiste français du sujet. On a moins tendance à parler d'une défaite (et qui en plus s'inscrit dans la durée, et de manière fort compliquée)... malgré la guerre de Succession d'Espagne menée par Louis XIV, les liens entre les Bourbons sont ténus, et l'Espagne comme le Portugal passent pour la France des Lumières pour des pays arriérés... Napoléon lui-même témoigne une très grande méconnaissance de l'Espagne quand il finit par s'y engager en 1808. L'auteur prétend donc proposer une histoire un peu plus globale que de coutume, notamment en ce qui concerne le monde espagnol du XVIIIème siècle.



Les Français manquent d'ailleurs de cartes sur l'Espagne, pendant longtemps. Seul Soult a parcouru pendant la guerre la totalité ou presque de la péninsule. Pour les Français, l'Espagne sera "une autre Egypte", surtout parcourue à pied, et mal connue. Moins peuplée que la France, l'Espagne n'en compte pas moins des régions riches, Catalogne, Murcie. Les villes déclinent, mais restent dominées dans le paysage par l'Eglise, qui conserve sa puissance dans l'Espagne de la fin du XVIIIème siècle. La noblesse est très hiérarchisée. La "greffe" des Bourbons à partir de 1700 a finalement pris. Le roi Charles III, après avoir chassé les jésuites, tente de mettre au pas l'Eglise, de créer des manufactures, de coloniser les régions désertes. Barcelone et Cadix deviennent deux ports des plus dynamiques, le second comptant une importante présence étrangère -notamment française. Les Lumières pénètrent en Espagne malgré l'Inquisition, les ilustrados sont nombreux, mais les Espagnols connaissent surtout une crise identitaire. Le Portugal, depuis le XVIème siècle, s'est lié à l'Angleterre. Il vit grâce à l'or et à l'argent du Brésil. Le tremblement de terre qui ravage Lisbonne en 1755 est un choc. Les Anglais vampirisent littéralement l'économie portugaise, dans une alliance inégale. Ils sont très présents à Lisbonne et à Porto. L'Eglise a un poids supérieur à celui qu'elle a dans l'Espagne voisine. Le Portugal, qui tente de maintenir une certaine neutralité, est finalement contraint de s'engager contre la France révolutionnaire à partir de 1795. L'Espagne, depuis 1733, est alliée contre la France dans le cadre du "pacte de famille". Elle s'inquiète de la Révolution et l'hostilité s'épanouit après la prise des Tuileries et l'exécution de Louis XVI (1792-1793). Celle-ci compte néanmoins ses partisans, les afrancesados. L'Espagne de Godoy, engagée contre la France en 1793, négocie dès 1795, puis s'engage contre l'Angleterre l'année suivante. Pour faire pression sur le Portugal, Napoléon réussit à arracher l'appui espagnol pour mener la fameuse "guerre des Oranges", rapidement conclue. La situation avec l'Espagne reste tendue, notamment après la revente de la Louisiane aux Américains. Le 21 octobre 1805, Madrid perd une bonne partie de sa flotte aux côtés des Français, à Trafalgar. La victoire de Napoléon face à la Prusse (1806) et l'instauration du blocus continental font du Portugal, tête de pont anglaise, un enjeu crucial. En novembre 1807, un corps expéditionnaire français, mené par Junot, envahit le pays, mais ne peut empêcher la fuite du roi et de sa cour au Brésil, transportés par les Anglais. Junot doit gouverner le pays avec peu de moyens, alors même que le Portugal devient secondaire devant les événements qui se déroulent en Espagne. En juin 1808, Junot ne contrôle plus que Lisbonne. Les Anglais débarquent et sous la conduite d'Arthur Wellesley, battent les Français à Vimeiro, en août. Junot doit plier bagages. Cette première campagne porte en germes les caractéristiques de la défaite espagnole : déposition d'une dynastie légitime, méconnaissance de la géographie et des mentalités, manque d'une élite collaboratrice, troupes qui vivent sur le terrain, corps d'officiers pillards, interventions de l'empereur qui privent le commandement local de l'initiative.

Parallèlement Napoléon a concentré des troupes en Espagne, où Charles IV a été déposé par son fils Ferdinand. C'est surtout Talleyrand qui inspire la politique espagnole de Napoléon, mais il est opposé aux Bourbons. En avril 1808, il y a déjà 120 000 soldats français sur place, en Espagne et au Portugal. Murat prend la tête des troupes en Espagne, alors que la colère gronde parmi le peuple et que Napoléon évince les Bourbons dans le fameux "guet-apens de Bayonne". Le soulèvement des 2-3 mai à Madrid est à la fois spontané mais encadré par les partisans de Ferdinand. C'est véritablement le début de la guerre, avec bataille de rues et répression. Joseph, le frère aîné de Napoléon, monte sur le trône. La réaction antifrançaise est très violente, d'autant plus qu'une armée commandée par Dupont doit mettre bas les armes à Baylen, en juillet, ce qui inspire la résistance. Napoléon intervient donc personnellement dans une courte campagne, entre novembre 1808 et janvier 1809, disposant en tout d'un peu moins de 250 000 hommes. En face, la Junte Centrale n'aligne qu'à peine 100 000 soldats réguliers et doit lever de nombreux miliciens. L'empereur triomphe à Burgos, puis prend la revanche de Baylen à Tudela. La route de Madrid est ouverte après le franchissement des gorges de Somosierrra : la ville se rend le 4 décembre. Mais Napoléon quitte l'Espagne dès janvier 1809 et laisse à Soult le soin d'anéantir le corps britannique de 30 000 hommes qui s'est prudemment retiré. Saragosse incarne la résistance aux Français. La ville dispose d'importants effectifs et a été fortifiée, le clergé galvanise les défenseurs, les Français mènent le siège en deux fois ce qui renforce la détermination des assiégés, d'autant que le commandement français est tiraillé. Le premier siège, entre juin et août 1808, est infructueux. Le 20 décembre seulement, l'armée française revient devant la ville et Lannes assure bientôt le commandement. La ville tombe en février 1809 après des combats acharnés : 50 000 morts côté espagnol, au moins 3 000 tués et 5 000 blessés côté français. Les "joséphins" restent peu nombreux et le roi n'a pas les commandes au niveau militaire, sans compter que l'argent manque pour sa politique. On s'étonne en revanche de la diatribe de l'auteur sur les francs-maçons, qui auraient d'après lui permis la solidarité des militaires et les déprédations (pillages, etc) commises par les officiers.

En face, les patriotes combattent pour Ferdinand VII et forment des juntes. Mais la Junte Centrale, qui cordonne l'effort, met du temps à s'imposer. En outre, elle est fragilisée par l'insuccès militaire -bataille indécise de Talavera, où les Britanniques sont plus déterminants, défaite d'Ocana, respectivement 27-28 juillet 19 novembre 1809. Rejetés dans Cadix, les patriotes y sont assiégés entre le 5 février 1810 et le 24 août 1812. Le maréchal Victor doit prendre la place, gonflée de réfugiés et où se trouvent aussi des prisonniers de guerre français. Mais le siège piétine car la ville est ravitaillée et soutenue par la flotte britannique et Victor ne s'entend pas avec Soult. La levée du siège a un rôle symbolique et politique car elle conforte l'autorité de la Junte. Depuis 1808 cependant, des bandes armées mènent la guérilla. Elles recrutent large, souvent parmi les déserteurs, sont mal armées, sauf quand elles se mélangent aux troupes régulières, ce qui arrive fréquemment. Certains chefs, comme Mina, tiennent la dragée haute devant les Français. Les Espagnols n'ont pas à proprement parler inventé la guérilla. Dès 1756, Grandmaison théorise la "petite guerre", et les camisards avaient fait entrer la guérilla dans l'ère de la modernité, en quelque sorte. Pendant la Révolution, beaucoup d'officiers de Napoléon ont l'expérience des guerres en Vendée. Ils croient la retrouver en Espagne. Suchet, en Aragon, utilise dès 1810 les services de collaborateurs armés.

Pendant ce temps, les Britanniques, chassés du Portugal en janvier 1809, y reviennent dès avril. Wellesley prend la tête d'un corps expéditionnaire qui ne dépassera jamais les 40 000 hommes. Les Français reviennent cette année-là au Portugal avec Soult, puis Masséna. Wellingon se replie sur Lisbonne qu'il choisit de défendre par une série de lignes fortifiées, pour user les Français. Il faut un mois, entre juin et juillet 1810, pour que les Français s'emparent de Ciudad Rodrigo. Masséna va rester sans pouvoir rien faire devant les lignes fortifiées de Torres Vedras, jusqu'à la retraite de mars 1811. Des maréchaux de Napoléon envoyés en Espagne, Suchet se distingue quelque peu des autres. Soult, après son échec au Portugal, n'a plus la confiance de l'empereur. Il faut dire aussi que de nombreux généraux et maréchaux s'adonnent au pillage, notamment des oeuvres artistiques. Napoléon a envoyé Vivant Denon pour prélever sa dîme à destination du futur musée du Louvre. Les ventes se multiplient dans la première moitié du XIXème siècle et dispersent le patrimoine -l'Espagne réclamant aujourd'hui le retour de certaines pièces à la France. Pour Napoléon, cependant, dès 1811, l'Espagne n'est qu'un théâtre secondaire, puisqu'il se concentre sur l'Europe centrale et orientale. Wellingon bat Masséna à Fuentes de Onero. Ciudad de Rodrigo puis Badajoz tombent. Le 10 août 1812, Wellington entre dans Madrid. Il assiège ensuite Burgos mais doit bientôt se replier devant la contre-attaque de Soult, évacuer Madrid, puis retour à la case départ. Soult est limogé en février 1813, alors qu'est connue la nouvelle du désastre en Russie. L'évacuation de la capitale par Joseph, ses affidés et les soldats français se transforme en déroute à Vitoria, le 21 juin 1813. C'est la fin de l'Espagne française. Soult défend les Pyrénées mais Wellington entre sur le territoire national, combat devant Toulouse alors même que l'empereur a abdiqué (6 avril 1814). Revenu en Espagne en mai, Ferdinand VII refuse de signer la constitution de Cadix et entame une Restauration.

Pour l'auteur, la défaite en Espagne est due à la méconnaissance de Napoléon et à sa précipitation, puis à son désintérêt. En face, la guérilla face aux Français contribue à accélérer une prise de conscience nationale, qui a cependant bien du mal à s'affirmer face à la "petite patrie". Ferdinand VII rétablit l'absolutisme, et une expédition française, dès 1823, doit venir soutenir la monarchie espagnole en proie à la révolte... L'Espagne, privée de son empire colonial ou presque, se replie sur elle-même.

Le texte se complète par plusieurs annexes traitant de points particuliers (les "voyages en Ibérie", l'empire espagnol en Amérique, etc), de quelques documents, et malheureusement de deux cartes seulement placées en fin d'ouvrage (1810 et 1813 !) ce qui est loin d'être suffisant. La bibliographie ne comprend que les ouvrages secondaires, les mémoires et autres récits étant cités en notes. Cette bibliographie comprend à la fois des ouvrages français et espagnols (séparés par langue), avec un complément pour la période séparant la publication initiale de celle-ci. Au final, on est en présence d'un livre qui se présente comme une bonne introduction à l'intervention française en Espagne, mais moins comme un travail d'historien universitaire que comme celui d'un compilateur/vulgarisateur sur le sujet. L'essai d'histoire globale n'est qu'en partie réussi : les chapitres consacrés à la situation au XVIIIème siècle ne compensent pas la faiblesse de l'analyse sur les dimensions sociales et politiques de l'insurrection à partir de 1808. En outre, le récit révèle parfois des jugements de valeur ou des prises de position sur certains personnages (Joseph, les souverains espagnols et portugais, etc) qui font sortir le propos du travail d'historien à proprement parler, sans compter que l'auteur semble manifester une lecture parfois assez conservatrice des événements (multiples références à Bainville, et ce chapitre plus qu'étrange sur l'influence de la franc-maçonnerie...). Idéal pour s'initier mais à compléter, pour ma part en tout cas, par des travaux plus savants.





Que faire ?

0
0
Comme au mois de novembre de l'an passé, j'ai déjà reçu la lettre de l'Education Nationale qui me demande ce que je souhaite faire au terme de cette deuxième année de disponibilité. Je peux en solliciter une troisième (où je ne suis toujours pas payé, bien sûr) mais pour des raisons financières, cela me semble difficile. L'écriture en tant que pigiste dans la presse spécialisée (le secteur, comme partout, fait des économies en ne recrutant plus de postes fixes) et la rédaction d'ouvrages ne me permettent pas malheureusement d'avoir une situation financière saine. Non pas que les revenus ne soient pas parfois conséquents mais trop irréguliers (car souvent versés aussi après publication).

J'ai bien sûr l'option de la thèse, que je devrais mener sans financement indépendant, en retournant dans l'Education Nationale. J'ai un projet solide que j'aimerai voir aboutir, reste à le concrétiser, ce qui suppose peut-être, aussi, de demander un temps partiel ou un mi-temps pour mener à bien correctement ce projet, et ne pas négliger soit l'enseignement soi la thèse elle-même.

Néanmoins, si des lecteurs/blogueurs amis/autres personnes ont des propositions à me soumettre pour un autre emploi, qui me permettrait par exemple d'être détaché de l'Education Nationale pour exercer une fonction en rapport avec l'histoire, l'histoire militaire au sens large, je suis ouvert. Je parle de détachement car je suis résolu pour le moment à conserver le bénéfice des concours que j'ai obtenus, et en particulier de l'agrégation. A moins bien sûr de trouver un emploi hors Education Nationale à salaire équivalent ou supérieur, mais je ne rêve pas trop...

Merci d'avance.

La Syrie et ses Konkurs

0
0
Konkurs : ou AT-5 Spandrel en classification OTAN. Un missile antichar guidé introduit dans l'armée soviétique en 19741, l'équivalent du missile TOW américain. Ce premier missile antichar soviétique de seconde génération a été vu pour la première fois, monté sur des véhicules de reconnaissance BRDM, lors d'une parade sur la Place Rouge en novembre 1977. Il a beaucoup en commun avec l'AT-4 Spigot auquel il succède. Il porte jusqu'à 4 km et a une portée minimale de 100 m. L'allonge est doublée par rapport au Spigot de même que la vitesse du missile en vol. Filoguidé, le Spandrel est normalement conçu pour être tiré à partir de véhicules (BRDM-2 notamment) mais il sera après la chute de l'URSS beaucoup utilisé au sol par les fantassins.




Dès le mois de juin 2013, alors que le président américain Barack Obama décide d'appuyer plus nettement la rébellion syrienne soutenue par les Occidentaux, en réaction à des attaques utilisant des gaz de combat, les premiers Konkurs sont signalés dans la région d'Alep, probablement livrés par l'Arabie Saoudite qui a donc reçu le « feu vert » des Américains2. Les Konkurs sont notamment capables de venir à bout des T-72 de l'armée qui restent le poing blindé de Bachar el-Assad. Une partie des lance-missiles antichars et de leurs munitions vient probablement des stocks libyens3. Ces acheminements libyens (comprenant des missiles Konkurs mais aussi Kornet) auraient été réalisés pour leur part par des C-17 qataris, dont trois vols au moins ont été répertoriés en Libye cette année, les armes passant ensuite par la frontière turque4. Les sources pro-régime signalent également, au même moment, l'apparition plus massive des Konkurs (qui seraient d'origine bulgare et croate) : une arme que les Syriens connaissent bien5 puisqu'ils en ont reçus des centaines de l'URSS6. Selon les mêmes sources, la Russie aurait ensuite livré du blindage additionnel et des protections supplémentaires pour équiper les autres formations du régime à l'exception de la 4ème division blindée et de la Garde Républicaine, qui en bénéficient déjà en tant qu'unités d'élite et garde prétorienne. Le Konkurs, par ailleurs, peut aussi viser les hélicoptères et les appareils volant à basse altitude. Mais il est plutôt lourd et l'opérateur doit rester couché en permanence pour assurer la visée et le tir. On ne sait pas combien de lanceurs ont été acheminés depuis l'extérieur et les sources sont peu précises quant au nombre de munitions : l'une évoque 250 missiles, ce qui ferait 5 missiles pour 50 lanceurs, à supposer qu'on atteigne ce chiffre, ce qui reste tout de même fort modeste à l'échelle de la Syrie7. Il est vrai cependant que le mois de juin 2013 connaît une inflation des vidéos de l'insurrection montrant des destructions de chars ou de véhicules blindés par des Konkurs ou autres lance-missiles antichars (Sagger, etc)8.

Capture d'écran d'une vidéo du groupe Ahar al-Sham montrant un tir de Konkurs.-Source : http://www.janes.com/images/assets/437/23437/p1513437.jpg


Mi-août 2013, une dépêche de l'agence Reuters révèle l'utilisation par les rebelles syriens de missiles antichars Konkurs dans le sud de la Syrie, au sein de la province de Deraa9. Ils sont également employés au nord de Damas, à Laja, par la brigade Al-Mutasem Bi'Allah. Les Konkurs et leurs missiles ont été expédiés par l'Arabie Saoudite, qui craint à la fois le retournement de situation en faveur du régime mais aussi la montée en puissance des groupes liés à al-Qaïda. L'arrivée de ces lance-missiles antichars, qui transitent via la Jordanie, a gonflé le moral des rebelles, en particulier dans le sud. Jusqu'ici ce type d'armes provenait surtout d'ex-Yougoslavie ou des captures dans les dépôts de l'armée conquis par les rebelles. Ceux-ci complètent aussi leurs stocks en continuant de piller les dépôts pris à l'armée syrienne10. Le 2 août, les brigades de Liwa al-Islam et la Force Maghawir s'emparent ainsi de plusieurs stocks de munitions de l'armée syrienne dans les montagnes de Qalamoun, au nord de Damas. Des centaines de missiles Konkurs, Kornet, MILAN, Fagot sont capturés dans ce qui est probablement l'une des plus grandes prises de la rébellion, mais les lanceurs, eux, sont aux abonnés absents11.


Ci-dessous, vidéo d'Ahrar al-Sham (dont est tirée l'image ci-dessus) montrant un tir de Konkurs sur un char de l'armée le 19 juin 2013, dans la province d'Idlib.


  



Capture d'écran tirée d'une vidéo montrant le butin capturé lors de la prise des dépôts d'armes de Qalamoun, les 2-3 août 2013. Ici, des munitions pour Konkurs.-Source : http://4.bp.blogspot.com/-K44Ee8iWoto/Uf4RGBk-BzI/AAAAAAAAADI/GwZOWETs3ac/s640/Konkurs_2.png


Une analyse de Jane's publiée en août, et qui a étudié plus de 60 vidéos rebelles mettant en scène des lance-missiles antichars depuis juin 2013, a montré que le Konkurs est alors le système d'armes dominant. Il est utilisé principalement par les miliciens du Front de Libération Islamique Syrien, une coalition de salafistes plutôt modérés soutenus par le Qatar. Mais Liwa al-Tawhid, qui fait partie du Front Islamique Syrien, plus radical, reste le principal utilisateur du Konkurs. Les groupes plus modérés ou les brigades de l'Armée syrienne libre se servent encore plutôt du HJ-8 chinois, qui lui aussi est arrivé de l'extérieur plus massivement à partir de juin 2013. L'Etat Islamique en Irak et au Levant, qui a d'abord mis en oeuvre des Kornet -ou AT-14 Spriggan- capturés sur l'armée, commence dès juillet-août à utiliser des Konkurs, ce qui montre que le mouvement a des connections avec les réseaux qui fournissent ces armes ou les autres groupes rebelles. La plupart des vidéos mettant en scène des lance-missiles antichars sont tournées dans les provinces d'Alep et d'Idlib, preuve que ces armes transitent surtout via la Turquie12.

Le graphique de Jane's sur la période de juillet-août 2013. L'analyse ne vaut que par la représentativité des vidéos sur l'emploi des lance-missiles antichars. On remarque que l'Armée syrienne libre et le Front de Libération Islamique Syrien, plus modérés, utilisent davantage ces armes que le Front Islamique Syrien et et l'EIIL, tendance qui a changé quelque peu. En revanche, le Konkurs figure alors en place parmi les systèmes connus, à côté du HJ-8 chinois.-Source : http://yallasouriya.files.wordpress.com/2013/08/atgm-aby-quantity-province-large.jpg


Ci-dessous, tir de Konkurs par l'Armée syrienne libre.


  

En tout état de cause, et depuis fin août-début septembre, si l'utilisation de missiles antichars a pu assurer ponctuellement certains succès de l'opposition syrienne13 sur le terrain, il n'en demeure pas moins que leur emploi n'a absolument pas inversé le rapport de forces. L'introduction de ces armes plus modernes ne peut compenser l'initiative que le régime semble avoir reprise avec l'entrée en scène du Hezbollah et la reconquête de certains secteurs importants depuis mai-juin 2013. C'est pourtant à partir de ce moment-là que le Qatar, en particulier, a commencé à soutenir plus fortement le Front Islamique Syrien piloté par Ahrar al-Sham, un des groupes rebelles les plus puissants sur le plan militaire14. Né en janvier 2012, il a participé à toutes les offensives victorieuses depuis septembre de la même année, et notamment à la capture de la seule capitale provinciale prise jusqu'ici par la rébellion, al-Raqqa, le 4 mars 2013. C'est également, et cela va de pair, l'un des groupes les mieux armés. La livraison des missiles antichars guidés reflète donc, aussi, d'une certaine façon, la compétition entre les Etats du Golfe (Arabie Saoudite et Qatar), entre acteurs moyen-orientaux ou proche-orientaux (Egypte, Qatar) et occidentaux (Etats-Unis et, derrière, l'Arabie Saoudite). Elle en dit surtout beaucoup, au-delà d'informations éparses, sur les fractures de la rébellion syrienne.




Tir de Konkurs sur un T-72.
 

 



5200 lanceurs étaient encore opérationnels au début des années 2000, mais seulement 40 en 2005. http://www.globalsecurity.org/military/world/syria/army-equipment.htm
13Lors de la prise de la base aérienne de Minnagh, près d'Alep, le 5 août 2013 par exemple. Elle a été facilitée par l'action de Kornet mis en oeuvre par l'Etat Islamique en Irak et au Levant.
14 Aaron Y. Zelin et Charles Lister, « The Crowning of the Syrian Islamic Front », Foreign Policy, 24 juin 2013.

