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Supplément gratuit-2ème Guerre mondiale n°48 (Khalkhin-Gol)-La charge de la 11ème brigade soviétique de chars légers

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Voici le supplément pour l'article sur Khalkhin-Gol paru dans le n°48 de 2ème Guerre Mondiale. J'avais prévu initialement de travailler directement à partir d'ouvrages russes mais faute de temps, je m'inspire d'un petit article russe traduit  en anglais... bonne lecture quand même !



Nous revenons ici sur l'un des moments importants de la bataille, au début juillet 1939. Les Japonais ont rassemblé 3 régiments de leur 23ème division d'infanterie, une division de cavalerie du Mandchoukouo, 2 régiments de chars et un régiment d'artillerie. Le plan japonais prévoit une attaque en pinces : une partie des forces japonaises, menée par Kobayashi, doit traverser la rivière Khalkhin-Gol au nord des défenses principales de l'Armée Rouge de façon à tomber sur les arrières de celles-ci. Parallèlement, une attaque frontale fixera les défenseurs de la tête de pont soviétique de l'autre côté de la rivière. Cette diversion en forme d'attaque brusquée doit attirer les réserves de l'Armée Rouge et favoriser la manoeuvre de contournement de l'autre pince.


Carte en russe de la bataille des 3-5 juillet pendant la campagne de Khalkin-Gol. La tête de pont soviétique, contre laquelle a lieu  l'attaque frontale japonaise, est au centre-bas de la carte. Au nord-ouest, le site où le détachement Kobayashi franchit la rivière pour prendre à revers la tête de pont soviétique. Les flèches à l'ouest indiquent les mouvements et contre-attaques des unités blindés et mécanisées soviétiques.


L'attaque fronale commence le 2 juillet 1939, à 11h00. Elle est prise sous un violent feu d'artillerie des Soviétiques. Le 3 juillet, les Japonais lancent à nouveau plusieurs assauts. Joukov, conscient de la menace sur sa tête de pont, choisit de contre-attaquer en flanquant l'adversaire. Dans la nuit du 3 juillet, la 11ème brigade de chars légers, la 7ème brigade mécanisée et des unités de cavalerie mongole se mettent en mouvement. A 3h15, le 4 juillet, le détachement Kobayashi franchit la rivière Khalkhin-Gol et défait un détachement de cavalerie mongole en poussant vers la colline Baintsagan, qui domine le site de franchissement. Il repousse une contre-attaque avec l'aide de l'aviation. A 6h00, deux bataillons japonais sont déjà en marche vers le sud pour prendre à revers la tête de pont soviétique. Mais à 7h00, les Japonais butent dans la 7ème brigade mécanisée en cours de déploiement : les Soviétiques savent donc désormais à quoi s'en tenir.

Joukov ne perd pas une minute et décide d'éliminer la tête de pont japonaise installée pendant la nuit. La tâche revient à la 11ème brigade de chars légers de Yakovlev, qui devait initialement elle-même passer la rivière plus au nord que les Japonais. La brigade est redirigée vars la tête de pont nipponne et les trois bataillons de chars attaquent finalement de trois directions différentes. A 9h00, la compagnie de tête du 2ème bataillon, avec 15 chars BT et 9 véhicules blindés, engage les Japonais. Elle submerge le bataillon qui se trouve le plus au sud et son artillerie tractée, avant de buter sur le 71ème régiment d'infanterie qui s'est retranché sur les pentes de la colline Baintsagan.

L'assaut général commence à 10h45, même si le 24ème régiment mécanisé n'est pas en place à temps. Joukov lance délibérément chars et véhicules blindés sans soutien d'infanterie contre les fantassins nippons. La bataille dure quatre heures. Le 2ème bataillon, qui attaque les Japonais par le sud avec 53 BT-5, affronte des soldats armés de cocktails Molotov et de mines antichars fixées au bout de bâtons improvisés. 3 chars et 2 véhicules blindés sont touchés, ceux-ci ainsi qu'un char pouvant être tractés vers l'arrière. Au matin du 4 juillet, les Japonais tentent une contre-attaque. Après un pilonnage effectué par des bombardiers et trois heures de préparation d'artillerie, ils s'élancent à l'assaut mais les cinq attaques de la journée sont repoussées avec de lourdes pertes. A 19h00, ce sont les Soviétiques et les Mongols qui repartent à l'attaque. Les Japonais ne peuvent tenir leurs positions et retraitent vers le ferry sous couvert de la nuit. Les 1er et 2ème bataillons de chars de la 11ème brigade soviétique approchent du site et le prennent sous leur feu. Pour éviter la destruction complète de leur détachement, les Japonais font sauter le ferry, isolant les hommes qui n'ont pas encore traversé sur l'autre rive. Ceux-ci sont éliminés par les Soviétiques, mais les chars ne peuvent pas, du coup, anéantir complètement les forces adverses.

Au matin du 5 juillet, le lieutenant Vasilyev mène 4 chars BT contre 11 chars japonais : les BT détruisent 4 chars adverses, sans perte. Vasilyev est fait Héros de l'Union Soviétique. La 11ème brigade a perdu 77 chars sur les 133 engagés, dont 51 définitivement. Les pertes humaines sont légères : 12 tués et 9 blessés au 2ème bataillon, 10 morts et 23 disparus au 3ème bataillon. De nombreux chars sont également réparés et au 20 juillet, la 11ème brigade aligne déjà 125 véhicules. Les pertes sont essentiellement dues aux canons antichars japonais, qui portent des coups mortels au faible blindage des BT.

Les Japonais eux aussi ont grandement souffert. Face à la tête de pont soviétique, lors de l'attaque frontale, le 3 juillet, 41 chars sur 73 ont été mis hors de combat, dont 18 irrécupérables. Les régiments de chars japonais, saignés à blanc, sont retirés de la bataille dès le 9 juillet. Joukov a sacrifié volontairement plusieurs dizaines de chars BT pour contrer un encerclement possible de la tête de pont soviétique au-delà de la rivière Khalkin-Gol : une leçon que d'autres officiers soviétiques n'appliqueront pas en Carélie, un peu plus tard, contre les Finlandais. Les Japonais laissent dans l'affaire, en 24 heures, 800 tués et blessés soit 10% de leur effectif. Pendant la campagne de Khalkhin-Gol, 33 tankistes sont faits Héros de l'Union Soviétique : 27 appartiennent à la 11ème brigade.


Pour en savoir plus :


Andry KRAVCHENKO, « Khalkhyn-Gol 1939: Cost of Victory. The counterattack of 11th Light Tank Brigade », The Russian Battlefield, 3 janvier 2010, mis à jour le 19 septembre 2011.

Supplément gratuit-2ème Guerre Mondiale 48 (Tali-Ihantala)-2 témoignages soviétiques

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Pour terminer la liste des suppléments gratuits aux articles récemment parus, voici deux extraits de deux témoignages d'artilleurs soviétiques engagés dans l'offensive de l'Armée Rouge contre l'isthme de Carélie, à partir du 10 juin 1944... bonne lecture !


Témoignage de Vasily Davidenko


Vasily Davidenko sert dans le 7ème régiment d'infanterie, qui est envoyé en garnison sur la péninsule de Hanko, après la guerre d'Hiver. Le régiment a été retiré à sa division de fusiliers pour rejoindre la 8ème brigade d'infanterie indépendante. Davidenko devient commandant d'un peloton d'artillerie, puis d'une batterie, avec de vieux canons de 76 mm à canons court. Les positions soviétiques sont attaquées par les Finlandais dès le 1er juillet 1941. Finalement, les Soviétiques sont évacués par mer par une flotte de petits navires. Davidenko assiste, le 3 décembre 1941, au naufrage du navire de transportJoseph Staline (VT-521), endommagé par trois mines, pilonné par l'artillerie côtière finlandaise, et qui finit par s'échouer sur la côte estonienne – les 3 000 hommes encore à bord étant capturés par les Allemands. La 8ème brigade est dissoute et devient la 136ème division de fusiliers ; le régiment de Davidenko est rebaptisé 269ème de fusiliers. En janvier 1943, au moment de l'offensive pour lever le blocus de Léningrad, Davidenko est devenu commandant d'un régiment d'artillerie. Pour ses exploits, la 136ème division de fusiliers devient ensuite la 63ème division de fusiliers de la Garde, et le 269ème régiment le 188ème régiment de fusiliers de la Garde.

