Quantcast
Channel: Historicoblog (3)
Viewing all 1172 articles
Browse latest View live

L'autre côté de la colline : Xuan Loc, les précisions et corrections d'Albert Grandolini


Au commencement était la guerre...25/Le joueur d'échecs. Manstein : renaissance et défaite de la guerre de mouvement à l'allemande

0
0
Article publié simultanément sur l'Alliance Géostratégique.


Manstein. Le nom est comme nimbé d'une aura de légende. Le « coup de faucille » de mai 1940, la conquête de la Crimée, le « coup de revers » de la contre-offensive de février-mars 1943 devant Kharkov : autant d'épisodes, soigneusement orchestrés d'ailleurs par Manstein lui-même dans ses mémoires, qui semblent témoigner du brio de celui que Guderian appelait « notre plus brillant cerveau ». Les mémoires de Manstein, devant lesquelles un Basil Liddell Hart tombait presque en pamoison, ont d'ailleurs fortement contribué à modeler la vision occidentale du conflit germano-soviétique à l'heure de la guerre froide. Paradoxalement, le maréchal allemand n'a pas passionné les historiens1, à l'inverse d'un Guderian ou d'un Rommel. Sa condamnation après la guerre a probablement joué, en dépit de la portée de ses mémoires -qu'une récente biographie française (qui ne se veut pas biographie, d'ailleurs2) suit presque quasi exclusivement3. Manstein, le joueur d'échecs, n'a pas été qu'un brillant officier d'état-major : ses succès comme ses revers témoignent de ce que la Reichswehr avait voulu créer après la défaite de 1918. Le retour à une guerre de mouvement, dans la plus pure tradition prussienne, avec les armes apparues pendant la Grande Guerre ; une armée « apolitique », cantonnée à l'exécution tactique et opérative, abandonnant la stratégie au pouvoir politique, quand bien même est-il nazi ; et, in fine, le culte de l'offensive, quels que soient les risques, pour emporter rapidement la victoire par la bataille décisive. C'est cette conception de la guerre, de l'armée et de son rôle qu'illustre Manstein, et qui sera prise en défaut pendant la Seconde Guerre mondiale.


On ne naît pas maréchal ?


La Prusse, dès le XVIIème siècle, aurait développé selon certains historiens4 une forme de guerre de mouvement (Bewegungskrieg), véritablement théorisée par la création de l'état-major général au XIXème siècle. Environnée d'ennemis et fréquemment inférieure en nombre, elle aurait favorisé des manoeuvres opérationnelles audacieuses de façon à désorienter l'adversaire puis à le vaincre rapidement par la recherche d'une seule bataille décisive. Ce schéma aurait été appliqué contre l'Autriche en 1866, puis contre la France en 1870-1871, et le fameux « plan » Schlieffen n'en serait qu'une énième illustration. Mais pendant la Première Guerre mondiale, l'Allemagne échoue : elle est condamnée à une guerre de positions (Stellungskrieg) et d'attrition pendant quatre ans. Manstein est aux premières loges pour observer cette évolution, en tant qu'officier d'état-major.



Manstein est un produit de cette forme de guerre de mouvement, qu'il appliquera pendant la Seconde Guerre mondiale au service du IIIème Reich. C'est lui qui conçoit le fameux « coup de faucille » (Sichelschnitt) qui met la France à genoux en six semaines. Puis, il conquiert la Crimée suite à l'invasion de l'URSS, avant de rétablir une situation compromise, au printemps 1943, par le désastre de Stalingrad, tout en redonnant l'initiative opérationnelle à la Wehrmacht par une brillante contre-offensive. Manstein se fait ensuite l'avocat d'une défense mobile qui éviterait à l'Allemagne une guerre de positions et une attrition trop sévère. C'est aussi un innovateur sur le plan tactique : il est à l'origine de la Sturmartillerie avant la guerre. Mais son style de commandement est de moins en moins adapté à la situation de l'Allemagne qui est en train de perdre la guerre. Il bâtira sa légende après la guerre, et s'autoproclamera le « général le plus brillant » d'Hitler : pourtant, ses compétences sont loin d'être uniques au sein de l'armée allemande, et Manstein n'a fait que porter à son pinacle la manoeuvre opérationnelle telle qu'elle s'inscrivait dans un art de la guerre que l'on peut faire remonter, donc, jusqu'au royaume de Prusse.

Né en Hesse en 1887, Manstein, né von Lewinski, fils d'un artilleur prussien, porte en fait le nom de son oncle, qui n'avait pas d'enfants. De par ses origines familiales, Manstein est apparenté à pas moins de 5 généraux prussiens : autant dire qu'il baigne dès le départ dans un milieu militaire, celui des aristocrates prussiens. Ses deux grands-pères ont été généraux et l'un a dirigé un corps d'armée pendant la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Manstein est également le neveu de Paul von Hindenburg. Dès l'âge de 13 ans, il est envoyé dans une école de cadets dans le Schleswig-Holstein et il est enrôlé dans le corps des pages du Kaiser, Guillaume II. En 1902, il entre à l'académie des officiers de Gross Lichterfelde à Berlin : il en sort en 1906 comme enseigne dans l'infanterie. Il prolonge sa formation à l'académie militaire royale près de Coblence. Il est affecté au 3. Garde-Regiment zu Fuss, le vieux régiment de Hindenburg. Il y sert pendant huit ans. Son régiment le détache à la Kriegsakademie en 1913, ce qui lui aurait ouvert les portes de l'état-major général, mais le déclenchement de la Première Guerre mondiale annule cette perspective.

En août 1914, il sert dans le 2. Garde-Reserve Regiment, engagé en Belgique puis en Prusse-Orientale. Il participe à l'avance sur Varsovie en octobre 1914 avant que les Russes ne contre-attaquent et ne refoulent les Allemands. Manstein est blessé près de Cracovie. Il revient au front en 1915 comme officier d'état-major en Pologne, puis en Serbie, où il est décoré de la Croix de Fer 1ère classe. En avril 1916, il part pour la France où il sert toujours comme officier d'état-major dans le secteur de Verdun puis sur la Somme. Bien qu'il n'ait pas été formé à l'état-major général, en octobre 1917, il devient officier opérations au niveau divisionnaire jusqu'à la fin de la guerre. C'est un parcours atypique pour un officier d'infanterie, puisqu'il n'a quasiment jamais commandé au feu : mais son savoir-faire d'état-major lui vaut d'être intégré par la Reichswehr. Il a acquis son expérience d'état-major pendant la guerre et non en servant dans la Kriegsakademie : c'est peut-être là que réside son originalité et son non-conformisme en la matière5.


Retourner aux fondamentaux et à la guerre de mouvement : Manstein et la Reichswehr


Manstein participe à l'organisation de la Reichswehr, en février 1919, aux côtés du général von Lossberg, à Breslau : ce général est lui-même un pur officier d'état-major et devient un mentor pour Manstein. Celui-ci épouse en 1920 une aristocrate silésienne dont les terres ont été en grande partie récupérées par les Polonais suite au Traité de Versailles. Ce n'est qu'en octobre 1921 que Manstein reçoit son premier commandement véritable dans l'infanterie : celui de la 6. Kompanie de l'Infanterie-Regiment 5à Angermünde, au nord-est de Berlin. Deux ans plus tard, Manstein retourne dans un travail d'état-major : la Reichswehr cherche en effet à contourner le Traité de Versailles en assurant la formation des officiers. Sous la houlette de von Seeckt, Manstein étudie la guerre précédente pour donner à l'armée allemande sa pleine mesure dans la guerre moderne. La guerre de mouvement est revue à l'aune de l'emploi des chars, des avions, des tactiques d'infiltration de l'infanterie mises en oeuvre pendant la Grande Guerre. La Reichswehr prépare la renaissance d'une armée allemande tournée à nouveau vers l'offensive.

Véhicule blindé de la Reichswehr. Celle-ci prépare dès 1919 la renaissance de la guerre de mouvement selon la tradition allemande, en tirant les leçons de la Grande Guerre.-Source : http://www.kfzderwehrmacht.de/Hauptseite_deutsch/Kraftfahrzeuge/Deutschland/Daimler/Sd__Kfz__3/Bundesarchiv_Bild_102-10893__Reichswehr__Panzerkraftwagen_mit_M.-G..jpg


Promu major en 1928, Manstein est assigné un an plus tard au Truppenamt, dans la section opérations et planification, qui est en réalité un état-major déguisé, puisqu'interdit par le Traité de Versailles. Il se penche en particulier sur les questions de mobilisation et sur la mise au point de nouveaux matériels. Il est promu lieutenant-colonel en octobre 1931. Il a l'occasion d'aller en URSS, où l'Allemagne test de nouveaux concepts et s'entraîne sur des matériels interdits depuis 1922 : il visite l'école d'entraînement des Panzerà Kazan et des installations à Moscou, Kiev et Kharkov. En octobre 1932, il reçoit son second commandement en prenant la tête du II. Jäger-Bataillon du 4. Preussen Infanterie-Regimentà Kolberg. Il y est encore lorsqu'Hitler devient chancelier, le 30 janvier 1933.

Manstein bénéficie assez rapidement de l'arrivée au pouvoir des nazis puisqu'il prend la tête de la section opérations du nouvel état-major de l'OKH, dirigé par le général Beck. Il doit concevoir un premier plan en cas de guerre contre la France ou la Tchécoslovaquie. Le Fall Rot prévoit de défendre la Ruhr et Manstein soumet à Beck l'idée de construire une ligne de fortifications face à la France. Manstein et Beck s'opposent aux promoteurs d'une arme blindée indépendante, comme Guderian : Manstein propose à cette occasion le concept de Sturmartillerie, pour accompagner l'infanterie, à raison d'un bataillon par division, sous le contrôle de l'artillerie, plutôt que de donner naissance à une arme blindée autonome. C'est pourtant les tenants des blindés qui l'emportent puisqu'Hitler ordonne la formation des trois premières Panzerdivisionen.

Manstein est également à l'origine du Fall Winterübung qui conduit à la réoccupation de la Rhénanie en 1936, année où il passe également au rang de Generalmajor et devient l'adjoint de Beck. C'est lui qui met également au point le Fall Grün et le Sonderfall Otto pour l'occupation de l'Autriche. Il est cependant victime du conflit entre les nazis et la hiérarchie militaire traditionnelle : les évictions de Fritsch et de Blomberg, puis celle de Beck en 1938, conduisent à son remerciement de l'état-major et il part commander la 18. Infanterie-Divisionà Liegnitz. Cependant, après l'occupation des Sudètes, il est appelé au QG du général von Rundstedt où celui-ci lui apprend qu'il est nommé chef d'état-major du Heeresgruppe Süd dans le cadre du Fall Weiss, l'invasion de la Pologne. Le chef opérations de l'état-major n'est autre que Blümentritt, une vieille connaissance de Manstein, avec lequel il organise le déploiement des troupes.


De l'ombre au triomphe


Manstein est bien placé, pendant la campagne, pour observer le renouveau de la guerre de mouvement appliquée par la Wehrmacht. Il n'éprouve aucun scrupule à l'encontre de la politique d'agression du Führer. Le groupe d'armées de von Rundstedt fait ensuite mouvement à l'ouest : au QG de l'OKH, à Zossen, Manstein réussit à se procurer le Fall Gelb, le projet d'attaque à l'ouest. Pris de court par l'entrée en guerre de la France et du Royaume-Uni et par les exigences d'Hitler, qui veut attaquer rapidement, Halder, le chef de l'OKH, bâtit un plan largement inspiré de celui de Schlieffen en 1914.

Manstein pense que le plan de Halder est trop prévisible : en outre, il ne correspond pas à la forme de guerre de mouvement « historique » choisie par les Allemands et ne laisse pas la possibilité de procéder à des encerclements (Kesselschlachten). Il envoie donc une note à l'OKH pour insister sur la nécessité d'obtenir la surprise opérationnelle de façon à pouvoir donner sa pleine mesure à la guerre de mouvement. Il propose d'utiliser un poing blindé de plusieurs Panzerdivisionen pour frapper à travers les Ardennes, puis envelopper les troupes franco-britanniques avancées en Belgique en Hollande en se rabattant vers la Manche -le fameux « coup de faucille » (Sichelschnitt). Un autre enveloppement, en direction de Dijon cette fois, permettrait aussi d'encercler les troupes françaises qui garnissent la ligne Maginot. C'est une réponse classique d'état-major allemand, mais Halder n'en a cure et fait en sorte que les mémos de Manstein n'atteignent pas le Führer. Manstein obtient pourtant le soutien de Guderian, grand praticien de l'arme blindée, enthousiasmé par son plan. Halder finit par se débarrasser de Manstein en l'envoyant prendre la tête du XXXVIII. Armee Korpsà Stettin. 





Mais Manstein parvient à faire glisser par l'un de ses proches dans l'entourage du Führer son plan d'attaque à l'ouest. Lors d'un déjeûner avec Hitler en compagnie d'autres officiers le 17 février 1940, il parvient à le séduire, d'autant plus que le Führer n'est pas satisfait du plan de Halder, qui peut déboucher sur une guerre d'attrition. Le plan de Manstein est adopté et exécuté, mais son concepteur ne peut constater de visu les effets que fin mai 1940, lorsque son corps d'armée rejoint le front. Pendant l'offensive de la Somme, à partir du 5 juin, Manstein fait progresser ses troupes de près de 500 km en 17 jours. Il est promu General der Infanterie et reçoit la Croix de Chevalier de la Croix de Fer.

Il n'est pas impliqué dans les plans d'invasion de l'Angleterre ni dans ceux de Barbarossa, soigneusement tenu à l'écart par Halder. Il prend la tête, en février 1941, du LVI. Armee Korps (mot.), et il apprend le 30 mars que son corps est rattaché au Panzergruppe 4 de Hoepner, au sein du Groupe d'Armées Nord, pour l'invasion de l'URSS. Il s'agit de nettoyer les Etats baltes puis de prendre Léningrad en six à huit semaines. Deux semaines avant l'attaque, Manstein est présent lorsqu'Hitler avertit ses généraux du caractère nouveau de la guerre à l'est, conçue comme une « guerre d'extermination », avec notamment le fameux Kommissar Befehl, qui enjoint d'exécuter tous les commissaires politiques capturés.