Jean-Paul THUILLIER, Les Etrusques. La fin d'un mystères, Découvertes Gallimard Archéologie 89, Paris, Gallimard, 2009 (1ère éd. 1990), 160 p.

0
0
Jean-Paul Thuillier, ancien membre de l'Ecole Française de Rome, est étruscologue et féru de sport. Sa thèse porte d'ailleurs sur le sport étrusque. Il est professeur à l'ENS d'Ulm et c'est lui qui signe ce volume Découvertes Gallimard sur les Etrusques.

L'Etrurie, disparue "officiellement" au Ier siècle de notre ère, mais en fait dès la conquête romaine du IIIème siècle av. J.-C., a été mythifiée par les empereurs romains, Auguste, Claude, ou Constantin, qui organise encore des jeux étrusques. Au XVème puis au XVIème siècle, les Toscans commencent à redécouvrir les Etrusques, et en font leurs ancêtres à des fins politiques. Le moine Annio du Viterbo spécule déjà sur leur langue, qu'il rapproche de l'hébreu (!). L'étruscomanie commence via les Anglais au XVIIème siècle, mais est encore peu présente au XVIIIème. Il faut attendre les premières fouilles et la fondation de l'académie étrusque de Cortone, en 1727, pour que le phénomène prenne de l'ampleur. Piranese commence à défendre l'origine autochtone des Etrusques, et l'abbé Lanzi, en 1789, publie un ouvrage qui remet enfin à plat le hypothèses les plus farfelues. Les fouilles sont incontrôlées au XIXème siècle, notamment dans les nécropoles de Vulci. La tombe Regolini-Gassi, découverte en 1836, livre une quantité d'or impressionnante. Une exposition a lieu à Londres l'année suivante. Dès lors l'engouement ne se dément plus, avec les visites, et surtout la fondation d'une vraie discipline scientifique. Le second congrès international étrusque en 1985 consacre l'intérêt pour les études étrusques, dominées en France par Jacques Heurgon et en Italie par Massimo Pallotino. La langue pose toujours problème malgré des espoirs vite déçus. A côté des tombes, on fouille aussi de plus en plus les villes.

En réalité, la culture des Villanoviens, proto-Etrusques, s'est épanouie en Italie au contact des colons grecs attirés par le fer de l'île d'Elbe. La civilisation se développe aux VIIème-VIème siècle, sans aucun mystère. Il n'y a pas d'unité politique du monde étrusque. Les Villanoviens, avec leurs urnes cabanes, ont donné naissance à ce monde. A la fin du VIIIème siècle, ce monde est dominé par des princes et l'on commence à distinguer des contacts avec l'Orient. On passe de l'incinération à l'inhumation (tumulus de Caere). Un système de clientèle se met en place ; les tombes se distinguent par l'orfèvrerie et les bijoux. L'écriture apparaît vers 700 av. J.-C. et on sait de mieux en mieux la lire, même si elle demeure parfois obscure.

L'Etrurie des 12 cités est à son apogée en Italie au VIème siècle avant notre ère. Elle influence fortement la naissance de Rome. Les lucumons semblent avoir dirigé les villes dans un système monarchique, avant de laisser la place à des magistrats (zilath). L'Etrurie a aussi ses tyrans tandis que les nécropoles révèlent l'émergence d'une classe moyenne. Production et commerce se développe ; les Etrusques de Caere, alliés aux Carthaginois, défont les Phéniciens lors de la bataille d'Allalia, au large de la Corse (540-535). Les ports sont particulièrement actifs. Les tombes se recouvrent de motifs plutôt gais, les Gaulois découvrent le vin grâce aux Etrusques. Plusieurs Etrusques sont d'ailleurs rois de Rome avant la République ; l'épisode montre aussi l'importance des femmes dans la société étrusque (Tanaquil).

Mais le déclin est proche. En 480, les Carthaginois sont battus à Himère par la nouvelle puissance montante, Syracuse. Six ans plus, c'est au tour des Etrusques d'être défaits sur mer devant Cumes par Hiéron. La perte de Rome empêche les liaisons avec les cités de Campanie. Les Syracusains mènent des raids contre les gisements miniers de l'île d'Elbe et de la Corse, d'où l'envoi d'un petit contingent étrusque aux Athéniens lors de l'expédition de Sicile de la guerre du Péloponnèse. Seules les cités de la plaine du Pô sont encore prospères. Mais bientôt les Romains poussent vers le nord (prise de Véiès en 396) tandis que les Gaulois déboulent au sud. Véiès tombe pour le contrôle des salines de l'embouchure du Tibre et les Romains pratiquent habilement l'assimilation. Les villes tombent une à une jusqu'à la prise finale de Volsinies, en 265-264, juste avant la première guerre punique.

Paysans, artisans, le cadre de vie étrusque est mal connu. Les fouilles se multiplient sur les villes et les palais aristocratiques pour en savoir plus. Les banquets sont fréquemment représentés dans les tombes. La musique et la danse sont également très présentes : les ludions sont à l'origine du théâtre romain. Les jeux étrusques empruntent aux Grecs, mais pas uniquement. Les courses de chevaux sont apparemment très prisées. Les spectacles rustiques sont aussi nombreux.

La romanisation, étroite, se fait notamment par l'implantation de colonies romaines. L'Etrurie reste assez fidèle à Rome pendant la deuxième guerre punique. C'est la partie nord et intérieure qui est la plus riche. L'Etrurie maritime est en déclin. La prospérité du IIème siècle av. J.-C. profite à la région. Pendant la guerre entre Marius et Sylla, l'Etrurie appuie massivement le premier, ce qui lui vaut des représailles et par contrecoup l'accélération de la romanisation.

Un volume d'introduction excellent, complété par la section Témoignages et Documents, avec des sources antiques, le point de vue des romantiques, des archéologues, un aperçu sur la langue et même sur les faux étrusques. La chronologie et la bibliographie complètent l'ensemble (p.152-153).

L'autre côté de la colline : la guerre d'indépendance d'Haïti (David François)

0
0
Aujourd'hui, le camarade David publie sur L'autre côté de la colline un énième article original sur notre blog collectif, consacré à la guerre d'indépendance d'Haïti (1802-1803). Saint-Domingue, la plus riche colonie des Antilles au moment de la Révolution, fonctionne grâce à l'apport de 500 000 esclaves déportés d'Afrique. Les troupes de Napoléon devront y affronter une guérilla meurtrière de par son climat tropical. Dominants sur le plan militaire en fin de compte, les Français ont perdu politiquement en voulant maintenir l'esclavage. Certains officiers tenteront plus tard en Algérie d'appliquer les méthodes de pacification inspirées de cette expérience pour conjurer l'expérience d'Haïti... bonne lecture.

La bataille d'al-Qusayr (19 mai-5 juin 2013)

0
0
L'assaut contre la ville d'al-Qusayr, en Syrie, a instauré un certain nombre de précédents dans le conflit syrien, et pour le Hezbollah qui en a été le fer de lance. La récupération par l'armée syrienne d'une ville tombée pendant plus d'un an entre les mains de la rébellion marque le début d'une contre-offensive pour reprendre des secteurs stratégiques du pays. La perte d'al-Qusayr a eu un effet significatif sur la rébellion, plus en termes symboliques et psychologiques que stratégiques, le tout combiné aux nouveaux succès du régime sur le terrain, à la timidité de la communauté internationale en ce qui concerne les livraisons d'armes et aux divisions de plus en plus criantes au sein des groupes rebelles. La bataille souligne aussi le rôle du Hezbollah, qui soutenait discrètement le régime syrien depuis plus d'un an. C'est la première opération offensive du Hezbollah en combat urbain, et malgré des pertes conséquentes et la montée des tensions au Liban, le mouvement chiite a continué à expédier ses combattants dans d'autres secteurs de la Syrie pour appuyer Bachar el-Assad.1 La bataille d'al-Qusayr souligne ainsi la régionalisation du conflit syrien2. Elle marque le début d'une nouvelle stratégie pour Bachar el-Assad, où l'armée régulière est désormais étroitement imbriquée avec les miliciens (Forces Nationales de Défense) et ses alliés extérieurs (Hezbollah), ce qui confirme une adaptation certaine par rapport à la situation qui prévalait encore quelques mois plus tôt.


L'implication du Hezbollah en Syrie (2011-2013)


Le Hezbollah, pour justifier de son intervention en Syrie, use de l'argument selon lequel il ne ferait que protéger les chiites libanais vivant dans le pays menacés par l'opposition, ou pour la protection de lieux saints comme le Sayyida Zaynab au sud de Damas. En réalité, ce dernier site sert depuis la décennie 1980 de point de transit pour les recrues chiites d'Arabie Saoudite vers le Liban ou l'Iran. 5 des responsables de l'attentat des tours de Khobar, qui vise l'US Air Force le 25 juin 1996 en Arabie Saoudite, sont passés par le Sayyida Zaynab.



Dès les premiers mois de l'insurrection en 2011, l'unité iranienne al-Qods et le Hezbollah fournissent un soutien pour contrer les manifestations contre le régime (snipers, équipement). Les preuves, notamment les enterrements de responsables militaires tués au combat, se multiplient à partir d'août 2012, et l'ONU annonce officiellement l'implication militaire du Hezbollah en Syrie quelques mois plus tard. Le mouvement chiite mène visiblement en Syrie une guerre sectaire qui reflète les tensions toujours en place au Liban. Le clan el-Assad a été un soutien du Hezbollah pendant la guerre au Liban et au-delà, même si Hafez el-Assad a souvent mis le hola par les armes, pour rappeler le mouvement à l'ordre. Mais le Hezbollah, en intervenant en Syrie, cherche aussi à protéger un corridor aérien et terrestre par lequel arrivent les armes et les munitions indispensables à la lutte contre Israël. Il faut absolument que le régime syrien se maintienne au moins dans la bande côtière alaouite pour que le Hezbollah puisse éventuellement y acheminer, par exemple, des MANPADS acquis en Europe ou en Amérique et qui seraient débarqués à Tartous, pour être utilisés contre des avions de l'Etat hébreu3.

Source : http://graphics8.nytimes.com/images/2013/05/28/world/HEZBOLLAH/HEZBOLLAH-articleLarge.jpg


Le Hezbollah assure aussi en Syrie une fonction d'entraînement et de formation qu'il maîtrise depuis bien des années. Deux de ses milices irakiennes forment des auxiliaires du régime. Le Hezbollah a ainsi contribué à mettre en place le Jaysh al-Shabi, le Liwa Abu Fadl al-Abbas (brigade al-Abbas) ou le Liwa Zulfiqar. La première est une milice directement liée aux forces armées syriennes, preuve que le régime syrien a su s'adapter en incoporant des groupes paramilitaires pour mener une véritable contre-guérilla. La bataille d'al-Qusayr verra l'intégration très étroite des forces régulières syriennes, des unités paramilitaires et des combattants étrangers dans un schéma que d'aucuns baptisent « guerre hybride »4. Les autres formations sont des surgeons du Hezbollah et des Gardiens de la Révolution iraniens. La brigade al-Abbas a joué un rôle important depuis septembre 2012, particulièrement au sud de Damas : elle comprend des membres du Hezbollah et ceux des deux milices irakiennes. Depuis le printemps 2013, le Hezbollah s'est engagé plus massivement pour combattre la rébellion syrienne, peut-être à hauteur de 3 ou 4 000 hommes.

Logo du Liwa Abu Fadl al-Abbas.-Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/9/98/LiwaAbuFadlal-Abbas_newlogo.png



Al-Qusayr : les enjeux et les préparatifs du siège


Al-Qusayr, au début de la guerre, est une ville de 30 000 habitants en majorité sunnites. Elle est à moins de 10 km de la frontière libanaise et à 25 km au sud-ouest de Homs, troisième ville de Syrie. Le terrain autour de la ville est relativement ouvert, avec de nombreux vergers et des champs bien irrigués par la rivière Assi. La population des environs de la ville est mixte mais on trouve une ceinture de hameaux, villages et fermes jusqu'à 6 km à l'ouest d'al-Qusayr peuplée de chiites libanais. La frontière avec le Liban est d'ailleurs relativement poreuse5.

L'importance de la ville réside dans cette situation : c'est un corridor logistique pour les rebelles entre le Liban et Homs. Au nord-est du Liban, la vallée de la Bekaa est en partie peuplée de sunnites plutôt favorables aux rebelles. En outre, la route principale reliant Damas au port de Tartous passe entre Homs et al-Qusayr. D'où le rôle stratégique de ces deux localités. L'armée syrienne a mis le siège une première fois devant al-Qusayr en novembre 2011, les premiers combats sérieux débutent trois mois plus tard et les rebelles sont maîtres de la ville en juillet 2012, les combats se déplaçant à l'ouest sur la ligne de fracture entre villages chiites et sunnites. Les habitants chiites libanais accusent d'ailleurs les rebelles de les chasser pour établir une « ceinture » sunnite, de brûler leurs récoltes et de détruire leurs maisons. Inversement, l'opposition syrienne proclame bientôt que le Hezbollah combat à l'ouest et au sud d'al-Qusayr en soutien du régime. Le 2 octobre 2012, Ali Nassif, un chef important du Hezbollah, est d'ailleurs tué près de la ville.

Le régime syrien cherche à reprendre le contrôle de l'ensemble de la province de Homs depuis son offensive contre la ville elle-même en février 2012. Début mai, les rebelles ne tiennent plus qu'un cinquième de Homs, tandis que les combats se poursuivent dans un autre cinquième de la localité. A la mi-décembre, l'armée a reconquis une bonne partie du terrain : seuls la vieille ville et les quartiers de Deir Balbaa et Khalidiya sont encore tenus par l'opposition. Fin décembre, Deir Balbaa est presque entrièrement reprise par l'armée. En mars 2013, une nouvelle offensive du régime vise les dernières places rebelles, mais ceux-ci reçoivent des renforts via al-Qusayr. A la mi-mars, l'opposition lance une contre-offensive à Babr Amr qui met en échec l'assaut du régime syrien. C'est à ce moment-là que l'armée et le Hezbollah décident d'en finir avec al-Qusayr, devenue la clé pour espérer faire tomber Homs6.

Source : http://understandingwar.org/sites/default/files/mapBlankMarch.png


A la mi-avril 2013, l'armée syrienne et le Hezbollah lancent un assaut coordonné pour nettoyer les villages autour d'al-Qusayr en vue d'un assaut en règle. Ils s'emparent de Tel Nabi Mindo, à 7 km au nord-ouest, une localité en surplomb qui permet de dominer le terrain plat environnant. Les villages à l'ouest et au sud-ouest de la ville sont progressivement sécurisés. En représailles, les rebelles syriens tirent des roquettes sur le district de Hermel de la vallée de la Bekaa, peuplé de chiites libanais. A la mi-mai, tous les environs de la ville ont été repris, sauf un corridor au nord, autour de la base aérienne abandonnée de Dabaa. L'armée syrienne a donc tiré les leçons des sièges précédents en tentant d'isoler complètement la localité7. Elle est en position au nord et à l'est de la ville tandis que le Hezbollah stationne à l'ouest et au sud.

Dans al-Qusayr, la plupart des défenseurs proviennent d'unités locales des villages ou des villes, essentiellement des bataillons Farouq, l'unité la plus puissante d'al-Qusayr. Cette formation fait partie du Front de Libération Islamique Syrien. C'est au départ une fraction des brigades Khaled bin Walid de Homs8. On estime qu'une quinzaine d'unités9 ont pris part à la défense d'al-Qusayr, regroupant quelques milliers de combattants (2 000 ?). Le conseil militaire d'al-Qusayr est dirigé par le lieutenant-colonel Mohieddin al-Zain, alias Alu Arab, mais la chaîne de commandement reste confuse. La présence du front al-Nosra, souvent évoquée, a probablement été exagérée par les médias, le régime faisant de tous les défenseurs des djihadistes à des fins de propagande10. Les rebelles sont plutôt bien pourvus en armes et en munitions, récupérées notamment sur la base aérienne de Dabaa : AK-47, RPG-7, mitrailleuses PK, canons bitubes de 23 mm, mortiers, roquettes de 107 et 122 mm. Les combattants divisent la ville en secteurs pour mieux organiser les préparatifs de défense. Des tunnels et des bunkers souterrains sont construits. Des barricades bloquent les rues. Les bâtiments sont piégés et les routes minées. Des explosifs artisanaux disposés en ceintures sous les routes et activés à distance doivent détruire les véhicules.

Source : http://i.alalam.ir/news/Image/original/2013/05/26/alalam_635051999112288162_25f_4x3.jpg


En face, le Hezbollah divise al-Qusayr en 16 secteurs d'opérations et attribue des numéros de code aux principaux repères et objectifs. C'est la pratique courante du mouvement pour protéger ses communications radios. Le Hezbollah a le contrôle tactique de la bataille, jusqu'à donner des ordres à des officiers syriens. 1 200 à 1 700 hommes sont engagés, pour la plupart des vétérans et membres des unités de forces spéciales du Hezbollah. Le mouvement aurait divisé ses forces en 17 groupes de 100 hommes. Pendant le combat, le groupe de base sera cependant l'escouade de 3 à 5 hommes. Normalement, chaque combattant sert une semaine sur la ligne de front, mais la durée est portée ensuite à 20 jours. Des reconnaissances méticuleuses sont conduites avant l'attaque et les sapeurs du Hezbollah commencent à déminer les bâtiments.


La bataille d'al-Qusayr


L'assaut débute le 19 mai 2013 après un bombardement d'artillerie et d'aviation11 suivi de la progression à l'ouest, à l'est et au sud du Hezbollah soutenu par l'armée syrienne. Au sud, les progrès sont rapides et les combattants atteignent la mairie. Un opposant affirme que le Hezbollah et l'armée contrôlent 60% d'al-Qusayr dès le premier jour de combats. Mais la bataille prend parfois un tour acharné : deux douzaines de combattants du Hezbollah sont ainsi tués dans une embuscade. La progression se fait alors plus méthodique. Les tirs de mortiers, en particulier, représentent une gêne considérable. Les combattants du Hezbollah essaient de coller au plus près de leurs adversaires pour réduire le tir des mortiers. Malgré le travail des sapeurs, ils évitent les portes et les fenêtres et percent des trous dans les murs pour passer de bâtiment en bâtiment, selon un procédé bien connu des troupes engagées en combat urbain. Ils découvrent parfois des IED qui ressemblent à ceux fabriqués par le Hamas, qu'avait formé le Hezbollah...



Ci-dessous, documentaire tourné par le régime syrien sur la bataille d'al-Qusayr. Le régime a parfaitement compris l'enjeu de la guerre de l'information et il est très présent sur le net. Cette vidéo ne montre pas la présence des combattants du Hezbollah, et les adversaires sont tous présentés comme des "terroristes" du front al-Nosra.



  



Source : http://understandingwar.org/sites/default/files/mapBlankMay.png


Soutenu par l'artillerie et l'aviation syriennes, le Hezbollah emploie aussi des RPG-7 et des fusils de précision Dragunov en combat rapproché. Pour disposer de plus de « punch », les combattants du mouvement chiite emploient des roquettes de 107 mm modifiées (baptisées plus tard IRAM, Improvised Rocket-Assisted Munitions12) capables de pulvériser un bâtiment ou de détruire une barricade. Les rebelles sont bientôt repoussés dans la partie nord de la ville : leur moral chancelant est affaibli par la pénurie de munitions, d'eau et de nourriture. Au deuxième jour de la bataille, des renforts arrivent de Babr Amr, à Homs. Le 2 juin, un groupe plus important composé de combattants de Deir as-Zor et d'Alep s'infiltre encore dans la ville. Le groupe aleppin est dirigé par le colonel Abdul-Jabber Mohammed Aqidi, qui commande le conseil militaire d'Alep13.

Le 3 juin, 14 commandants rebelles sur 17 votent pour le retrait. Le moral est trop flottant pour que la ville soit encore tenue. Les rebelles sont confinés sur une petite parcelle du nord de la cité, harcelés par les snipers. Les blessés ne peuvent plus être évacués ; les enfants doivent boire l'eau des égoûts, les habitants mangent les feuilles des arbres, les blessures s'infectent. Le chef des druzes libanais, Walid Jumblatt, tente de négocier avec le Hezbollah l'évacuation de 400 blessés, mais le pouvoir syrien refuse, tout en indiquant que le corridor au nord reste ouvert. Le 5 juin, un intense pilonnage pousse les rebelles vers ce corridor, via Dabaa et les villages environnants. Les survivants sont pris à partie par les mortiers et les mitrailleuses. Les plus chanceux atterrissent à Arsal, une ville libanaise sunnite dans la vallée de la Bekaa qui sert de noeud logistique à la rébellion.


 En face, l'Armée syrienne libre tourne elle aussi une vidéo sur les combats autour de Qusayr.


 


Source : http://understandingwar.org/sites/default/files/mapBlankJune.png



La guerre dans une nouvelle phase


La bataille d'al-Qusayr a duré plus longtemps que ne l'avait prévu le Hezbollah et lui a causé aussi davantage de pertes qu'escompté. On estime les tués à 70-120 au moins, avec un nombre de blessés plus important. C'est en tout les combats les plus violents, sans doute, depuis la guerre contre Israël en 2006. Les rebelles ont publié les noms de 431 de leurs soldats morts au combat mais le total est sans doute plus élevé. Le résultat était inévitable vu la disproportion des forces. Al-Qusayr, assez isolée des autres bastions rebelles, était difficile à ravitailler. En outre la proximité du Liban et la présence de villages chiites libanais avantagent le Hezbollah. C'est cependant un test grandeur nature de combat urbain pour le mouvement chiite, qui s'y entraîne depuis 2006 au Liban et en Iran. Au Liban, face à Israël, le Hezbollah avait mené une guérilla ; en 2006 il a parfois combattu dans un cadre urbain, mais en défense. Avec la bataille d'al-Qusayr, le mouvement a sans doute engrangé une bonne expérience de l'assaut en milieu urbain, sans compter qu'à côté des vétérans, une génération plus jeune qui n'avait pas connu les combats de 2006 a également été mise en ligne14.