Davidenko est major en 1944 et commande l'artillerie de ce régiment. Il est blessé pendant l'assaut sur les hauteurs qui surplombent la ville de Léningrad. Son unité est ensuite transférée pour l'offensive dans l'isthme de Carélie. Le premier jour, elle perce le front finlandais sur 19 km. Lui-même, après avoir reçu l'ordre de Souvorov 3ème classe, est blessé à nouveau le 1er juillet 1944 près de Vyborg, où son unité est matraquée par l'aviation allemande. Certains régiments de fusiliers soviétiques ne comptent alors plus que 150 à 200 hommes en état de se battre ! Davidenko témoigne également qu'au début de l'offensive, les soldats finlandais ne sont plus aussi coriaces que pendant la guerre d'Hiver. Il est notamment témoin de la déroute d'un bataillon qui abandonne trop rapidement ses positions.


Témoignage de Nikolay Myasoedov.


Myasoedov est né en 1922 dans la région de Bielgorod. En 1940, il est enrôlé dans l'Armée Rouge et formé à l'école des artilleurs de Saratov. Sa promotion subit un entraînement intensif à la guerre en condition hivernale à la lumière de l'expérience en Finlande. Envoyé former des recrues d'Asie Centrale en juillet 1941, Myasoedov participe en août à l'invasion conjointe de l'Iran entre Soviétiques et Britanniques. En mars 1942, il suit les cours de l'école d'artillerie de Riazan déménagée au Kazakhstan en raison de l'avance allemande. Un an plus tard, devenu lieutenant, Myasoedov gagne le front de Léningrad. Le 22 juillet, lors d'une offensive du 30ème corps de fusiliers de la Garde, le chef du bataillon de reconnaissance d'un régiment d'artillerie de la 63ème division de fusiliers est tué. Myasoedov prend sa place, au 1er bataillon du 133ème régiment d'artillerie. Le régiment comprend deux bataillons armés de canons ZIS-3 de 76 mm et un autre d'obusieurs de 122 mm M1938. Pendant cette offensive, la division perd la moitié de son effectif. En août 1943, alors que la division a été retirée à l'arrière, Myasoedov rencontre le général Simonyak, qui commande le 30ème corps de fusiliers de la Garde (63ème, 64ème et 45ème divisions de fusiliers de la Garde), après avoir dirigé la 8ème brigade d'infanterie indépendante sur la péninsule de Hanko puis la 136ème division de fusiliers devenue 63ème division de fusiliers de la Garde. Il participe plus tard à l'offensive de Siniavino, avant de recevoir la médaille pour la défense de Léningrad, en décembre 1943.

Le 15 janvier 1944, Myasoedov et son régiment sont de l'offensive qui lève définitivement le blocus de Léningrad. Puis, en février, l'unité pousse jusqu'à la rivière Narva. Il est blessé à la tête en mars et évacué à l'arrière. Le 23 mai 1944, à sa sortie d'hôpital, Myasoedov apprend qu'une offensive se prépare dans l'isthme de Carélie contre les Finlandais. Un grand secret entoure les préparatifs de l'opération. Myasoedov raconte : « Notre 63ème division de fusiliers doit avancer au milieu de la route Kivennapa-Vyborg (…) Les 6,7,8 et 9 juin sont les jours de préparatifs les plus intenses. Des nuits sans sommeil (…) Puisque les défenses devant nous ont été bâties de longue date, l'opération suit un schéma différent de celui habituel. La préparation d'artillerie et de l'aviation ne dure pas deux heures, mais commence dès le 9 juin et s'étale sur toute la journée, pour détruire les positions fixes et les tranchées. Les coordonnées des objectifs sont connues précisément. Auparavant il n'y avait jamais eu une telle concentration d'artillerie sur un front si étroit. Le 3ème corps d'artillerie du général Zhdanov dispose de pièces lourdes à longue portée. Il faisait de la contre-batterie contre les pièces allemandes qui tiraient sur Léningrad. A ces pièces se sont ajoutés dix bataillons d'artillerie transférés des réserves et des canons de 280 et 305 mm. Notre artillerie divisionnaire assure le soutien de l'infanterie : nous tirons sur les objectifs qui peuvent entraver sa progression sur une profondeur de 2 à 4 km. L'aviation termine le travail. Dans la soirée, l'un de nos bataillons accomplit une reconnaissance en force du dispositif finlandais. Le 10 juin à 06h10, nous commençons la préparation d'artillerie qui se termine à 08h20. L'aviation intervient à partir de 7h00 : elle doit entre autres pilonner les premières lignes ennemies mais les bombes tombent parfois un peu trop près de notre abri situé à 700 m des tranchées finlandaises... (…) nous appuyons le 190ème régiment du colonel Afanasev. Afanasev avait suivi les cours des sapeurs avant la guerre avant de se retrouver dans la 8ème brigade sur Hanko. Puis il avait commandé un bataillon de sapeurs avant de rejoindre les fusiliers après la levée du blocus de Léningrad. Pendant l'opération contre Vyborg, il va exceller. Son régiment perce de 15 km et dès le 12 juin, les Finlandais sont sur leur deuxième ligne défensive près de Kivennapa, où arrive notre division. Devant cette localité, nous appuyons ensuite le 188ème régiment. Les réserves ennemies étant acheminées là, notre division passe en deuxième échelon pour une nouvelle attaque sur le flanc gauche, le long de la côte. Les routes sont encombrées par notre énorme artillerie. Le 20 juin, nos troupes entrent dans Vyborg, et la ville tombe dans la soirée. Nous nous installons à 7 km au nord-est de la ville, pour soutenir la prochaine attaque. (…) Notre poste d'observation est situé sur une montagne, dans la région d'Ihantala, à la lisière d'une forêt, qui court sur la pente de la montagne. Dans la forêt se trouve l'état-major de notre bataillon puis un peu plus loin, nos pièces. L'artillerie finlandaise nous empêche de lever le nez hors de nos abris : elle frappe avec une terrible précision, comme si elle nous voyait. La situation devient bientôt critique. Un détachement qui amène des vivres des batteries au poste d'observation est pris en embuscade : plusieurs hommes sont tués mais un autre parvient à s'enfuir. Notre chef de popote du bataillon est alors un ancien fusilier marin, visiblement habitué des combats au corps-à-corps. Il interroge le survivant et l'accompagne sur le même trajet le lendemain. Encore une fois, ils sont pris sous des tirs, mais le fusilier marin repère rapidement l'origine des coups de feu et débusque des tireurs finlandais kamikazes, les « coucous ». Bientôt il amène trois prisonniers dont un sous-officier artilleur finlandais, que l'on interroge dans le poste d'observation. Nous trouvons sur lui une carte du secteur avec indiqué dessus notre poste d'observation, ainsi que trois points rouges. Nous supposons, au vu des emplacements, qu'il s'agit du bataillon d'artillerie finlandais qui nous tire dessus. Aussi nous obtenons la permission de réaliser un tir de contre-batterie, qui a dû être efficace car nous sommes ensuite beaucoup moins embêtés par les obus finlandais. » .


Pour en savoir plus :


« Давиденко Василий Федорович », mis en ligne le 22 juillet 2006, témoignage recueilli par Bair Irincheev, iremember.ru .

« Мясоедов Николай Сергеевич », mis en ligne le 31 octobre 2012, iremember.ru .

L'autre côté de la colline : interview de Pierre Streit

Paul CARELL, La bataille de Koursk mars-septembre 1943 (Opération Terre Brûlée-2), J'ai Lu leur aventure 227, Paris, J'ai Lu, 1970, 309 p.