Le 22 juin 1941, le corps de Manstein, 8. Panzerdivision en tête, progresse de 70 km en territoire soviétique. Le 26 juin, après avoir parcouru plus de 300 km, Manstein s'empare, avec l'aide d'un détachement de Brandenburgers, d'un pont sur la Dvina, à Daugavpils. Mais Manstein est à 100 km en avant du groupe d'armées, les réserves d'essence sont épuisées et l'infanterie est à l'arrière. Le problème logistique se fait déjà cruellement sentir ; en outre, Manstein n'a pas encerclé ni détruit des forces considérables, il a fait moins de 5 000 prisonniers. Dès le 28 juin, Manstein affronte les bombardements aériens des ponts sur la Dvina par l'aviation soviétique et la contre-attaque du 21ème corps mécanisé du général Lelyoushenko, un des grands experts de l'arme blindée dans l'Armée Rouge, qui ne débouche pas.

Malgré le renfort de la division SS Totenkopf, la poursuite des Soviétiques se ralentit. Manstein doit encercler, avec l'autre corps motorisé du Panzergruppe 4, le XLI. de Reinhardt, les forces ennemies sur la Louga. Mais l'Armée Rouge conserve du mordant : notant que les deux corps d'armées sont trop éloignés pour s'appuyer mutuellement, une contre-attaque, conçue par Vatoutine, est lancée contre Manstein par la 11ème armée à Soltsy. La 8. Panzerdivision, attaquée le 15 juillet par de l'infanterie, plus d'une centaine de chars T-26, soutenus par l'artillerie et même par l'aviation, est encerclée et ne se dégage qu'à grand peine, et tellement amoindrie qu'elle doit être retirée du front. Manstein reçoit en août deux divisions d'infanterie pour attaquer frontalement les défenses de la Louga, contournées par Reinhardt. Il est sur le point de faire la jonction quand, à nouveau, les Soviétiques lancent une contre-attaque sur le même modèle que celle de Soltsy mais sur une échelle plus grande, à Staraia Russia, le 12 août. Le X. Armee Korps se retrouve encerclé. Manstein, qui a reçu la Totenkopf et la 3. Infanterie Division (mot.), monte une attaque en deux pinces le 19 août contre la 34ème armée de Kachanov : avec le soutien de la Luftwaffe, il parvient à l'encercler et à la décimer. Envoyé pour appuyer la poussée vers Demyansk, Manstein apprend le 12 septembre qu'il est nommé à la tête de l'AOK 11 au Groupe d'Armées Sud. Il a commandé, pendant les premiers mois de Barbarossa, essentiellement à des unités d'infanterie. Son style de commandement agressif, bien dans la tradition de la guerre de mouvement allemande, néglige pourtant le facteur logistique et celui du terrain : en outre, comme le montre la contre-attaque de Soltsy, il n'a visiblement pas cherché à anticiper les mouvements de l'adversaire, qu'il sous-estime de beaucoup.

Quand Manstein prend la tête de l'AOK 11, sa mission est à la fois de foncer vers Rostov-sur-le-Don et de s'emparer de la Crimée. Il envoie un corps d'armée pour conquérir, non sans mal, l'isthme de Perekop, qui contrôle l'accès de la péninsule, mais ne peut exploiter le succès en raison des contre-attaques soviétiques à l'est. Il doit fixer les forces soviétiques qui sont encerclées par le Panzergruppe 1 contre la mer d'Azov, le 7 octobre. Manstein peut ensuite se concentrer sur la Crimée mais il ne dispose que d'unités d'infanterie renforcées de troupes roumaines. L'isthme d'Ishun est forcé, Simféropol puis Kertch sont occupées, mais il faut mettre le siège devant Sébastopol, lourdement défendue par l'Armée Rouge. Un assaut échoue en décembre 1941, notamment parce que Manstein manque d'artillerie, de soutien aérien et d'appui logistique. Les Soviétiques débarquent à la fin du mois à Kertch et à Féodosia et la situation manque de tourner à la catastrophe pour les Allemands avant d'être rétablie en janvier 1942, mais au prix de l'utilisation des dernières réserves de Manstein.

Celui-ci se retrouve face à un port, Sébastopol, bien ravitaillé par la marine soviétique, et face à une armée soviétique de Crimée supérieure en nombre aux assiégeants. Après avoir repoussé plusieurs assauts soviétiques entre février et avril 1942, Manstein propose à Hitler l'opération Trappenjagd pour nettoyer la péninsule de Kertch puis se retourner contre Sébastopol (opération Störfang). Utilisant le même procédé qu'en France, Manstein feinte l'Armée Rouge et attaque par le terrain le plus difficile, puis encercle les forces soviétiques contre la mer d'Azov par un nouveau Sichelschnitt, bien soutenu par le VIII. Fliegerkorps de Richthofen. L'armée de Crimée perd plus de 150 000 hommes et doit se replier au-delà du détroit de Kertch, dans la péninsule de Taman. La décision a été emportée en une semaine, du 8 au 15 mai.




Puis, Manstein se retourne contre Sébastopol. Pour réduire la place, il concentre cette fois une puissante artillerie, dispose alors du VIII. Fliegerkorps et obtient des bataillons de pionniers et de canons d'assaut pour écraser les défenses soviétiques. Manstein ne tient pas en grande estime les troupes roumaines qu'il a sous ses ordres. Contrairement à Rommel ou à d'autres généraux allemands, il ne va pas en première ligne mais coordonne les opérations depuis son PC, à l'arrière. Fin juin, l'infanterie étant épuisée, les munitions manquant et le corps de Richthofen étant redéployé pour le Fall Blau, Manstein joue le tout pour le tout et monte une opération amphibie à travers la baie de Severnaya ainsi qu'une attaque surprise de nuit sur la crête de Sapun, le 29 juin. Les Soviétiques sont obligés d'évacuer Sébastopol où les Allemands entrent le 1er juillet. Victoire impressionnante mais coûteuse (35 000 hommes de l'Axe contre 113 000 Soviétiques) qui vaut à Manstein son bâton de maréchal. Le terrain de la Crimée ne lui a pas vraiment permis de mener une guerre de mouvement mais il a su très bien exploiter les opportunités qui se présentaient. Il a aussi collaboré très étroitement avec les Einsatzgruppen chargés d'exterminer les Juifs et n'a pas bronché devant les massacres de prisonniers de guerre et de civils que ses troupes ont commis, voire qu'il a ordonné (comme à Féodosia).

Devenu expert de la guerre de siège, Manstein est transféré avec son armée devant Léningrad, le 27 août 1942, où se déroule une véritable guerre de positions. Le Groupe d'Armées Nord manque cependant de tout pour répéter l'exploit de Sébastopol. Manstein conçoit cependant une manoeuvre selon son style (opération Nordlicht) pour venir à bout des défenses de Léningrad. Le but est d'ailleurs de couper toute source d'approvisionnement pour la cité de façon à entraîner sa reddition. La Stavka, qui a identifié l'arrivée de Manstein, attaque le jour de son arrivée, le 27 août, contre les hauteurs de Siniavino. Manstein doit engager certaines de ses divisions pour colmater la brèche qui menace de rouvrir un corridor terrestre avec Léningrad. Résultat : Nordlicht doit être reportée.


Manstein, « pompier », « magicien » du front de l'est ?


Le 20 novembre, Manstein est appelé d'urgence pour prendre la tête du nouveau Heeresgruppe Don. La veille, l'Armée Rouge a lancé une contre-offensive majeure sur les deux flancs de la 6. Armee combattant dans Stalingrad. Quand il arrive à Novocherkassk près de Rostov six jours plus tard, l'armée de Paulus est encerclée dans Stalingrad. Les communications sont mauvaises et les premiers renforts pour dégager Paulus de l'étau soviétique n'arrivent qu'au compte-gouttes. Manstein planifie l'opération Wintergewitter en deux pinces pour dégager Paulus. Mais les Soviétiques n'ont guère l'intention de le laisser faire : la 5ème armée de chars attaque sur le Tchir et immobilise tout un corps d'armée de Manstein. Celui-ci est donc contraint de lancer Wintergewitter, le 12 décembre 1942, avec un seul corps d'armée. Dès le deuxième jour, les Allemands abordent la rivière Aksaï, mais pour renforcer la faible 51ème armée qui se trouve sur la route de Manstein, les Soviétiques dépêchent le 4ème corps mécanisé, le 13ème corps blindé et bientôt la redoutable 2ème armée de la Garde. Le Kampfgruppe qui parvient à franchir la Michkova, le 19 décembre, à 48 km du chaudron, bute dans cette dernière formation. Manstein ne veut pas ordonner à Paulus de tenter une sortie, pour ne pas contrevenir aux ordres d'Hitler : en outre, le 16 décembre, les Soviétiques ont lancé l'opération Petite Saturne qui menace le flanc gauche du Groupe d'Armées Don, en plus d'une autre attaque sur le Tchir. La seule réserve mobile de Manstein a été gaspillée dans un effort inutile.

A ce moment-là, Hitler s'entête toujours à conserver le Groupe d'Armées A dans le Caucase, ce qui laisse le flanc gauche de Manstein, jusqu'à Rostov, particulièrement exposé. Fort heureusement pour lui, les défenseurs de Stalingrad tiennent encore pendant un mois ce qui immobilise de nombreuses divisions soviétiques. La destruction de la 2ème armée hongroise à partir du 13 janvier 1943 pousse enfin le Führer, dix jours plus tard, à commencer le retrait des formations engagées dans le Caucase, immédiatement utilisées par Manstein pour garantir son flanc gauche. Les Soviétiques répètent alors leurs erreurs de 1942 et cherchent à exécuter une « opération en profondeur » : l'opération Galop de Vatoutine, les 29-30 janvier, propulse le groupe mobile Popov, avec des unités blindées en sous-effectifs, pour tenter de couper le Groupe d'Armées Don de ses arrières. Le 2 février 1943, le Front de Voronej passe à l'attaque dans le cadre de l'opération Etoile et avance sur Kharkov. Le 6 février, Manstein rencontre Hitler et le persuade de céder de l'espace pour mieux contre-attaquer les pointes soviétiques. Dix jours plus tard, la 3ème armée de chars entre dans Kharkov, évacuée par le II. SS-Panzerkorps dont Manstein vient tout juste de recevoir le commandement. Hitler vient sur place le 17 février, très mécontent de la chute de Kharkov, qu'il avait ordonné de tenir à tout prix : mais Hausser a désobéi à Manstein, qui lui-même ne voulait pas perdre le corps SS pour la défense de la ville. Finalement, Manstein se voit attribuer le commandement du Groupe d'Armées Sud, à charge pour lui de briser les éléments soviétiques, puis de reprendre Kharkov.

Manstein a reçu d'autres renforts d'Europe de l'ouest et peut maintenant reprendre la guerre de mouvement, avec des pinces concentriques pour éliminer les pointes soviétiques. Le 25ème corps de chars est alors à 40 km du Dniepr, mais les forces soviétiques sont épuisées et dispersées. Manstein fait débarquer la 15. Infanterie Division littéralement sous les chenilles du 25ème corps blindé pour protéger le Dniepr. La contre-offensive débute le 20 février, essentiellement menées avec les II. SS-Panzerkorps et XLVIII. Panzerkorps. En trois jours, les Allemands progressent de 100 km, mais le dégel de printemps précoce noie bientôt les véhicules dans la boue. Les Panzerkorpen détruisent au détail les forces de Vatoutine et Manstein peut monter sur Kharkov pour anéantir le Front de Voronej de Golikov, qui fait face à l'Armee Abteilung Kempf. Le 10 mars, les Waffen-SS sont dans les faubourgs de Kharkov et enveloppent la ville par le nord. Hausser s'enfonce, contre l'avis de Manstein, dans des combats de rues : Kharkov est reprise le 14 mars, puis Bielgorod le 16. Manstein souhaite pousser jusqu'à Koursk, mais la Stavka a dépêché des réserves dont plusieurs grandes unités blindées qui barrent la route aux Allemands, et la boue prélève son dû. Les II. SS-Panzerkorps et XLVIII. Panzerkorps ont remporté une belle victoire mais ont été aussi usés par la contre-offensive. Manstein a fait moins de prisonniers que dans les précédents encerclements : il a surtout montré que les Allemands étaient encore capables de mener leur guerre de mouvement, sur une échelle limitée et dans des circonstances favorables.

Reste à éliminer le saillant non réduit qui s'est formé autour de Koursk. Manstein propose d'en venir à bout dès la fin mars 1943, alors que le Front de Voronej est encore amoindri. L'OKH reprend l'idée mais Zeitzler l'incorpore dans un ensemble plus vaste, une attaque en pinces contre le saillant à la fois au nord et au sud. Manstein a donc une responsabilité bien plus importante que ce qu'il concède après la guerre dans ses mémoires en ce qui concerne le déclenchement de l'opération Zitadelle. Ce qui ne devait être qu'une offensive limitée se transforme en une entreprise beaucoup plus importante qui concentre plus de la moitié des blindés allemands à l'est. Manstein, qui doit percer les trois lignes de défense du Front de Voronej, compte sur les sapeurs, l'artillerie lourde et le VIII. Fliegerkorps pour emporter la décision, comme en Crimée. Mais l'Armée Rouge n'est plus le même adversaire qu'en 1942 : elle a bâti une défense très dense, capable de briser la guerre de mouvement allemande dès le 5 juillet. Le succès allemand, tout relatif, à Prokhorovka, n'y change rien : le 13 juillet, Hitler arrête les frais, devant un Manstein consterné qui croit encore pouvoir emporter la décision. Si des pertes considérables ont été infligées aux Soviétiques, Manstein n'a pas atteint ses objectifs opérationnels : aucun encerclement n'a été réalisé.