Source : http://www.islamicinvitationturkey.com/wp-content/uploads/2013/05/Syria-ends-1st-phase-of-Qusayr-operation.jpg


C'est pendant la bataille d'al-Qusayr qu'Hassan Nasrallah a officiellement reconnu que des cadres militaires du Hezbollah combattaient en Syrie15. Par la suite, le mouvement déploie ses hommes dans les provinces de Deraa, Idlib, Alep et dans les faubourgs de Damas. E plus de marquer des points sur le corridor Damas-Tartous, la chute d'al-Qusayr fait capituler les défenseurs de Tel-Kalakh, au nord-ouest de la ville, assiégée depuis deux ans, et qui sait ne plus pouvoir résister à un assaut semblable. Le régime se retourne ensuite contre Homs et s'empare, le 29 juillet, du district central de Khaldiya dans la ville, la rébellion ayant fait le choix de sacrifier ce point pour mieux préserver le nord de la province d'Alep et les positions à Damas. Les rebelles se regroupent aussi dans les montagnes de Qalamoun, entre Damas et Homs, au nord de la capitale, en particulier autour de la ville de Yabroud. C'est d'ailleurs à Danha, dans les montagnes de Qalamoun, que les rebelles capturent le 2 août trois dépôts d'armes de l'armée syrienne comprenant de nombreux missiles antichars16. Néanmoins, la proximité de la frontière libanaise fait des montagnes de Qalamoun une cible de choix pour une offensive du régime et du Hezbollah, qui démarre effectivement le 15 novembre 2013. C'est la dernière portion de la frontière libanaise qui sert encore de corridor logistique aux rebelles, d'où son importance, car la chute des positions rebelles couperait largement le lien entre le Liban et l'opposition syrienne.

Carte de l'offensive de Qalamoun, au 17 novembre.-Source : http://3.bp.blogspot.com/-yktCFQ2mPN0/UolMDWOkOCI/AAAAAAAABHg/wiMxV7nYEPk/s1600/qalamounmap.jpg


Le succès du régime à al-Qusayr montre aussi qu'en dépit de l'érosion de l'armée régulière, et en particulier des unités d'élite fréquemment engagées (4ème division blindée, Garde Républicaine, 3ème division blindée...), la timidité du soutien occidental malgré les livraisons d'armes fait que l'attrition s'exerce davantage sur la rébellion que sur le régime syrien. En outre celui-ci dispose d'une aviation qui peut opérer encore largement à sa guise malgré l'apparition de MANPADS, et les blindés et autres véhicules blindés se montrent toujours efficaces si utilisés à bon escient17. Le régime syrien est passé de la défense de quelques localités stratégiques, pour éviter de disperser des forces limitées, à des offensives visant à isoler les centres rebelles de leurs alentours et de leurs voies de ravitaillement logistiques. Il a pris le risque de combiner ses atouts principaux (unités d'élite tirées de Damas, voire de la province de Deraa ; aviation ; infanterie d'élite du Hezbollah) pour frapper un coup puissant. C'est une manoeuvre au niveau opérationnel qui a des conséquences sur le plan stratégique dans la province de Homs18. Son succès a renforcé le soutien de ses alliés, Iran et Hezbollah, et a jeté le trouble chez l'opposition, dont les différentes composantes se rejettent la faute de l'échec et se déchirent de plus en plus depuis.


Bibliographie :


Nicholas Blanford, « The Battle for Qusayr: How the Syrian Regime and Hizb Allah Tipped the Balance », CTC Sentinel SPECIAL ISSUE . Vol 6 . Issue 8, 27 août 2013, p.18-22.

Can Kasapoğlu, The Syrian Civil War : Understanding Qusayr and Defending Aleppo, EDAM Discussion Paper Series 2013/8, 28 juin 2013, p.5.

Matthew Levitt et Aaron Y. Zelin, « Hizb Allah’s Gambit in Syria », CTC Sentinel SPECIAL ISSUE . Vol 6 . Issue 8, 27 août 2013, p.14-17.

Aron Lund, « The Non-State Militant Landscape in Syria », CTC Sentinel SPECIAL ISSUE . Vol 6 . Issue 8, 27 août 2013, p.23-27.

Elizabeth O’Bagy, The fall of al-Qusayr, Backgrounder, Institute for the Study of War, 6 juin 2013.



1Nicholas Blanford, « The Battle for Qusayr: How the Syrian Regime and Hizb Allah Tipped the Balance », CTC Sentinel SPECIAL ISSUE . Vol 6 . Issue 8, 27 août 2013, p.18-22.
2Elizabeth O’Bagy, The fall of al-Qusayr, Backgrounder, Institute for the Study of War, 6 juin 2013.
3Le 25 mai 2013 : Matthew Levitt et Aaron Y. Zelin, « Hizb Allah’s Gambit in Syria », CTC Sentinel SPECIAL ISSUE . Vol 6 . Issue 8, 27 août 2013, p.14-17.
4Can Kasapoğlu, The Syrian Civil War : Understanding Qusayr and Defending Aleppo, EDAM Discussion Paper Series 2013/8, 28 juin 2013, p.5.
5Nicholas Blanford, « The Battle for Qusayr: How the Syrian Regime and Hizb Allah Tipped the Balance », CTC Sentinel SPECIAL ISSUE . Vol 6 . Issue 8, 27 août 2013, p.18-22.
6Elizabeth O’Bagy, The fall of al-Qusayr, Backgrounder, Institute for the Study of War, 6 juin 2013.
7Can Kasapoğlu, The Syrian Civil War : Understanding Qusayr and Defending Aleppo, EDAM Discussion Paper Series 2013/8, 28 juin 2013, p.5.
8Les bataillons Farouq naissent dans la province de Homs à l'été 2011 et se distinguent pendant la bataille de Babr el Amr, à Homs, en février 2012. Le groupe s'est ensuite étendu à l'ensemble de la Syrie et a revendiqué 14 000 combattants. Il a connu des scissions au printemps 2013, certains membres fondant les bataillons islamiques Farouq. Aron Lund, « The Non-State Militant Landscape in Syria », CTC Sentinel SPECIAL ISSUE . Vol 6 . Issue 8, 27 août 2013, p.23-27.
9Près d'une vingtaine de brigades selon l'Institute for Study of War : brigades Farouq, brigade al-Haqq, bataillon Mughaweer, brigades Wadi, bataillon Qassioun, bataillon Ayman. Elizabeth O’Bagy, The fall of al-Qusayr, Backgrounder, Institute for the Study of War, 6 juin 2013.
10A la mi-mai, un important commandant d'al-Nosra, Abu Omar, aurait été tué à al-Qusayr avec plusieurs de ses subordonnés. Elizabeth O’Bagy, The fall of al-Qusayr, Backgrounder, Institute for the Study of War, 6 juin 2013.
11L'incapacité flagrante des rebelles à se prémunir de l'action de l'artillerie ou de l'aviation, ou de pouvoir y riposter de manière convaincante, joue un rôle certain dans leur défaite. Can Kasapoğlu, The Syrian Civil War : Understanding Qusayr and Defending Aleppo, EDAM Discussion Paper Series 2013/8, 28 juin 2013, p.4.
13D'après l'Institute for Study of War, les renforts comprennent la brigade Tawhid d'Alep, le bataillon Nasr-Salahaddin d'al-Raqqa et la brigade Ousra de Deir es-Zor. Elizabeth O’Bagy, The fall of al-Qusayr, Backgrounder, Institute for the Study of War, 6 juin 2013.
14Nicholas Blanford, « The Battle for Qusayr: How the Syrian Regime and Hizb Allah Tipped the Balance », CTC Sentinel SPECIAL ISSUE . Vol 6 . Issue 8, 27 août 2013, p.18-22.
15Le 25 mai 2013 : Matthew Levitt et Aaron Y. Zelin, « Hizb Allah’s Gambit in Syria », CTC Sentinel SPECIAL ISSUE . Vol 6 . Issue 8, 27 août 2013, p.14-17.
17Dans le domaine des blindés, il faut noter que malgré les pertes (un peu plus de 600 chars détruits à la mi-novembre 2013 selon certaines sources), l'armée syrienne doit compter plusieurs centaines de T-72, voire peut-être même un millier (elle en alignait de 1 500 à 1 700 avant la guerre, et en tout probablement de 4 à 5 000 chars, avec les T-54/55 et T-62, dont un certain nombre en dépôt). Le régime avait fait moderniser une centaine de T-72 par une firme italienne en 2003 (nouveaux système de contrôle de tir et de vision nocturne, blindage réactif) -122 chars selon certaines sources, de quoi équiper une brigade blindée ou 3 brigades mécanisées. Ces chars modernisés ont probablement été livrés à la 4ème division blindée (Maher el-Assad y commande la 42ème brigade blindée et, officieusement, la division) ou à la Garde Républicaine, qui comprend trois brigades mécanisées (104ème, 105ème, 106ème). Ces T-72 modernisés peuvent résister aux RPG-7 et à ses dérivés, mais moins aux lance-missiles antichars plus sophistiqués qu'à commencer à recevoir ou à récupérer sur les dépôts de l'armée la rébellion, Konkurs ou Kornet. Un certain nombre a déjà été perdu ou même capturé par les rebelles. Pour faire la décision contre les blindés, l'opposition devra aligner beaucoup plus de systèmes d'armes antichars performants et les utiliser dans des conditions de combat optimales. Can Kasapoğlu, The Syrian Civil War : Understanding Qusayr and Defending Aleppo, EDAM Discussion Paper Series 2013/8, 28 juin 2013, p.8.
18Jeffrey White, « The Qusayr Rules: The Syrian Regime's Changing Way of War », The Washington Institute, PolicyWatch 2082, 31 mai 2013.

Peter TREMAYNE, Le cavalier blanc, Grands Détectives 4764, Paris, 10/18, 2013, 378 p.

0
0
Eté 664. Soeur Fidelma, après avoir résolu une enquête difficile à Rome au service du pape, s'est embarquée pour Marseille en laissant frère Eadulf afin de rejoindre la route des pèlerins. Son navire est cependant bloqué par la tempête à Gênes. Venant au secours d'un moine agressé par deux mystérieux spadassins, elle décide de gagner l'abbaye de Bobbio, maison-mère de ce dernier, et qui abrite aussi l'un de ses anciens maîtres, frère Ruadan. Mais le chemin jusqu'à Bobbio va se révéler semé d'embûches...

On ne présente plus Peter Tremayne, pseudonyme de Peter Berresford Ellis, auteur prolifique des enquêtes de la religieuse irlandaise dans les îles britanniques et l'Europe du VIIème siècle de notre ère. Ce 22ème volume (moins deux si l'on compte les deux recueils de nouvelles intercalés) a la particularité de proposer un retour en arrière. Comme l'auteur l'explique lui-même, l'idée lui en est venu à un colloque à propos de son oeuvre qui s'est tenu en 2008 dans l'abbaye de Bobbio, fondée par un moine irlandais des plus célèbres, Colomban, qui apparaît fréquemment (en citation) dans les aventures de Fidelma. D'où une histoire intercalée entre le deuxième volume, Le suaire de l'archevêque, où l'Irlandaise s'occupe d'un meurtre important à Rome, et Les Cinq Royaumes, dont l'intrigue se passe à nouveau en Irlande. Nous sommes donc à l'été 664, entre ces deux épisodes.

Comme toujours, ça fonctionne plutôt bien, même si on remarque une certaine continuité dans le schéma, à force... et il manque toujours autant de plans pour pouvoir se situer (abbaye de Bobbio, château de Vars, etc). Simplement, le contexte italien remplace le contexte irlandais avec l'affrontement entre ariens et nicéens, et entre Lombards. Bref, ça se lit bien, comme de coutume, à défaut d'être complètement original.





Jean-Christian PETITFILS, Louis XIV, Tempus 8, Paris, Perrin, 2002, 775 p.

0
0
Le Louis XIV de Jean-Christian Petitfils (à la couverture refaite ci-contre) était l'un des premiers ouvrages de la collection de poche en histoire de Perrin, Tempus, en 2002. L'auteur est d'ailleurs docteur en sciences politiques, écrivain, et seulement licencié en histoire-géographie, plutôt qu'historien à proprement parler. Ce qui n'enlève rien à l'intérêt de l'ouvrage, pour le coup. Mais il est utile de le préciser, M. Petitfils étant un auteur prolifique par ailleurs sous cette appellation. 

Comme le souligne Pierre Goubert dans la préface, l'écrivain a choisi de faire une histoire politique de Louis XIV, mais en tenant compte notamment des nombreux travaux étrangers en plus de l'incroyable bibliographie française sur le sujet. Il se sert de sa bonne connaissance du droit et des institutions (derrière des historiens spécialisés sur le sujet comme R. Mousnier) pour défendre l'idée selon laquelle la monarchie n'était pas fondamentalement "absolue", et que Louis XIV n'a commencé à gouverner effectivement qu'en 1691, après s'être appuyé sur de puissants ministres et leurs réseaux. Ce qui n'empêche pas M. Petitfils de rappeler l'inutilité de la guerre contre la Hollande, par exemple. En revanche, il souligne aussi que Louis XIV n'a en rien renouvelé la vieille machine administrative du royaume : en particulier la question des offices, et celles, très importante, du problème fiscal.

Pour l'auteur, un des grands événements à mettre au passif de Louis XIV dans le bilan, c'est la bulle Unigenitus, qui ravive la crise janséniste. Paradoxalement elle désacralise la fonction royale qui avait atteint une sorte d'apogée avec Louis XIV, alors même que la catholicisation du royaume s'achève sous son règne. Le roi a dû pactiser avec certains groupes sociaux même s'il a renforcé la majesté de son pouvoir. La mentalité féodale décline mais la haute aristocratie triomphe. Louis XIV a tiré le meilleur parti du système existant, mais celui-ci avait ses limites. La France est alors l'un des Etats les plus puissants d'Europe mais peine à mobiliser ses moyens efficacement en cas de guerre, par exemple. La crise structurelle la plus visible est celle des finances, mais au tournant du XVIIIème siècle, on voit la France manquer, aussi, sa modernisation économique là où l'Angleterre l'entame et prend les devants, assez rapidement. Louis XIV a cependant accouché l'Etat moderne du royaume de France, il l'a incarné pendant son règne.

Une lecture dense et intéressante, on a plaisir notamment à relire les pages sur la révolte des Bonnets Rouges, au vu de l'actualité.




Yann et Romain HUGAULT, Le pilote à l'Edelweiss, tome 3 : Walburga, Editions Paquet, 2013, 48 p.

0
0
1918. Alors que les Zeppelin-Staaken R.VI bombardent Paris, l'on découvre enfin le fin de mot de l'histoire avant-guerre qui a conduit au drame entre les deux frères jumeaux, Henri et Alphonse Castillac. Alors que celui-ci, à bord d'un Spad XIII, affronte les premiers Fokker E. V monoplans allemands dans les cieux, Henri se remet de ses blessures subies dans les chars... le dénouement est proche.

Yann et Hugault mettent avec ce troisième tome la touche finale à cette série dédiée aux combats aériens de la Grande Guerre, pendant du Grand Duc sur le front de l'est pour la Seconde Guerre mondiale. On sera peut-être un peu déçu, finalement, quand on relit l'ensemble, par la simplicité du scénario et son côté "tout est bien qui finit bien". Il y a beaucoup de méandres dans les deux premiers tomes qui ne sont finalement résolus que dans le troisième. C'est bien pour le suspense, mais un peu déroutant. Au-delà d'un réalisme sans doute parfois un peu écorné, les planches du dessinateur sont tout simplement magnifiques. Hugault, depuis ses débuts, a pour le coup dépoussiéré le genre. Et il y a toujours autant de femmes dénudées également, ce qui en ravira certains.



A la veille du centenaire de la Grande Guerre, on ne peut que se plonger dans cette série qui prend un soin méticuleux à reconstituer les détails des appareils ou des autres armements : du Zeppelin-Staaken au Spad XIII (voir les intérieurs de couverture) aux masques à gaz, sans parler du combat de boxe avec Carpentier ou de l'évocation de l'exploit de Charles Godefroy le 14 juillet 1919, tout y est. De quoi en mettre plein la vue.






« Le feu qui semble éteint souvent dort sous la cendre. ». Réflexions sur l'opposition armée en Syrie et l'exemple de la brigade Al-Tawhid

0
0
La guerre en Syrie non seulement s'est inscrite dans la durée mais se fait de plus en plus complexe au fil des mois. La contre-offensive globale du régime déclenchée au printemps 2013 semble redonner l'avantage à Bachar el-Assad ; ses forces intérieures et ses soutiens extérieurs paraissent aujourd'hui beaucoup plus cohérents que ceux de l'opposition. Celle-ci avait su pourtant s'adapter pour devenir une véritable insurrection armée et mettre en grande difficulté le régime à la fin 2012. Cependant, les avantages qui avaient alors fait sa force se retournent contre elle : l'absence d'unité, la question du soutien extérieur et l'intervention de combattants étrangers sont des problèmes sensibles, auxquels l'insurrection tente désespérement d'apporter une réponse. La brigade al-Tawhid, qui opère surtout dans la province d'Alep, est à la fois une bonne illustration de l'évolution de l'insurrection armée et en même temps le reflet de son extrême fragmentation, de sa diversité aussi, derrière les grandes catégories fréquemment employées, y compris par moi-même.


L'évolution de l'insurrection armée en Syrie (2011-2013)


L'opposition militaire au régime syrien est une force émergente. Partie de rien ou presque, quelques déserteurs de l'armée et beaucoup de volontaires sans expérience, elle est devenue une force armée capable de disputer certains secteurs géographiques au régime de Damas. Cependant, celui-ci dispose depuis le départ d'avantages certains, et après un moment de flottement, il a réussi lui aussi à s'adapter au défi posé par l'insurrection armée. Celle-ci ne peut désormais plus se contenter d'attaquer les positions isolées ou d'abattre les appareils de l'armée un par un : il lui faut maintenant monter des opérations plus complexes, répondre aux offensives du régime, amasser les armes, en particulier lourdes, pour contrer les blindés, l'artillerie et l'aviation de l'armée syrienne1.


 

Au départ, de mars à l'été 2011, l'armée syrienne a d'abord mené des opérations de maintien de l'ordre face à des manifestants sans armes, qui progressivement se sont équipés et ont commencé à représenter une réelle menace à partir de janvier 2012. Dès le départ, l'armée a utilisé la manière forte en employant les chars et l'artillerie. Au printemps 2012, elle mène plusieurs opérations multi-brigades pour nettoyer des poches rebelles à Homs ou dans les environs de Damas. Au même moment, et jusqu'à l'été, les rebelles lancent également des offensives qui leur permettent de s'implanter dans plusieurs régions du nord (provinces d'Idlib, d'Alep et al-Raqqa en particulier) et de l'est (Deir es-Zor). Le régime a beau employer son aviation et des missiles sol-sol, les rebelles parviennnent à se maintenir y compris aux alentours de Damas et dans la province de Homs. Ils combattent au coeur de Damas, sont retranchés autour de la ville, s'emparent de morceaux des provinces de Deraa, Kuneitra et Hasaka, disputent la province de Hama et sont même présents au nord de Lattaquié, dans le sanctuaire alaouite du régime. Seules Suwaydda et Tartous sont complètement contrôlées par le régime. Les rebelles ont été dopés par l'augmentation des effectifs, l'accumulation d'une certaine expérience, l'arrivée d'armes et de munitions de l'extérieur et les prises réalisés sur le régime. Des véhicules civils sont « bricolés » pour embarquer des armes, dans la tradition des technicals. On voit en outre les unités de départ, très territoriales, évoluer en formations plus composites, à bataillons multiples, et se regrouper en coalitions débordant le cadre géographique local. Des « opérations » regroupent à la fois des forces territoriales et composites pour s'emparer d'objectifs précis, avec la coordination parfois de plusieurs coalitions différentes. Les unités régulières de l'armée syrienne subissent des coups et doivent bientôt recourir à des auxiliaires et des miliciens, regroupés ensuite dans les Forces Nationales de Défense.

Source : http://4.bp.blogspot.com/-s9F7blnP15Y/T6qfjqKxq_I/AAAAAAAAB6Y/9zKOXXtyr6I/s1600/homs_111115_update-729853.jpg


Une transition se réalise au printemps 20132. Le régime survit à la période critique de novembre-décembre 2012, où les rebelles sont aux portes de Damas, et mène la contre-attaque au printemps en prenant la ville d'al-Qusayr dans la province de Homs3, puis en remportant d'autres succès aux alentours et dans les provinces d'Idlib, de Deraa et de Rif Dimashq. Le sursaut du régime est dû à plusieurs facteurs : la puissance de feu (artillerie et aviation) est mieux employée avec le gain d'expérience ; un nombre important d'irréguliers suffisamment entraînés a été incorporé dans la structure des forces armées pour être utilisés aussi bien pour la défense que pour l'attaque ; enfin, l'intervention directe d'alliés du régime dans les combats, Hezbollah à al-Qusayr, mais aussi milices irakiennes, et plus discrètement, l'Iran.

Source : http://www.lefigaro.fr/medias/2013/06/05/PHOfdb85c2c-cddc-11e2-8cc0-250b4c65501d-805x453.jpg

Le conflit prend alors un tour de plus en plus sectaire, opposant les sunnites aux chiites et aux alaouites ; le soutien extérieur revêt une place de plus en plus importante, de même que l'emploi des armes lourdes ; les deux camps sont capables de soutenir de violents combats mais les pertes montent aussi. Jusqu'ici, le combat avait été très local. Mais l'offensive du régime contre al-Qusayr fait changer le conflit d'échelle : on assiste là à une manoeuvre qui n'est pas sans rappeler l'opératif, pour des buts stratégiques visant l'ensemble de la province de Homs et même au-delà, puisqu'il s'agissait peut-être ni plus ni moins que de dégager les approches nord, et sud (manoeuvres dans la province de Deraa) de Damas pour sécuriser la liaison avec la bande côtière alaouite. La réponse de l'insurrection a aussi été de plus grande ampleur que d'habitude. A l'est d'Hama, elle lance une opération pour retenir les forces du régime, tandis que des contingents d'Alep et d'al-Raqqa partent défendre al-Qusayr. La coalition islamiste présente au nord de Lattaquié bat le rappel des groupes au nord de la Syrie. Mais l'insurrection n'a tout simplement pas de stratégie cohérente faute d'être unie4.