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Paul Carell, nom d'auteur de Paul Karl Schmidt,était un officier de la Allgemeine-SS, la composante administrative de la SS sous le IIIème Reich. Il a notamment servi Joachim von Ribbentrop, le ministre des Affaires Etrangères d'Hitler. Il devient l'un des propagandistes nazis les plus talentueux et contribue notamment au célèbre magazine Signal. Arrêté en mai 1945, détenu provisoirement comme témoin à charge pour le procès de Nuremberg, où il se présente comme un "combattant de la liberté" à la presse (sic), Schmidt est cependant rapidement relâché et se reconvertit dans l'écriture d'ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale. Ses livres sur le front de l'est, écrits sous le pseudonyme de Paul Carell, lui octroient une certaine célébrité et le font passer pendant longtemps pour un "historien" sérieux. La plupart de ses ouvrages a été traduit en français dans la collection bleue J'ai Lu leur aventure.

La trilogie Opération Terre brûlée complète les deux tomes précédents, Opération Barbarossa. Dans ce deuxième tome, Paul Carell revient sur la bataille de Koursk, depuis ses préparatifs à partir de mars 1943 jusqu'à la contre-offensive soviétique qui rejette les Allemands au-delà du Dniepr, en septembre 1943.

Paul Carell ne conteste pas la décision d'Hitler de lancer l'offensive sur la saillant de Koursk, et montre au contraire combien le Führer a longtemps hésité à le faire, car ce choix était risqué. Si il fait appel à des témoignages soviétiques, Carell propose surtout une vision allemande de la bataille. Il décrit en particulier les combats féroces menés par la division Grossdeutchland, par exemple, au soir du 4 juillet, pour gagner ses positions de départ sur la face sud du saillant de Koursk, en vue de l'offensive du lendemain. Sur la face nord, où attaque la 9. Armee de Model, Carell relate des combats pour les hauteurs d'Olkhovatka qui dépassent en fureur ceux de Stalingrad. Il ne cache rien des déboires des chars Panther, engagés pour la première fois au combat, et sait dépeindre des scènes d'anthologie, comme le moment où les Allemands manquent de capturer les généraux Katoukov et Chistiakov, attablés pour déjeûner, et qui n'ont pas conscience que les chars allemands ont percé leurs lignes...

Carell raconte également comment le raid aérien surprise monté par les Soviétiques sur les terrains allemands de la face sud du saillant échoue en raison de l'interception radar du Freya ; mais aussi comment les Hs 129 d'attaque au sol mettent en pièces, le 8 juillet, le 2ème corps blindé de la Garde soviétique qui monte en ligne pour une contre-attaque. La vision de Prokhorovka, en revanche, est encore celle datée de la guerre froide : en outre, Carell compare l'affrontement à Waterloo (!) et attribue une partie de l'échec à la poussée pas assez profonde du III. Panzerkorps, qui manoeuvre à droite du II. SS-Panzerkorps.

L'ancien SS attribue la plupart des fautes à Hitler : pour lui, l'arrêt de l'opération Zitadelle est une lourde erreur, car des gains pouvaient être engrangrés notamment sur la face sud du saillant. Ce faisant, Carell rejoint les mémorialistes allemands d'après-guerre comme Manstein, alors commandant du Groupe d'Armées Sud, et qui se défaussent largement de la défaite sur le Führer. Carell méprise assez largement l'armée soviétique mais reconnaît que Koursk est une défaite décisive pour l'Allemagne, en partie parce que la Wehrmacht n'a pas pris la mesure d'un adversaire devenu plus dangereux. Mais avant tout, selon lui, par le patriotisme et le fanatisme insufflés par les commissaires politiques (sic). Rien de très surprenant étant donné le passé de l'auteur et sa démarche de quasi-propagande en faveur de la Wehrmacht, finalement, pendant la guerre froide.

La grande théorie de Carell, cependant, pour expliquer la victoire soviétique, est la trahison d'un officier du haut-commandement allemand, le fameux "Werther", jamais identifié, qui aurait renseigné les Soviétiques de bout en bout. L'hypothèse a connu une grande postérité, mais a été battue en brèche depuis. En relatant la contre-offensive soviétique, notamment l'opération Roumantsiev, Carell insiste sur les pertes énormes subies par l'Armée Rouge, puis sur l'entêtement d'Hitler qui conduit presque l'armée allemande au désastre en voulant absolument tenir sur place, en dépit des cris d'alarmes lancés par Manstein et les autres généraux.

Dans la retraite vers le Dniepr, on retrouve une autre constante de l'auteur, qui minimise fréquemment la politique de la terre brûlée mise en oeuvre par la Wehrmacht durant ses replis successifs à partir de 1943 ainsi que les exactions contre les civils. Le tome se finit sur le récit du désastre de l'opération aéroportée soviétique au-dessus de Kanev, sur le Dniepr.

Le propos de Carell est parfois intéressant pour les données factuelles et témoignages allemands qu'ils livrent sur les combats évoqués,à Koursk ou ailleurs. Cependant, il est bien évident que ses analyses et interprétations, influencées par son passé de SS et son entreprise de réhabilitation, ne sauraient se substituer à la lecture d'ouvrages sérieux parus depuis une vingtaine d'années et qui proposent une vue à la fois plus équilibrée et plus juste des campagnes du front de l'est. 

Evan MAWDSLEY, The Russian Civil War, Birlin, 2008, 480 p.

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Evan Mawdsley, professeur à l'université de Glasgow, s'intéresse avant tout à la Russie au XXème siècle et à la Seconde Guerre mondiale. C'est vers cette dernière période que se porte actuellement ses travaux.

Cet ouvrage-ici, initialement paru en 1987, se veut une synthèse abordable sur la guerre civile russe. Cette réédition survient alors que l'URSS a disparu, ce qui permet à Mawdsley de se livrer à quelques analyses sur les causes profondes de la fin du monde soviétique. Cet événement a également ouvert l'accès à d'autres archives. Mawdsley revient aussi sur le débat historiographique propre à la période parmi les historiens occidentaux. Le courant totalitaire, qui remonte aux années 1950, considère que la révolution a été imposée d'en haut par un groupe d'intellectuels utilisant la force brute. Les révisionnistes, qui s'affirment depuis les années 1970, avancent une histoire "par le bas" et montrent le soutien populaire à la révolution. En réaction s'est développé un courant néo-traditionnaliste, qui prolonge le courant totalitaire et insiste sur la hiérarchie du monde soviétique du haut vers le bas et sur la personnalité de Lénine, pas si distincte de Staline, contrairement à ce qu'avancent les révisionnistes. Mawdsley se place lui au-dessus de cette division, prétendant être influencé par les deux visions, même si son histoire de la guerre civile se fait plus par le haut que par le bas. Il insiste dans cette réédition, par exemple, sur l'absence d'alternative politique crédible chez les paysans et donc la moindre importante d'un "front intérieur" derrière l'Armée Rouge. Deux évolutions de l'historiographie lui semblent notables : le développement d'une histoire locale et les liens soulignés entre la Première Guerre mondiale, la révolution et la guerre civile.

La victoire des bolcheviks durant la guerre civile russe tient à plusieurs facteurs. Le programme de Lénine perd de son aura dès 1918 et l'Etat mis en place par les bolcheviks est branlant, mais ils sont plus efficaces que ceux de leurs opposants. La terreur rouge joue aussi un rôle, qui pour Mawdsley est difficile à préciser exactement. Le facteur décisif, pour l'historien, est que la vague de conquêtes des bolcheviks en 1917-1918 leur donne la possession du coeur de la Russie, de la population russe, de l'industrie, des arsenaux, ce qui assure leur succès final. Leurs effectifs ne cessent d'augmenter jusqu'en 1920, ce qui leur donne un avantage décisif dans les affrontements conventionnels ; en outre ils ne sont plus menacés par un effondrement intérieur sur leurs arrières. Le contrôle d'un vaste territoire dès le début de la guerre civile leur permet également d'échanger de l'espace contre du temps. La stratégie de l'Armée Rouge fonctionne par à-coups : l'offensive contre la Pologne, en 1920, est la plus complexe, mais l'état-major souffre aussi des problèmes de chemin de fer et des grandes distances sur lesquelles se déroule le conflit. La victoire bolchevique est cependant bien militaire : c'est celle d'une armée de masse, encadrée par d'anciens officiers, équipés de stocks impériaux et formée de paysans conscrits. La réorganisation de 1918 suite à la campagne sur la Volga contre les socialistes-révolutionnaires prépare l'Armée Rouge aux grands défis lancés ensuite par les Blancs. Réalistes, les bolcheviks ont constaté que la révolution ne s'étendrait pas au reste du monde, et qu'il fallait d'abord remporter la guerre en Russie. En outre, l'état de paix plus ou moins respectée avec les Puissances Centrales en octobre 1917 et mars 1918, s'il conduit à l'intervention des Alliés plus tard, permet aux bolcheviks de consolider leur position et d'assurer leur victoire dans la guerre civile. Lénine a assuré le rôle de direction pendant la guerre. Trotsky a surtout été efficace dans la création d'une armée régulière, contre le parti ; en outre, sa présence a motivé les troupes, avec ses incessants voyages en train blindé.