Il se laisse prendre aux diversions soviétiques sur le Mious et le Donets, qui immobilisent les réserves mobiles allemandes pour la contre-offensive majeure de l'Armée Rouge, planifiée avant le déclenchement de Zitadelle, Roumantsiev, le 3 août. Les 1ère et 5ème armées de chars reconstituées visent Kharkov. Malgré de furieux combats de chars, les Allemands, débordés, doivent évacuer Kharkov le 23 août et tenter de se replier sur le Dniepr. Le 27, Hitler rencontre Manstein à Vinnitsa : il refuse encore le principe de défense mobile et de retirer les troupes du Kouban pour renforcer le Groupe d'Armées Sud. Ce n'est que le 15 septembre qu'il consent enfin à retirer les troupes de Manstein derrière le Dniepr ; à la fin du mois, les armées de chars soviétiques ont déjà établi deux têtes de pont sur le fleuve. Vatoutine piétine dans la tête de pont de Bukhrin. Puis, dans un trait de génie, il fait passer le gros de ses forces, en particulier blindées, dans celle de Lyutezh, au nord de Kiev. Manstein juge le terrain impraticable pour les opérations mécanisées. C'est pourtant de là que déboule la 3ème armée de chars de Rybalko le 3 novembre : elle s'empare de Kiev trois jours plus tard. Manstein, humilié, reçoit des renforts en blindés pour reprendre Kiev : la contre-attaque démarre le 15 novembre, parvient à reprendre Zhitomir et à bousculer Rybalko, mais la Luftwaffe n'est plus aussi puissante, le temps est exécrable, et le 25 novembre, Manstein arrête les frais, sans être parvenu à encercler des unités soviétiques. Impressionné par les divisions d'artillerie de l'Armée Rouge, il crée sur ce modèle la 18. Artillerie Division, avec 116 pièces lourdes. Une nouvelle offensive, le 6 décembre, parvient à encercler des divisions de fusiliers, mais les Allemands ne peuvent les anéantir complètement. Manstein arrête l'attaque le 23 décembre, mais dès le lendemain, le 1er Front d'Ukraine lance la sienne, avec les 1ère et 3ème armées de chars en pointe : Zhitomir est reprise le 30.

Manstein transfère alors la 1. Panzerarmee de son flanc droit à son flanc gauche, ce qui permet à Koniev de s'emparer de Kirovograd le 8 janvier 1944. La 1ère armée de chars soviétique finit également par enfoncer un coin entre la 1. Panzerarmee et la 8. Armee. Mais Manstein a effectué le transfert sans prévenir ni l'OKH ni Hitler, et doit rendre des comptes au Führer le 4 janvier 1944 : il pense surtout à tenter de se faire nommer commandant en chef à l'est, mésestimant profondément la psychologie d'Hitler. Quant il retourne sur le front, les 1er et 2ème Fronts d'Ukraine sont sur le point d'encercler des dernières forces allemandes dans la boucle du Dniepr, à Korsun-Tcherkassy. L'offensive commence le 25 juillet et la poche est scellée trois jours plus tard. Manstein, décidé à ne pas répéter les erreurs de Stalingrad, met rapidement en place un pont aérien et lance une opération de dégagement qui parvient à 7 km du Kessel. Le 16 février, il ordonne de sa propre initiative aux défenseurs de la poche de s'exfiltrer, ce que ceux-ci parviennent à faire, pour les deux tiers, en abandonnant tout le matériel lourd. Un nouveau Stalingrad a été évité mais, encore une fois, les réserves mobiles du Groupe d'Armées Sud sont usées jusqu'à la corde.

Fin mars, un nouvel encerclement se dessine autour de la 1. Panzerarmee de Hube. Manstein n'a pas les moyens de monter un dégagement et doit plaider auprès du Führer en jouant sur le thème du sauvetage des Waffen-SS encerclés. Hitler lâche le II. SS-Panzerkorps d'Europe de l'Ouest, et Manstein ordonne à Hube de pousser vers l'ouest pour rejoindre la 4. Panzerarmee et les forces de relève. Hube, réticent, finit par acquiescer d'autant plus que la Luftwaffe ne peut plus fournir de pont aérien. La manoeuvre surprend Joukov qui attendait une percée par le sud, le chemin plus court pou les assigés, et qui comptait aussi sur le caractère statique de la défense, comme à Stalingrad. Manstein a cependant commis la foucade de trop en ordonnant de lui-même la percée à Hube : convoqué par Hitler le 30 mars, il est remplacé par Model, bien que Hube fasse finalement la jonction le 6 avril.


La chute et la postérité


Manstein alors mis au placard. Il a été approché par les conspirateurs militaires dès 1943, mais il leur a répondu fermement : « Un maréchal prussien ne se mutine pas. ». Fin janvier 1945, alors que les Soviétiques approchent, Manstein se replie avec sa famille vers l'ouest, s'arrête à Berlin, où Hitler refuse de le rencontrer. A Hambourg, il va voir Dönitz, qui a succédé au Führer disparu comme nouveau chef de l'Etat nazi, espérant devenir le nouveau commandant en chef de l'armée. Peine perdue : la fonction échoit à Schörner, nazi fanatique et fidèle parmi les fidèles de la dernière heure. Le 5 mai 1945, il se rend à Montgomery avant d'être emprisonné en Angleterre le 26 août. En août 1946, il est appelé à comparaître devant le tribunal de Nuremberg, où il tente de rejeter les crimes nazis sur les SS tout en disculpant l'armée. Y compris quand le procureur américain lui montre son ordre du 20 novembre 1941 stipulant que le système judéo-bolchévique doit être éradiqué pour toujours. En tant que témoin de la défense, il fait donc piètre figure : Wöhler, son chef d'état-major de la 11. Armee en Crimée, est condamné pour ses liens avec l'Einsatzgruppe D qui a oeuvré dans cette région6.

En août 1949, un tribunal militaire britannique le juge à Hambourg pour les crimes contre les civils et les prisonniers de guerre et pour avoir pratiqué la politique de la terre brûlée en URSS. Manstein pense encore pouvoir se disculper : mais, bien au contraire, l'ancien commandant de l'Einsatzgruppe D témoigne des excellentes relations dont il a bénéficié à l'état-major de la 11. Armee pour mettre en oeuvre ses opérations. Pire, Manstein nie aux commissaires politiques soviétiques, qu'il a ordonné d'exécuter en 1941 lors de la marche vers Léningrad, et qui portent pourtant l'uniforme, tout bénéfice des conventions internationales relatives au droit de la guerre. Bien que soutenu par plusieurs éminentes personnalités britanniques, Manstein est reconnu coupable et condamné à 18 ans de prison. Il est cependant relâché pour « bonne conduite » dès le mois de mai 1953. C'est alors qu'il écrit ses mémoires, Victoires perdues (1955) et Mémoires d'un soldat (1958), qui, avec d'autres de ses anciens camarades généraux ou maréchaux, contribuent à forger une vision très germanocentrée et très édulcorée du front de l'est. Manstein participe aussi à la mise sur pied de la Bundeswehr, mais il est progressivemnt écarté en raison de sa condamnation. Il meurt en 1973, à l'âge de 85 ans.


Conclusion


Manstein aimait à se comparer à un joueur d'échecs, attendant la faute de l'adversaire pour frapper au bon moment. La surprise, la manoeuvre et l'offensive qui caractérisent son style de commandement sont les bases de la guerre de mouvement voulue par la Reichswehr. Chez Manstein, le Schwerpunkt joue sur l'effet de masse, d'où l'emploi d'appuis tactiques importants comme les sapeurs ou la Sturmartillerie. Il favorise souvent un « coup de faux » et non pas un double encerclement sur le fameux modèle des Cannes. En revanche, disposant de moyens limités, son style peut se révéler parfois risqué, d'autant plus qu'il sous-estime fréquemment l'adversaire, soviétique en particulier. Le conflit avec Hitler, qui ne l'a probablement pas tenu en grande estime en dépit de ses qualités, survient surtout à partir du moment où l'Allemagne est cantonnée à la défensive, une situation qui convient mal au style de Manstein. Celui-ci, dans la plus pure tradition allemande, ne retient pas forcément les initiatives intempestives de ses subordonnés. Il a approuvé la guerre d'extermination menée à l'est et s'il se moque du Führer, c'est sur le plan militaire, pas politique. En somme, il illustre parfaitement cette génération d'officiers cantonnés à la simple exécution militaire, là aussi forgée par la Reichswehr. Les mémoires de Manstein, où celui-ci se donne systématiquement le beau rôle, contribuent à forger pendant longtemps le regard occidental sur la guerre à l'est. Le plus grand « cerveau » de l'armée allemande a cependant, comme l'ensemble de la Wehrmacht, trouvé rapidement ses limites dans la Bewegungskrieg, incapable de donner la victoire rapide à l'Allemagne contre l'URSS.


Pour en savoir plus :


Robert M. CITINO, The German Way of War, University Press of Kansas, 2005.

Robert FORCZYK, Erich Von Manstein, Command 2, Osprey, 2010.

Lemay Benoît, « Le Feld-maréchal Erich Von Manstein : étude critique du stratège de Hitler », Guerres mondiales et conflits contemporains , 2006/1 n° 221, p. 71-82.


1Qui se sont aussi plus intéressés à ceux qui ont oeuvré sur le front de l'ouest.
2Le volet intérieur de la couverture précise : « Les ouvrages de la collection Maîtres de guerre ne sont pas des biographies. Ils visent plutôt à montrer l'influence exercée sur le cours de la Seconde Guerre mondiale par le caractère, l'expérience, les initiatives, les intuitions, les forces et les faiblesses de ses principaux acteurs. » . En réalité, on a bien à faire au genre biographique, même si ce n'est pas forcément dans un sens satisfaisant.
3Pierre SERVENT, Manstein, le stratège du IIIème Reich, Maîtres de Guerre, Paris, Perrin, 2013.
4Notamment Robert M. CITINO, The German Way of War, University Press of Kansas, 2005. La thèse est contestable par certains aspects et trouve plusieurs limites, mais l'hypothèse n'en demeure pas moins intéressante.
5Lemay Benoît, « Le Feld-maréchal Erich Von Manstein : étude critique du stratège de Hitler », Guerres mondiales et conflits contemporains , 2006/1 n° 221, p. 71-82.
6Et exécuté au bas mot 33 000 Juifs. Cf Lemay Benoît, « Le Feld-maréchal Erich Von Manstein : étude critique du stratège de Hitler », Guerres mondiales et conflits contemporains , 2006/1 n° 221, p. 71-82.

L'autre côté de la colline : la bataille de Nancy (1477)

0
0
Pour le deuxième article du mois d'août, David François nous parle de la bataille de Nancy (1477) qui vit la fin du Téméraire et de ses ambitions... un affrontement moins connu que Morat et Grandson et finalement peu traité par les historiens. C'est donc l'occasion de voir de quoi il retourne !

De mon côté, pour septembre, je prépare pendant ces vacances quelque chose sur l'Antiquité, et pas sur une bataille archi-traitée type Cannes, Kadesh, etc... à suivre !

José Manuel ROBLEDO et Marcial TOLEDANO, WW2.2, tome 2 : Opération Félix, Dargaud, 2012, 60 p.

0
0
Décembre 1940. Après la victoire française à Paris, le front français se stabilise. Alors que Hess cherche à négocier avec les Britanniques, que les Japonais attaquent l'URSS en Mandchourie tandis que Staline se jette sur les Balkans et que la guerre continue en Afrique du Nord entre Italiens et Britanniques, les Allemands obtiennent le soutien de Franco pour déclencher l'opération Félix, la capture de Gibraltar. Le capitaine Julius Klieber, du 98. Gebirgs-Regiment, participe à l'opération aux côtés de vétérans nationalistes, de la division Grossdeutschland et de la Waffen-SS. Mais il ne s'agit pas, en fait, de ne prendre que le rocher de Gibraltar...


WW2.2 est une BD uchronique, sur une idée de David Chauvel, qui part de l'idée selon laquelle Hitler a péri dans l'attentat de la Bürgerbraukeller, le 8 novembre 1939.  7 albums sont prévus en tout, chacun réalisé par des auteurs différents, pour illustrer cette Seconde Guerre mondiale uchronique. Le premier album, qui voyait les Allemands attirés dans un piège et défaits autour de Paris, ne m'avait pas vraiment convaincu. J'ai voulu prendre le deuxième pour voir si cette impression serait définitive ou non.





Autant le dire tout de suite, j'ai été beaucoup plus accroché par ce deuxième tome, bâti autour de l'opération Félix, la capture de Gibraltar, qui dans la réalité est resté à l'état de projet, Franco posant des conditions trop exigeantes pour le passage des troupes allemandes en Espagne. Plusieurs éléments expliquent que j'ai trouvé ce deuxième tome bien meilleur que le premier.

D'abord, la mise en scène de l'opération Félix est excellente, avec l'intervention de la division Grossdeutschland (effectivement incluse dans le plan allemand réel), des Brandenburgers et des chasseurs de montagne. Il y a des pages magnifiques sur l'assaut de la forteresse, à la fois en extérieur et en intérieur, et qui ne va d'ailleurs pas sans mal. Ensuite, les auteurs n'oublient pas la contribution espagnole, via le capitaine Suarez et sa légion d'anciens nationalistes qui participent à la prise du "Rocher" -sans oublier une Espagne encore guère remise des blessures de la guerre civile... mention spéciale aussi à la présence de "Dora", le canon allemand géant de 800 mm (utilisé notamment dans la réalité contre Sébastopol) et qui, lui aussi, était prévu dans le plan de l'opération Félix. Les auteurs, de ce côté-là, ont bien fait leur travail. 