L'insurrection armée est très fragmentée. Quelques groupes sont disciplinés, tactiquement compétents, d'autres beaucoup moins. Les unités recrutent dans toutes les strates sociales, d'abord, souvent, sur une base locale. Certaines comptent des déserteurs de l'armée. Beaucoup sont structurées autour de l'islam. Les minorités sont présentes mais l'insurrection demeure majoritairement sunnite. Le spectre idéologique est très large, des nationalistes syriens laïques aux djihadistes salafistes. Les unités se désignent souvent comme katiba ou liwa, équivalents de bataillon ou brigade, mais le format est très variable. Le Conseil Militaire Suprême de l'Armée syrienne libre n'a qu'une autorité toute théorique : la plupart des opérations sont menées par les coalitions idéologiques (Front de Libération Islamique Syrien, Front Islamique Syrien, etc) ou les plus puissantes formations territoriales (brigade al-Tawhid, Liwa al-Islam, etc). L'armement antichar s'est renforcé par apport extérieur dès janvier 2013, et les armes lourdes de prise sont plus nombreuses aujourd'hui. En outre les rebelles ont su faire preuve d'un grand savoir-faire pour fabriquer des armes artisanales, notamment des pièces d'artillerie utilisés dans un rôle de harcèlement ou d'interdiction.

Un HJ-8 chinois utilisé contre la base aérienne de Minnagh.-Source : http://4.bp.blogspot.com/-w3QninbzzdE/UcSDQ-R9TTI/AAAAAAAAAcQ/1g9xzD5KJGM/s1600/hj-8.png


Initialement, la fragmentation de l'opposition armée a été un avantage, du printemps 2012 au printemps 2013, car le régime a été débordé : il a dû parfois disperser ses maigres unités régulières pour contrer des menaces multiples. Mais quand le régime change de stratégie, une fois qu'il a les moyens de conserver certaines zones clés et de cibler certains objectifs de choix, l'absence de stratégie coordonnée de l'insurrection devient un handicap. Les rebelles mettent le siège devant les installations militaires, mais le problème est que les sièges sont longs et peuvent permettre au régime de débloquer la situation de l'extérieur ou de renforcer les assiégés. L'attaque de postes plus petits est généralement couronnée de succès et fournit des armes et des munitions. Les armes lourdes capturées ont pour l'instant été utilisées dans ce cadre : les chars retournés par exemple n'affrontent pas trop leurs homologues de l'armée. En défense, les rebelles ont su improviser des systèmes défensifs qui ont parfois coûté cher au régime, dans les faubourgs de Damas ou dans la province de Deraa. La guerre est davantage une guerre de positions que de mouvement, où le combat urbain joue un rôle dominant. Or le régime dispose de davantage de puissance de feu et d'une capacité du génie que n'ont pas forcément les rebelles5.

L'usure des forces est donc importante : en moyenne, 52 morts pour les rebelles et 32 pour les soldats réguliers du régime par jour entre mars et juillet 2013, selon l'Observatoire Syrien des Droits de l'Homme. Les pertes en matériel du régime ont également été conséquentes, mais ne semblent guère avoir affecté sa capacité à mener des opérations. Plus que les pertes du fait de la DCA, c'est bien plutôt la capture des bases aériennes qui a conduit à la destruction ou à la captures d'avions ou d'hélicoptères. Les pertes en chars et en véhicules blindés, encore importantes au début 2013, se sont réduites drastiquement depuis. En revanche, l'artillerie du régime n'a été que fort peu touchée et reste un atout de taille pour l'armée syrienne.

Source : http://i.telegraph.co.uk/multimedia/archive/02135/SYRIA3_2135572i.jpg



Naissance de la brigade al-Tawhid


La brigade al-Tawhid ((Liwa al-Tawhid, brigade de l'Unité) a été formée le 18 juillet 2012 par la fusion de plusieurs groupes armés rebelles combattant dans le nord de la province d'Alep, près de la frontière turque. Elle rejoint plus tard le Conseil Militaire Révolutionnaire d'Alep et de ses environs, dirigé par le colonel al-Aqidi. Elle joue également un rôle important dans la création du conseil de la charia d'Alep avec le front al-Nosra et Ahrar al-Sham, le premier groupe se retirant plus tard de l'organisation6.

Des membres d'Al-Tawhid à Alep, septembre 2013.-Source : http://s1.lemde.fr/image/2013/09/30/534x267/3487111_3_5caa_des-membres-d-al-tawhid-a-alep-le-18_14de047efa6a12097365dd0bd5924466.jpg


La brigade al-Tawhid aurait regroupé 35 bataillons et 3 500 hommes au début août 2012, selon les déclarations de la formation elle-même. Même si les chiffres sont exagérés, la brigade dispose certainement déjà, à ce moment-là, de plus d'un millier d'hommes7. Il est possible qu'elle est progressivement remplacée la brigade Ahrar al-Sham comme principal volant militaire du Conseil Militaire Révolutionnaire d'Alep. La formation se divise en trois sous-unités : la brigade Fursan al-Jabal combat au sud-ouest de la province d'Alep, près de la frontière avec la province d'Idlib et la ville d'Atareb. La brigade Daret Izza opère à l'ouest d'Alep, en raison de l'origine de ses membres, qui opéraient sur place précédemment. Enfin, la brigade dispose de bataillons d'Ahrar al-Sham qui sont intégrés dans sa structure.


Ci-dessous, reportage de Chivers à Alep avec Abdelqader Saleh, le chef d'Al-Tawhid, à Alep, en février 2013.


La brigade al-Tawhid s'est montrée particulièrement utile pour coordonner les efforts de l'opposition armée dans la province d'Alep. La déclaration initiale au moment de la création de l'unité fixe les objectifs : défaire le régime d'Assad, protéger les civils et la propriété privée et rendre la justice pour ceux qui se rendent coupables de mauvais traitements contre les civils. Peu après, la brigade établit deux prisons, l'une à l'ouest et l'autre au nord d'Alep. Les soldats du régime capturés ont le droit de se défendre devant un tribunal et même de recevoir la visite de leurs parents. Ces procédures montrent le degré de discipline des groupes rebelles au nord de la province d'Alep. Malheureusement, la brigade ne semble pas avoir pu faire appliquer ces principes dans tous ses bataillons, qui pour certains conservent leur orientation propre. Le journaliste du New York Times J.C. Chivers, qui a pu observer l'unité, la décrit comme « un mélange de discipline paramilitaire, de politique civile, de loi islamique, le tout teinté par les nécessités de la froideur du champ de bataille et de la ruse pure et simple ». Chivers assiste ainsi à la manoeuvre contre un membre des shahiba condamné par le tribunal, auquel ses geôliers font croire qu'il va être relâché alors qu'il piège son camion avec 300 kg d'explosifs...

Dès avril-juin 2012, les rebelles essaient de conforter leur mainmise sur le corridor de Kilis, au nord d'Alep, où se trouvent la ville d'Azaz, à 6 km de la frontière turque, point d'entrée des armes et de la logistique extérieure, et la base aérienne de Minnagh, où stationne alors une escadrille de Mi-8 Hip et sans doute des Mi-24 transférés de bases du sud de la Syrie8. C'est une épine dans le flanc des rebelles pour le contrôle du nord de la province d'Alep. Le 23 mai, l'armée lance une offensive contre Azaz, repoussée par les rebelles trois jours plus tard ; le rôle d'Ahrar al-Sham a manifestement été déterminant. Une autre offensive, entre les 2 et 19 juillet 2012, échoue également, notamment sous les coups de l'armement antichar de plus en plus important des rebelles. Un responsable de la brigade al-Tawhid déclare à cette occasion avoir reçu 700 projectiles antichars de RPG, 300 armes légères et 3 000 grenades en deux cargaisons expédiées par la Turquie et les Etats-Unis. Fin juillet, la ville d'al-Bab, à l'est d'Alep, puis celle d'Anadan tombent, ouvrant la voie à la pénétration directe d'Alep. 

Ci-dessous, les missiles antichars guidés utilisés par la brigade.





La création de la brigade al-Tawhid correspondrait peut-être à une manoeuvre encadrée par la Turquie, qui vise à introduire des combattants rebelles au coeur d'Alep. Al-Tawhid sélectionne les combattants d'élite et les fait rentrer dans la ville par le nord, par groupes de 200 hommes. Le régime déplace une colonne de blindés pour bloquer l'infiltration et les combats commencent : 3 chars sont détruits et un autre capturé. Les hommes de la brigade se réfugient dans Bab al-Nayrab, où ils doivent affronter le clan Berri, favorable au régime. Les combattants capturent, torturent et exécutent Zayno Berri, l'accusant d'être le chef des shahiba locaux au service d'Assad. L'incident est violemment dénoncé par Amnesty International en août 20129.

Source : http://www.armyrecognition.com/images/stories/news/2012/august/Free_Syrian_army_soldiers_in_Aleppo_12_August_2012_001.jpg


La brigade Nur al-Din al-Zanki est entrée parallèlement dans le faubourg Salahuddin d'Alep. Le front al-Nosra a placé des combattants sous la bannière de la brigade al-Tawhid. Les rebelles s'emparent de la plupart des faubourgs d'Alep et maintiennent une présence armée, même si une contre-attaque de l'armée les rejette de certaines positions. La brigade Nur al-Din al-Zanki se retire finalement du commandement de la brigade al-Tawhid et part combattre à l'ouest d'Alep ; cette dernière investit alors les faubourgs et commence à encercler la caserne Hanano. Le front al-Nosra s'empare de la caserne avec les combattants de Tawhid, mais une contre-offensive de l'armée appuyée par des chars, l'artillerie et l'aviation les en chasse, même si les deux groupes ont pu emporter les armes et les munitions qui y étaient entreposées. C'est alors que le combat se déplace dans la vieille ville d'Alep.

La brigade al-Tawhid serait soutenue par les Frères Musulmans syriens. Elle a de bonnes relations avec les salafistes, avec lesquels un de ses membres, Mareh, sert d'intermédiaire. C'est d'ailleurs une des brigades qui coopère le mieux avec d'autres groupes armés qui n'ont pas les mêmes orientations. Certaines sources considèrent l'unité comme la meilleure chance de rapprochement entre un islam politique tel qu'il peut être incarné par les Frères Musulmans (soutenus par la Turquie et le Qatar) et les salafistes (appuyés par l'Arabie Saoudite et le Koweït). La brigade ne se limite pas qu'à la simple dimension militaire : elle a créé une fondation médicale et même un centre de médias. Elle comprendrait 38 régiments avec 11 000 combattants, ainsi que plus de 10 000 administrateurs civils. Elle dispose également de sa propre prison et de son tribunal islamique. En août 2012, elle a créé aussi un Bureau de la Sécurité Révolutionnaire10.


En première ligne pour tenter d'unifier l'insurrection armée


C'est en janvier 2013 que la brigade al-Tawhid rejoint le Front de Libération Islamique Syrien, créé en septembre 2012, et qui revendique à la mi-2013 de 35 à 40 000 combattants11. Cette coalition comprend notamment les bataillons Farouq, qui opèrent dans toute la Syrie après avoir émergé à Homs ; les bataillons islamiques Farouq, surgeon du précédent, qui sont surtout à l'oeuvre dans la région de Homs et de Hama ; la brigade Fath à Alep ; la brigade de l'Islam, surtout à Damas ; les brigades Suqour al-Sham, que l'on trouve essentiellement dans la province d'Idlib ; et le Conseil Révolutionnaire de Deir es-Zor, une coalition de groupes rebelles présents dans l'est du pays.

Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/f/f8/Syrian_Liberation_Front_Logo.jpg


La brigade al-Tawhid est moins présente dans les médias pendant l'année 2013. Certains parlent d'un affaiblissement,, de problèmes d'entraînement et de discipline. D'autres groupes attribueraient même des actions à la brigade pour se rendre moins visibles... pourtant celle-ci a bien contribué, en juin 2013, à la défense d'al-Qusayr. Le 17 novembre 2013, Abelqader Saleh, le chef militaire de la brigade al-Tawhid, meurt de ses blessures en Turquie après avoir été blessé lors d'un raid aérien de l'armée sur une caserne où l'unité tenait une réunion importante. Trois des commandants de divisions sont également tués et le chef politique de la brigade, Abdelaziz Salame, est blessé12.

Abdelqader Saleh, le chef militaire d'Al-Tawhid, tué en novembre 2013 après un raid aérien de l'aviation syrienne.-Source : https://pbs.twimg.com/media/BZT-LsiCIAAxGg6.jpg


Saleh était l'un des fondateurs de la brigade en juillet 2012. La plupart avait déjà l'expérience des manifestations contre Assad mais ils étaient aussi devenus des chefs militaires dans leurs secteurs respectifs. Ils utilisent des noms de guerre qui renvoient souvent à leur région d'origine : Saleh était ainsi Hajji-Marea, du nom de la localité dont il était originaire. C'était une figure clé de l'insurrection à Alep. Marchand, il avait puisé dans ses fonds pour créer sa brigade. Visiblement il s'était opposé au départ de combattants syriens en Irak avant la guerre civile, même s'il était hostile à l'intervention américaine.

Politiquement, Saleh était un islamiste, souhaitant l'application de la charia, mais ne partageait pas les vues des salafistes les plus radicaux, évitant en particulier d'instrumentaliser les minorités. Il souhaitait des élections dans un cadre islamiste pour déterminer l'avenir politique de la Syrie. Soutenu sans complexe par les bailleurs de fonds occidentaux et du Golfe, il était membre du Commandement Militaire Suprême, dernière incarnation de l'Armée Syrienne Libre -où il était commandant adjoint de la région nord. Ce qui ne l'empêchait pas d'être proche des factions islamistes comme Ahrar al-Sham ou des djihadistes du front al-Nosra. Saleh avait signé l'accord du 24 septembre 2013 qui dénonçait la Coalition Nationale Syrienne et appelait pour une direction intérieure de l'opposition. Il s'était bien gardé, fidèle à une ligne islamiste plutôt centriste, de trop s'opposer à l'EIIL qui mettait la main sur la ville frontalière importante d'Azaz, jouant au contraire le rôle d'intermédiaire pour régler les conflits armés.

Même après la mort de Saleh, la brigade al-Tawhid reste encore l'un des groupes les plus importants de la rébellion armée syrienne, particulièrement à Alep. Elle compterait 30 « divisions » et 10 000 hommes, concentrés surtout à Alep, bien qu'une fraction se trouve aussi dans la province d'Idlib et quelques-uns à Damas. Le groupe peut difficilement être décrit comme un des plus islamistes, car la situation semble très variable selon les sous-unités de la brigade. En outre, à Alep, il semblerait que la discipline se relâche car on signale fréquemment des pillages de propriétés privées ou publiques dans la ville. La mort de Saleh survient en tout cas au pire moment, alors que l'armée syrienne marche sur Alep, et il est trop tôt encore pour dire à qui elle va le plus profiter, y compris au sein de l'insurrection.

Quelques jours plus tard, les 22-23 novembre 2013, les rebelles annoncent la création d'un nouveau Front Islamique, qui regroupe parmi les éléments les plus importants de l'insurrection armée syrienne13. C'est le prolongement de la fameuse déclaration du 24-25 septembre 2013, et qui rejette encore davantage l'autorité de la Coalition Nationale Syrienne. On y trouve l'Armée de l'Islam, un groupe salafiste bien implanté à l'est de Damas, Ahrar al-Sham, autre groupe salafiste parmi les plus considérables, et la brigade al-Tawhid, représentée par son chef politique, Salameh. Il est intéressant de constater que ce nouveau Front Islamique regroupe aussi bien des morceaux de l'Armée Syrienne Libre, de l'Armée de l'Islam, du Front de Libération Islamique Syrien (dont faisait partie jusque là la brigade al-Tawhid) ou du Front Islamique Syrien (dominé par Ahrar al-Sham) mais exclut les djihadistes du front al-Nosra ou de l'EIIL. Si cette alliance atteignait son but, on aurait là l'un des plus puissantes coalitions rebelles jamais formées depuis le début de l'insurrection armée. Les 7 brigades qui en font partie comptent parmi les plus fortes de l'insurrection : on trouve par exemple Suqour al-Sham, qui fait partie comme al-Tawhid du Front de Libération Islamique Syrien, et dont le chef a été élu à la tête de ce nouveau Front Islamique ; le mouvement a eu récemment maille à partir avec l'EIIL. Si Saleh avait vécu, c'est probablement lui qui aurait été élu à la tête de la nouvelle coalition. Le mouvement semble en tout cas confirmer le rejet à la fois de la Coalition Nationale Syrienne soutenue par les Occidentaux mais aussi des djihadistes étrangers, qui manifestement, pour certains groupes de l'insurrection, ne sont plus les bienvenus en Syrie14.


Bibliographie


Sahib Anjarini, « The Story of Al-Tawhid Brigade: Fighting for Sharia in Syria », Al-Monitor, 22 octobre 2013.

Aron Lund, « The Non-State Militant Landscape in Syria », CTC Sentinel SPECIAL ISSUE . Vol 6 . Issue 8, 27 août 2013, p.23-27.

Jeffrey White, Andrew J. Tabler, et Aaron Y. Zelin, SYRIA’S MILITARY OPPOSITION. How Effective, United, or Extremist ?, POLICY FOCUS 128, THE WASHINGTON INSTITUTE FOR NEAR EAST POLICY, septembre 2013.


1Jeffrey White, Andrew J. Tabler, et Aaron Y. Zelin, SYRIA’S MILITARY OPPOSITION. How Effective, United, or Extremist ?, POLICY FOCUS 128, THE WASHINGTON INSTITUTE FOR NEAR EAST POLICY, septembre 2013.
2Jeffrey White, Andrew J. Tabler, et Aaron Y. Zelin, SYRIA’S MILITARY OPPOSITION. How Effective, United, or Extremist ?, POLICY FOCUS 128, THE WASHINGTON INSTITUTE FOR NEAR EAST POLICY, septembre 2013.
4Jeffrey White, Andrew J. Tabler, et Aaron Y. Zelin, SYRIA’S MILITARY OPPOSITION. How Effective, United, or Extremist ?, POLICY FOCUS 128, THE WASHINGTON INSTITUTE FOR NEAR EAST POLICY, septembre 2013.
5Jeffrey White, Andrew J. Tabler, et Aaron Y. Zelin, SYRIA’S MILITARY OPPOSITION. How Effective, United, or Extremist ?, POLICY FOCUS 128, THE WASHINGTON INSTITUTE FOR NEAR EAST POLICY, septembre 2013.
6Sahib Anjarini, « The Story of Al-Tawhid Brigade: Fighting for Sharia in Syria », Al-Monitor, 22 octobre 2013.
7Jeffrey Bolling, Rebel Groups in northern Aleppo Province, Backgrounder, Institute for the Study of War, 29 août 2012.
8Jeffrey Bolling, Rebel Groups in northern Aleppo Province, Backgrounder, Institute for the Study of War, 29 août 2012.
9Sahib Anjarini, « The Story of Al-Tawhid Brigade: Fighting for Sharia in Syria », Al-Monitor, 22 octobre 2013.
10Sahib Anjarini, « The Story of Al-Tawhid Brigade: Fighting for Sharia in Syria », Al-Monitor, 22 octobre 2013.
11Aron Lund, « The Non-State Militant Landscape in Syria », CTC Sentinel SPECIAL ISSUE . Vol 6 . Issue 8, 27 août 2013, p.23-27.
12Aron Lund, « The death of Abdelqader Saleh », Syria Comment, 17 novembre 2013.
13 Aron Lund, « Say Hello to the Islamic Front », Carnegie Middle East Center/Guide to Syria in Crisis, 22 novembre 2013.
14Valerie Szybala, « A Power Move by Syria's Rebel Forces », Institute for the Study of War Syria Updates, 23 novembre 2013.

Eric BERGERUD, Red Thunder, Tropic Lightning. The World of a Combat Division in Vietnam, Penguin Books, 1993, 328 p.

0
0
Eric Bergerud, aujourd'hui professeur à l'université de Lincoln (San Francisco), a précédemment travaillé au Center for Military History et a soutenu sa thèse à l'université de Berkeley en 1981. Il est aujourd'hui davantage connu pour ses travaux sur la Seconde Guerre mondiale, en particulier la guerre du Pacifique, que pour ceux sur la guerre du Viêtnam. Il a pourtant livré deux livres, au début des années 90, sur le sujet. Red Thunder, Tropic Lightning est le second.

C'est un ouvrage un peu particulier dans le sens où Eric Bergerud ne s'attache pas vraiment au parcours de la 25th Infantry Division, objet de son étude, pendant son séjour au Viêtnam. En réalité, on a là, surtout , un recueil de témoignages de vétérans classé par thèmes, et qui vise à mieux faire comprendre au lecteur l'univers dans lequel ont évolué les soldats américains au Viêtnam. Comme l'explique l'auteur, son premier livre l'avait déjà mis en contact avec la 25th Infantry Division de par le sujet traité, et il est vrai qu'après la guerre, cette unité a fait l'objet de nombreuses fictions littéraires ou cinématographiques (le Platoon d'Olivier Stone met en scène la division).

L'introduction place plutôt Eric Bergerud dans la lignée du courant historiographique révisionniste, celui qui cherche à réhabiliter la performance américaine au Viêtnam. La 25th Infantry Division a été déployée autour de Saïgon et près du Cambodge entre janvier 1966 et le printemps 1971. Elle a laissé sur le terrain 5 000 tués et encore davantage de blessés, ce qui en fait une des divisions les plus marquées par les combats. Bergerud l'a choisie justement parce qu'elle a combattu au même endroit pendant assez longtemps. Comme il le reconnaît lui-même, il est davantage dans ce livre un éditeur de témoignages qu'un auteur à proprement parler.