Les bolcheviks ont aussi gagné parce que leurs adversaires ont été plus faibles qu'eux. Ils n'ont jamais réussi à mobiliser politiquement les paysans, remarquablement passifs. Leur stratégie n'est pas coordonnée, entravée par les distances : les armées blanches du sud, de Sibérie, du nord et de la Baltique sont séparées par des milliers de kilomètres. L'échec principal réside surtout dans la non-jonction entre Denikine, au sud de la Russie, et Kolchak, dans l'ouest de la Sibérie, à l'été 1918 ou 1919. Les Blancs, conservateurs nationalistes, ont peu de ressources militaires car ils n'ont pas su s'attirer le soutien de la population. Effrayés par la politique et par les masses, ils voient la guerre civile comme un retour du "temps des troubles" du XVIIème siècle. Les Blancs n'ont pas fait preuve, également, d'une grande discipline sur leurs arrières et paradoxalement, ils manquent dans certains secteurs d'officiers entraînés. Leur base est réduite et les cosaques, qui constituent une bonne partie du vivier, se montre farouchement attachés à leur indépendance. Les généraux blancs ne font pas de concessions aux minorités qui auraient pu les soutenir -Ukrainiens, Biélorusses, Baltes...

Les minorités nationales se sont en partie émancipées à la faveur de la guerre civile (Pologne, Finlande) mais au final, 80% de l'ancien empire multiethnique des tsars tombent entre les mains des bolcheviks. Les Russes, dans l'ancien système, sont en fait dominants dans les villes, dans les transports, ce dont vont profiter les nouveaux maîtres. Le programme bolchevik et une semi-indépendance bancale ont plus attiré les minorités, avec le maintien d'un Etat et d'une armée centralisés et la promesse d'une révolution sociale. L'intervention alliée s'est en fait limitée à peu de choses. La présence étrangère la plus décisive a été, en fait, celle des Puissances Centrales. Celles-ci occupent de fait le sud et l'ouest de la Russie jusqu'en novembre 1918. L'aide alliée n'arrive massivement aux Blancs qu'à l'été 1919. Elle ne fait que prolonger un peu la guerre civile. Les bolcheviks l'emportent au départ grâce aux ouvriers et aux soldats, puis, devant l'effondrement du pouvoir, parce que le tsarisme n'a laissé aucune force digne de s'opposer à eux.

Le bilan humain n'en reste pas moins lourd : au moins 800 000 morts militaires, dont beaucoup par maladie. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont été victimes de la Terreur rouge et de la Terreur Blanche. Au final, la guerre civile russe a probablement coûté la vie à 7 à 10 millions de personnes. L'économie du pays a également beaucoup souffert, en particulier dans certaines régions : Ukraine, Donbass, Oural, en particulier. Mawdsley conclut en se demander si la guerre civile està l'origine de l'URSS de Staline. Certains révisionnistes pensent que les méthodes du conflit ont été réintroduites à la fin des années 1920. Pour Mawdsley, le problème tient à la différence que l'on fait entre la révolution et la guerre civile, qui pour lui ne sont pas séparées -il commence d'ailleurs son récit après la Révolution d'Octobre.De son point de vue, la guerre civile et le stalinisme sont la conséquence de la prise du pouvoir par les bolcheviks, le tout lié à l'autocratie du tsar qui n'a pas pu créer d'autres alternatives. 

L'historien fournit donc un récit chronologique des différentes campagnes de la guerre civile, assortis d'explications et de quelques chapitres thématiques. Il se concentre surtout sur les opérations militaires sans descendre jusqu'àà un niveau de détail trop lassant à la lecture. Un exercice de synthèse plutôt réussi. Mawdsley fournit ensuite une bibliographie thématique commentée, puis de même par chapitres, avant de la donner en listing, ce qui est pratique. En revanche les cartes, assez peu lisibles, sont placées en fin de volume, ce qui n'est guère pratique : il faut sans cesse s'y reporter pour suivre les opérations. Un livret photo central complète l'ensemble.

L'autre côté de la colline : le siège de Constantinople (1453)-1/2

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Aujourd'hui, sur le blog collectif L'autre côté de la colline, je mets en ligne la première partie d'un article de synthèse consacré au siège et à la chute de Constantinople, capitale de l'Empire byzantin, face aux Turcs Ottomans (1453). Un article de synthèse avec quelques sources qui permet déjà de connaître le minimum sur le sujet.

N'hésitez pas à parler de L'autre côté de la colline sur la toile !

Café Stratégique n°25 : Community Policing et lutte contre le jihadisme

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Le volet 25 des Cafés Stratégiques aura lieu jeudi 16 mai, à 19h00, au café Concorde comme de coutume. L'invité sera Claire Arènes, doctorant et chargée de cours à Paris III, et qui parlera du sujet évoqué sur l'affiche : la community policing et la lutte contre le jihadisme.

Paul CARELL, Opération Terre brûlée, tome 3 : Les Russes déferlent septembre 1943-août 1944, J'ai Lu leur aventure 230, Paris, J'ai Lu, 1970, 311 p.

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Dans le troisième et dernier volume de sa série Opération Terre brûlée, l'ancien SS Paul Carell (voir ici la présentation que j'en avais fait pour le deuxième tome) s'intéresse aux opérations du front de l'est allant de septembre 1943 au mois d'août 1944... ce qui est une façon, comme beaucoup de mémorialistes allemands d'après-guerre, d'évacuer les plus grands revers de la Wehrmacht dans les derniers mois de la guerre, où le taux de pertes est d'ailleurs incomparablement plus élevé. Et encore Paul Carell évoque l'opération Bagration, ce qui n'est pas si fréquent. Il est intéressant de voir, d'ailleurs, que cette focalisation sur les batailles défensives menées par la Wehrmacht en 1944, avec des accents mélodramatiques, se retrouve dans d'autres ouvrages plus récents mais là encore souvent écrits par des vétérans allemands, comme celui d'Alex Buchner.

Carell commence par raconter la chute de Kiev, et trouve comme de coutume le moyen de faire passer cette retraite comme un exploit -sans parler du massacre de la 25. Panzerdivision ramenée de France face aux chars soviétiques... mais parle sans sourciller de la destruction du barrage et du pont de Zaporoje.

Le récit de la défense de Nikopol est l'occasion de faire les louanges de Schörner, un des maréchaux les plus brutaux ayant oeuvré sur le front de l'est -et qui, dans les derniers jours de la guerre, abandonne ses troupes aux Soviétiques pour s'enfuir à l'ouest... lauriers, encore, décernés aux défenseurs allemands de Kirovograd. Mais le gros morceau du tome, c'est la description de la formation de la poche de Korsun-Tcherkassy et de la percée effectuée par les Allemands pour sauver le plus d'hommes possible. Encore des pages et des pages à la gloire des Wikingers et autres nervis de la légion Wallonie (sic) qui ont pu échapper aux camps de prisonniers soviétiques, sur plus d'un sixième du livre.