Mais ce qui tranche incomparablement avec le premier tome, c'est le scénario lui-même. On est loin de l'histoire convenue et qui ne décollait pas : ici, au contraire, c'est une affaire tortueuse, parfois presque trop, où l'opération militaire n'est qu'un prétexte à des manoeuvres politiques et d'espionnage. C'est bien mené et les auteurs savent ménager le suspense jusqu'à la fin, avec un beau retournement de situation final. Le dessin n'est pas vraiment le point fort de la série mais il est suffisamment efficace dans les scènes d'action, c'est l'essentiel.

Bref, la série remonte dans mon estime et je pense que je vais investir dans le troisième tome, pour voir si la qualité se maintient.

Michaël FERRIER, Le goût de Tokyo, Le Petit Mercure, Paris, Mercure de France, 2008, 118 p;

0
0
Pour changer un peu des lectures habituelles, petite recension de ce tome de la collection Petit Mercure, chez les éditions Mercure de France, sur Tokyo.

Edo, devenue Tokyo en 1868, est la capitale d'un Japon à l'heure du changement par le contact avec les Européens, quasiment interrompu depuis plusieurs siècles. La ville se met à l'ère Meiji, avec notamment une véritable révolution dans les transports. D'où une prolifération de l'espace urbain, aussi, que d'aucuns voient comme anarchique. Tokyo a été en grande partie dévastée à deux reprises au XXème siècle, une première fois lors du tremblement de terre de 1923, et une seconde fois pendant les bombardements américains de 1945. D'où un urbanisme "par pièces". Michaël Ferrier propose dans ce petit volume des impressions de personnes, célèbres ou non, à propos de la capitale japonaise.

On découvrira ainsi combien le "voyage à Tokyo" fait partie du cursus des provinciaux, comme dans le Sanshirô de Natsume Sôseki. Tokyo est bien née d'un immense processus de démocratisation et de modernisation, loin de l'espace de coercition qu'on s'imagine traditionnellement. En 1909, un ouléma tatar en visite au Japon s'étonne déjà de l'importance des publicités dans la capitale nipponne ! Le géographe Philippe Pelletier rappelle néanmoins que la tendance actuelle est aussi à la concentration des fonctions résidentielles, commerciales et culturelles sur un même espace afin d'attirer un public toujours plus nombreux et de pousser à une consommation quasi illimitée. Quant à Pierre Loti, il cherche en son temps les sanctuaires d'un Japon qui est en fait en train de disparaître, progressivement. Paul Claudel évoque le tremblement de terre de 1923. Marguerite Yourcenar, elle, n'a pas du tout aimé Tokyo. Plus trivial, ce court passage où est posé la question du traitement des ordures de la capitale, ce qui ne manque pas d'étonner. François Laut décrit dans son premier roman les camions noirs de la haine, ceux des militants d'extrême-droite hurlant leurs slogans en pleine rue dans des mégaphones. Et David-Antoine Malinas parle d'un problème longtemps méconnu de la capitale, celui des sans-abris, qui se multiplient à partir des années 1990. La ville se prête d'ailleurs fort bien aux scénarios apocalyptiques ou futuristes (on pense par exemple à Akira). Sans parler de l'existence des love-hotels.


 

Bref, une plongée sympathique et qui amène à réfléchir sur le Japon et sa capitale, vus à travers les textes.

Stéphane AUDOIN-ROUZEAU et Annette BECKER, La Grande Guerre 1914-1918, Découvertes Gallimard 357, Paris, Gallimard, 2010 (1ère éd. 1998), 160 p.

0
0
Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker sont deux des historiens français les plus éminents de la Première Guerre mondiale : liés à l'Historial de la Grande Guerre de Péronne, travaillant sur la culture de guerre, ils incarnent le volet "consentementà la guerre" du débat historiographique qui fait rage depuis maintenant des années entre les historiens cherchant à expliquer le pourquoi de l'engagement des soldats du conflit.

Une guerre mondiale, une guerre totale, près de 10 millions de morts, 900 Français et 1 300 Allemands qui meurent chaque jour en moyenne entre 1914 et 1918 : tel est le bilan. Les historiens se sont déchirés pour tenter de cerner les causes du conflit. S. Audoin-Rouzeau et A. Becker insistent sur les menaces perçues par chaque camp, qui incitent d'ailleurs à la formation des alliances. La tension franco-allemande, latente depuis la guerre de 1870-1871, est ravivée par les crises au Maroc en 1905 et en 1911. Les Balkans, véritable poudrière, n'ont besoin que de l'étincelle de l'attentat de Sarajevo pour s'embraser. L'Allemagne assume le risque d'une guerre courte et limitée pour soutenir l'Autriche-Hongrie mais la crise échappe à la diplomatie pour concerner toute l'Europe. L'Union Sacrée est de mise, pour la forme, mais moins que ce que l'on a pu en dire, et varie aussi selon les pays. La guerre offensive et courte souhaitée par tous s'enlise bientôt à l'ouest, après l'échec du Plan XVII français et du plan Schlieffen allemand. A l'est, après de premiers revers, les Allemands remportent le grand succès de Tannenberg, baptisé ainsi pour venger "l'affront" de 1410.

La guerre de positions, symbolisée par les tranchées, n'a pas empêché des offensives pour user l'adversaire ou pour percer le front et revenir à une guerre de mouvement. L'année 1916 est la plus chargée en symbole, avec Verdun pour les Français et la Somme pour les Britanniques et les Allemands, qui jouent cette fois, à l'envers, le rôle que tenaient les poilus. Dès cette date, il est évident que l'attaque frontale est vouée à l'échec : l'artillerie ne peut accompagner la progression des fantassins, faute de mobilité suffisante, et le défenseur peut amener à temps ses réserves, en chemin de fer, en auto, à pied. L'artillerie est responsable de la plupart des pertes, les mitrailleuses et les gaz ajoutant au calvaire du combattant. Pour les deux historiens, dans ces conditions, les poilus n'ont pu tenir qu'à cause d'un "patriotisme défensif". En outre, ils sont soudés avec leurs camarades les plus proches et guère coupés de l'arrière, comme on a trop tendance à le croire. Il est exact en revanche que les soldats ont connu une forme de "brutalisation". On retrouve là les arguments de l'école du "consentement".

Très vite, les Etats prennent en charge la production de guerre, pour alimenter le front. Pour payer la guerre, il faut emprunter, ce qui entraîne l'inflation. Le blocus allié provoque la disette puis la famine dans les Empires Centraux, particulièrement en Allemagne entre 1916 et 1918. Paradoxalement la condition ouvrière, elle, tend à s'améliorer un peu. On mobilise les esprits par la propagande mais la population a aussi accès à un autre discours qui relativise la portée du "bourrage de crâne". Le champ religieux envahit également l'espace du deuil et sert à justifier la mission. La culture de guerre est imprégnée d'un ton millénariste, particulièrement en France.

Dès 1914, les armées se rendent coupables de représailles sur les civils : Allemands en France et en Belgique, Russes en Prusse Orientale, Autrichiens en Serbie. Ces atrocités tiennent à la peur, au climat de suspicion contre les civils, mais aussi, souvent, à un climat de supériorité "ethnique". Le génocide arménien n'en est que la conclusion. Certains territoires, comme en France ou en Belgique, ont aussi connu une longue période d'occupation. Les Alliés tentent d'élargir le front aux Dardanelles en 1915, année où l'Italie entre en guerre à leurs côtés, sans succès. L'armée d'Orient tente tant bien que mal de soutenir la Roumanie contre la Bulgarie et les Puissances Centrales. Les Alliés font largement appel à leurs colonies sur les plans humain et économique, et la guerre s'y prolonge comme en Afrique. La guerre sous-marine à outrance déclenchée par l'Allemagne provoque l'entrée en guerre des Etats-Unis, le 2 avril 1917.

Mais l'apport américain ne se fait sentir qu'à l'été 1918. Entretemps, la Russie des tsars s'est effondrée, alors que son armée avait montré encore des capacités en 1916. L'armée russe, amoindrie par la désorganisation de l'économie de guerre, les pénuries, aspire à la paix : c'est la seule du conflit qui se dissout ainsi. Le traité de Brest-Litovsk, signé en mars 1918 après le triomphe des bolcheviks, marque la victoire allemande à l'est, mais il faut du temps et des troupes pour gérer cet espace, qui vont manquer à l'ouest. A l'ouest, en 1917, de nouvelles offensives aboutissent à des échecs sanglants, et après celle du Chemin des Dames, l'armée française connaît des mutineries, plutôt motivées par la rupture du contrat entre le commandement et la troupe que par des sentiments défaitistes ou pacifistes. La situation est la même à l'arrière, où les premières grèves sérieuses et la fin de l'union sacrée ne se font vraiment sentir qu'en 1917.

En mars 1918, les Allemands relancent la guerre de mouvement via des tactiques nouvelles d'infiltration et d'assaut de l'infanterie, expérimentées depuis presque deux ans sur une échelle moindre. Les premiers succès ne portent cependant pas. Il faut dire que Ludendorff et Hindenburg n'ont pas cru aux chars, nouveau matériel qui joue un facteur décisif dans la percée ; en outre l'aviation alliée contrôle le ciel malgré les prouesses des pilotes allemands. L'Allemagne est tout simplement épuisée : elle n'a plus de réserves, l'approvisionnement est défaillant, l'armée est sur le point de craquer. L'armistice consacre la défaite des Puissances Centrales, mais l'armée allemande a l'impression d'avoir sauvé sa réputation : ce n'est pas vraiment une défaite... et la révolution qui éclate dans le pays permet aux anciens soldats de se tourner contre "l'ennemi intérieur" responsable de tous les maux. Le traité de Versailles consacre la victoire des Alliés, mais la SDN n'est pas approuvée par le Sénat américain, tandis que les vaincus sont soumis à des conditions humiliantes, et que certains vainqueurs se sentent frustrés, comme l'Italie.

Le carnage est à la mesure de ce gigantesque affrontement. En France, les ruraux ont beaucoup souffert, mais les élites aussi. Pour la France, les pertes et les destructions matérielles dans certaines régions sont une catastrophe économique et sociale. La guerre a ouvert une parenthèse qui ne se refermera pas. Commémorations et monuments fleurissent dès la décennie 1920. On crée le culte du "soldat inconnu". La Grande Guerre a ébranlé toute l'Europe et constitue un événement majeur de l'histoire du XXème siècle.

La section Témoignages et documents complète utilement le texte principal : on y trouve des extraits de journaux de tranchées, des lettres de l'arrière, des écrits d'enfants, ceux évoquant les attentes après le conflit, des réflexions sur le témoignage des vétérans et une présentation de l'Historial de Péronne. La bibliographie (p.154-155 et complétée d'une filmographie, ce qui est intéressant), essentiellement francophone, illustre bien le débat historiographique de la Grande Guerre : tous les travaux cités relèvent, plus ou moins, de l'école du "consentement à la guerre". A noter aussi que le propos se concentre surtout sur le front de l'ouest, faute de place.

Jean-Jacques BECKER, La Grande Guerre, Que Sais-Je 326, Paris, PUF, 2013 (1ère éd. 2004), 127 p.

0
0
Jean-Jacques Becker, historien et président d'honneur de l'Historial de Péronne, est professeur émérite et spécialiste de la Première Guerre mondiale. Comme il le rappelle en introduction, il a fallu attendre la décennie 1980 pour que l'histoire de la Grande Guerre renouvelle, sous l'effet d'historiens moins marqués directement par son souvenir. Jean-Jacques Becker veut surtout s'attacher à comprendre les causes de la Grande Guerre, ainsi qu'il l'appelle selon l'expression choisie par les contemporains eux-mêmes.

Sur les causes, l'historien insiste sur la crise marocaine de 1911 et sur le rôle clé des Balkans, où des nationalismes s'affirment et où s'affrontent trois grandes puissances : l'Empire ottoman, l'Autriche-Hongrie et la Russie. La montée en puissance de la Serbie semble marquer l'affirmation de la Russie dans la région. L'Autriche-Hongrie est affaiblie : les Allemands le tiennent pour une certitude, et sont résolus à une guerre prochaine, motivée par un nouveau nationalisme ethno-culturel. L'attentat de Sarajevo offre l'occasion à Vienne de régler le compte de la Serbie. La Russie, en mobilisant la première, provoque immédiatement la réaction de l'Allemagne, et c'est l'engrenage. Le Royaume-Uni intervient lui aussi après l'invasion de la Belgique par les Allemands. Le déclenchement de la guerre tient pour beaucoup à des erreurs d'appréciation des protagonistes.

Le champ de bataille principal se situe dans le nord de la France. La mobilisation est considérable, même si en Allemagne, il y a déjà de nombreuses exemptions ; en outre tous les mobilisés ne servent pas au front. Le plan Schlieffen échoue pour plusieurs raisons. Paradoxalement, l'échec du plan XVII français en Lorraine provoque le recul des armées françaises ; la Belgique résiste davantage que prévu ; les Anglais entrent en guerre à leur tour ; les Russes entrent en Prusse-Orientale et Moltke doit y dépêcher des renforts ; enfin, l'armée française se replie en bon ordre et non en déroute. La guerre courte s'envole ; les premières atrocités allemandes, reprises par la propagande, forgent, en France, une véritable culture de guerre. La guerre de positions s'installe, marquée par les tranchées, où les conditions de vie sont précaires. Cela n'empêche pas les offensives limitées pour améliorer les positions ou d'autres, bien plus considérables, pour percer le front ennemi. Cette guerre d'usure, très coûteuse, se prolonge jusqu'en 1917 pour les Français, où les soldats signalent leur "ras-de-bol" par les mutineries. Becker se rattache à l'école du "consentement à la guerre" : il explique que les soldats ont tenu par l'intériorisation d'un patriotisme défensif, en raison de la camaraderie dans les groupes primaires, et du lien avec l'arrière, plus que par la discipline et la répression. La Grande Guerre est aussi une guerre industrielle. L'Etat prend le contrôle de l'économie ; en France, la direction de la guerre reste aux mains du pouvoir civil, en Angleterre elle est partagée avec le pouvoir militaire ; en Allemagne, c'est ce dernier qui s'impose progressivement. On observe un glissement général à droite pendant la guerre. La population tient mais se lasse, particulièrement à partir de 1917, comme le montre la hausse des mouvements sociaux.