Chaque chapitre thématique (le pays et le climat ; les armes ; le renseignement ; les tunnels ; les blessés ; les rapports avec les Viêtnamiens ; etc) est donc constitué pour l'essentiel de témoignages de vétérans de la 25th Infantry Division. Ils sont très intéressants en soi car ils apportent une foule de détails vivants sur tous les sujets évoqués. Le tout est précédé en général d'un propos liminaire d'Eric Bergerud, qui intervient également entre les récits pour préciser certaines choses ou souligner des points particuliers. Le principal défaut du livre, cependant, reste que l'historien se contente de commentaires de son cru, sans aucune référence bibliographique. Si cela n'est pas très gênant quand il parle des armes (encore que...), ça le devient beaucoup plus quand Eric Bergerud aborde des thématiques sensibles liées au conflit, comme le rapport avec les Sud-Viêtnamiens, militaires en particulier, la consommation de drogue au sein de l'armée américaine, les violences commises contre les civils, etc. L'historien prend assez systématiquement le parti des vétérans, ou disons qu'il cherche absolument à défendre "l'honneur" de l'armée américaine, une tâche qui semble, il faut bien le dire, un peu vaine, et qui ne correspond guère au travail que l'on attend d'un historien.

Le livre étant même dépourvu de conclusion (l'épilogue prend encore une fois la forme de témoignages de vétérans), on est un peu frustré en refermant le livre. On se dit qu'il y avait là un matériau formidable à exploiter, mais ce que n'est pas fait. Eric Bergerud aurait dû aussi sacrifier à l'historique d'unité ne serait-ce que pour contextualiser les témoignages. Il évoque parfois les grandes phases du conflit dans certains chapitres mais trop rapidement. En outre, on notera que les témoignages eux-mêmes sont rarement recoupés, ne serait-ce qu'entre eux, sans parler bien sûr de l'absence de sources extérieures. Le propos ne peut donc être que limité par ces problèmes méthodologiques. L'intention est certes de présenter le "monde" d'une division américaine au Viêtnam, ce qui est assez réussi, mais l'historien ne fait pas vraiment son travail de questionnement et d'interprétation des sources. Comme le dit un autre historien américain spécialiste du Viêtnam, John Prados, l'ouvrage de Bergerud, à trop se focaliser sur la recherche de "l'expérience du soldat", néglige la dimension d'histoire sociale et donne l'impression que le parcours du "tour of duty" dans la 25th Infantry Division a été sensiblement le même de 1966 à 1971. On ne peut que le regretter. Par ailleurs, depuis 1993, de nombreux autres livres sont parus aux Etats-Unis, qui viennent parfois contredire les propos de Bergerud ou du moins ouvrir de nouveaux axes de recherche (comme sur l'armée sud-viêtnamienne, l'ARVN). Pour avoir un avis vraiment complet, je tâcherai de lire dès que possible le premier ouvrage de Bergerud sur le Viêtnam, paru l'année précédente, en 1992.



(Coll.), Dien Bien Phu vu d'en face. Paroles de bo doi, Paris, Nouveau Monde Editions, 2010, 272 p.

0
0
Donner la parole, pour une fois, aux bo doi, les combattants viêtminh. C'est à cette tâche que s'attèle ce livre. La préface est signée Jean-Pierre Rioux : l'historien rappelle combien la France s'est désintéressée de la guerre d'Indochine. La seule institution qui en est tenue un peu compte, forcément, c'est l'armée, bien décidée à ne pas revivre le même scénario en Algérie. La mémoire s'est ravivée après la visite de François Mitterrand au Viêtnam en 1993 et les commémorations des quarante ans de la bataille l'année suivante.

Ce travail est l'oeuvre de 6 journalistes viêtnamiens, dont un vétéran de Dien Bien Phu, et deux autres qui ont été formés au journalisme en France. Entre décembre 2007 et janvier 2009, ils sont partis à la rencontre des anciens bo dois qui ont combattu pendant la bataille. Le livre paraît à Hanoï en 2009 et se démarque nettement de l'histoire officielle du régime communiste. Son passage en français est le bienvenu car en dehors des livres nostalgiques sur l'Indochine française, peu d'historiens sérieux -mais il y en a- travaillent sur le sujet, et le Viêtminh en tant que tel est finalement peu présent dans la littérature ou l'historiographie du conflit.

Les auteurs fournissent la liste complète des témoins interrogés, très variés, et un glossaire fort utile pour déchiffrer certains mots de lexique. Et l'on commence par cette formidable mobilisation en vue de la bataille de Dien Bien Phu : 27 000 tonnes de matériel et de denrées transportées par 260 000 travailleurs civiques et plus de 22 000 jeunes volontaires, avec notamment l'appoint de 20 900 bicyclettes.



"Herbe verte ou poitrine rouge" : 40 000 bo dois sont engagés dans le siège de Dien Bien Phu, en première ligne, et 15 000 à l'arrière. Le Viêtminh, au printemps 1953, se prépare à renouveler son assaut contre Nasan, après une première tentative infructueuse. La division 351 a reçu de Chine son régiment de canons de 105 et celui de canons antiaériens de 37 mm. Mais les Français évacuent Nasan le 12 août. Giap et ses conseillers chinois penchent alors pour une offensive en direction du Laos, dans la région du Nord-Ouest. Navarre, le commandant en chef français, pense depuis juin 1953 à l'occupation de Dien Bien Phu. Le Viêtminh est donc surpris quand les paras français sautent, le 20 novembre 1953, sur le site, et s'en emparent. Ce n'est qu'à ce moment-là que le Viêtminh réoriente son effort vers la vallée de Dien Bien Phu.

La division 316 tente d'empêcher la retraite des forces françaises positionnées autour de Lai Chau. Les 12-13 décembre 1953, le régiment 174 de la division 316 affrontent les compagnies de Thaïs et prend le dessus, entre Lai Chau et Dien Bien Phu, à Muong Pon. Dès la mi-décembre 1953, le renseignement viêtminh cherche à obtenir des cartes plus précises de la région. Il les obtient dans la nuit de Noël... grâce à un colis parachuté en dehors du camp retranché.

Parallèlement les divisions viêtminh se déploient autour de la vallée. Les routes sont remises en état. Les canons de la division 351 font le voyage directement depuis la Chine, par camion. Le 26 janvier 1954, alors que les divisions sont prêtes pour l'attaque, Giap prend la décision qu'il dit être la plus difficile de sa carrière en suspendant l'assaut, contre l'avis des conseillers chinois. Il privilégie l'encerclement et l'étouffement du camp à une attaque frontale, notamment parce qu'à ce moment-là, toutes les pièces d'artillerie ne sont pas encore en position. Les bo dois, dépités, regagnent leurs abris.

Le même jour, Giap fait marcher la division 308 sur Luang Prabang, au Laos, dans le cadre d'une diversion couvrant le retrait des forces, et un émetteur radio tente de faire croire aux Français que la division est repartie dans le delta. La progression est rapide, même si la logistique est prise au dépourvu. Le 3 février, les canons de 75 mm du Viêtminh ouvrent le feu sur la piste et quelques jours plus tard, un premier Hellcat est abattu -mais les canons de 37 ne se sont pas encore dévoilés.

Les combats de février 1954 autour du camp sont déjà très virulents, notamment autour de la colline Gabrielle. Début mars, les canons de 105 et les pièces de DCA sont mises en place. Le 11 mars, l'artillerie lourde viêtminh se dévoile, à la fin de la dernière visite de Cogny dans le camp retranché. L'attaque commence deux jours plus tard. Lors de la première phase de l'offensive viêtminh, du 13 au 17 mars, les bo dois s'emparent de Béatrice, de Gabrielle et d'Anne-Marie après de violents combats. Ces collines protègent la piste d'aviation et le nord du camp. La moitié d'un bataillon du régiment 141, division 312, est tuée ou blessée sur Béatrice.

Dans la deuxième phase de la bataille, les bo dois entourent les points de résistance restants d'un réseau de tranchées. Le 28 mars cependant, pour desserrer l'étau, le 6ème BPC de Bigeard mène une contre-attaque à  l'ouest et vise en particulier la DCA. 400 Viêtminhs restent sur le terrain mais le butin matériel n'est pas à la hauteur des efforts consentis. Le 30 mars, la bataille dite des  Cinq Collines voit le Viêtminh tenter d'emporter les hauteurs à l'est du camp. Eliane 1, qui tombe dès le premier jour, est reprise le 12 avril après d'incessantes contre-attaques et ne sera évacuée que le 1er mai. Sur Eliane 2, la bataille fait rage du 30 mars au 4 avril, et le Viêtminh engage en vain plusieurs de ses régiments ; il ne parvient à contrôler qu'un tiers de la colline. La division 316 en vient à croire qu'il existe un tunnel que les Français utilisent pour renforcer la hauteur ! Les pertes du régiment 174 et du régiment 102 de la division 308 sont lourdes. Le bataillon 18 du régiment 102, qui comptait 300 hommes, n'en a plus que 17 valides à la fin des combats. En revanche, les collines Dominique 1 et 2 sont emportées. La saison des pluies s'installe. Les divisions 312 et 308 creusent des tranchées pour couper la piste d'aviation et se rejoindre.

Parallèlement, les bo doi encerclent et isolent Isabelle, le bastion sud, où stationnent 2 000 soldats français et une puissante artillerie. Témoignage intéressant que celui de ce tireur d'élite qui décrit les tactiques employées. Ils opèrent à trois, ciblent parfois des objectifs précis comme les mitrailleuses. En un mois, ce tireur abat 9 adversaires. Pour la troisième et dernière offensive, le Viêtminh reçoit, à la fin avril, des lance-roquettes multiples, et creuse une mine sous Eliane 2 pour la faire sauter. C'est la compagnie spéciale 83 de la division 351 qui se charge de ce travail herculéen. Le 7 mai, la garnison française met bas les armes. C'est un chef de groupe de la division 312 qui capture De Castries. Giap se montre d'ailleurs très soucieux d'avoir bien fait prisonnier le commandant de la garnison. A noter ce témoignage d'un soldat de la division 304, chargé d'escorter des prisonniers, témoin d'une scène de violence à l'encontre d'un officier français qui est cependant sanctionnée. Peu de temps après la bataille, le cinéaste soviétique Roman Kamen immortalise la bataille dans une grande reconstitution tournée sur place. Les Français perdent un peu plus de 17 bataillons, 15 700 soldats et officiers dont 3 420 tués ou disparus, 5 300 blessés. Le Viêtnam ne reconnaît que 4 020 tués et 792 disparus, ainsi que 9 118 blessés, là où les sources occidentales évoquent généralement entre 20 et 25 000 tués et 15 000 blessés. Le butin matériel est considérable.

Au final, on ne peut que recommander la lecture de livre qui offre enfin le point de vue viêtnamien de la bataille de Dien Bien Phu, en dehors de l'histoire officielle, et ce même si les témoins conservent bien sûr un regard forgé par une vie parfois au service du parti, de l'armée ou de la lutte pour l'indépendance. Comme on l'a dit, l'ensemble se complète d'annexes fort utiles et d'un livre central impressionnant : photos, cartes, statistiques qui aident à mieux comprendre le déroulement de la bataille et de la campagne. Un livre qui se révèle donc très utile.





Ron FIELD, Robert E. Lee, Command 7, Osprey, 2010, 64 p.

0
0
La collection Command d'Osprey (récemment arrêtée comme une ou deux autres car ne remportant pas le succès escompté, et confirmant par-là la prééminence de la Seconde Guerre mondiale dans les ventes) tente de dresser le portrait des grands chefs de guerre de l'histoire militaire. Ce n'est que le deuxième volume de la collection que je lis jusqu'à présent. Il est signé Ron Field, un spécialiste de la guerre de Sécession.

Sujet ardu que celui de Robert E. Lee, chef de l'armée de Virginie du Nord, encore aujourd'hui très populaire en particulier dans les états du Sud des Etats-Unis. Brillant tacticien, Lee a pourtant péché dans le domaine de la stratégie, en particulier parce que son caractère le soumettait à des faiblesses préjudiciables. En outre Lee s'est certainement trop concentré sur le théâtre oriental des opérations, alors que son dernier adversaire, Grant, a commencé sa carrière à l'ouest, et a une vision nettement plus globale du conflit. Grant réussit à user l'armée de Virginie du Nord en manoeuvrant autour de Richmond, et Lee, s'il inflige de lourdes pertes à l'Union, ne peut compenser les siennes. Il faut dire aussi que Lee a connu des problèmes de santé, souffrant notamment d'une attaque cardiaque en avril 1863. Il n'empêche qu'on n'a pas hésité à le ranger dans le panthéon des grands généraux, aux côtés d'Hannibal, César, Frédéric II, Napoléon, etc.



Né en 1807, Lee est le fil d'un aristocrate virginien héros de la Révolution américaine. Mais son enfance n'est guère heureuse : son père, criblé de dettes, est contraint à l'exil, et meurt alors qu'il n'a que 11 ans. Malade, sa mère est invalide. Il reçoit une excellente formation classique à l'académie d'Alexandrie, puis rejoint West Point. Il est l'un des éléments les plus brillants de sa promotion puisqu'en 1829, il est second sur 46 et rejoint le génie. Il participe à l'érection ou à l'entretien de divers forts, et épouse en 1831 Mary Anna Randolph Custis, dont les parents possèdent la propriété d'Arlington, de l'autre côté du Potomac, en face de Washington : il aura d'elle plusieurs fils qui serviront pour certains dans l'armée confédérée. Capitaine en 1838, Lee travaille aussi à la délimitation des frontières de nouveaux Etats et à la défense côtière de l'Atlantique. En 1846, il prend part à la guerre contre le Mexique : pendant le siège de Vera Cruz, il manque d'être tué par une sentinelle américaine ! Dans l'état-major du général Scott où il est affecté, il y a aussi deux de ses futurs adversaires, McClellan et Meade. Lee joue un rôle important dans les victoires de Cerro Gordo et du château de Chepultepec, à l'issue de laquelle il est nommé lieutenant-colonel. Après la guerre, il reprend ses fonctions dans le génie, avant de diriger West Point de 1852  à 1855. Avec l'extension de la frontière et les conflits avec les Indiens, de nouveaux régiments sont créés et Lee part rejoindre le 2nd Cavalry dans l'ouest du Texas. En visite à Arlington en octobre 1859, en l'absence de Scott à Washington, c'est à lui qu'incombe de défaire John Brown, qui a tenté de soulever les esclaves à Harper's Ferry. Lee mène l'assaut de main de mettre avec le renfort d'un certain lieutenant Stuart, du 1st Cavalry. C'est lui qui commande la troupe durant l'exécution de Brown, le 29 novembre suivant. Quand le Texas fait sécession, en février 1861, Lee regagne Washington, où il est nommé colonel du 1st Cavalry le 3 mars 1861 par Lincoln. Mais il refuse de prendre la tête des armées de l'Union pour ne pas combattre son état, la Virginie. Il démissionne de l'armée le 20 avril et prend la tête des forces de la Virginie deux jours plus tard.

L'armée nordiste occupe sa demeure d'Arlington un mois plus tard. Lee organise la défense de la Virginie : il concentre les troupes à Manassas Junction, dans la Péninsule, près du Potomac et dans la vallée de Shenandoah, tous les secteurs où le Nord peut manoeuvrer pour faire tomber Richmond. Il fait déplacer l'infrastructure de fabrication des armes de Harper's Ferry à Richmond également. Le 8 juin, les troupes virginiennes rejoignent l'armée confédérée. Le 28 juillet, il prend le commandement des forces dans le nord-ouest de la Virginie, une région hostile à la Confédération et qui accueilli à bras ouverts les troupes de McClellan. Cette première campagne de Lee est un échec : et notamment parce que le général confédéré n'a pas su se confronter à un de ses subordonnés réticents, Loring. Le président Davis le charge alors de protéger les côtes de Caroline du Sud et de Géorgie, menacées par les raids nordistes. Lee s'attèle à la tâche avec brio, concentrant la défense, préparant des batteries et des forts, fortifiant Savannah et Charleston pour les rendre imprenables par mer.

Le 2 mars, il est rappelé à Richmond pour prendre le commandement des forces confédérées après les premiers succès nordistes dans l'ouest. Le 4 avril, McClellan, le nouveau chef nordiste, débarque dans la péninsule de Virginie. Le commandement sudiste est divisé, Joseph Johnston préférant se replier pour couvrir les autres fronts alors que le président Davis y est opposé. Le 31 mai, Lee remplace au pied levé Johnston blessé et prend la tête de ce qui deviendra l'armée de Virginie du Nord. Par de savantes manoeuvres, Lee parvient à bloquer la progression de McClellan durant les batailles des Sept Jours (25 juin-1er juillet 1862) mais subit de lourdes pertes. Les nordistes doivent rembarquer : Lee a gagné du temps pour réorganiser l'effort de guerre du Sud. Pour contrer le nouveau commandant nordiste, Pope, Lee prend l'initiative des opérations et passe à l'offensive. A Manassas Junction, sur les lieux mêmes de la victoire de 1861, il réédite l'exploit en écrasant l'armée nordiste le 30 août 1862, mais ne peut la détruire complètement. Là encore, Longstreet, un de ses subordonnés, a profité des errements de Lee qui n'a pas souhaité imposer ses directives.

En septembre 1862, Lee envahit pour la première fois le Nord, pour piocher dans la sympathie du Maryland pour regonfler son armée et obtenir la reconnaissance britannique de la Confédération. Mais les désertions sont nombreuses, le plan de campagne tombe aux mains des nordistes, et Lee ne doit qu'aux hésitations de McClellan de se sortir non sans mal de la bataille d'Antietam, le 17 septembre. La reconnaissance internationale commence à s'évanouir tandis que Lincoln annonce une proclamation d'émancipation des esclaves. Burnside, qui succède à McClellan, veut marcher sur la Virginie et franchir la Rappahannock. Mais le temps est mauvais, les lenteurs bureaucratiques empêchent de disposer rapidement de ponts flottants, et les assauts nordistes à Fredericksburg viennent mourir sous le feu des confédérés bien retranchés sur les hauteurs de Marye's Heights. Hooker remplace Burnside le 26 janvier 1863. Il franchit en avril la Rappahannock plus en amont et s'installe autour de Chancelorsville. Le 2 mai, Lee, à deux contre un, prend un gros risque en envoyant Jackson et le gros de la troupe mener une attaque de flanc, qui se transforme en succès éclatant. Hooker doit repasser le cours d'eau deux jours plus tard. Malheureusement, le succès est chèrement payé par la mort de Jackson, blessé par une sentinelle sudiste, quelques jours plus tard. Or Jackson était l'officier qui interprétait sans doute le mieux les ordres de Lee.

La victoire de Chancelorsville a pourtant été coûteuse, et les succès nordistes à l'ouest font pencher Richmond pour l'envoi d'une partie de l'armée de Lee sur place. Lee pense être contraint à l'initiative une dernière fois avant d'être enfermé dans Richmond et asphyxié par la supériorité numérique et matérielle du Nord. Protégée par la cavalerie de Stuart, l'armée de Virginie du Nord se met en marche en juin 1863 vers le Maryland puis la Pennsylvanie. Mais le 22 juin, Lee commet à nouveau l'erreur de ne pas être suffisamment clair avec Stuart, qui doit éclairer l'armée mais a aussi latitude pour mener d'autres actions indépendantes, ce que Stuart interprète comme la permission de conduire un raid plus en avant. Lee avance donc en aveugle, apprenant le 29 juin d'un espion, Harrison, que l'armée du Potomac toute entière le suit à la trace. Il fait converger ses forces sur Gettysburg, où le 30 juin s'est installée la cavalerie nordiste de Buford. Le corps de Hill, surpris par la présence des cavaliers, engage massivement le combat le lendemain. Les nordistes sont repoussés mais parviennent à se retrancher sur Cemetery Ridge, au sud de Gettysburg, et reçoivent des renforts. Lee est cependant persuadé d'avoir la supériorité numérique et le dessus au final. Le 2 juillet, Lee fait porter l'effort à droite, tandis que des diversions doivent être menées au centre et à gauche. Mais Longstreet, peu convaincu des manoeuvres de Lee, rechigne et l'attaque à droite prend du retard, alors que la diversion à gauche reste timide. Les gains restent limités. Le 3 juillet, Lee est persuadé de pouvoir enfoncer le centre nordiste avec 15 000 hommes, notamment ceux de la division Pickett du corps de Longstreet, et une puissante artillerie de plus de 160 pièces. Mais l'assaut est un échec. Le lendemain, Lee doit se replier. Le 8 août, il envoie une lettre de démission au président Davis, qui la refuse.

Deux divisions sous Longstreet partent combattre à l'ouest en septembre, tandis que Lee tente un dernier effort en octobre-novembre 1863 contre Meade, le commandant nordiste. Les opérations stagnent à l'est jusqu'à l'arrivée du nouveau commandant en chef nordiste, Grant, le 12 mars 1864. Lee bloque l'avance de Grant dans la Wilderness en mai, mais le chef nordiste ne recule pas. En outre, la cavalerie nordiste a gagné en efficacité depuis Gettysburg et inflige une nouvelle perte cruelle à Lee -qui a déjà perdu Longstreet, blessé- en abattant Stuart, le flamboyant cavalier confédéré, à Yellow Tavern, le 9 mai. Grant multiplie les assauts frontaux coûteux, comme à Cold Harbor, le 4 juin, mais en dépit de 60 000 pertes, il est arrivé à moins de 10 km au nord de Richmond. Pour arrêter l'usure de ses troupes, Grant décide de contourner la capitale et de l'étrangler en prenant Petersburg, au sud. Lee doit défendre à la fois Richmond et Petersburg, mais envoie l'armée d'Early pour menacer Washington. Il ne parvient pas à desserrer l'étau. Une dernière contre-attaque vers l'extérieur en mars 1865 échoue. Sheridan revient le même mois de la vallée de la Shenandoah où il a défait les confédérés. Début avril, Lee abandonne Petersburg, Richmond tombe. L'armée de Lee, qui avance à l'ouest, est finalement contrainte à la reddition le 12 avril à Appomatox.

Lee, pendant la guerre de Sécession, est le digne élève de Jomini, qui lui-même interprète les principes de Clausewitz et la mise en pratique de ceux-ci par Napoléon. Les batailles de Manassas en 1862 ou de Chancelorsville en 1863 en sont l'illustration. Mais Lee a parfois fait preuve d'incompréhension à l'égard des nouvelles caractéristiques de la guerre de son temps : la charge de Pickett l'illustre parfaitement. Les réactions de Lee tiennent aussi à son milieu d'origine et à son éducation : élevé dans un monde relevé, Lee est sobre, fait preuve de beaucoup de retenue, n'aime pas la confrontation. Son système de commandement assez décentralisé fonctionne tant qu'il est en symbiose avec les chefs de corps : mais quand ce n'est plus le cas, les disfonctionnements se multiplient.