Quand Carell passe aux combats de la poche de Hube (encerclement de la 1. Panzerarmee), c'est à nouveau l'occasion de mettre en relief l'entêtement criminel d'Hitler et la maestria de Manstein, qui finit malgré tout remercié par le Führer pour s'être montré trop franc... dans la liste des désastres allemands de 1944, Carell accorde également une place importante à la chute de la Crimée. C'est ici un peu plus original -quoique tout aussi biaisé- car l'offensive est peu connue, finalement.

Bizarrement, Carell compare l'opération Bagration et la destruction du Groupe d'Armées Centre à la bataille de Cannes (216 av. J.-C.) remportée par Hannibal contre les Romains. Ce qui peut prêter à sourire quand on sait que c'est elle qui a en partie inspiré von Schlieffen, mais sans doute pas les Soviétiques, dont l'art de la guerre est assez différent... mais pas connu de Carell, c'est certain. Le passage est encore l'occasion d'une nouvelle diatribe contre Hitler, qui aurait détourné l'effort allemand sur la partie sud du front de l'est dès 1942 au lieu de concentrer l'effort au centre, là où va porter le coup soviétique, contre un groupe d'armées dégarni. Au contraire, pour une fois, Carell vante les mérites du maréchal soviétique Rokossovsky, opposé au brutal Joukov, le côté raffiné de son caractère venant probablement de son ascendance polonaise (sic). Il explique le succès soviétique par des mesures poussées de ce que l'Armée rouge appelle la maskirovka (camouflage, désinformation, etc) et surtout par une écrasante supériorité aérienne sur laquelle il semble un peu trop appuyer (il n'y aurait que cela pour déterminer le succès soviétique...). Puis vient le récit des poches allemandes ou des tentatives de sortie liquidées par l'Armée rouge, avec le listing des généraux capturés ou tués...avant de conclure sur l'anabase d'un petit groupe de Landsern qui rejoignent les lignes allemandes, le 14 août 1944, après une marche de 650 km.

Bref, à l'est, rien de nouveau, selon Paul Carell.


Le colosse de Rome (Il Colosso di Roma) de Giorgio Ferroni (1964)

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508 av. J.-C. . Rome vient de se débarrasser des rois et de la tyrannie de Tarquin le Superbe. Celui-ci a demandé l'appui du roi étrusque de Clusium, Porsenna, qui fait le blocus de la ville. Gaius Mucius Scaevola (Gordon Scott), combattant romain impressionnant aussi bien par ses prousses physiques que par son attitude inflexible, sauve un convoi de ravitaillement pris en embuscade par un détachement étrusque. Puis, il s'introduit dans le camp ennemi pour tuer le roi Porsenna. Se trompant de cible, il est arrêté : menacé de la torture, il place lui-même sa main droite dans le brasier pour montrer aux Etrusques le courage des Romains. Ayant gagné l'estime du roi Porsenna, il est relâché pour négocier la paix. Mais les événements vont bientôt l'amener à apprendre à se servir de l'épée de la main gauche...

Voici un péplum sans prétention qui s'inspire d'une période assez peu traitée, dans le genre, de l'histoire romaine : les touts débuts de la République, après que le dernier roi étrusque, Tarquin le Superbe, ait été renversé en 509 av. J.-C. après le viol de Lucrèce, si l'on suit Tite-Live. C'est d'ailleurs ce dernier qui fournit l'essentiel de la matière : le héros principal est Mucius Scaevola, qui reprend aussiHoratius Coclès, et on trouve le consul Publicola.

Le scénario est signé Remiggio del Grosso, un spécialiste des films patriotiques romains anti-communistes puisqu'il avait travaillé... sur le Scipion l'Africain de l'époque mussolinienne (1937). Ici, Scaevola est fiancé à l'héroïne Clélie -qui mène effectivement des femmes otages des Etrusquesà travers une rivière pour se sauver-, ce qui n'est pas indiqué par Tite-Live. Mucius se confond plus ou moins avec Horatius Coclès, qui lui n'apparaît pas directement dans le film ; rien non plus dans Tite-Live sur un Mucius qui réapprend à se battre du bras gauche.

Au niveau réalisation, ce n'est pas un péplum des plus exemplaires : quelques belles scènes de combat ou de batailles avec parfois un grand nombre de figurants, mais des plans parfois confus -comme lors de l'affrontement final, où la bataille rangée ne ressemble pas à grand chose... d'autant plus que le réalisateur insère au milieu des plans bien reconnaissables du film La guerre de Troie (charge de cavalerie entre les hommes d'Achille et d'Enée) qu'il a fait quelques années avant, en 1961, et, comble de l'ironie, à un moment, montre la charge des Romains... pour les Etrusques, et vice-versa (avec le dialogue en fond, ça fait un peu bête).

Un bon moment mais pas inoubliable. 


Ci-dessous, La guerre de Troie, dont Ferroni réutilise des scènes dansLe colosse de Rome (charge de cavalerie à 1h05 environ).
 

  

La bataille de la Neretva (Bitka na Neretvi) de Veljko Bulajic (1969)

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Janvier-mars 1943. L'Axe lance le plan Blanc (Fall Weiss) pour éradiquer la menace que fait peser Tito, et ses partisans, sur la présence allemande en Yougoslavie. Le film raconte la bataille à partir de multiples points de vue qui parfois s'entrecoupent : allemand, italien, partisan et tchetnik.

La bataille de la Neretva est le film le plus coûteux réalisé dans la Yougoslavie de l'ère communiste : personnellement approuvé par Tito, le financement d'Etat s'élève probablement à plusieurs millions de dollars, sans que l'on connaisse le chiffre exact. C'est ainsi que l'on peut s'expliquer la présence de nombreuses stars du film de guerre -ou autres- occidentales et même soviétiques : Sergei Bondarchouk, Yul Brynner, Franco Nero, Orson Welles notamment. Le réalisateur obtient même de Pablo Picasso qu'il réalise une affiche originale pour son film, ce que le peintre accepte, moyennant non pas un salaire en argent mais une caisse de bouteilles du meilleur vin de Yougoslavie !



Les moyens sont à la hauteur du budget avec la participation de 10 000 hommes de l'Armée populaire yougoslave et la reconstitution de pas moins de 4 villages et une forteresse pour les besoins de certaines séquences. Un pont de chemin de fer sur la rivière Neretva à Jablanica a été détruit pour la séquence correspondante : cependant, après l'avoir fait sauter deux fois, l'équipe de tournage revient bredouille car la fumée empêche de tourner correctement les prises. La destruction sera donc faite à partir d'une réplique en maquette. On note la présence de nombreux chars T-34/85, dont certains camouflés en Tigre I côté allemand (trois d'entre eux sont d'ailleurs réutilisés dans De l'or pour les braves, l'année suivante), ainsi que de chars Shermans livrés pendant la Seconde Guerre mondiale, dont certains ont été probablement sacrifiés durant le tournage. Il y a aussi des matériels plus rares comme les pièces de DCA soviétiques (85 mm M1939) ou allemandes (Flakvierling), des Pak 40 et même des CV-33 côté italien. Les partisans utilisent aussi de nombreuses Beretta M1938 retournées, tandis que les Italiens servent quelques mitrailleuses Breda Modello 1937.

Sur le fond, le film est plutôt long (2h40) et cela se ressent, par moment. Si le côté propagande est bien là, le réalisateur a le mérite de ne pas tomber dans le cliché. La retraite des partisans n'a ainsi rien d'une promenade de santé, sous les bombes de l'aviation allemande et avec son cortège de soldats décimés par le typhus, sans parler du personnage devenu fou et qui se met à tirer sur ses camarades. Avec le capitaine italien, on sort même carrément de l'affrontement tout blanc tout noir, qui est en revanche très marqué quand il s'agit de montrer les Tchetniks : il est vrai que la bataille de la Neretva marque sans doute le point où la collaborationentre les Tchetniks et l'Axe est la plus poussée. Certaines scènes sont impressionnantes de par le nombre de figurants et de véhicules déployés, bien que le réalisme ne soit pas toujours forcément en rendez-vous.La bataille de la Neretva reste donc une grande fresque nationale yougoslave, d'ailleurs toujours plébiscitée dans l'ex-Yougoslavie actuelle, preuve d'une certaine qualité. 