A l'est, la Russie mobilise non sans mécontentement dans les campagnes, en particulier. La guerre à l'est est très différente de par la qualité des belligérants, les espaces immenses et les forces en présence. En 1914, les Russes surprennent les Allemands en passant à l'offensive plus vite qu'escompté. Certes, ils sont défaits à Tannenberg, mais remporte aussi de beaux succès en Galicie contre les Autrichiens. Les Allemands entrent cependant à Varsovie en août 1915. L'armée russe se reprend cependant et l'industrie de guerre commence enfin à bien fonctionner : en juin 1916, l'offensive de Broussilov marque encore un beau succès contre les Autrichiens. A l'est, la guerre de mouvement n'a jamais cessé. C'est à l'arrière que va se jouer la décision. Le tsar et sa femme, tombée sous l'influence de Raspoutine, sont critiqués, comme le gouvernement. La pénurie dûe au conflit est très mal gérée par le pouvoir : l'Etat ne peut faire face à la révolution de février 1917. Le gouvernement souhaite continuer la guerre aux côtés des Alliés mais les Allemands favorisent le retour de révolutionnaires plus radicaux, comme Lénine. Kerenski doit lutter à la fois sur sa gauche et sur sa droite : en outre, l'armée russe se délite progressivement en septembre 1917. Les bolcheviks s'emparent du pouvoir, mais les Allemands, trop gourmands, font traîner les négociations et le traité de Brest-Litovsk n'est signé qu'en mars 1918, et un accord définitif en août.

Au sud, l'Empire ottoman, mené par les Jeunes Turcs, entre en guerre aux côtés de l'Allemagne et s'oppose d'abord à la Russie. L'Italie, après bien des hésitations, rejoint le camp allié en mai 1915. Quelques mois plus tard, en septembre, la Bulgarie, perdante des guerres balkaniques, adhère au camp des Puissances Centrales. La Roumanie rejoint les Alliés en août 1916 tandis que la Grèce, contrainte et forcée, le fait en juin 1917. Les guerres au sud sont disparates. L'Autriche-Hongrie est à la peine, dès 1914, contre la Serbie. La défaite des Turcs dans le Caucase entraîne le génocide arménien, qui avait déjà été précédé de massacres dans les décennies précédentes. L'Empire ottoman résiste pourtant en Mésopotamie et dans les Dardanelles. L'Italie se lance à 11 reprises sur l'Isonzo, sous la férule de Cadorna, où les Autrichiens mènent une défense efficace, entre 1915 et 1917. C'est lors de la 12ème bataille, avec l'appui allemand, que les Autrichiens enfoncent le front italien à Caporetto. Les Serbes, quant à eux, ont été pris en tenailles entre les Autrichiens, les Bulgares renforcés d'Allemands : ils doivent fuir par la mer, un exode méconnu et pourtant dramatique. La Roumanie est défaite en mars 1918, les Alliés ont installé un camp retranché à Salonique qui crée une nouvelle guerre de positions. Dans les Balkans, on est plus sur un schéma de troisième guerre balkanique, en réalité.

La guerre est rapidement totale. Les Alliés instaurent un blocus des Puissances Centrales : la flotte commerciale allemande à l'étranger est saisie, la flotte de guerre confinée progressivement dans ses ports. La guerre s'étend aux colonies d'Afrique, en particulier : les Allemands doivent céder même si le général Lettow-Vorbeck mène une guérilla efficace jusqu'à après l'armistice de 1918 dans le sud-ouest africain. Le Japon s'empare quasiment sans coup férir des colonies allemandes en Asie. Les Allemands se mettent à la guerre sous-marine : dans un premier temps, ils n'ont pas assez de sous-marins et respectent les règles étroites d'identification des navires, et la lutte n'est pas efficace. Le torpillage du Lusitania secoue l'opinion américaine. Les militaires imposent pourtant, dès la fin 1916, une guerre sous-marine à outrance. Celle-ci est beaucoup plus rentable. Mais les Anglais créent le système des convois, ruinant progressivement les efforts des U-Boote. En outre, ceux-ci provoquent l'entrée en guerre des Etats-Unis dans le conflit : la guerre devient vraiment mondiale. Même si les volontaires américains ne se pressent pas -il faut recourir à la conscription...

Les tentatives de paix ont existé mais n'ont jamais débouché. Il faut dire que la situation de l'Allemagne jusqu'à la fin de la guerre reste relativement favorable. La France et l'Angleterre quant à elle, n'ont jamais voulu négocier en dehors d'une position de force. Le moral allemand chute avec l'échec de la guerre sous-marine ; en France, dès le printemps 1917 s'installe la "morosité patriotique". Caporetto provoque un raidissement de l'Italie et de l'Autriche-Hongrie. Côté allié, en 1918, comme l'affirme Pétain, on attend "les chars et les Américains". L'Allemagne joue sa va-tout à partir de mars avec de grandes offensives à l'ouest, qui sont de beaux succès tactiques, mais ne débouchent pas. Car il n'y a pas d'objectif clair, les pertes sont lourdes, les transports ne peuvent exploiter la brèche, les Allemands n'ont pas cru aux chars, l'intendance est mauvaise. La contre-offensive de juillet-août porte un coup sévère à l'armée allemande. Le "jour le plus noir de l'armée allemande", le 8 août, voit en fait un début de désagrégation : les prisonniers sont nombreux, les désertions se multiplient. L'armée d'Orient entre en Bulgarie, les Italiens battent les Autrichiens à Vittorio Veneto. L'armistice est signé avec l'Allemagne le 11 novembre 1918.

Le souvenir de la Grande Guerre est immense. Pour Becker, c'est une guerre européenne où l'intervention des Etats-Unis marque un tournant : en entrant dans le jeu international, ceux-ci mondialisent le conflit. La guerre entraîne aussi la révolution en Russie, et l'avènement d'un pouvoir communiste. L'Europe s'affaiblit pendant cette guerre mondiale et paradoxalement, cela provoque les prémices d'une construction européenne.

Les cartes et la bibliographie indicative se situent en fin d'ouvrage. On apprécie dans ce Que-Sais-Je que l'ensemble des fronts soit balayé assez équitablement, même de manière succincte.

L'autre côté de la colline : l'armée suisse à l'aube de la Grande Guerre (Adrien Fontanellaz)

0
0
Pour coller à mes lectures en cours sur la Première Guerre mondiale, le dernier article du mois d'août de L'autre côté de la colline, proposé par Adrien Fontanellaz, revient sur l'armée suisse et son évolution jusqu'à la Grande Guerre. C'est un avantage d'avoir parmi la rédaction du blog un citoyen helvétique, qui nous permet ainsi d'aborder des sujets souvent mal connus (et y compris de moi) des lecteurs français, comme l'histoire militaire suisse. A lire sans hésitation, donc !

A suivre également : un petit bilan début septembre, après 6 mois d'activité.

Yann LE BOHEC, La bataille de Lyon 197 ap. J.-C., Illustoria, Lemme Edit, 2013, 105 p.

0
0
La bataille de Lyon, en 197 ap. J.-C., est assez connue des personnes qui s'intéressent à l'Antiquité romaine : c'est elle qui donne à Septime Sévère la victoire contre son dernier compétiteur, Clodius Albinus, et lui permet de devenir définitivement l'empereur de Rome. Si la date est bien connue, la bataille l'est beaucoup moins. C'est d'autant plus regrettable que Dion Cassius, contemporain de cet affrontement, en a laissé le récit, certes déformé par le moine Xiphilin, le Byzantin qui nous l'a transmis. Yann Le Bohec, un des spécialistes universitaires français de l'armée romaine, veut s'attacher à en retracer le déroulement. On s'étonne en revanche -mais je ne m'attarde pas là-dessus, l'ayant déjà fait un peu ailleurs- que l'historien donne comme seule explication du "déclin" de l'histoire militaire l'influence du marxisme-léninisme ( sic), qui aurait laissé le sujet aux "colonels retraités", formule fétiche et ressassée de Yann Le Bohec. L'historien, en plus de revenir sur le texte fondamental, se propose d'examiner les découvertes archéologiques et de revenir sur la question politique, puisque l'avènement de Septime Sévère est souvent vue comme un changement important dans l'ère du Haut-Empire.



Dans la première partie, Yann Le Bohec revient sur les causes de la guerre civile qui va s'achever, de fait, à Lyon. Celle-ci débute avec l'assassinat de Commode, le 31 décembre 192, qui met fin à la dynastie des Antonins. Septime Sévère, quant à lui, est né en 146 dans la province de Tripolitaine, à Lepcis Magna, dans la partie latinisée du continent africain sous domination romaine. Septime Sévère, contrairement à une croyance solidement établie, n'a pas favorisé les Africains sous son règne : bien au contraire, les provinces africaines, prospères, avaient déjà investi les postes de responsabilité et ont permis son ascension. Fils de chevalier, Septime Sévère passe dans les rangs sénatoriaux grâce à un parent influent. Son cursus honorum dénote une attirance pour le droit et le premier commandement militaire ne vient qu'en 185. En Syrie, où son supérieur est un certain Pertinax, il épouse Julia Domna, fille du grand prête d'Emèse (Homs). En désaccord avec le préfet du prétoire Perennis, Septime Sévère stagne dans le cursus honorum et en profite pour séjourner à Athènes, pôle culturel du Haut-Empire. Le futur empereur n'est donc pas seulement un soudard mal dégrossi, comme on le croit souvent également. Sa carrière reprend quand Laetus remplace Perennis. En tant que gouverneur de la Lyonnaise, il défait une bande de brigands avec le renfort de Pescennius Niger. Après avoir été gouverneur de Sicile, il prend le commandement des légions de Pannonie, où il se trouve à la mort de Commode. Pertinax, le préfet de la Ville, prend un temps la pourpre ; vir militaris, issu du milieu équestre, il promet un donativum important aux prétoriens, mais incapable de l'honorer, il est rapidement mis à mort par ces derniers. Deux sénateurs s'affrontent alors pour l'Empire en mettant celui-ci aux enchères devant les prétoriens : Didius Julianus l'emporte. Septime Sévère, outré, consulte ses collègues des provinces frontalières et marche sur Rome avec ses légions. Julianus est bientôt mis à mort par les prétoriens. Septime Sévère se rallie le Sénat en divinisant Pertinax et en se rattachant fictivement aux Antonins ; il remplace les prétoriens par des hommes issus de ses légions de Pannonie. L'empereur peut se tourner contre le légat de Syrie, Pescennius Niger, qui s'est lui aussi proclamé empereur. Après une campagne rapide et plusieurs batailles successives, Niger est défait et tué, en mai 194. Reste le problème Clodius Albinus, le gouverneur de Bretagne, guère enchanté par les initiatives de Sévère dès 193. Celui-ci l'amadoue en le faisant son César. Albinus, Africain lui aussi, avec une brillante carrière sénatoriale, rompt cependant avec Septime Sévère à la fin de 195. Parallèlement l'empereur mène une campagne contre les Parthes, entre 196 et 198, d'abord par l'intermédiaire d'un général, Clodius Gallus, puis en personne. Les Romains remportent quelques succès mais ne peuvent venir à bout de la cité d'Hatra. Yann Le Bohec présente ensuite l'armée romaine du Haut-Empire, principal protagoniste de cette guerre civile : on retrouve des éléments tirés de ces autres ouvrages sur le sujet. Une armée efficace de par sa hiérarchie, sa division en unités spécifiques, son recrutement, son exercice, ses tactiques en particulier. Septime Sévère ajoute des gratifications symboliques et une augmentation de la solde qui, paradoxalement, entraîne aussi une inflation et n'est pas sans conséquence sur la crise du IIIème siècle. Il améliore le ravitaillement, permet aux soldats de contracter des unions légitimes et de passer la nuit en dehors du camp, tout en instaurant des collèges militaires. Trois nouvelles légions, les Ière, IIème et IIIème Parthiques sont crées : deux sont envoyées en Mésopotamie tandis que la IIème reste en Italie. Il multiplie aussi les stationes, postes de police à l'intérieur de l'Empire, pour améliorer le renseignement. En augmentant les forces à Rome (cohortes prétoriennes et urbaines) et en stationnant une légion au centre de l'Italie, il introduit une modification stratégique en installant une réserve à disposition immédiate de l'empereur. En 196, Clodius Albinus, utilisant la flotte de Bretagne, traverse la Manche avec ses troupes, débarque à Boulogne et installe son quartier général à Lyon, dont le gouverneur fidèle à l'empereur prend la fuite. Septime Sévère envoie son fils Caracalla, devenu César, près des légions de Pannonie. Début 197, l'armée se met en marche, gagne la Suisse puis débouche en Germanie Supérieure, probablement en Alsace, avant de descendre la Saône, arrivant donc sur Lyon par le nord. Une escarmouche à Tournus semble avoir tourné en faveur d'Albinus.