Revenu à Richmond, Lee prend la direction d'un collège de Virginie en octobre 1865. Il signe la déclaration d'amnistie consentie par le président Johnson, mais le document sera ensuite perdu jusqu'en 1970 (!). Victime d'une autre attaque cardiaque en octobre 1869, il décède finalement un an plus tard d'une pneumonie après une nouvelle attaque. Les premiers travaux consacrés à Lee sont largement inspirés par l'historiographie de la "cause perdue", qui présente les Sudistes comme de preux chevaliers vaincus seulement par le nombre -un montage peut-être suggéré par certaines remarques de Lee lui-même, de son vivant. Il faudra attendre les années 1960 pour que le mythe commence enfin, véritablement, à céder la place à l'histoire.

Au final, une bonne introduction au personnage. On aimerait simplement qu'il y avait davantage de cartes pour suivre certaines campagnes, et malgré la présence d'une bibliographie en partie commentée dans les dernières lignes, il est peut-être un peu dommage que le propos se concentre surtout sur le récit et non pas sur l'analyse, en particulier en ce qui concerne le talent militaire de Lee et ses sources d'inspiration (via sa formation militaire notamment). Vu le format, il était bien sûr difficile de tout aborder, et l'auteur a dû faire des choix : la description prime donc sur l'interprétation. La bibliographie permettra sans doute de couvrir les autres aspects. 




L'autre côté de la colline : vote sur l'abrogation du service militaire obligatoire en Suisse (Adrien Fontanellaz)

0
0
Sur L'autre côté de la colline, vous pouvez lire depuis hier un article du camarade Adrien Fontanellaz, qui revient sur le rejet par les citoyens suisses de l'abrogation du service militaire obligatoire, le 22 septembre dernier. Lui-même citoyen suisse, Adrien apporte un éclairage intéressant sur cette question dans un pays voisin de la France, et ce n'est pas inintéressant pour réfléchir à notre propre situation, alors que nous sommes passés depuis presque vingt ans à une armée professionnelle. Un article qui sort aussi des sentiers battus de nos traditionnels écrits sur l'histoire militaire. Bonne lecture !

[Nicolas AUBIN] PRIGENT Alain, Histoire des Communistes des Côtes du Nord (1920-1945), St Brieuc, Chez l'auteur, 2000, 286 p.

0
0
 Nicolas Aubin, qui m'avait déjà proposé une fiche de lecture sur un livre que j'avais précédemment commenté, fournit encore une fois un compte-rendu sur un autre ouvrage. Du coup, j'inclus sa présentation dans la page des collaborateurs ponctuels du blog, ici.


Avec cet ouvrage brossant l'histoire des communistes dans le département des Côtes du Nord entre 1920 et 1945, Alain Prigent, professeur dans le secondaire et militant communiste, s'est lancé un défi difficile : essayer de concilier démarche scientifique et œuvre de militant. Cette démarche est légitime, exercer un regard critique sur son passé étant le meilleur moyen de dépasser l'immobilisme dogmatique. Cette attitude intéresse également l'historien en lui ouvrant des perspectives de collaboration avec des communistes acceptant l'ensemble de leur passé. En outre, derrière ce voeu, nous notons une réelle volonté d'apaisement, l'auteur utilise régulièrement Communisme et Stéphane Courtois n'est pas traité en paria. Pour autant, cette démarche risquait de masquer une hagiographie locale en la cautionnant par un pseudo crédit scientifique. Qu'en est-il au final ?

Il faut saluer cette initiative d'une histoire au niveau local, détour indispensable pour cerner globalement le communisme et en particulier sa dimension sociétale. Le choix des Côtes du Nord se révèle ici judicieux. C'est un département rural longtemps réfractaire au communisme qui a connu une adhésion tardive mais décisive à partir des années trente surtout dans la région du Trégor. C'est un département breton, ce qui pose les problématiques des relations entre communisme et régionalisme. Enfin, c'est la terre natale de Marcel Cachin ce qui introduit la question de l'influence des personnes dans les relations Centre-périphérie.

 

Pour étudier ce cadre privilégié, l'auteur a mobilisé l'ensemble de l'arsenal documentaire disponible : archives municipales et départementales, fonds privés de l'union départementale de la CGT, de la Bibliothèque Marxiste de Paris et du Centre d'Histoire du Travail de Nantes... Il ne manque que les archives de Moscou. Ainsi armé, Alain Prigent avait les moyens de ses ambitions.

L'auteur a pris le parti de nous proposer un récit chronologique, choix logique du fait du lectorat grand public ciblé. Alain Prigent cherche cependant à comprendre les causes de l'implantation communiste dans un département à l'origine rétif. L'auteur va même plus loin en voulant démontrer l'influence des directions locales dans la définition de la politique nationale, "on peut penser que les luttes menées dans le Trégor et dans le pays de Guingamp ont pesé lourd au plan national pour définir "l'innovation stratégique" du PCF en 1934" (p.11).

Récit donc, les chapitres égrènent les périodes dans le plus grand classicisme : le mouvement ouvrier avant 1914, le choc de la guerre, la scission, la bolchevisation, le Front populaire, la seconde guerre mondiale et ses conséquences sur le PCF en 44-45. Un dictionnaire biographique de plus de 1000 militants des Côtes du Nord clôt l'ouvrage de belle manière, c'est un outil déjà indispensable pour tout chercheur travaillant sur la Bretagne. Les chapitres concernant le Congrès de Tours et la bolchevisation se révèlent instructifs. On y découvre, grâce à l'étude de la correspondance entre 2 militants socialistes locaux Augustin Hamon et Paul Vaillant, les enjeux de la scission perçus par la base. On suit les vicissitudes d'un parti réduit à quelques unités qui ne survit que de l'impulsion donnée par les descentes du Centre. Les années trente demeurent cependant la partie essentielle, correspondant à la rencontre entre le PCF et les masses (40 militants en 1930, 1850 en 1937). Selon l'auteur, "c'est la crise de la petite paysannerie qui offre au PCF l'occasion de relever la tête, [...] cette nouvelle orientation politique, accompagnée de pratiques plus unitaires, permet à ce parti qui pèse seulement 1% des voix dans le département de se lancer à la conquête des masses" (p. 11). Dans la région du Trégor où le PCF est inexistant, la résistance aux ventes-saisies est initiée par les nationalistes bretons en 1932, relayée par les socialistes puis récupérée par les communistes suite à l'injonction donnée par les délégués de la direction centrale. Le parti va alors participer aux comités paysans aux côtés des socialistes et des régionalistes. Plus actifs, sachant s'adapter aux attentes (l'Internationale est chantée en breton), profitant d'une SFIO portée plus à gauche que dans le reste du pays, les communistes décollent. Malheureusement l'auteur reste elliptique sur les causes de cet essor. En particulier, on eut souhaité plus de détails sur les pratiques concrètes de luttes contre les ventes-saisies, sur la réception de cette nouvelle politique dans un parti essentiellement ouvrier, sur les moyens d'influencer des paysans pour un parti absent des campagnes ou sur l'acculturation politique des ruraux.

Malheureusement pour le reste, cet ouvrage se révèle décevant pour quatre raisons.

Tout d'abord, le récit en s'épuisant dans les descriptions des campagnes électorales, délite les analyses de fond. L'auteur aborde une foule de problèmes : spécificité de la culture bretonne, importance du catholicisme dans ce milieu rural, relations avec la SFIO, influence de Marcel Cachin et rapports Centre-périphérie, mais il n'en traite aucun. L'ensemble se révèle superficiel. Le lecteur doit seul tirer les conclusions. Des titres alléchants comme celui sur "les matrices d'adhésions" (p. 77) masquent des passages décevants. Cet aspect est renforcé par l'absence de commentaire des documents fournis, par exemple cette pyramide des âges des communistes en 1939 (p. 132) révélant un parti dans la force de l'âge (entre 25 et 45 ans). Plus gênante est cette courbe des effectifs entre 1920 et 1940 (p. 133) qui annonce 700 militants en 1940 soit 1/7è du total national à l'heure du pacte germano-soviétique, de la répression et de la débâcle. L'importance de ce chiffre, qui laisse dubitatif, aurait mérité une référence et un commentaire.

Ensuite, il ne s'agit pas d'une histoire intérieure du PCF. Alain Prigent parle souvent des militants mais il ne les montre pas dans leur vie quotidienne : d'où viennent-ils, sont-ils du cru, pourquoi adhèrent-ils, suivent-ils les écoles du parti, comment s'organisent leurs vies tiraillées entre le militantisme, la vie familiale et la vie professionnelle...? Dans le même temps le PCF apparaît un bloc uni, l'auteur traite peu de l'organisation interne, il ne s'attarde pas sur les fractions et n'aborde pas les questions des luttes internes et des départs. Une description de la contre-société et de l'évolution de la culture politique communiste n'est qu'esquissée.

Les chapitres portant sur la seconde guerre mondiale n'évitent pas l'écueil hagiographique malgré une chronologie fine de l'activité communiste (propagande antivichyste et antigaulliste, connotation anti-allemande au printemps 1941, 1er sabotage en septembre 1942, 1ère exécution de soldat de la Werhmacht le 9 mars 1943). Il s'agit d'un simple récit des activités sans analyse. L'auteur parle sans chiffrer de "dommages considérables infligés à l'occupant" (p. 176), "d'état d'insurrection" (p. 178). L'interception le 29 juillet 1944 d'une colonne allemande devient "une bataille rangée" (p. 182) sans précisions, ni sur les effectifs, ni sur le combat lui-même. Il explique l'avance foudroyante de l'armée Patton en Bretagne par l'action de la résistance en omettant les deux causes principales, le fait que le repli de l'armée allemande se transformait en débâcle après sa défaite en Normandie et l'ordre reçu de se fortifier dans les Festungs côtiers. L'auteur ne distingue donc pas entre la portée militaire quasi nulle et la portée symbolique essentielle du sacrifice des communistes. Les différences entre la stratégie attentiste gaulliste et l'action immédiate communiste sont présentées simplement comme une forme de lutte des classes : "l'entrée sur la scène de l'Histoire du peuple lui-même, et qui de surcroît s'investit dans la lutte armée, a bien entendu de quoi empêcher certains de dormir" (p. 178). Ici le militant prend nettement le pas sur le scientifique.

Sur la méthode, l'auteur, malgré son abondante bibliographie, s'appuie essentiellement sur des sources imprimées (publications communistes et socialistes), leur accordant un crédit parfois trop généreux, oubliant de les critiquer, confondant propagande et volonté politique et ne définissant pas un vocabulaire pourtant polymorphe telles les notions de démocratie ou d'unité. Il glisse sur certains sujets évitant les questions qui fâchent. Surtout, en omettant de comparer son objet d'étude avec d'autres régions (par exemple le sud-ouest pour les mouvements paysans), Alain Prigent s'interdit toute conclusion générale et garde un regard uniquement local.

Au final, l'auteur n'a qu'imparfaitement réussi son défi. Le livre apparaît trop sage et malheureusement superficiel. Reste le récit d'une fédération communiste qui contentera les militants communistes locaux, les amateurs d'histoire de la Bretagne et les chercheurs en quête d'exemples ponctuels.


Nicolas Aubin

Steven J. ZALOGA, T-54 T-55 T-62, Concord Publications Company, 1992, 95 p.

0
0
Steven J. Zaloga est un spécialiste américain reconnu du matériel militaire, en particulier de ceux de l'URSS et de la Russie, mais aussi de ceux des Etats-Unis. On lui doit par exemple, il y a quelques années, un très bon livre sur le Sherman, qui est loin d'être un simple ouvrage technique à destination des passionnés ou des maquettistes, mais un vrai travail de fond sur la naissance de char, ses raisons, ses conséquences et ses prolongements.

Dans ce volume déjà ancien des éditions Concord, Zaloga commente un large panel de photos consacrées aux chars T-54, T-55, T-62 et à leurs variantes. Ces blindés soviétiques sont ceux qui ont été le plus produits après la Seconde Guerre mondiale : au moins 100 000 exemplaires pour les T-54/55 et leurs copies étrangères, et 20 000 pour les T-62. Ils ont connu la plupart des guerres menées après 1945, notamment les conflits israëlo-arabes, mais aussi la guerre du Viêtnam, la guerre du Golfe, etc. Les trois modèles sont également employés en Syrie dans la guerre civile en cours.

Le T-54 est l'aboutissement d'une volonté de remplacement du fameux T-34 soviétique de la Seconde guerre mondiale. Armé d'un canon de 100 mm, le T-54 entre en service dès 1946 et connaît quelques modernisations. Il est produit à 35 000 exemplaires par l'URSS, à 5 500 exemplaires par la Pologne et la Tchécoslovaquie et le Type 69 chinois, sa copie, est fabriqué à plus de 16 000 exemplaires. Le T-55, qui entre en service en 1958, est une amélioration du T-54B. 20 000 exemplaires soviétiques sortent des chaînes et 9 000 de plus en Pologne et en Tchécoslovaquie. Le T-62, qui embarque un canon de 115 mm, prolonge la série, mais sa production sera arrêtée avant celle du T-55, qui continue en URSS jusqu'en 1979 pour l'exportation.

Steven J. Zaloga commente ensuite sur plus de 80 pages de nombreuses photographies des différentes variantes des 3 modèles de chars soviétiques. Un régal pour les yeux mais aussi des légendes précises sur les détails visibles par les connaisseurs et sur les moyens de distinguer les modèles entre eux ainsi que les différentes versions. Appréciable.



Syrian T-55 Tanks Platoon in Aleppopar IulianRomania

Ange ALVAREZ, Ivan et Roland DELICADO, Royo, le guérillero éliminé, Ardeo résistances, Nîmes, 2011, 45 p.

0
0
Je remercie Roland Delicado, l'un des auteurs, de m'avoir fait parvenir son ouvrage. Celui-ci est en fait le prolongement d'un travail de recherche sur Royo, un républicain espagnol devenu l'une des figures majeures de la Résistance de l'Ariège pendant l'Occupation et la Libération, et qui est tragiquement éliminé par le Parti Communiste Espagnol, comme nombre de ses camarades, à la faveur d'une purge du parti. Il se trouve que les anciens républicains espagnols réfugiés en France après la défaite face à Franco, en 1939, ont grossi les rangs de la résistance armée, en particulier dans le Sud-Ouest. Royo, lieutenant dans l'armée républicaine, est de ceux-là : il a été interné au camp d'Argelès, reste actif dans le PCE présent dans le camp, prend ensuite des contacts avec les communistes français. Il épouse d'ailleurs une Française, bientôt résistante, le 6 mai 1941. On aimerait d'ailleurs en savoir un peu plus sur son parcours entre cette date et 1944, date où le récit reprend : il y a là un manque qui s'avère un peu problématique pour la contextualisation. De manière générale, l'ouvrage s'adresse quand même à de bons connaisseurs de la période, de la Résistance, dans cette zone géographique.


En juin 1944, Royo est à la tête de la 3ème brigade de l'Ariège, qui comprend nombre de républicains espagnols. Le 8 août, une mission alliée vient renforcer les maquis : elle comprend notamment le commandant Bigeard, qui plus tard, dans ses mémoires (1975), fera l'éloge de l'efficacité de la formation et de son chef. Lequel savait manifestement, pourtant, que les maquisards étaient en grande partie des communistes, aux antipodes de ses propres convictions. Sur cette situation, où les républicains espagnols libèrent une bonne partie de l'Ariège, se greffe la problématique du PCE et de la lutte en Espagne. La direction du parti s'est exilée en 1939 à Moscou ou au Mexique. Pendant la guerre et l'occupation, des membres restés sur place se sont imposés et n'ont pas perdu de vue la poursuite du combat contre Franco : fin octobre 1944, une incursion dans le val d'Aran tourne à la catastrophe. C'est alors que les dirigeants exilés, et notamment Santiago Carrillo, reviennent sur place pour restaurer la hiérarchie. Royo lui-même a participé aux incursions en Espagne. Capturé, il est emprisonné à la prison de Barcelone. Libéré, il est assassiné le 23 juillet 1945.

Le PCE reconnaît l'exécution mais avance que Royo aurait dénoncé les siens après avoir été capturé, ou en tout cas s'apprêtait à collaborer avec les autorités franquistes. En outre il aurait dérobé une somme d'argent importante à la brigade. Manifestement, ce sont des justifications a posteriori qui masquent mal une purge interne au PCE, alors en pleine recomposition suite à la Libération et au retour de l'ancienne direction. Royo n'a d'ailleurs pas été le seul à être ainsi éliminé pendant la guérilla malheureuse en Espagne, qui dure plusieurs années. Il avait le tort d'être la figure de légende des maquis dans l'Ariège, d'avoir travaillé avec Bigeard, et, en outre, les républicains espagnols ont voulu préserver leur spécificité par rapport aux FTP, ce qui a entraîné des tensions. Un document du tribunal de Valence, qui contient des renseignements sur Royo au moment de sa capture, montre que celui-ci, au contraire, a su habilement dissimuler son identité et ses fonctions à ses geôliers.

Par la suite, après la fin du conflit, le PCF et le PCE ont chacun à leur façon instrumentalisé l'histoire de la Résistance, et particulièrement, pour ce dernier, dans l'Ariège. L'épisode Royo a été passé sous silence. Les mémoires de Bigeard ont dérangé, car elles montraient Royo comme le chef authentique de la 3ème brigade de l'Ariège, et qui n'avait rien d'un traître en puissance. Ces purges internes et autres règlements de compte, par les pertes qu'ils ont entraîné, privent d'ailleurs les historiens de nombre d'informations sur certains aspects ou moments de la Résistance dans quelques départements du sud de la France.

Ce petit ouvrage a évidemment un caractère engagé, les auteurs étant eux-mêmes les descendants de certains protagonistes. Ils s'opposent avec virulence à ceux qui considèrent Royo comme un Judas, un matamore ou un escroc (la fameuse anecdote de la valise bourrée d'argent...). La passion qui anime le récit le fait probablement sortir, parfois, du caractère proprement scientifique d'une telle étude. Mais comme le disent les auteurs en conclusion, on a probablement trop attendu pour écrire l'histoire des républicains espagnols de la Résistance, en France. Il s'agit maintenant, au-delà du mythe, de croiser les sources, de faire sauter les carcans, pour dresser un portrait un peu plus authentique de ce que fut la Résistance, avec ses zones de lumière comme avec ses zones d'ombre.

[Nicolas AUBIN] Jacques Girault (dir), Des Communistes en France (années 1920-années 1960), Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, 530 p.

0
0
Encore une fiche signée Nicolas Aubin. Merci à lui !




Cet ouvrage collectif propose les actes d'un séminaire de DEA conduit par Jacques Girault pendant trois années de 1997 à 2000 portant sur "le communisme et les mouvements sociaux de la région parisienne et de la France au XIXè et XXè s". Cette particularité est à la fois la grande qualité de l'ouvrage et sa faiblesse.

Qualité car elle rend accessible au plus grand nombre ce qui est d'ordinaire réservé à un cercle étroit de chercheurs et d'étudiants parisiens. Qualité ensuite car elle permet de découvrir les premiers travaux de jeunes doctorants qui renouvellent les démarches et les problématiques. Qualité encore car elle dépasse les querelles partisanes et réuni toutes les sensibilités. Qualité enfin car elle confirme tout l'intérêt d'une approche du phénomène communiste par le biais de l'implantation ; approche que l'on doit au directeur et qu'il affine depuis 25 ans1.

 

Faiblesse car comme son titre l'indique, Des communistes en France, cet ouvrage embrasse un immense sujet au risque de ne pouvoir l'étreindre correctement. Jacques Girault a du composer avec 27 intervenants différents (et encore d'autres n'ont pas rendu leurs copies). Le plan s'organise autour de sept thèmes : la représentation et l'élaboration de la ligne politique communiste, la région parisienne comme enjeu politique, les rapports entre le communisme et les mouvements sociaux, la place des communistes dans le monde enseignant et dans le monde de l'entreprise, le communisme municipal et enfin les communistes dans les luttes politiques et idéologiques. Bref un véritable inventaire à la Prévert. En outre, la diversité des intervenants a pour conséquence une grande inégalité des contributions. Paradoxalement ce n'est pas chez les chercheurs confirmés que l'on trouve les passages les plus intéressants : Philippe Buton revient sur l'implantation communiste à la Libération, Rémy Skoutelsky sur les volontaires parisiens au sein des Brigades internationales, Jocelyne Carre-Prezeau sur le mouvement Amsterdam-Pleyel. Bref rien de bien neuf sous le soleil, mais il fallait sans doute ces signatures pour permettre la publication. C'est donc grâce à la plume des dix doctorants que l'ouvrage prend de l'altitude. Parfois simple récit, parfois brillante analyse, les différents articles sont toujours novateurs par le thème abordé : l'impact des mots d'ordre internationalistes chez les communistes parisiens dans les années vingt (Sandrine Saule), la crise de 1929 au sein de la Fédération unitaire de l'enseignement (Loïc Le Bars), le communisme municipal (Emmanuel Bellanger et Catherine Dupuy) et sa politique sportive (Nicolas Ksiss).