Steven J. ZALOGA et Tony BRYAN, Armored Trains, New Vanguard 140, Osprey, 2008, 48 p.

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Les trains blindés font partie de ces innovations militaires qui ont eu une carrière courte, semblable à celle d'une étoile filante. Leur contribution à la guerre industrielle est, en Occident, relativement méconnue, car ils ont surtout opéré, de fait, sur d'autres théâtres d'opérations : Europe de l'est, Russie et Extrême-Orient principalement. Ce volume de la collection New Vanguard d'Osprey, paru en 2008, comble donc un manque en matière de vulgarisation sur le sujet.

Steven Zaloga rappelle que les premiers trains blindés improvisés sont créés par l'armée austro-hongroise dès les événements révolutionnaires de 1848. Mais c'est la guerre de Sécession qui vit l'utilisation réelle des premiers trains blindés, là encore improvisés : au nord de Baltimore, l'un de ces engins patrouille sur les voies ferrées pour empêcher des saboteurs pro-confédérés de faire sauter les voies, annonçant ce que sera au XXème siècle l'emploi des trains blindés dans la lutte anti-partisans.

Les Britanniques mettent bientôt au point, eux aussi, leurs premiers trains blindés pour la campagne en Egypte et au Soudan, puis pour la guerre des Boers. L'un des épisodes les plus célèbres, le 15 novembre 1899, voit les Boers mettre hors de combat un train blindé en bloquant les voies ; un journaliste présent à bord, un certain Winston Churchill, est capturé à l'occasion. L'anecdote montre la vulnérabilité du train blindé en l'absence de moyen de reconnaissance.

Au déclenchement de la Première Guerre mondiale, ce n'est pourtant pas à l'ouest mais à l'est que les trains blindés vont se révéler fort appréciables. Les Russes en possèdent dès 1914 après de premières expériences durant la révolte des Boxers en Chine et pendant la guerre russo-japonaise de 1904-1905. Les Austro-Hongrois, tout comme les Russes, vont alors procéder à une fabrication industrielle et non plus improvisée de trains blindés. Fin 1915, l'armée russe met ainsi en ligne 15 trains blindés. Russie et Autriche-Hongrie mettent au point de véritables croiseurs sur rail, comme le Zaamurets russe.

Mais c'est à l'occasion de la guerre civile russe que les trains blindés se montrent incomparablement précieux. Ils opèrent avec des détachements embarqués, ou non, de cavalerie et d'infanterie dans un conflit où la mobilité est certaine, autour des voies de chemin de fer qui permettent de rejoindre les villes et centres industriels naissants. Les bolcheviks récupèrent l'industrie de production des trains blindés, en particulier les usines Putilov et le centre de Bryansk. De 23 trains en service fin 1918, l'Armée Rouge en aura, au total, 103 en 1920 ! Ce sont les bolcheviks et l'Armée Rouge qui formalisent, en octobre 1919, la coopération entre le train blindé et son détachement embarqué (desantniy otryad) : il comprend une compagnie d'infanterie, une cinquantaine de cavaliers et une section de mitrailleuses avec 2 tachankas. Dès mars 1919, l'Armée Rouge emploie aussi des ballons pour l'observation à bord des trains blindés. En face, les Blancs utilisent également quelques 80 trains blindés, surtout dans l'armée de Denikine. Zaloga s'attarde -peut-être trop, au détriment d'autres exemples qu'il aurait pu développer- sur le parcours du train blindé russe Zaamurets, qui change à de nombreuses reprises de propriétaire pendant la guerre civile.

En 1920, l'Armée Rouge, qui a envahi la Pologne, se trouve face à une armée régulière qui elle aussi, fait un usage intensif des trains blindés ; à l'automne, les Polonais en ont pas moins de 40. Le Pilsudczyk, le premier train blindé polonais, met hors de combat le Krasnoarmiyetz soviétique et capture quatre autres trains blindés. Les Polonais ont aussi des équipes embarquées et associent parfois leurs trains par deux ; en outre, des chars FT embarqués sur plate-forme peuvent tirer à partir du char ou être débarqués. Les Allemands ne font appel qu'à des trains blindés improvisés, sans fabrication industrielle, surtout à partir de 1918 ; les Ukrainiens manient, eux aussi, quelques trains blindés pendant la guerre civile. En Chine, le seigneur de guerre de Mandchourie Zhang Zuolin récupère, avec l'arrivée des Blancs défait à partir de 1920, des trains blindés qu'il utilise à son compte. Plusieurs sont pris par l'armée du Kuomintang, puis par les Japonais en 1931. Ceux-ci, pour patrouiller les voies, installent plutôt des trolleys, et en particulier l'automitrailleuse Type 91 So-Mo.




Lors de l'invasion de la Pologne, le 1er septembre 1939, les Polonais alignent encore une dizaine de trains blindés : leur puissance de feu s'avère parfois utile mais ils sont très vulnérables à une nouvelle menace, l'aviation. Les Soviétiques en utilisent aussi quand ils entrent en Pologne, à partir du 17 septembre. L'Armée Rouge a continué d'entretenir son effectif de trains blindés, créant également des trolleys à partir des automitrailleuses BA-10 et BA-20 et même un projet de torpille sur rail pour détruire un train blindé ennemi ! Au 22 juin 1941, l'Armée Rouge compte encore 37 trains blindés et le NKVD en aligne également, notamment des croiseurs sur rail MBV D-2. Ils jouent un rôle important dans les batailles de 1941 où beaucoup sont perdus. Les Soviétiques développent progressivement deux nouveaux modèles de trains blindés, l'OB-3 puis le BP-43. 200 trains sont également construits pour la défense anti-aérienne. Les Allemands, à partir de 1941 et surtout 1942, se mettent à utiliser les matériels capturés en Pologne en en URSS pour la lutte anti-partisans. Puis ils construisent un premier modèle de train blindé, le BP-42. Un modèle plus lourd, le BP-44, suit, avec des croiseurs sur rails. En tout, l'Allemagne fabrique 70 trains blindés. Pendant la guerre, l'Italie utilise quelques exemplaires dans la lutte anti-partisans et les Anglais en déploient à l'été 1940 au moment de la menace d'une invasion allemande.





Après la guerre, les Soviétiques et les Polonais utilisent encore leurs trains blindés contre les partisans de l'UPA, puis les Français et les Anglais durant les guerres de décolonisation. Durant la décennie 1960, des trains blindés soviétiques patrouillent la frontière avec la Chine, avec laquelle la tension monte. Puis certains sont encore employés à la chute de l'URSS en Arménie, plus tard en Tchétchénie. La guerre en ex-Yougoslavie voit la création de trains blindés improvisés. 

Le travail de Steven Zaloga, abondamment illustré par des photographies et de profils couleurs de Tony Bryan, est en outre pourvu d'une bibliographie commentée, ce qui est appréciable. Un excellent ouvrage d'introduction au sujet, un travail bien réussi.


Au commencement était la guerre...24/Bérets bleus. Un rapide aperçu des forces aéroportées russes

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Article publié simultanément sur le site de l'Alliance Géostratégique.
 

Curieux destin que celui des forces aéroportées soviétiques, puis russes. Alors que l'URSS est une pionnière de l'emploi des troupes parachutistes et aéroportées, toutes les opérations d'envergure menées pendant la Grande Guerre Patriotique se terminent en désastre, faute de moyens aériens suffisants et de planification, le plus souvent. Pendant la guerre froide, les VDV deviennent une réserve stratégique destinée à des missions dans la profondeur du dispositif adverse. Mécanisées et dotées de moyens lourds, les troupes aéroportées soviétiques ne disposent pourtant pas, là encore, de suffisamment d'avions de transport pour jouer leur rôle stratégique. Elles sont engagées comme infanterie d'élite en Afghanistan, aérotransportées ou par le biais des hélicoptères, dont elles sont l'une des premières bénéficiaires au sein de l'Armée Rouge. Après la chute de l'URSS, les VDV doivent batailler pour trouver leur place au sein d'une armée russe en pleine restructuration. Mais grâce à des connexions avec le politique et à la personnalité de certains de leurs commandants, les « bérets bleus » conservent leur image d'une élite, un véritable modèle pour l'armée russe dont on nie trop souvent les capacités. Or celles-ci, et en particulier depuis le conflit en Géorgie d'août 2008, ne cessent d'évoluer et de se peaufiner.