Yann Le Bohec se livre ensuite à une savante démonstration pour tenter de déterminer où la bataille a pu prendre place. En raison de l'importance des forces en présence et du trajet des deux adversaires, la bataille s'est sans doute déroulée au nord de Lyon, sur le plateau de Sathonay. La date, elle, en revanche, ne fait aucun doute : c'est le 19 février 197. De manière intéressante, si elle est mentionnée sur l'arc de Caracalla, son souvenir s'est déjà dissipé sous le règne d'Alexandre Sévère. La question des effectifs est problématique, Dion Cassius n'étant pas fiable. Les deux chefs, en revanche, ont la même expérience des armes. En ce qui concerne l'armée sévérienne, elle compte sans doute les cohortes prétoriennes, peut-être la IIème légion Parthique, la plupart des légions de Pannonie. En revanche, les légions de Syrie, qui avaient soutenu Niger, ne sont pas impliquées ; celles de Germanie restent dans une prudente attente, même si la XXIIème Primigena dégage Trèves assiégée par Albinus. Avec les prétoriens, Sévère dispose peut-être de 75 000 hommes, sans compter les auxiliaires, et qui ne sont pas tous engagés. En outre, il bénéficie de l'appui des civils dans le centre et le sud de la Gaule, car il a été gouverneur de Lyonnaise. En face, Albinus peut compter sur les trois légions de Bretagne, mais il a dû en laisser une partie pour tenir la province. La VIIème Gemina d'Espagne se rallie à lui, sans bouger. Albinus mobilise la cohorte urbaine de Lyon (500 hommes) et recrute dans l'urgence pour gonfler ses effectifs. Il se heurte à l'hostilité de cités restées fidèles à Sévère. Pour la bataille, Sévère forme deux réserves, ce qui est assez rare : une avec les prétoriens qu'il dirige, et une autre de cavalerie sous Laetus. Il renforce probablement son aile droite selon la tradition remontant à Epaminondas. Albinus construit un camp solide pour servir de recueil ; il place les recrues, plus faible, à gauche, et les soldats de Bretagne à droite. Devant cette dernière ligne, il dispose un fossé et plus loin en avant, des chausses-trappes. Le début de la bataille voit la défaite de l'aile gauche d'Albinus : les sévériens poursuivent et prennent le camp, qui aurait pu constituer une menace si les survivants s'y étaient enfermés. A droite, l'infanterie sévérienne tombe dans les pièges, attirée par une fuite simulée des légionnaires bretons, et subit des pertes. Sévère engage la réserve des prétoriens pour rallier les fuyards. Laetus intervient avec la cavalerie au moment de la poursuite, pour sabrer les adversaires en déroute ; Yann Le Bohec pense qu'il ne faut pas y avoir une manoeuvre attentiste pour laisser les deux chefs en présence s'entretuer et réclamer ensuite la pourpre :  la cavalerie romaine est conçue pour ce rôle.

Les pertes sont lourdes, comme fréquemment dans les guerres civiles romaines, mais l'Empire a encore les moyens de les combler, largement. Albinus se suicide ou est mis à mort par les sévériens après la bataille. On sait par des découvertes archéologiques que des corps de soldats albiniens ont été rapatriés dans la cité, preuve qu'une partie des habitants a bien soutenu Albinus. La cohorte urbaine, dissoute, est remplacée par des légionnaires de Germanie. Lyon est mise à sac mais ne disparaît pas en tant que cité, elle reste d'ailleurs capitale provinciale. Des sénateurs qui ont choisi le mauvais camp sont également mis à mort, de même que les officiers supérieurs d'Albinus qui ont survécu -beaucoup dans les deux catégories se suicident avant d'être exécutés.

En conclusion, Yann Le Bohec rappelle qu'Albinus, en infériorité numérique, a joué des retranchements et des pièges pour compenser ses faiblesses, mais Sévère s'est montré tout aussi brillant. Pour l'historien, Sévère n'a pas forcément créé une monarchie militaire : les sénateurs ont aussi eu leur part de responsabilité dans ces coups d'Etat à répétition et la militarisation de la fonction impériale et de l'Empire ne survient qu'avec la crise du IIIème siècle.

Quand on referme le livre, on reste sur une impression mitigée. Comme toujours, le prix des volumes de la collection, plus de 17 euros, pour à peine 80 pages de texte ici, laisse songeur, malgré la présence d'un encadré central illustré de qualité et des cartes montrant bien les phases de la bataille. Yann Le Bohec livre en fait un récit très classique d'histoire-bataille sur ce combat de Lyon : les causes en sont bien expliquées, les protagonistes bien présentés, ainsi que les forces en présence. Le déroulement de la bataille fait l'objet d'une analyse serrée. Mais pourtant, l'historien ne développe pas suffisamment le lien entre cette guerre civile, la prise du pouvoir de Septime Sévère et l'influence que celui-ci a pu avoir sur l'Empire, la conclusion est trop courte. En outre, comme souvent avec Yann Le Bohec, on reste un peu sur sa faim en ce qui concerne l'histoire sociale et économique, qui semble "honnie" comme le laisse à penser le ton de l'introduction. On est donc en présence d'un livre d'histoire militaire traitant d'une bataille méconnue, bien mené, mais ne traitant pas forcément le sujet sur tous ses aspects (la mémoire de l'affrontement, pourtant évoquée au détour de quelques lignes, aurait aussi mérité mieux).

Royo, le guérillero éliminé

0
0
Un lecteur du blog, Roland Delicado, m'a demandé de relayer la publication de cet ouvrage (couverture ci-contre). Le projet est mené par Ardeo Résistance, une maison d'édition et un groupe qui s'intéresse au parcours et au trajet des républicains en France et en Espagne. Vous trouverez plus d'informations sur ce blog. Je n'ai pas lu l'ouvrage mais j'essaierai de le faire, pour voir ce dont il retourne.

 Une petite présentation avec le quatrième de couverture :

"En sautant sur « Pamplemousse » le 8 août 1944 pour coordonner les maquis de l’Ariège, les cinq parachutistes de la mission alliée « Aube » (nom de guerre de Marcel Bigeard) s’attendaient à être accueillis par des Français et se retrouvent entourés par les guérilleros du commandant « Royo ». Les républicains espagnols sont bien organisés et disciplinés, leur chef est compétent. Bigeard et ses compagnons restent avec eux. Ensemble ils forment le fer de lance de la libération du département. L’intervention éclair de la mission Aube et des guérilleros, qui dès le 19 août libèrent Foix, contrarie les projets des Francs-tireurs et partisans français (FTPF). Marcel Bigeard,  Royo et le major anglais Bill Probert sont érigés en héros. A la Une des journaux ils posent ensemble. « Les trois mousquetaires alliés » titre la presse locale, ce qui va entraîner des tensions politiques et des jalousies que le chef guérillero paiera de sa vie.
   
           
En octobre 1944, Royo passe en Espagne pour lutter contre la dictature. Fait prisonnier par les franquistes, il est libéré quelques mois plus tard grâce à un subterfuge. Intégré dans la guérilla du Levant espagnol fin 1945, il est toutefois assassiné à Valencia par ordre de la direction du Parti communiste espagnol sur fond de luttes intestines. Après sa mort, Royo, qui a dirigé les guérilleros dans les Bouches-du-Rhône et dans l’Ariège, est dépouillé de tous ses exploits. Son nom est injurieusement relégué dans la liste des traîtres. Trente ans plus tard, le général Bigeard ranime son souvenir dans Pour une parcelle de gloire, édité en 1975. Cette publication, du fait qu’elle relance le débat sur le processus de la libération de l’Ariège, provoque une levée de boucliers. Certaines critiques sont justifiées car le général a éludé le rôle des résistants ariégeois et des FTP. Quant à Royo, ses rivaux redoublent d’efforts pour éviter que sa mémoire resurgisse. Fin 2008, à l’occasion d’autres recherches, les auteurs de cet ouvrage se penchent incidemment sur son cas. Réalisant aussitôt que les accusations portées contre lui sont insensées, ils décident de se livrer à une enquête approfondie.
 
 
Trois enquêteurs spécialisés dans l’étude de la guérilla espagnole 
 
Ange Alvarez :vétéran de la Résistance et Commandeur de la Légion d’honneur à titre militaire.
Ivan Delicadoet Roland Delicado : fils et petit-fils du commandant guérillero Juan Delicado.
 
Au terme de deux ans de recherches, ils réhabilitent Royo, mettent en évidence sa condition de bouc émissaire, le mécanisme de son élimination et dénoncent l’omerta qui s’est constituée autour de sa mémoire. Photographies inédites et documents originaux complètent ce récit." .

La page Facebook est ici

Emile GABORIAU, L'affaire Lerouge, Paris, Les éditions du Masque, 2013, 549 p.

0
0
Mars 1862, sous le Second Empire. Dans la petite commune de Bougival, la veuve Lerouge est retrouvée sauvagement poignardée, baignant dans son sang. Lecoq, jeune agent de la Sûreté parisienne, est envoyé sur les lieux pour accompagner son supérieur, le commissaire Gébrol. Il fait appel aux services du père Tabaret, un détective amateur connu pour ses méthodes peu orthodoxes, pour résoudre cette enquête qui s'annonce difficile. Tabaret se met rapidement au travail et pense avoir rapidement trouvé le coupable, l'affirmant à Daburon, le juge d'instruction chargé du dossier. Mais il est sur le point de commettre une terrible erreur et va devoir se rattraper dans l'urgence...

Emile Gaboriau (1832-1873), hussard en Afrique, s'installe ensuite à Paris et verse dans le journalisme. L'Affaire Lerouge est son premier roman à succès, paru en 1866. Ce succès lui vaut d'être embauché comme feuilletoniste au Petit Journal. Emile Gaboriau est considéré comme le père du roman policier français. Il a été fortement influencé par Poe et son travail a peut-être servi d'inspiration à Conan Doyle pour le personnage de Sherlock Holmes. Dans ce roman, c'est d'ailleurs plus le père Tabaret qui fait penser à Sherlock Holmes que le héros en devenir de Gaboriau, Lecoq. On sent également que l'auteur a pioché dans le parcours du célèbre Vidocq, qui avait inspiré d'autres romanciers avant lui. Gaboriau dépeint une enquête qui se veut réaliste, et par ses considérations sur les milieux sociaux, on peut même dire qu'elle s'accroche au naturalisme.

Le scénario est intéressant et rondement mené, si ce n'est les digressions naturalistes justement, qui peuvent lasser le lecteur. Pour ma part, cela ne m'a pas gêné, mais je comprends que l'on puisse trouver un peu lourd ce roman policier. Une oeuvre à lire, toutefois, ne serait-ce que pour son importance dans le genre.

Pour ceux qui sont veulent aller plus loin, on pourra lire cette brillante analyse sur le roman  de Jean-Louis Tilleuil pour la revue Romantisme (2005), histoire de mieux saisir la portée de L'Affaire Rouge et ce qu'elle révèle sur son temps, à la fois en termes littéraires et historiques.


François NEVEUX et Claire Ruelle, La cathédrale Notre-Dame de Bayeux, OREP éditions, 2012 (1ère éd. 2007), 33 p.

0
0
On connaît surtout Bayeux pour sa tapisserie (!), et aussi parce qu'elle est la première grande ville française libérée suite au débarquement du 6 juin 1944, mais l'on sait moins en revanche que sa cathédrale Notre-Dame est l'un des principaux édifices religieux de Normandie. Pour l'essentiel, c'est une cathédrale gothique du style normand, au XIIIème siècle. Il reste cependant des éléments d'une église romane antérieure. Elle a été complétée et agrandie jusqu'à la fin du Moyen Age et n'est définitivement terminée qu'au XIXème siècle.

Bayeux est le siège d'un des diocèses de la province ecclésiastique de Rouen dès le IVème siècle. Le quartier ecclésiastique s'installe dans le sud-ouest de la ville et Notre-Dame est l'une des trois églises initiales. La cathédrale romane est entamée au XIème siècle et terminée par Odon, évêque de Bayeux, frère utérin de Guillaume le Conquérant, qui joue un grand rôle dans l'expédition de 1066. Odon tire d'importants bénéfices de la conquête : c'est aussi lui qui commandé la tapisserie de Bayeux. Dédicacée en 1077, la cathédrale est incendiée par Henri Beauclerc, en guerre contre son frère Robert Courteheuse qui tient la ville. A nouveau incendiée en 1160, la reconstruction de la seconde moitié du XIIème siècle commence à introduire l'art gothique. Le gros de l'ensemble date du XIIIème siècle : la nef, au second étage gothique, ne comprend qu'un niveau et non deux, ce qui permet à la lumière d'inonder l'espace. Ce style rayonnant se répand en Normandie puis ailleurs ensuite.

Les chapelles latérales sont construites jusqu'au XIVème siècle. La tour centrale n'est terminée qu'au XVème siècle. La cathédrale est desservie par près de 50 chanoines dans ce dernier siècle, renforcés d'une centaine de vicaires et chapelains, ce qui n'est pas négligeable. Le chapitre cathédrale détient des maisons, des boutiques et perçoit la dîme. C'est aussi une puissance temporelle. La cathédrale souffre pendant les guerres de Religion. Les travaux ne redémarrent qu'à la fin du XVIIème siècle (un jubé est posé en 1700), suivis de la pose d'un dôme classique sur la tour centrale. Le bâtiment n'est pas trop touché par la Révolution : la tour centrale qui menaçait de s'effondrer est consolidée au milieu du XIXème siècle.

Le tympan du portail nord évoque la passion du Christ, celui du portail sud le Jugement Dernier. Le portail dit du Doyen raconte une partie de l'histoire de saint Thomas Beckett. Le choeur est sans doute la partie la plus intéressante de la cathédrale. La crypte romane, murée lors de la construction du choeur gothique, a été redécouverte en 1412 lorsqu'on a creusé la tombe d'un évêque. Il reste quelques beaux chapiteaux romans et au XVème siècle, on a rajouté des peintures.

Un monument à ne pas manquer si vous passez par Bayeux, où vous trouverez en vente ce petit guide bien illustré, muni d'une bibliographie indicative, et écrit par François Neveux, professeur d'histoire du Moyen Age à l'université de Caen qui a pris sa retraite en 2009.

J - 7...

0
0
Il arrive... dans une semaine. Un petite bande annonce ci-dessous.


Annonce : mise en ligne du blog L'offensive du Têt

0
0
J'ouvre aujourd'hui un blog d'appoint à mon ouvrage L'offensive du Têt, qui sortira le 29 août chez Tallandier, dans la collection L'histoire en batailles. C'est l'occasion, comme je l'ai souvent fait ici pour des articles de magazines, d'offrir des suppléments aux lecteurs, mais aussi d'échanger et de proposer des conseils de lecture et des liens internet pour aller plus loin.