Il est donc délicat de dégager une problématique générale. Le coordonnateur s'y est efforcé, tout en en reconnaissant la difficulté. L'ouvrage se réclame de l'histoire sociale et totale. La problématique générale de l'implantation a donc servi de point de départ et la banlieue parisienne en constitue le terrain privilégié, mais non exclusif. Il s'agit de comprendre la nature des mutations qui traversent le communisme français en étudiant au plus près les interactions entre le milieu, les idéologies, les phénomènes culturels, les systèmes politiques, les individus, les impulsions nationales et internationales. On retrouve le désir de présenter le phénomène communiste dans toute sa complexité et dans sa pluralité si prégnant dans le Siècle des communismes2. Le titre est ici évocateur d'un projet. Mais en "collant" au terrain, le lecteur ne perçoit pas les dynamiques générales, il n'a pas de vision d'ensemble du phénomène, bref il se perd dans les études de cas. L'impression générale est donc celle d'un capharnaüm. Certes ces faiblesses sont inhérentes à une telle production, n'oublions pas qu'il s'agit des actes d'un séminaire. Mais on peut regretter que Jacques Girault ne se soit pas lancé dans une réelle synthèse, se contentant d'une présentation de 10 pages où les résultats de la recherche sont expédiés en trois. Il n'y a pas non plus d'articulation entre les thèmes. Enfin il manque une présentation en ouverture des différentes parties. C'est d'autant plus dommage que Jacques Girault dans un collectif précédent sur l'implantation du socialisme n'avait économisé, ni les rapports de synthèse, ni la conclusion générale… et le résultat fut tout autre3. Cette lacune ne doit cependant pas remettre en cause l'intégralité du travail accompli par le coordonnateur et son équipe, ce serait injuste. Il reste une dissection partielle des constituants du groupe communiste et de son identité. Le lecteur y puisera d'intéressantes informations, des démarches, des réflexions remarquables. Un index des noms et des lieux lui facilitera la tâche. De plus l'ambition de l'ouvrage n'a jamais été de répondre à toutes les questions et pour reprendre sa phrase finale, "ce livre ne constitue qu'une étape".

Dans ce corpus, trois sujets se démarquent : le communisme municipal en banlieue parisienne, la place des communistes au sein du monde enseignant et celle du cinéma dans la représentation de la ligne politique.

Emmanuel Bellanger propose une utile synthèse sur la gestion communistes des mairies de la Seine entre 1920 et les années soixante-dix. Il démontre avec rigueur que les communistes furent les héritiers des premiers programmes d'assistance et des aménagements urbains mis en place par les radicaux à la fin du XIXè s. Bien loin de faire table rase de ce passé, les équipes municipales communistes maintinrent les secrétaires municipaux à leurs postes et firent appel à des techniciens issus de l'école des hautes études urbaines. Dès 1921, les écoles du propagandiste organisèrent des cours sur le socialisme municipal. Ainsi, les communistes furent intégrées dans un réseau de professionnalisation et de fonctionnarisation. L'auteur multiplie les exemples de coopérations intercommunales entre mairies de couleurs différentes insistant sur l'uniformisation des pratiques municipales. Les communistes acquirent donc une crédibilité qui explique en partie la dynamique du Front populaire quand 26 des 80 communes de la Seine basculèrent dans le rouge. Bellanger constate ainsi un réel décalage entre le discours partisan et la pratique gestionnaire soucieuse d'efficacité et de rentabilité. Cela lui permet de conclure sur l'existence d'une culture municipale du compromis et non sur celle d'une contre-société municipale communiste. Cette contribution est à compléter et à nuancer par l'étude du mandat municipal dans l'itinéraire militant que l'on doit à Claude Pennetier réalisée comme de coutume grâce aux autobiographies déposées à Moscou et par la lecture des interventions socioculturelles dans les municipalités communistes où Jacques Girault met en évidence les désirs de réalisations, limités par la dépendance des municipalités à l'égard des autres corps de l'Etat. A partir de l'exemple de Gennevilliers, Catherine Dupuy démontre que le communisme municipal doit répondre à trois exigences : offrir aux administrés une assistance sociale (logement, santé, loisir…), être une courroie de transmission entre les masses et la direction nationale, soutenir le prolétariat lors des grèves.

Le deuxième thème remarquable de ce corpus traite des enseignants communistes, membres incontournables de la famille communiste et pourtant si souvent occultés au profit des cadres ouvriers. Loïc Le Bars s'attarde ainsi sur un épisode clé et pourtant inconnu, la crise de 1929 au sein de la fraction communiste de la Fédération unitaire de l'enseignement. Cette crise révèle en fait les tensions entre les anciens instituteurs de province, syndicalistes avant d'être militants communistes, isolés dans le monde rural mais attachés à la révolution russe opposés aux jeunes instituteurs de l'après 1ere guerre mondiale ayant adhérés au PCF avant de s'engager dans la FUE. La crise déboucha sur la rupture de la majorité des enseignants communistes avec leur parti. Ces "dissidents" gardèrent le contrôle de la fédération malgré les efforts des militants restés au PCF, au demeurant peu nombreux (250 membres en 1931). Elle explique donc en partie la faible implantation communiste dans le monde enseignant et le passage de la FEN dans l'autonomie après la 2è guerre mondiale.

Enfin, trois contributions permettent d'accorder une place non négligeable au cinéma en tant que vecteur de l'idéologie. Myriam Tsikounas décrypte les films soviétiques portant sur la révolution russe montrant comment ces films d'endoctrinement politique ont su innover pour captiver et étonner le spectateur tout en bloquant le questionnement et en gommant les invraisemblances du récit. Tanguy Perron et Jacques Girault comparent deux films et deux époques. Perron s'attarde sur les films municipaux de l'après 2è guerre mondiale. Girault analyse l'histoire d'une production de Guerre froide, "La terre fleurira" réalisée à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'Huma en 1954. Si en quelques années les sujets ont changé, la volonté édificatrice tout comme l'art du montage demeurent identiques à la filmographie soviétique. 
 
En définitive, à moins de résumer chaque intervention, on ne peut guère offrir une réelle photographie de ce livre hétéroclite. Reste à chaque lecteur à se faire sa propre opinion. Est-il utile de publier les actes d'un séminaire ? En ce qui me concerne ma philosophie est faite. Cet ouvrage en dressant un panorama des réflexions sur l'implantation du communisme est stimulant et bienvenu. Avec une synthèse approfondie, il serait même devenu incontournable.


Nicolas Aubin


1 Girault, Jacques (sous la dir.), Sur l’implantation du PCF dans l’entre deux guerres, Paris, Ed. Sociales, 1977.
2 Dreyfus Michel et alii (sous la dir.), Le siècle des communismes, Paris, Ed. de l'Atelier, 2000.
3 Girault Jacques (sous la dir.), L'implantation du socialisme en France au XXè siècle. Partis, Réseaux, Mobilisation, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001.

La « bataille » de Qalamoun

0
0
Les combats entre les rebelles et le régime syrien se sont développés le long de l'autoroute Damas-Homs, à travers les montagnes de Qalamoun, à partir de l'été 2013. Cette bataille, importante à la fois pour le régime et pour les rebelles en termes de ligne de communications et d'approvisionnement, prend place sur des portions contestées de l'autoroute M5. Le Hezbollah, qui intervient également dans la bataille, a quant à lui son propre agenda : il cherche à couper les rebelles de leur sanctuaire libanais autour de la ville d'Arsal, par laquelle transite la logistique rebelle1. Pourtant, l'on peut se demander si la « bataille de Qalamoun » n'est pas aussi une autre opération de nettoyage/stabilisation montée en épingle par les médias en raison de la proximité du Liban et de l'intervention du mouvement chiite.


Une offensive parmi d'autres ?


Les montagnes de Qalamoun s'étendent à l'ouest jusqu'à la vallée de la Bekaa, au beau milieu du corridor logistique central de la Syrie. Comme al-Qusayr, le secteur est stratégique pour le régime qui cherche à relier complètement la bande côtière alaouite, avec Tartous et Lattaquié, à la capitale, Damas. En outre, c'est par les montagnes que les rebelles acheminent armes, combattants, et munitions, depuis Arsal, pour mener des attaques au nord de Damas. Le secteur a également la particularité de compter de nombreux villages chrétiens2. Les groupes rebelles ont opéré quasiment sans opposition dans les montagnes de Qalamoun depuis le milieu de l'année 2012, se maintenant dans des villes comme Yabroud, et ce en dépit de la présence de bases de l'armée au pied des montagnes. L'Armée syrienne libre avait ainsi « nettoyé » pas moins de 40 checkpoints du régime3. C'est à la suite de la chute d'al-Qusayr en juin 2013 puis de l'attaque chimique du mois d'août que le nombre de combattants rebelles dans la région s'accroît. De 5 000, il passe rapidement de 25 000 à 40 000 hommes, selon les sources, à l'automne. Les brigades rebelles qui stationnent sur place sont de mieux en mieux organisées : ainsi la pratique des plaques d'identité distribuées aux combattants, à des fins de contrôle ou d'identification4

Source : http://3.bp.blogspot.com/-GfJ7WJFuvwQ/Up9wMVAOA1I/AAAAAAAAApg/lGDwSLQFqWM/s1600/Qalamoun+map-page-001+(1).jpg
 

D'autres sources évoquent 20 000 combattants rebelles dans les montagnes de Qalamoun. 5 000 appartiendraient à des bataillons de l'Armée syrienne libre, comme la brigade Tahrir al-Sham. Jaysh al-Islam alignerait à lui seul 5 000 hommes ; l'EIIL déploierait un millier de combattants de même que la brigade Guraba al-Sham ; le bataillon Mughaweer al-Qusayr, qui vient de la ville du même nom, en comprendrait 2 000 ; et la brigade Qadissiya 500, plus d'autres bataillons et brigades indépendantes5. Parmi les rebelles, il y a aussi une formation appelée le bataillon ou la brigade verte, qui serait composée de Saoudiens6. En ce qui concerne le front al-Nosra, il est difficile d'estimer le nombre de combattants car le groupe communique peu7. Les insurgés seraient relativement bien armés suite à la prise de nombreux dépôts dans la région : mitrailleuses PK, RPG-29, M-16, fusils de sniping M20, des roquettes type Grad, des lance-missiles antichars Konkurs, Kornet. Certaines sources décrivent le front al-Nosra8 comme le groupe le mieux organisé9, suivi par Ahrar al-Sham. Il y aurait aussi un 1er régiment de commando avec plusieurs centaines de combattants spécialisés dans les raids et les infiltrations10. En face, l'armée syrienne et les Forces Nationales de Défense se monteraient à 6 000 hommes (avec notamment une brigade mécanisée des FND construite autour de l'ancienne 3ème division blindée), tandis que le Hezbollah alignerait 2 500 combattants (une brigade), en plus du verrouillage de la frontière. 55 chars de l'ancienne 3ème division blindée seraient également engagés. La brigade des chiites irakiens Abu Fadl al-Abbas est présente elle aussi.

 

Comme ailleurs, les groupes salafistes ou djihadistes jouent un rôle important côté rebelle. Ce sont eux qui ont infléchi la stratégie initiale qui consistait à harceler la route entre Damas et Homs, comme durant la bataille d'al-Qusayr. Avec le renforcement du front al-Nosra et d'autres brigades comme Ahrar al-Sham et Liwa al-Islam, les attaques se sont faites plus agressives et ont visé en particulier des installations militaires. C'est ainsi que début août, le front al-Nosra, les brigades Liwa al-Islam et Liwa al-Tawheed, parmi les groupes les plus importants, parviennent à mettre la main sur les dépôts d'armes et de munitions de Danha. Début septembre, Liwa al-Islam et Ahrar al-Sham s'emparent de la base de la 81ème brigade à al-Ruhaiba. Sur le terrain, les tactiques changent aussi, avec notamment l'emploi de voitures piégées et des modes opératoires qui signalent probablement le poids grandissant des djihadistes11.




Mais l'enjeu de la bataille de Qalamoun, c'est d'abord la portion d'autoroute M5 qui relie Qara à Yabroud. Le régime a commencé à pilonner le secteur dès l'été 2013 et a lancé l'offensive terrestre sur Qara le 15 novembre. Le pilonnage d'artillerie s'est accompagné de raids d'hélicoptères de combat pendant que l'armée encerclait la ville. Qara tombe quatre jours plus tard et le régime pousse ensuite sur Nabek et Jarajir qui se trouvent aussi sur l'autoroute M5. L'armée syrienne doit cependant procéder au nettoyage des IED et des mines laissées par les insurgés qui ont abandonné Qara. Le 20 novembre, les rebelles répliquent avec 4 attentats suicides à Nabek et Deir-Attiyeh. Ils parviennent ensuite à disputer la possession de cette dernière ville à l'armée tandis que celle-ci pilonne Nabek et Yabroud. L'armée cherche manifestement à isoler chaque ville, l'une après l'autre, et à l'encercler tout en la matraquant avec l'ensemble de la puissance de feu disponible. Le 28 novembre, l'armée syrienne, soutenue par des blindés de la Garde Républicaine, pénètre dans Deir-Attiyeh, mais le front al-Nosra et l'EIIL continuent de s'accrocher au terrain. Les 29-30 novembre, les rebelles, visiblement menés par le front al-Nosra, pénètrent à nouveau dans la ville chrétienne de Maloula, qui avait déjà été occupée temporairement plus tôt en 2013. Les combats, autour du monastère des Chérubins, sont particulièrement durs. Les insurgés auraient même utilisé des pneus bourrés d'explosifs (!) qu'ils auraient fait dévaler ou qu'ils auraient lancé sur les positions de l'armée syrienne... Le 4 décembre, la progression du nord vers le sud (voir la carte) se poursuit : l'armée syrienne s'empare du quartier ouest de Nabek, après deux semaines de pilonnage. Si l'armée syrienne s'empare définitivement de Nabek, il ne manquera alors plus que la ville de Yabroud, à 10 km au sud-ouest, pour sécuriser le corridor sur l'autoroute M5.




Cependant, à y regarder de plus près, les opérations en cours dans les montagnes de Qalamoun semblent davantage s'assimiler à un « nettoyage » d'une portion de l'autoroute qui a en fait toujours été sous le feu des rebelles, sans que le passage de la logistique du régime ne soit véritablement entravé. C'est plus au sud, autour de Douma, Zamalka et Erbin, que les rebelles contrôlaient véritablement des morceaux entiers de l'autoroute, du moins jusqu'au début de l'été 2013. Il semble bien que le régime ait lancé d'abord une opération de nettoyage limitée, avant d'injecter des troupes de renfort supplémentaires devant les premiers succès (chute de Qara en particulier). On peut donc légitimement douter que l'offensive dans les montagnes de Qalamoun soit aussi « vitale » que certains veulent bien le dire, d'autant plus que les rebelles tiennent encore le secteur entre Yabroud et Rankos (plus au sud) et la zone frontalière qui se trouve en arrière, montagneuse et sans route principale.





Quel objectif pour le Hezbollah ?


Après la victoire à al-Qusayr, le Hezbollah a annoncé qu'il menait déjà des reconnaissances dans la région de Qalamoun en prélude à une offensive12. Mais le régime, lui, s'est tourné vers Alep, pour tenter d'emporter enfin la ville. L'offensive sur place se poursuit jusqu'en novembre, de même qu'à Damas. Dans les faubourgs sud de la capitale, l'armée parvient à couper une des lignes de ravitaillement des rebelles en s'emparant de Sbeineh le 7 novembre. En outre, une offensive vise à dégager un corridor en passant par le sud/sud-est d'Alep, via Khanassir, au même moment.

Or le Hezbollah, qui parle beaucoup de Qalamoun dans son discours officiel, y a d'autres objectifs que simplement assurer les lignes de communication du régime syrien. De plus en plus en effet, les combats tendent à se déplacer du côté libanais de la frontière, et les attaques contre le mouvement chiite se multiplie. Omar al-Atrash, qui a été tué le 11 octobre 2013 dans la vallée entre Arsal et les montagnes de Qalamoun, était ainsi responsable du passage de 4 voitures piégées pour le front al-Nosra à destination de la Syrie, et a sans doute participé à des attentats en 2013 ciblant le Hezbollah à Beyrouth. La population d'Arsal a empêché la police libanaise d'accéder au cadavre. Le Hezbollah cherche donc à éviter que ne se constitue une base arrière dans les montagnes de Qalamoun, articulée avec Arsal, qui ciblerait ses intérêts au Liban. C'est pourquoi ses troupes se focalisent surtout sur la coupure de la logistique et l'élimination des responsables -certaines sources évoquant même la formation d'escouades d'assassins pour ce faire. Mais le Hezbollah subit aussi des pertes : ainsi, quelques jours après le début de l'offensive de Qalamoun, 20 de ses combattants sont tués lors d'un choc avec les rebelles, après qu'une unité de la 4ème division blindée syrienne se soit retirée, laissant une formation du Hezbollah en mauvaise posture. Une douzaine de prisonniers sont aussi à mettre au décompte des pertes. Par ailleurs, le neveu du ministre de l'agriculture libanais, membre du Hezbollah, est également tué durant l'offensive.

En outre, confirmant les craintes du mouvement chiite, un double attentat suicide vise l'ambassade iranienne à Beyrouth, le 19 novembre, alors que l'offensive bat son plein13. L'attaque est revendiquée par les bataillons Abdullah Azzam, du nom d'un Palestinien (mort en 1989) qui avait servi de recruteur pour le djihad en Afghanistan contre les Soviétiques, et qui avait également contribué à formuler la doctrine moderne du djihad au sein des salafistes. Le groupe, qui s'est formé après l'invasion de l'Irak par les Américains en 2003, a d'abord mené des attaques contre des touristes en Egypte (2004-2005) avant d'être chassé par les services de sécurité locaux et de trouver refuge au Liban. Il a des liens avec al-Qaïda et notamment avec al-Zarqawi, qui dirige un temps la branche irakienne de l'organisation. Il est d'ailleurs commandé par des Saoudiens vétérans des combats en Irak. L'organisation recrute dans les camps de réfugiés palestiniens, en particulier celui de Ain al-Hilweh au Sud-Liban. L'attentat est peut-être l'indicateur d'un accroissement sensible de l'efficacité de l'organisation, qui jusque là, il faut bien le dire, n'avait mené que des attaques très limitées. Il montre en tout cas que l'implication du Hezbollah aux côtés du régime syrien a des répercussions non négligeables sur la situation au Liban.


Bibliographie :


Isabel Nassief, Hezbollah And The Fight For Control in Qalamoun, Institute for the Study of War, 26 novembre 2013.

Omar Kaied, « The coming 'battle for Qalamoun' », Al Monitor, 21 novembre 2013.

Aron Lund , « Who Are the Abdullah Azzam Battalions? », Carnegie Middle East Center/Guide to Syria in Crisis, 21 novembre 2013.

Radwan Mortada, « Al-Akhbar in Qalamoun: Our War Has No Red Lines », Al-Akhbar English, 19 novembre 2013.

Radwan Mortada « Al-Akhbar in Qalamoun: Cave Commandos Vow to Move War to Lebanon », Al-Akhbar English, 21 novembre 2013. 


 
1Isabel Nassief, Hezbollah And The Fight For Control in Qalamoun, Institute for the Study of War, 26 novembre 2013.
2Omar Kaied, « The coming 'battle for Qalamoun' », Al Monitor, 21 novembre 2013.
3Omar Kaied, « The coming 'battle for Qalamoun' », Al Monitor, 21 novembre 2013.
4Omar Kaied, « The coming 'battle for Qalamoun' », Al Monitor, 21 novembre 2013.
5Omar Kaied, « The coming 'battle for Qalamoun' », Al Monitor, 21 novembre 2013.
6Un Saoudien, Abu Oqab, serait le spécialiste de la fabrication des voitures piégées. Radwan Mortada « Al-Akhbar in Qalamoun: Cave Commandos Vow to Move War to Lebanon », Al-Akhbar English, 21 novembre 2013.
7Radwan Mortada, « Al-Akhbar in Qalamoun: Cave Commandos Vow to Move War to Lebanon », Al-Akhbar English, 21 novembre 2013.
8Basé, au début de l'offensive, autour du village de Rima, près de Yabroud. Radwan Mortada, « Al-Akhbar in Qalamoun: Our War Has No Red Lines », Al-Akhbar English, 19 novembre 2013.
9Al-Nosra a récupéré, par exemple, le bataillon Bilal al-Halabashi, qui avait échappé au siège de Qusayr pour se réfugier dans les montagnes de Qalamoun. Radwan Mortada, « Al-Akhbar in Qalamoun: Our War Has No Red Lines », Al-Akhbar English, 19 novembre 2013.
10Radwan Mortada, « Al-Akhbar in Qalamoun: Cave Commandos Vow to Move War to Lebanon », Al-Akhbar English, 21 novembre 2013.
11Isabel Nassief, Hezbollah And The Fight For Control in Qalamoun, Institute for the Study of War, 26 novembre 2013.
12Isabel Nassief, Hezbollah And The Fight For Control in Qalamoun, Institute for the Study of War, 26 novembre 2013.
13Aron Lund , « Who Are the Abdullah Azzam Battalions? », Carnegie Middle East Center/Guide to Syria in Crisis, 21 novembre 2013.

Pierre MILZA, Napoléon III, Tempus 159, Paris, Perrin, 2006, 852 p.

0
0
Personnage complexe et parfois insaisissable que Louis-Napoléon Bonaparte, alias Napoléon III. La légende noire, en grande partie forgée de son vivant et développée sous la IIIème République, a certes beaucoup influencé l'historiographie, mais elle est écartée aujourd'hui au profit d'une "légende dorée" qui ne tend plus à voir que les aspects positifs du régime, en "gommant" les zones d'ombre, comme le coup d'Etat de 1851 ou la répression. J'avais fait, aux débuts de ce blog, un tour historiographique de la question, alors que certains membres du gouvernement alors au pouvoir cherchaient à réhabiliter Napoléon III. Est-il finalement possible d'envisager une histoire débarrassée de ces deux écueils ? La biographie de Pierre Milza, en replaçant l'homme dans son époque, y tendait un peu.

Malheureusement dépourvu d'une introduction qui aurait été pourtant nécessaire pour présenter le sujet et la problématique, le livre commence directement sur la naissance de Louis-Napoléon Bonaparte, fils de Louis, roi de Hollande, un des frères de Napoléon, et de Hortense de Beauharnais, fille de Joséphine, la première épouse de l'empereur. On a beaucoup glosé sur la filiation supposée du futur Napoléon III, sans doute à tort : il est probablement bien le fils de Louis. Né en 1808, Louis-Napoléon est encore tout jeune enfant lorsqu'il est le témoin de la débâcle de son oncle en 1814, sa mère ménageant les intérêts de ses enfants avec les vainqueurs, en attendant de revenir vers l'empereur, pendant les Cent-Jours, en 1815.