L'URSS, pionnière des troupes aéroportées... jusqu'à la litanie des désastres de la Grande Guerre Patriotique


Les Soviétiques ont été des précurseurs dans l'emploi de troupes et de moyens aéroportés durant l'entre-deux-guerres. La première unité aéroportée est formée, après des expérimentations, dans le district militaire de Léningrad, en 1931. En 1932, il existe déjà quatre unités et l'année suivante, celle de Léningrad devient la 3ème brigade spéciale aéroportée, comprenant des parachutistes et des troupes transportées par planeurs. Les premières manoeuvres d'envergure ont lieu dans le district militaire de Biélorussie en 1934. 2 500 parachutistes soviétiques sautent l'année suivante devant un parterre d'observateurs étrangers lors de nouveaux exercices près de Kiev, qui impressionnent fortement les Allemands1. La Wehrmacht développe alors ses propres formations aéroportées, promises à l'avenir que l'on sait.



Rattachés à l'armée de l'air, les paras de la 212ème brigade aéroportée sont envoyés en Extrême-Orient et combattent comme simple infanterie lors de la bataille de Khalkhin-Gol contre les Japonais, en 1939. De la même façon, les paras des 201ème, 204ème et 214ème brigades sont réduits à un rôle de fantassins durant l'invasion de la Pologne à partir du 17 septembre 1939. Le premier saut opérationnel a eu lieu, en fait, en 1929, contre des rebelles d'Asie Centrale. Mais le premier lâcher d'envergure est réalisé en novembre 1939 près de Petsamo, lors de la guerre d'Hiver contre la Finlande : il n'est pas concluant, de même qu'un autre un peu plus tard contre la ligne Mannerheim. Trois brigades de paras sont alors à nouveau engagés au sol comme infanterie d'élite. Lors de l'occupation de la Bessarabie, en juin 1940, les 201ème et 204ème brigades sont parachutées ou aérotransportées, la 214ème étant maintenue en réserve.

Parachutistes soviétiques durant les manoeuvres de Kiev, en 1935.


Fin 1940, l'Armée Rouge, au vu des succès allemands à l'ouest en la matière, monte le nombre des brigades à 6 et regroupe en 1941 les 5 stationnées à l'ouest de l'URSS dans un premier corps aéroporté. Chaque corps comprend en fait 3 brigades et s'assimile plus à une division de type occidental. Mais les moyens aériens font largement défaut : il faut 120 vieux TB-3 pour larguer une seule brigade... mais les Soviétiques n'en ont alors pas plus de 200 en service ! Avec l'invasion allemande, le nombre est encore réduit. Les forces aéroportées récupèrent tout de même 50 PS-84 (la copie du DC-3 américain), mais cela reste nettement insuffisant. Les parachutistes soviétiques vont donc être utilisés par l'Armée Rouge, à nouveau, comme infanterie de choc.

Assez étrangement, les VDV sont étendues à dix corps en septembre 1941 et deux régiments aérotransportés indépendants sont encore rajoutés en août 1942. L'Armée Rouge procède à des largages au moment de la contre-offensive soviétique devant Moscou : la 201ème brigade est jetée derrière les lignes allemandes dans la nuit du 2 au 3 janvier 1942, puis dans un saut raté autour de Vyazma le 18 janvier ; la 204ème tombe elle autour de Rjev les 14-22 février. Le plan le plus ambitieux prévoit le largage du 4ème corps aéroporté derrière les lignes allemandes, autour de Vyazma. Mais il n'y a pas assez d'appareils de transport : 22 TB-3 et 40 PS-84, là où il faudrait au bas mot 500 avions. Un quart du corps seulement est donc parachuté entre le 27 janvier et le 2 février 1942 (2 100 hommes) en plusieurs rotations, dans un temps épouvantable. L'opération est un échec total et les survivants rejoignent un corps de cavalerie. Le reste du 4ème corps aéroporté est pourtant employé pour soutenir une autre contre-attaque et il est largué entre la nuit du 17 au 18 février et celle du 22 au 23 février derrière les lignes allemandes. Dispersé, les paras combattent comme unités de partisans avant de rejoindre les lignes soviétiques en juin.

Vue d'artiste de la bataille de Vyazma, où des formations aéroportées soviétiques sont en vain gaspillées sur les arrières allemands.


Le 4ème corps aéroporté est reconverti en divisions de fusiliers de la Garde. Mais l'armée de l'air soviétique recrée des divisions aéroportées de la Garde entre septembre 1942 et février 1943 et 6 autres sont ajoutées après l'été 1943. Cependant, ces paras sont utilisés comme infanterie de choc par l'Armée Rouge, entre autres lors de la bataille du saillant de Koursk, en juillet 1943, dans la phase défensive en particulier. Le dernier grand saut est organisé en septembre 1943 pour aérotransporter les 10 000 hommes des 1ère, 3ème et 5ème brigades au-delà du Dniepr, afin de créer une tête de pont de l'autre côté du fleuve derrière lequel les Allemands se sont retranchés tant bien que mal. Le saut de Kanev, du nom de la localité près de laquelle il a lieu, est encore une fois un échec complet. Paradoxalement, les seules opérations aéroportées réussies sont celles de faible envergure menées par des unités spéciales de fusiliers marins en Crimée et par des détachements improvisés de l'armée, en Mandchourie, contre les Japonais, en août 1945 !


Les VDV, réserve stratégique de l'Armée Rouge pendant la guerre froide... et infanterie de choc


Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les VDV sont dans une situation pour le moins paradoxale. Elles ont fait preuve d'une combativité exceptionnelle -pas moins de 196 desantniki ont été faits Héros de l'Union Soviétique- mais toutes les opérations aéroportées de grande ampleur se sont terminées en fiasco. C'est surtout dû à un manque d'appareils, mais aussi à une absence évidente de planification et de préparation des sauts et des opérations aéroportées de manière générale. En 1946, les VDV passent au ministère de la Défense pour servir de réserve stratégique. L'étude des opérations de la Seconde Guerre mondiale n'est guère encourageante. Les Soviétiques constatent que des troupes aéroportées ne peuvent réussir, sur le plan tactique, que contre un ennemi déjà affaibli. En revanche, elles conservent leur utilité pour désorganiser les arrières d'un adversaire devant faire face à une attaque conventionnelle mécanisée.

En 1956, les VDV sont transférées aux forces terrestres et sont commandées par le général Margelov, un héros des fusiliers marins de la Grande Guerre Patriotique, qui va entamer la modernisation des troupes aéroportées. L'année précédente, l'An-8 est entré en service et offre au VTA, l'aviation de transport militaire, son premier appareil moderne. L'An-12 suit en 1964. Un autre problème auquel sont alors confrontées les VDV est le manque d'armes antichars, bien qu'elles aient été les premières, dans les années 1930, à employer des canons sans recul. Dans les années 1950, elles commencent à recevoir le canon sans recul B10 de 82 mm, puis le B11 de 107 mm. Pour le combat rapproché contre les chars, une étude du Panzerfaust allemand débouche sur la fabrication du RPG-1, bientôt suivi du RPG-2. Des véhicules aérotransportables sont rapidement conçus : l'ASU-76 et surtout l'ASU-572, armé d'un canon antichar de 57 mm, qui entre en service en 1955 à raison de 9 par régiment. Il peut être largué par container depuis les ailes d'un Tu-4, puis on met au point un système de freinage par fusées. L'ASU-85, développé à partir du char léger amphibie PT-76, entre en service en 1960 à raison d'un bataillon de canons d'assaut de 31 véhicules par division : il est conçu pour être largué depuis l'An-12.