Le blog : http://offensivedutet.blogspot.fr/

La page Facebook : https://www.facebook.com/offensivedutet?fref=ts

Gerry WHITE, Brendan O'SHEA et Bill YOUNGHUSBAND, Irish Volunteer Soldier, 1913-23, Warrior 80, Osprey, 2003, 64 p.

0
0
Ce volume de la collection Warrior traite des Irish Volunteers, autrement dit les combattants réguliers qui ont servi contre les Anglais pendant la guerre d'indépendance irlandaise puis durant la guerre civile contre les anti-traités en 1922-1923. Il est écrit par deux Irlandais qui ont eux mêmes servi dans l'armée nationale, dans des missions de maintien de la paix de l'ONU notamment.

La naissance des Irish Volunteers est simultanée à l'adoption, en 1912, du troisième Home Rule Bill par le Parlement anglais, qui laisse espérer aux catholiques irlandais un statut d'autonomie. Mais les protestants de l'Ulster ne veulent pas en entendre parler et créent l'Ulster Volunteer Force pour défendre, par la force des armes si nécessaires, l'union avec l'Angleterre. C'est pourquoi les Irish Volunteers sont créés le 25 novembre 1913. En 1914, le roi George V signe enfin le Home Rule mais reporte son application après la fin de la guerre. Les catholiques irlandais s'engagent pourtant massivement dans l'armée britannique qui combat lors de la Première Guerre mondiale ; seule une petite minorité, dominée par l'Irish Republican Brotherhood, fait bande à part. Cette fraction a plus de mal à recruter jusqu'après l'écrasement du soulèvement de Pâques en 1916, puis à la menace de la conscription en Irlande en 1918. Au moment du déclenchement de la guerre civile contre les anti-traités, l'armée irlandaise, héritière des Volunteers, compte déjà 60 000 hommes.

Les Irish Volunteers s'organisent progressivement en bataillons et en compagnies, à recrutement local. Les meilleurs combattants, permanents et qui sont les mieux armés, sont regroupés dans des "colonnes volantes" qui forment l'élite des Volunteers. De son côté, dans la guérilla urbaine à Dublin, Michael Collins crée une section spéciale chargée du contre-espionnage, baptisée "The Squad" ou "Les 12 apôtres". Les bataillons sont regroupés en brigades, puis en divisions à partir d'avril 1921, moment où les Volunteers comptent 100 000 hommes. En janvier 1922, les Volunteers deviennent l'armée régulière irlandaise, adoptent l'uniforme et gagnent les casernes abandonnées par les Britanniques.

Au départ, les Volunteers tentent de généraliser le port de l'uniforme, en tant que combattants réguliers, mais après les Pâques sanglantes de 1916, le passage à la guérilla conduit à la disparition progressive de l'uniforme. Ce n'est qu'en 1922 qu'un uniforme réapparaît pour l'armée régulière. L'entraînement est handicapé par le manque d'armes, de munitions et de cadres expérimentés. D'où la formation des colonnes volantes qui concentrent les meilleurs éléments bien équipés et entraînés, comme la 3rd West Cork Brigade dirigée par Tom Barry, avec une "Flying Column" particulièrement redoutée des Britanniques.



L'embuscade de Kilmichael menée par Tom Barry inspire une des scènes du Vent se lève (2006).
 




Après l'échec du soulèvement de 1916, les indépendantistes irlandais changent de tactiques, ce qui se voit pendant la guerre civile. En 1919, au moment de la déclaration d'indépendance, la guérilla s'attaque d'abord à la Royal Irish Constabulary, une force de supplétifs irlandais au service des Britanniques, notamment en incendiant ses baraquements. Parallèlement la guérilla bâtit une administration parallèle qui fonctionne à la place du gouvernement aux ordres des Britanniques. La guerre prend un tour de plus en plus violent que Londres choisit d'envoyer d'anciens soldats démobilisés recrutés pour des opérations de maintien de l'ordre, les Blacks and Tans, ainsi que des officiers, les Auxiliaries, qui se signalent par nombre d'exactions contre les civils. Les colonnes volantes irlandaises restent cependant un adversaire de taille pour ces vétérans : le 28 novembre 1920, par exemple, celle de Tom Barry anéantit un détachement d'Auxiliaries lors d'une embuscade à Kilmichael, dans le West Cork. Les Anglais déploient, au maximum, 60 000 soldats réguliers et pas moins de 15 000 supplétifs paramilitaires, face à peut-être 3 000 combattants irlandais réguliers en armes. La guérilla est aussi urbaine, comme à Dublin, où le Squad de Michael Collins anéantit les capacités du renseignement britannique. Le 12 novembre 1920, ses hommes abattent 12 agents anglais particulièrement craints pour leurs capacités. En représailles, les Britanniques exécutent deux de ses hommes abattus la veille et les Auxiliaries déboulent sur le terrain de Croke Park où une nombreuse foule regarde un match de football, ouvrant le feu à la mitrailleuse. 12 personnes sont tuées et 65 blessées. Néanmoins, l'Angleterre cède et le traité du 11 juillet 1921 met fin aux hostilités en accordant l'indépendance au sud de l'Irlande. Une partie des combattants irlandais rejette cependant le traité et de violents combats éclatent entre anciens camarades à partir d'août 1922 à Dublin puis bientôt dans le reste de l'Irlande. La guerre civile s'achève seulement en mai 1923 et voit la défaite des anti-traités devant l'armée irlandaise approvisionnée par les Britanniques -Michael Collins est tombé dans une embuscade. 


Le film Michael Collins (1996) met en scène le Bloody Sunday : les Auxiliaries envahissent le terrain de Croke Park après l'exécution de 12 agents anglais à Dublin par Michael Collins, et ouvrent le feu à la mitrailleuse sur les spectateurs.





Un Osprey sans prétention et qui permet d'aborder le thème des combattants indépendantistes irlandais, sous l'angle politique et militaire.

Didier LODIEU, Normandie 44 Opération Goodwood, Des batailles et des hommes 3, Histoire et Collections, 2008, 82 p.

0
0
Didier Lodieuécrit beaucoup pour la presse spécialisée en histoire militaire : je l'ai lu souvent quand j'écrivais encore pour les éditions Caraktère. D'après le quatrième de couverture, il est né sur les berges de la Seine et a été marqué par les récits de civils fuyant les combats de 1944. Cela l'a conduit à interroger plus de 500 vétérans, à consulter près de 2 000 (!) livres et à amasser les documents et les rapports.

Le titre sur la couverture est trompeur car il laisse penser que le livre traite de l'opération Goodwood dans son intégralité (cf couverture ci-contre) : or, dès que l'on ouvre la première page, on voit qu'il s'agit en fait de la 11th Armoured Division -et plus précisément de sa 29th Armoured Brigade- et de son action pendant Goodwood. Ou bien il faut lire le texte du quatrième de couverture pour le deviner. Petite déception, donc. 

Le texte prend la forme d'un récit factuel de l'engagement de cette unité, du début à la fin de l'opération. Il ne faut donc pas s'attendre à trouver une remise en contexte de Goodwood, de sa genèse, de sa planification, et de ses conséquences, alors que pourtant cette offensive de Montgomery reste très controversée. C'est dommage, mais on est dans la lignée des choix effectués par Histoire et Collections.

Le point fort de ce court volume (un peu plus de 80 pages), ce sont assurément ses illustrations, souvent en grand format (bien que de qualité inégale) et très bien légendées. L'auteur est visiblement un spécialiste du matériel et des unités de la campagne (il a d'ailleurs écrit un ouvrage sur les Tigres en Normandie) et cela se ressent. Le recours à de nombreux témoignages donne un caractère très vivant au récit -même si la bataille est surtout vue du côté britannique, l'on ne peut pas dire que le point de vue allemand soit négligé. En revanche, on peut regretter qu'il n'y ait que deux cartes, car le récit abonde en mouvements et l'on est bien en peine de tout suivre correctement, à moins d'être un connaisseur.

Didier Lodieu insiste dans sa courte conclusion sur l'absence de renseignement sur les défenses allemandes, le manque de soutien de l'artillerie, un front trop étroit, la contre-attaque des Panzer et des StuG qui n'ont pas été détruits dans le bombardement initial, le manque de soutien de la division blindée des Gardes et des "Rats du Désert", et la présence de champs de mines britanniques non nettoyés, comme les causes principales de l'échec de la 29th Armoured Brigade durant Goodwood. Là encore, ce constat reste au niveau tactique et ne balaye pas des considérations un peu plus larges (Didier Lodieu s'étonne de l'absence de renseignements venant d'Ultra mais ne creuse pas plus loin). La bibliographie mentionnée p.82 repose surtout sur des rapports d'unités et sur des sources secondaires assez anciennes (la plus récente date qui apparaît est 1992), même si l'auteur a contacté Simon Trew, historien britannique de Sandhurst, dans le cadre de son travail.

Il faut donc bien être conscient du contenu en fonction de ce que l'on recherche car un autre handicap du livre, c'est son prix : 16,50 euros pour 82 pages, c'est tout de même un peu cher payé, même avec beaucoup d'illustrations...



Willy LAMBIL et Raoul CAUVIN, Les Tuniques Bleues, tome n°25 : Des Bleus et des Bosses, Dupuis, 1994, 46 p.

0
0
Pendant la guerre de Sécession. Le général nordiste Alexander peste contre le mauvais temps qui enlise les chariots de ravitaillement de l'Union et lui fait perdre une bataille importante. Questionnant son état-major sur les solutions apportées au problème, il reçoit une proposition du capitaine Stilman : faire appel à des dromadaires importés d'Afrique du Nord pour remplacer les mules. Le caporal Blutch et le sergent Chesterfield, -ce dernier étant tombé en disgrâce aux yeux du lieutenant Lovelace, chargé de l'opération- doivent accueillir les bêtes et leur guide qui formera les soldats nordistes au maniement des dromadaires. Mais rien ne va se passer comme prévu...

Les Tuniques Bleues est l'une des plus grandes séries de la bande dessinée à évoquer, sous un ton à la fois humoristique et tantôt tragique, la guerre de Sécession. Le caporal Blutch, le sergent Chesterfield, le capitaine Stark, du 22ème de cavalerie, sont rapidement devenus des figures inoubliables pour les lecteurs. Le nom de tuniques bleues vient du fait que le premier épisode se déroule dans le Far West, face aux tribus indiennes : la guerre de Sécession n'apparaît que dans le deuxième tome.



Les nombreux volumes sont l'occasion d'aborder de nombreux aspects du conflit : cavalerie bien sûr mais aussi infanterie, artillerie, ballons, marine, désertion, photographes, espionnage, raids derrière les lignes ennemies, etc. L'ordre chronologique n'est pas respecté puisqu'on assiste fréquemment à des retours en arrière par rapport aux batailles ou aux principaux événements de la guerre : parfois, on assiste même à un flash back avec un personnage qui raconte un épisode antérieur.

Le thème de cet album peut paraître surprenant, mais en réalité, il a bien existé un US Camel Corps (!), créé au XIXème siècle dans le sud-ouest des Etats-Unis pour utiliser des chameaux dans les régions désertiques. L'armée américaine a cependant refusé d'adopter ces animaux qui effrayaient les chevaux et restaient difficiles à conduire pour la troupe. C'est d'ailleurs Jefferson Davis, futur président confédéré, qui avait favorisé la création de ce corps une fois devenu secrétaire à la guerre en 1853. Les animaux sont acquis sur le pourtour de la Méditerranée, et en particulier en Egypte : les premiers arrivent au Texas en 1856. Les militaires américains en voient rapidement les avantages mais aussi les inconvénients. La plupart est alors basée à Fort Tejon, en Californie. Au déclenchement de la guerre de Sécession, les animaux sont toutefois utilisés comme animaux de bât.  L'espion confédéré Bethel Coopwood parvient à en subtiliser 14 et à les ramener aux Texas. Les bagages de Sterling Price sont ainsi transportés par des chameaux. Après la fin du conflit, le corps est dissous et les animaux sont vendus, dont 66 à Coopwood. D'autres avaient déjà été vendus en Californie en 1863 et d'autres se sont échappés. Certains errent en liberté au Texas, ou au Nouveau-Mexique : l'un d'entre eux croise inopinément près du Fort Selden le jeune Douglas MacArthur, qui s'enfuit tout effrayé rejoindre sa mère !


Barthélémy COURMONT, Géopolitique du Japon. Une puissance inquiète, Paris, Argos, 2013, 154 p.

0
0
Merci aux éditions Argos pour cet envoi. La collection GéopolitiqueSde cet éditeur, que l'on repère à son format carré et à ses 15 cartes pour un format d'environ 150 pages, vise à fournir une synthèse pratique sur un acteur majeur du monde contemporain. Barthélémy Courmont, professeur de sciences politiques en Corée du Sud, chercheur-associé à l'IRIS, entres autres qualités, signe là l'un des premiers volumes consacrés au Japon.

Comme il l'explique dans l'introduction, le Japon a cette singularité d'être un archipel dominé par son insularité et qui est tiraillé par un dilemme d'ouverture ou de repli sur soi. Il n'a pas connu le même sort que la plupart des autres pays d'Asie de l'Est : en marge de la civilisation chinoise, non colonisé, il a tenté de rejoindre les puissances occidentales à partir de l'ère Meiji. Devenu un modèle économique après 1945, craint des Occidentaux, le Japon a imposé l'Asie du Nord-Est comme une région incontournable, ce que la montée de la Chine ne fait que confirmer. Il comporte une société vieillissante et qui doute, tout en cherchent désespérément une place sur la scène internationale en termes politiques et militaires. Le Japon s'ancre finalement dans la mondialisation mais conserve une certaine différence.