Hortense est ensuite contrainte à l'exil. Réfugiée à Arenenberg, ce n'est qu'alors qu'elle commence à se soucier de l'éducation de ses fils, et en particulier de celle de Louis-Napoléon. Faute de père, celui-ci dispose comme modèle d'un oncle, Eugène de Beauharnais, l'une des anciennes gloires de l'Empire, jusqu'à sa mort en 1824. La famille se déplace en Italie à partir de 1823. A 20 ans, Louis-Napoléon résume assez bien l'esprit romantique du temps. Il s'y forge une conscience politique, autour des patriotes italiens et des idées de liberté et de nation. Il veut partir en Grèce combattre les Ottomans, mais sa mère l'en dissuade.

Alors que la Restauration s'effondre, en 1830, Louis-Napoléon et son frère sont impliqués dans les soulèvements en Italie centrale contre les Autrichiens. Mais la France ne peut intervenir en faveur des insurgés qui sont bientôt écrasés par l'armée de Habsbourg. En fuite, contraint de se cacher avec sa mère, Louis-Napoléon perd son frère, victime de la maladie. Hortense tente de fléchir Louis-Philippe pour revenir en France, mais celui-ci ne peut céder tant la menace est perçue comme importante. Le neveu de l'empereur et sa mère cherchent refuge en Angleterre. En plus de jouer les séducteurs, il prête déjà d'oreille à des conspirations pour rétablir un pouvoir bonapartiste en France. De 1831 à 1836, il séjourne en Suisse, et c'est en 1832 que disparaît l'Aiglon, faisant de lui l'héritier le plus en vue de l'empereur. Revenu en Angleterre en 1832-1833 pour six mois, il y découvre la modernité du pays, passé à l'âge industriel. C'est alors qu'il couche ses premiers écrits : Rêveries politiques, et deux ouvrages plus techniques, sur l'armée suisse et l'artillerie.

Louis-Napoléon est poussé à se marier, mais le projet d'épouse une des filles de Jérôme Bonaparte, Mathilde, n'aboutit pas. De même qu'une première tentative de soulèvement bonapartiste, à Strasbourg, en octobre 1836, montée avec l'aide de Persigny. Louis-Napoléon est finalement exilé aux Etats-Unis, où il ne se plaît guère. Il revient assister sa mère qui se meurt d'un cancer. La mort de cette figure qui l'a beaucoup influencé semble l'avoir mûri. Il part pour l'Angleterre car la monarchie de Juillet, qui a tremblé à Strasbourg, ne veut pas prendre de risques. Il continue d'incarner une sorte d'aventurisme romantique, et publie en 1839 Des idées napoléoniennes, qui fixe déjà un semblant de programme politique. Une nouvelle tentative de soulèvement, à Boulogne, en 1840, échoue pourtant piteusement.

Jugé, Louis-Napoléon est condamné à la réclusion dans le fort de Ham. Une cage dorée, de fréquentes visites, et même des satisfactions sexuelles sont le lot du prisonnier de marque. Louis-Napoléon en profite pour lire énormément, écrit aussi, de nouveau, sur des questions techniques, comme l'industrie sucrière ou, encore, l'artillerie. L'Extinction du Paupérisme, en 1844, traduit l'influence des saint-simoniens, mâtinée de paternalisme et d'autoritarisme. Cependant, Louis-Napoléon, malade (il conserve une claudication suite à l'humidité et une fragilité qui sera peut-être à l'origine de sa malade fatale) ne songe qu'à s'évader. Comme on lui refuse d'aller voir son père qui se meurt et le réclame, il profite de travaux dans le fort pour s'évader au printemps 1846, déguisé en ouvrier, ce qui lui vaudra le fameux surnom de "Badinguet".

Revenu à Londres, il noue une relation durable avec Miss Howard, une Anglaise devenue sa maîtresse. La révolution de février 1848 jette finalement à bas la monarchie de Juillet, mais se méfie encore de l'héritier napoléonien. Celui-ci sait se faire discret mais ses fidèles travaillent à rassembler les mécontents au sein d'un parti de l'Ordre qui est très hétéroclite. Elu député, il se présente finalement au suffrage universel pour la présidence. Certains ténors du parti de l'Ordre pensent naïvement avoir affaire à un ingénu aisé à manipuler. Peine perdue, Louis-Napoléon sait très bien ce qu'il veut et fédère tous ceux qui sont hostiles à la République bourgeoise, et qui ont fait écraser les ouvriers parisiens en juin 1848.

Le prince-président s'installe à l'Elysée, lieu napoléonien par excellence. Il est entouré de fidèles dont son demi-frère Morny. Il affirme son autorité en faisant réprimer les patriotes italiens qui menacent le pape. Les élections législatives de 1849 confirment la victoire du parti de l'Ordre. Louis-Napoléon cherche à la fois à se démarquer de ses adversaires mais aussi, parfois, de ses propres soutiens qui n'ont souvent rien de bonapartistes... Un tournant réactionnaire se dessine dès 1850 avec la loi Falloux et par la suite, Louis-Napoléon réfléchit à la prise de pouvoir par la force.

Les choses s'accélèrent après le rejet par l'Assemblée d'une révision constitutionnelle permettant au prince-président de se représenter pour un nouveau mandat. Dès le mois d'août 1851, le coup d'Etat est en préparation, non sans mal pour trouver des chefs capables en particulier de rallier l'armée. En outre, c'est un secret de polichinelle, à tel point que tout le monde l'attend, ou presque. Le coup d'Etat du 2 décembre, qui contribue évidemment fortement à la légende noire du personnage, confirme l'évolution en filigrane depuis juin 1848. Si la résistance est vite étouffée à Paris, avec tout de même quelques centaines de morts sur les barricades, elle est beaucoup plus dure dans le Midi, en particulier. 30 000 personnes sont arrêtées, des meneurs sont envoyés au bagne à Cayenne, plus de 9 000 autres partisans de l'insurrection déportés en Algérie. Louis-Napoléon lui-même a été effrayé par l'ampleur de la répression et en a atténué les conséquences judiciaires. Un plébiscite rapidement organisé sanctionne la prise du pouvoir par le prince-président.

Celui-ci fait d'abord établir par une constitution une "république consulaire". Un an après le coup d'Etat, le rétablissement officiel de l'Empire est proclamé, le 2 décembre 1852. L'empereur va finalement épouser Eugénie de Montijo, une descendante de bonne famille espagnole rencontrée en 1849, mais qu'il va devoir conquérir jusqu'à l'emporter en 1853. Il exerce le pouvoir seul, avec l'aide de conseillers informels, les assemblées n'ayant plus qu'un rôle de figuration ou presque. La société est surveillée par les préfets, dont bon nombre sont maintenus en place, et par une police urbaine, en particulier, qui est nettement renforcée. La censure serrée et une propagande habile complètent l'ensemble. L'empereur fait des gestes en direction de l'Eglise catholique pour rallier les soutiens. Mais il reste méfiant à l'égard des ultramontains. L'opposition est alors modeste et divisée, mais des républicains entrent au Corps Législatif aux élections de 1858.

Elevé surtout par des femmes, l'empereur, autodidacte, conserve une certaine timidité mais un charme reconnu. Il se jette à corps perdu dans son travail. La personne qui l'a le plus influencé, c'est bien sa mère, dont on retrouve chez lui de nombreux traits. L'impératrice, étrangère et mal vue de ce fait, sait pourtant s'imposer : catholique fervente, son avis compte, mais pas au point de supplanter celui de l'empereur, sauf au moment de la guerre avec la Prusse, circonstances particulière obligent. Les relations avec le reste de la famille Bonaparte sont compliquées. L'empereur est excédé par son cousin Napoléon-Jérôme, "Plonplon". Il est servi par des fidèles comme Morny, ainsi que dans son personnel politique et administratif : Rouher, Baroche, Magne, Fould, etc. Napoléon III continue d'avoir ses "petites distractions" malgré son mariage avec l'impératrice.

"L'empire, c'est la paix", avait déclaré Napoléon III en 1852, pour rassurer les puissances européennes. 18 mois plus tard, la France est déjà en guerre. Le souci de remodeler la carte de 1815 et de soutenir les nationalités l'entraîne à multiplier les interventions militaires. Mais si l'outil diplomatique français est excellent, les moyens militaires sont plus fragiles. Une "belle armée, mais pas une bonne armée" comme l'avait dit Philippe Séguin. Les troupes coloniales sont solides mais cette spécificité n'est pas compensée par une qualité au regard d'affrontements plus traditionnels et surtout par le manque d'incorporation des nouveaux outils de la guerre industrielle. L'effectif est limité. En revanche, la marine française est puissante. La vapeur triomphe, sous la houlette de Dupuy de Lôme. En 1870, la marine compte plus de 300 bâtiments ! Napoléon III se retrouve bientôt entraîné dans une guerre avec la Russie, sur la question des Lieux Saints. En réalité, l'intransigeance du tsar, avide de dépecer l'empire ottoman jugé moribond, a pesé. En outre, Napoléon III cherche à consolider son rapprochement avec l'Angleterre. Mais France et Angleterre ne se sont pas préparées à une telle campagne longue distance, qui aura finalement lieu en Crimée, de 1854 à 1856. Le siège de Sébastopol est long et coûteux. Napoléon se résigne finalement à ne pas prendre le commandement des troupes, accueille Victoria et Albert en France (une première depuis 400 ans !) et fait le voyage retour. Le congrès de Paris en 1856 sanctionne finalement la victoire d'une politique des nationalités, certes chèrement acquise.

C'est alors que commence à se poser sérieusement la question de l'unification de l'Italie. Le Piémont, qui s'est engagé dans la guerre de Crimée, a besoin d'un allié puissant pour défaire les Autrichiens. L'attentat d'Orsini, en janvier 1858, force la main de l'empereur. Celui-ci ne souhaite pas l'unification de l'Italie mais libérer les populations du nord de la férule autrichienne et exercer une sorte d'influence sur ce qui en sortira. Fragile sur le plan diplomatique, l'effort français est tiré par les estocades de Turin, dont les préparatifs militaires entraînent un ultimatum de l'Autriche en avril 1859. La France intervient alors, dans une campagne qui sera difficile. Magenta est une victoire à la Pyrrhus, Solférino une véritable boucherie, qui suscite d'ailleurs la vocation d'Henri Dunant. Les Autrichiens sont battus mais non vaincus. Napoléon se résout à la paix. Cavour et Victor-Emmanuel, avec le renfort de Garibaldi, mettent la main sur le reste de la péninsule jusqu'en 1861.

A ce moment, en interne, le régime connaît un apogée, entre 1858 et 1861. Après le tournant autoritaire suite à l'attentat d'Orsini, Napoléon prend les premières mesures de libéralisation : ce faisant, l'opposition de droite se renforce, autour de la question italienne et de la place du pape en Italie, mais aussi de la politique libre-échangiste voulue par l'empereur. Un groupe se constitue en ce sens, promoteur du libre-échange, autour de Michel Chevalier. Le décret avec l'Angleterre de 1860 est suivi par d'autres avec les Etats euoropéens voisins. Les débats du Corps législatif sont rendus publics. D'aucun y ont vu les signes d'un changement profond.

Napoléon III est l'un des hommes Etats contemporains de la France qui s'est le plus intéressé à l'économie. Il essaie d'appliquer les principes saint-simoniens adaptés à ses propres réflexions. Une politique volontariste, pour doter la France d'une économie moderne, et la stimuler. La conjoncture économique est en outre favorable. Le Second Empire pourvoit la France de son réseau ferroviaire, 20 000 km de voies ferrées en 1870. Les routes sont entretenues, la navigation fluviale développée après 1860. La marine marchande s'accroît. Marseille et Le Havre prennent la tête des ports, le télégraphe électrique se répand partout. Des régions comme la Sologne ou les Landes sont réaménagées sur volonté expresse de l'empereur, qui cherche aussi à démocratiser le crédit et à utiliser la Banque de France pour sa politique économique. Mais la croissance ne touche que certains secteurs et pas sur toute la période. L'agriculture reste derrière l'industrie. Le secteur commercial reste arriéré malgré la naissance de grands magasins. Les deux expositions universelles de 1855 et 1867 cachent mal aussi le règne de "l'argent facile". En termes sociaux, l'empereur se contente d'abord de mesures paternalistes, puis change de tactique après 1861 et le retournement du parti de l'Ordre contre sa politique italienne, en essayant de se concilier les ouvriers. Il leur donne le droit de grève en 1864 et laisse se former des associations, ce qui paradoxalement accélère la décomposition du régime.

Pour Paris, Napoléon veut en faire la capitale de l'Europe. La population a doublé en cinquante ans sur un espace inchangé. Il s'agit surtout d'assurer la sécurité des personnes mais aussi du pouvoir lui-même. Haussmann, chargé du chantier parisien, a su faire des compromis pour traduire dans la réalité les souhaits de l'empereur. La ville est en chantier pendant 20 ans : 20 000 bâtiments rasés, 43 000 construits. Paris est désengorgée, les gares sont reliées par des axes transversaux. La ville s'accroît en taille et en population, la périphérie est absorbée. Etablissements scolaires, casernes, mairies, marchés se multiplient. Le palais de l'Industrie et l'opéra Garnier comptent parmi les bâtiments modernes. Conséquence : les populations pauvres sont chassées du centre vers la périphérie. Le modèle haussmannien s'exporte à Lyon et Marseille, et dans des métropoles régionales, qui, au prix parfois de financements douteux, construisent des quartiers entiers qui remontent encore aujourd'hui à cette période.

Paris est aussi le théâtre de la fête impériale. La Cour des Tuileries montre le faste de l'Empire. Des villégiatures existent aussi en province : Biarritz doit beaucoup à l'impératrice, Saint-Cloud et Compiègne sont aussi des étapes du ballet de l'année. Paris s'organise autour des salons. Offenbach et Verdi animent la vie culturelle parisienne. Les fêtes civiques populaires, comme celle du culte impérial le 15 août, son récupérées par le régime.

L'opinion se réveille à partir de 1862 cependant. L'opposition de droite se cumule avec une opposition de gauche, légale ou illégale. Les élections de 1863 marquent le recul des candidats officiels. La santé de l'empereur se dégrade, surtout à partir de 1865, en raison d'un calcul vésical non traité. Eugénie se préoccupe de plus en plus d'assurer la continuité dynastique pour son fils. L'empereur compense en s'intéressant à César, Vercingétorix et la Guerre des Gaules, pour lesquels il a beaucoup fait et écrit. La libéralisation du régime s'amorce, entamée par la mort de Morny en 1865, qui lui était favorable. Napoléon n'a pas réussi à se rallier les ouvriers. En revanche, Victor Duruy a commencé la démocratisation de l'école, notamment dans l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire féminin. Les heurts avec l'Eglise sont d'ailleurs fréquents jusqu'en 1868, moment où les partisans de la ligne dure du régime triomphent. Préoccupé par un probable affrontement avec la Prusse, Napoléon veut modifier le système de recrutement pour disposer de davantage d'effectifs. Mais l'opposition est déjà tellement puissante que la proposition de Niel est rejetée.

Dans la politique extérieure, les succès ne vont pas être au rendez-vous. La question romaine n'est pas réglée, l'expédition du Mexique tourne au désastre, et les conquêtes coloniales sont des succès qui ne sont pas approuvés par tous, car ils détournent les efforts sur d'autres continents. En Italie, la défaite du Piémont contre l'Autriche en 1866 est patente. La progression sur Rome est arrêtée par Napoléon III, qui sauve le pape en déplaçant des troupes dans la Ville. Le soulèvement de la Pologne contre le tsar, en 1863, montre les limites de la politique napoléonienne sur les nationalités, et distend les relations avec la Russie. Napoléon réoriente l'effort vers les colonies, et notamment vers l'Algérie. Il avait voulu se faire proclamer "roi d'Algérie", accorder un statut particulier aux indigènes, à la grande fureur des colons. La famine de 1867-1868 et les soulèvements en eurent raison. La France s'installe aussi dans d'autres endroits stratégiques comme l'océan Indien. Ce sont aussi les débuts de ce qui va devenir l'Afrique Occidentale Française, l'intervention en Chine de 1859-1860, les prémices de la conquête de l'Indochine et la prise de la Nouvelle-Calédonie. L'expédition au Mexique, qui démarre en 1861, répond à des ambitions économiques de Napoléon, liées aussi au déroulement de la guerre de Sécession, dans l'hypothèse d'une victoire confédérée. Mais l'empereur Maximilien, déniché par Napoléon, n'a pas assez de légitimité ni de troupes pour s'imposer et écraser l'opposition. La victoire nordiste change la donne. Le corps expéditionnaire français se retire en 1867, Juarez l'emporte, Maximilien est fusillé. Napoléon s'est brouillé avec les Etats-Unis et avec l'Autriche, dont l'un des siens a été sacrifié pour peu de choses. En Europe, la victoire de Sadowa renforce pour la France le péril prussien, et Napoléon n'arrive pas à trouver d'allié solide.

Les dernières années du Second Empire (1868-1870 voient la montée d'une opposition radicale. De nouveaux ténors apparaissent, comme Gambetta ou Rochefort dans la presse. Les élections de 1869 confirment le recul du parti de l'Ordre et des candidats officiels, mais la poussée républicaine est limitée par le nombre de députés conservateurs. Persigny et l'empereur penchent pour un empire parlementaire, qui est finalement adopté. Le Corps Législatif retrouve ses prérogatives et Emile Ollivier sert de caution. Quelques mois plus tard, le 8 mai 1870, un plébiscite valide l'orientation prise par Napoléon, même si l'armée, par exemple, a aussi manifesté son opposition plus que de coutume. C'est cependant un empereur malade qui affronte les manoeuvres de Bismarck pour la candidature du trône d'Espagne des Hohenzollern. Autour de l'impératrice et des partisans de l'empire autoritaire, toute une coterie pousse et la guerre et l'empereur ne peut mettre le hola ; Bismarck sait en profiter. Certes, le maréchal Leboeuf proclame que "pas un bouton de guêtre ne manque", mais quand la guerre est déclarée, le 19 juillet 1870, l'armée française est en infériorité numérique, son artillerie est dépassée, et elle fait face à une armée prussienne rompue à la manoeuvre stratégique depuis une décennie. La France est isolée diplomatiquement. Napoléon, conscient de toutes ses faiblesses, prend la tête de l'armée alors qu'il ne peut déjà plus monter à cheval. Eugénie prend les commandes à Paris et consacre la victoire du parti autoritaire. L'issue est rapide. L'empereur, encerclé avec ses troupes et qui veut éviter un bain de sang parmi ses soldats, capitule à Sedan, le 2 septembre. Deux jours plus tard, le Second Empire tombe à Paris face à la rue.

Passant par la Belgique, Napoléon est détenu au château de Wilhelmshöhe, qui a connu les fastes du Premier Empire.  Il écrit, se réconcilie avec Eugénie, tandis que Bismarck cherche à le manipuler pour négocier une paix favorable aux vainqueurs, en parallèle des nouvelles autorités de la République. Ce n'est qu'après l'armistice de janvier 1871 et la chute de Paris que Napoléon est libéré et part en exil, à nouveau, en Angleterre. L'empereur déchu ne désespère pas de récupérer son trône, entretenu dans ses espoirs par les fidèles qui l'ont suivi. Une conspiration est même esquissée en 1872, alors que l'état de santé de Napoléon s'aggrave. Il consent finalement à être opéré, mais décède des suites de l'opération, le 9 janvier 1873.

Mis en terre par les Anglais, Napoléon n'est pas beaucoup pleuré en France : on lui reproche d'être responsable de la défaite et de l'amputation du territoire. La légende noire se construit parce que la République a besoin d'un repoussoir. La dénonciation du césarisme, de la dérive autoritaire, devient partie prenante de la République parlementaire. Après les travaux de La Gorce et Ollivier, l'historiographie républicaine reste largement hostile à Napoléon III jusqu'en 1914. La réhabilitation -voire l'hagiographie- se développe déjà dans l'entre-deux-guerres et surtout après 1945. Après les travaux de Dansette, deux héritiers de courants de droite signent des biographies du personnage : Louis Girard, dans le courant libéral, et Philippe Séguin, pour le courant "bonapartiste" au sens que lui donnait René Rémond. Pour Milza, le bonapartisme n'est pas vraiment un corps de doctrine, c'est la combinaison de plusieurs éléments : autorité, respect affiché de la souveraineté populaire, concentration des pouvoirs, méfiance envers les institutions parlementaires. Le modèle de Napoléon III, c'est César. Le régime correspond à une démocratie qui serait autoritaire, et a connu différentes phases, ce qui le rend assez inclassable. Il n'y jamais eu de parti bonapartiste en tant que tel, il n'y en aura pas après la mort de l'empereur, et de son fils en 1879 contre les Zoulous. Les dernières organisations ne sont mises en sommeil, cependant, qu'en 1940. Pour Milza, l'influence du bonapartisme se voit surtout dans sa rencontre, à la fin du XIXème siècle, avec le fond contre-révolutionnaire qui donne naissance à une extrême-droite qui en fait la synthèse, comme on peut le voir au moment de l'affaire Dreyfus, après l'épisode Boulanger. Pourtant, à droite, un courant légaliste se maintient, comme l'illustre l'exemple du parti de La Rocque puis le RPF de De Gaulle, avec des influences bonapartistes. Reste que pour l'historien, Napoléon III et le Second Empire ont participé à leur façon à la construction politique de ce qu'est devenue la France aujourd'hui.

Comme le précise Fabien Cardoni dans sa propre recension pour la Revue d'histoire du XIXème siècle, Milza multiplie les coquilles, et consacre peut-être un peu trop de pages à Verdi, dont il est aussi le biographe. Par ailleurs, il avance assez fréquemment la comparaison entre Napoléon III, et Mussolini, qu'il connaît surtout pour en être, cette fois, le spécialiste, mais ce n'est pas poussé jusqu'au bout, notamment dans la filiation politique : cela laisse un peu sur sa faim. Visiblement, Pierre Milza a voulu faire une -grosse- synthèse à destination du grand public, bien à jour sur le plan historiographique, mais qui peut décevoir, effectivement, comme le souligne Cardoni, le connaisseur, car elle n'apporte rien de nouveau, particulièrement dans l'analyse. Reste le plaisir de lire une somme qui ne fait ni partie de la légende noire, ni de la légende dorée. Par les temps qui courent, c'est plus que bienvenu.
Viewing all 1172 articles
Browse latest View live




Latest Images