 

L'auteur commence par un bref rappel de l'histoire du Japon des origines à 1945 ainsi que de ses caractéristiques géographiques, marquées par la diversité et par l'importance des risques naturels. Le Japon est divisé à l'intérieur, particulièrement au Moyen Age, mais importe ses religions du continent et se retrouve uni face à la menace extérieure, comme contre les Mongols au XIIIème siècle. Il se ferme à nouveau face aux influences extérieures à partir du XVIIème siècle et jusqu'à l'ère Meiji. La révolution Meiji, en 1867, permet au Japon de se hisser progressivement au rang des puissances européennes. L'Occident est imité mais aussi bien vite rejeté : le Japon devient aussi une puissance coloniale. Le nationalisme agressif s'appuie sur les succès militaires, puis sur la crise économique de 1929, et se base sur une idéologie foncièrement rétrograde. Avec l'attaque sur Pearl Harbor et l'entrée du Japon dans la Seconde Guerre mondiale, les conquêtes sont le prétexte à une série d'exactions commises en particulier sur les populations des territoires conquis, comme en Chine, qui empoisonnent toujours les relations du pays avec ses voisins. Mais le Japon, par sa tentative de Grande Sphère de coprospérité en Asie Orientale, a pour partie accéléré le processus de décolonisation dans certains pays.

Que devient le Japon après 1945 ? Un géant économique et un nain politique. Les Japonais ont d'ailleurs du mal à accepter la capitulation. Année 0 en 1945 : il faut attendre sept ans pour que le pays se relève véritablement, à la faveur de la guerre froide, et surtout de la guerre de Corée, qui fait du Japon la base arrière de l'engagement américain. Les keiretsu deviennent le bras armé de la croissance économique du Japon. Au début des années 1970, le Japon est la première puissance économique asiatique et commence à se tourner vers les services et la haute technologie. La mutation a été très rapide. Sur le plan politique, après le règne du gouverneur militaire américain, le général MacArthur, jusqu'en 1952, la démocratie japonaise est marquée, paradoxalement, par le règne d'un parti unique (!) : le Parti Libéral-Démocrate (PLD). Il ne se terminera qu'en 1993 avec la victoire aux élections législatives d'une coalition anti-PLD. La constitution japonaise et le traité de San Francisco, en 1951, ne donnent au Japon que des Forces d'autodéfense. L'article 9, pacifique, de la constitution entraîne la doctrine Yoshida, du nom de l'homme politique qui l'a avancée : protection du parapluie nucléaire américain, pas de production, pas de possession, pas de transit d'armes nucléaires, promotion du désarmement nucléaire et développement du nucléaire civil. Ce n'est qu'après les attentats du 11 septembre 2001 que le Japon commence à s'interroger sur cet élément de sa constitution et sur sa possible révision. Parallèlement, le Japon commence à connaître la crise sur le plan économique dès le milieu des années 1990. Le modèle japonais est en panne et continue d'hésiter entre Orient et Occident. La société japonaise est inquiète. Elle vieillit, ce qui induit une sensation de déclin. Mais c'est une crainte perpétuelle, que réveille l'apparition massive du chômage et des sans-abris. Le déclin est cependant relatif et vient aussi d'un manque de confiance dans les élites : le personnel politique, par exemple, peine à se renouveler.

L'un des grands défis du Japon est que ses voisins sont aussi ses principaux rivaux. De par sa ZEE imposante et son histoire récente, le Japon a des contentieux territoriaux avec la Russie, la Chine et la Corée du Sud. La Chine reste le grand rival régional et la Corée du Nord une menace proche. Le Japon cherche à se replace dans la sphère asiatique mais les problèmes liés à la non-reconnaissance de certains faits sombres de son histoire n'y aident guère. La révision des manuels scolaires japonais en 2005, qui minimisait les crimes commis par le Japon pendant la guerre du Pacifique, a déclenché un tollé en Chine. Les visites des Premiers Ministres japonais au sanctuaire Yasukuni, qui honore la mémoire de criminels de guerre, n'ont pas fait pour apaiser les tensions. Le Japon fait cependant quelques efforts et ses deux partenaires régionaux sont la Corée du Sud et Taïwan, paradoxalement des anciennes colonies. La Corée du Sud a bénéficié du démarrage économique japonais mais les points de tension sont nombreux ; en outre elle cherche à devenir une passerelle entre le Japon et la Chine. Taïwan est aussi un allié, mais les Américains souhaitent que les Japonais ne les évincent pas dans ce rôle. La Corée du Nord est une véritable menace en raison de son arsenal nucléaire ; par ailleurs, elle avait enlevé nombre de citoyens japonais pendant la guerre froide. Paradoxalement là encore, Pyongyang est en position de force car les Japonais n'ont d'autres moyens de pression que diplomatiques. La Chine est à la fois une rivale et un partenaire, les tensions se cristallisant sur les questions territoriales et historiques. La relation sino-japonaise est de toute façon essentielle pour qu'une coopération régionale naisse vraiment en Asie du Nord-Est. Les Japonais affirment leur rôle politique depuis les années 1990 par l'aide au développement et l'assistance humanitaire. Comme la Chine, le Japon a renforcé son potentiel militaire, et en particulier sa marine de guerre. L'article 9 pourrait à terme être révisé si la Corée du Nord se fait encore plus menaçante et si le potentiel militaire chinois se montre encore plus dangereux.

Le Japon reste arrimé aux Etats-Unis. Il est très attaché à la relation étroite qui le lie aux Américains. L'administration Obama s'est empressé de déclarer une "stratégie du pivot" avec le Japon, suite au rapprochement de l'administration précédente avec la Chine. De fait, les Etats-Unis assurent la protection du pays depuis 1945 et y maintiennent une présence militaire. Le Japon prend cependant une part de plus en plus grande dans les questions de sécurité, ce qui correspond aussi à un redéploiement des forces américaines. L'accord de 2005 a ainsi simplifié le partenariat stratégique entre les deux pays. Néanmoins le Japon continue d'entretenir, sur le plan financier, les troupes américaines stationnant sur son sol. La question du retrait des bases militaires sera un élément important de l'avenir entre les deux nations. Tokyo s'inquiète du rapprochement Washington-Pékin. Le Japon pourrait se rapprocher de l'UE, partenaire idéal, ou se doter de l'arme nucléaire, mais cette option reste encore peu crédible.

Ainsi, le Japon, inquiet sur son avenir, s'impose pourtant comme un pôle dans une région devenue incontournable. La catastrophe de mars 2011 ne fait que mettre en exergue la crise que traverse l'archipel depuis des années. Le Japon cherche à donner un sens à son déclin, et l'identité reste un thème central.

Gérard CHALIAND, L'impasse afghane, L'urgence de comprendre, Editions de l'Aube, 2011, 158 p.

0
0
Gérard Chaliand, diplomé de l'INALCO, spécialiste des conflits armées et des relations internationales, est bien connu du grand public par ses fréquentes apparitions dans les médias.

Dans son introduction, il présente la guerre en Afghanistan comme une "victime collatérale" de la guerre en Irak déclenchée en 2003, puisque ce théâtre d'opérations, au départ central, devient secondaire pendant plusieurs années, non sans dommages. Pour lui, il n'y a aucune chance pour la coalition occidentale de l'emporter, désormais. Il s'interroge donc sur cette incapacité des démocraties à l'emporter dans des conflits modernes, ce qui explique le plan de l'ouvrage en deux parties : la première revient sur les guerres coloniales et les leçons à en tirer, la seconde s'intéresse plus particulièrement à l'Afghanistan et à l'Irak, qui sont donc liés.

Pour Gérard Chaliand, plusieurs facteurs jouent en faveur des insurgés dans les guerres de décolonisation, après la Seconde Guerre mondiale : la démographie, qui explose ; le temps, que les démocraties n'ont plus ; la connaissance du colonisateur, mis à profit par les colonisés. Le grand tournant d'après lui est la Grande Marche des communistes chinois : Mao politise la guérilla et met l'accent sur le contrôle administratif de la population. La Seconde Guerre mondiale fit aussi beaucoup pour évincer la domination psychologique du colonisateur. Après la guerre, cependant, plusieurs guérillas communistes ont été défaites : aux Philippines, en Grèce, en Malaisie, dont on a souvent fait un modèle de contre-insurrection ; or Gérard Chaliand rappelle combien la situation est particulière. D'autres insurrections ont cependant remporté leurs combats : en Israël, à Chypre, en Indonésie. Les populations des pays occidentaux évoluent aussi en faveur du soutien aux luttes des colonisés. Au Viêtnam, les Américains échouent parce qu'ils méconnaissent complètement le contexte viêtnamien. En outre, l'offensive du Têt montre combien les responsables américains ont caché la réalité de la guerre à la population, en prétendant que la victoire était presque acquise. Gérard Chaliand souligne l'importance de savoir pourquoi on s'engage et comment on s'engage ; en outre, au Viêtnam, l'appel au contingent a également été une erreur. Les sensibilités occidentales par rapport à la mort et à la guerre évoluent ; on se concentre sur le terrorisme et ses déclinaisons plutôt que sur la guerre elle-même.

L'Afghanistan, qui n'a jamais été colonisé et n'existe comme pays qu'à partir du XVIIIème siècle, est un casse-tête géographique et ethnique. Les Soviétiques vont s'y casser les dents après l'invasion de 1979, mais là aussi, le facteur politique joue énormément, encore plus avec l'arrivée au pouvoir de Gorbatchev en 1985. Le régime de Najibullah tient encore plusieurs années après le départ des Soviétiques, puis viennent les talibans organisés par le Pakistan voisin. Même après les attentats du 11 septembre 2001 et la réplique américaine et occidentale, l'Afghanistan n'est finalement qu'un théâtre d'opérations mineur face au remodelage du Moyen-Orient voulu par les Etats-Unis. Ceux-ci, vainqueurs de la guerre froide, manifestent une poussée d'optimisme et de condescendance. Le projet américain se transforme en fiasco, dès la fin des opérations conventionnelles. Il faut attendre l'arrivée du général Petraeus en 2006-2007 pour qu'une stratégie de contre-insurrection différente soit envisagée. Mais l'invasion américaine a redistribué les cartes en Irak et cette évolution n'est pas encore finie. Pour Gérard Chaliand, le terrorisme n'est qu'un chiffon rouge que l'on agite pour entretenir la psychose : d'après lui, c'est une donnée beaucoup moins importante pour le monde que le trafic de drogue ou la montée en puissance de la Chine et de l'Inde. En revanche, je trouve certaines réflexions un peu à l'emporte-pièces, comme cette idée que les ruraux ou jeunes Américains des quartiers difficiles seraient plus à l'aise face à la guérilla afghane (où sont les explications ?). Gérard Chaliand, qui s'est rendu sur place, décrit par contre très bien la dégradation en filigrane de la situation en Afghanistan, qui l'incite à publier en 2008 dans Le Monde une tribune pour expliquer la guerre est déjà perdue. La coalition n'a pas les troupes en quantité suffisante, n'a pas le temps nécessaire à une vraie contre-insurrection et ne peut pas s'appuyer sur un gouvernement légitime. En outre, l'adversaire n'est pas un mais multiple. Pour Gérard Chaliand, la partie se joue essentiellement à l'est de l'Afghanistan. Et il y a bien sûr la question du Pakistan.

En conclusion, l'auteur souligne combien la guerre est dans l'impasse. L'échec aurait pourtant d'importantes conséquences régionales ; mais la victoire suppose de se gagner la population, ce qui n'est pas acquis. Le projet des talibans semble plus porteur, localement, que celui de coalition autour du gouvernement Karzaï.

Au final, l'ouvrage, s'il n'est pas complètement satisfaisant (il y a quelques erreurs de dates ou factuelles, aussi), je trouve, a le mérite de la simplicité et de rappeler quelques évidences. A lire et à prolonger en jetant un oeil à la bibliographie.



Publications : 2ème Guerre Mondiale n°50

0
0
Le magazine 2ème Guerre Mondiale atteint son n°50, chiffre fétiche, et moi j'atteins ma première année de collaboration avec le magazine. Une collaboration fructueuse et passionnante, à dire vrai.

Pour ce n°50, Nicolas Pontic a demandé à Jean-François Muracciole, qui intervient régulièrement dans les colonnes de 2ème Guerre Mondiale, d'oser la comparaison entre la situation des années 1930 et celle d'aujourd'hui. Pour l"avoir lu, je ne peux que vous recommander l'article qui est tout à fait sérieux et bien loin des gros titres d'une certaine presse à sensation (!).

Pour ma part, comme dans le n°49, je signe le dossier du numéro sur les derniers feux du IIIème Reichà l'ouest : un thème qui m'a été inspiré par la lecture de la traduction du livre de Ian Kershaw sur le sujet. J'en profite pour esquisser une comparaison entre deux affrontements de la fin de la guerre sur le front de l'ouest : un connu, celui de Remagen, l'autre beaucoup moins, la bataille d'Aschaffenbourg, que j'avais déjà présentée dans Batailles et Blindés n°53, mais sous l'angle narratif et factuel alors qu'il s'agit là plus d'une analyse des choix américains et allemands.

Vous trouverez aussi sous ma plume dans ce numéro une chronique cinéma présentant un film mythique, La Grande Evasion. Cette deuxième chronique cinéma est plus centrée sur la façon dont le film a été réalisé et sur l'interprétation que l'on peut lui donner dans le cinéma de guerre.

Enfin, dans la rubrique Ecrire l'histoire, j'interroge Joël Drogland, historien de la Résistance et de l'occupation, membre de l'ARORY, et coauteur avec plusieurs autres historiens du livre de référence sur le département de l'Yonne pendant la Seconde Guerre mondiale. C'est l'occasion d'interroger la pratique historienne par rapport à une période encore douloureuse de notre histoire. C'était ma première interview et le résultat m'encourage à renouveler l'expérience. Je vous livre déjà en supplément de cette interview la fiche de lecture complète du livre en question.

D'autres suppléments et des vidéos arriveront prochainement. D'ici là, bonne lecture !
Viewing all 1172 articles
Browse latest View live




Latest Images