 


En 1964, les VDV reviennent sous l'autorité du ministère de la Défense comme force spéciale à disposition du haut-commandement soviétique. Pour s'adapter à la doctrine nucléaire et à un champ de bataille « vitrifié »3, les VDV reçoivent un véhicule léger inspiré du BMP leur pemettant d'évoluer sur un terrain atomisé, le BMD, à partir de 1970. Les VDV passent d'une infanterie parachutée ou aérotransportée à une force d'assaut mécanisée. Progressivement, au lieu d'un régiment, c'est toute la division aéroportée qui est équipée de BMD, à raison de 320. Le véhicule fournit une bonne mobilité et une puissance de feu appréciable aux « bérets bleus ». Le BMD-1 entre officiellement en service en 1973 et le BMD-2 en 1979 : chacun se décline en plusieurs versions. Autre innovation de taille : le début de l'emploi tactique des hélicoptères par l'Armée Rouge, à partir de 1967. Jusqu'ici, les VDV ont été conçues comme force aérotransportée ou parachutiste, ce qui suppose parfois de disposer de terrains pour un déploiement en avant, comme lors de l'invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 ou du coup sur Kaboul en 1979 précédent l'invasion de l'Afghanistan. L'arrivée de l'hélicoptère change un peu ce postulat. Avec l'entrée en service du Mi-8, les premières brigades aéromobiles sont formées dès les années 1970. Puis, des brigades d'assaut aérien leur succèdent dont deux des quatre bataillons d'infanterie comprennent des BMD, transportés par Mi-6 puis Mi-26.

A la fin de la guerre froide, les divisions aéroportées soviétiques alignent 6 500 hommes, sensiblement moins que leurs homologues américaines, mais leur vocation est différente : ce sont des unités d'assaut aérien mécaniséées avec leurs 320 BMD, en particulier. Le transport des 7 divisions aéroportées soviétiques est cependant limité par le nombre d'appareils du VTA, qui aligne alors 600 avions environ : 370 An-12, 170 Il-76 et 50 An-22. L'An-12 a un rayon d'action de 1 400 km et peut transporter un ou deux BMD. Un régiment équipé de BMD nécessite donc de 90 à 115 An-12. L'Il-76, lui, a un rayon d'action de plus de 5 000 km et embarque 3 BMD ou 120 paras. Un régiment de BMD serait alors convoyé par 50 à 65 Il-76. L'An-22, qui peut aller jusqu'à plus de 4 000 km, peut contenir 4 BMD ou 175 paras. En outre, le VTA peut incorporer si besoin les 200 An-12 et Il-76 d'Aeroflot, bien qu'ils ne soient pas configurés pour le transport militaire. On voit donc que le VTA ne peut embarquer qu'une seule division aéroportée à longue distance, ou deux ou trois divisions allégées sur courte distance. 


 


De la survie après la fin de la guerre froide au statut de « vitrine » de l'armée russe


Les VDV demeurent, après la fin de la guerre froide, une grande source de fierté pour la Russie. Auréolés de leur participation intensive à la guerre en Afghanistan (1979-1989), les « bérets bleus » sont dépeints comme des troupes dures, agressives, bien entraînées et efficaces. Ils sont censés avoir le meilleur équipement, être mieux payés que d'autres branches de l'armée et aussi recevoir les meilleurs conscrits. Les VDV sont donc un modèle face à l'image traditionnelle qui s'attache désormais à l'armée russe, celle d'une torpeur ambiante, de la corruption et d'un criant manque d'efficacité.

Pourtant, avec la chute de l'URSS, on s'est interrogé sur l'éventuel maintien des VDV, prévues pour des opérations en profondeur dans le dispositif ennemi. Depuis 1991, les VDV se sont cherchées un nouveau rôle pour ne pas disparaître des tableaux d'effectifs de l'armée russe. Il faut dire que cette force bien entraînée, avec un esprit de corps, des moyens mobiles et un vrai potentiel de combat, était convoitée par beaucoup. La vulnérabilité des VDV vient alors du fait qu'elles constituent une branche séparée : les formations ne dépendent pas du district militaire où elles sont basées. Les VDV constituent la réserve stratégique à disposition du commandant en chef de l'armée, autrement dit le président lui-même.

En outre, la mission des VDV a disparu et les bérets bleus sont employés à nouveau, comme cela avait été le cas pendant la Seconde Guerre mondiale mais aussi en Afghanistan, comme une infanterie d'élite, pendant les guerres en Tchétchénie. Les longues périodes d'engagement affaiblissent d'autant les entraînements au saut ou aux opérations aéroportées. Devenue une infanterie de choc, les VDV sont menacées d'être absorbées par l'armée de terre, surtout à partir du moment où, en 2005, les derniers éléments quittent la Tchétchénie. Les derniers à partir sont les paras du 45ème régiment indépendant de reconnaissance spetsnaz.

Ce débat sur le rôle des VDV s'inscrit sur la toile de fond des coupes sombres portées à l'armée russe depuis la chute de l'URSS. Les VDV y échappent en partie sous Eltsine car Pavel Grachev, ministre de la Défense entre 1992 et 1996, est un ancien des forces aéroportées soviétiques. Grachev ajoute même un régiment de chars lourds à la 104ème division aéroportée : il souhaite maintenir l'indépendance des VDV et augmenter leur puissance de feu, car ils les voient comme les troupes de choc de l'armée russe. En outre, le président russe aime avoir sous la main cette réserve facile à contrôler. Le successeur de Grachev, Rodionov, qui vient de l'arme blindée, tente au contraire de réduire les prérogatives des VDV. Celui-ci est remplacé en 1997 par le général Sergeyev, un ancien des forces stratégiques soviétiques, qui prône une armée plus réduite et plus flexible, basée en particulier sur l'arme nucléaire, ce qui correspond à la volonté politique du moment. Il réduit les effectifs à 1,2 millions d'hommes en janvier 1999. Mais les mesures prises sont particulièrement impopulaires au sein de l'armée et des pressions aboutissent à son remplacement, en mars 2001, par Sergei Ivanov, nommé par le président Poutine.

Ivanov est le premier non-militaire à prendre les commandes du ministère de la Défense : comme Poutine, c'est un ancien du KGB. Mais cela signifie aussi qu'il n'a pas d'appuis dans l'armée et suit la moindre ligne de résistance : il arrête les coupes et ne peut véritablement mettre au point les réformes pour une armée plus réduite et plus flexible. Poutine le remplace en mars 2007 par Anatoliy Serdyoukov, un autre civil, qui doit tout au président : celui-ci espère qu'il saura s'attaquer à la taille de l'armée et à sa corruption.

Après la chute de l'URSS, les VDV avaient été réduites de 7 à 5 divisions, soit 35 000 hommes environ. Les deux divisions perdues se trouvaient sur les territoires de républiques devenues indépendantes. Une autre division parmi les 5 restantes, la 104ème, est dissoute -elle renaît plus tard dans sa base d'Oulyanovsk sous le nom de 31ème brigade aéroportée indépendante. Reste donc 4 divisions : la 7ème à Novorossiysk, la 76ème de Pskov, la 98ème d'Ivanovo et la 106ème de Toula. Chaque division perd un régiment aéroporté et n'en compte plus que deux. Elle comprend donc, désormais, environ 5 000 hommes. Au même moment est créé le 45ème régiment indépendant de reconnaissance spetsnazà Kubinka, près de Moscou, fort de 700 hommes, destiné aux opérations spéciales sous la houlette de GRU (le renseignement militaire). Les centres d'entraînement des VDV demeurent à Riazan (maison-mère des forces aéroportées russes) et Omsk.

En 2006, une réorganisation aboutit à des changements structurels. Les 98ème et 106ème divisions conservent une capacité aéroportée, mais les 7ème et 76ème divisions, ainsi que la 31ème brigade indépendante, s'intitulent désormais divisions d'assaut aérien, ce qui signifie qu'elles sont aérotransportées sur la zone des combats, par avion ou hélicoptère. Cependant, un bataillon des 7ème et 76ème divisions reste formé au saut. La 7ème division reçoit en plus le qualificatif de division d'assaut aérien « de montagne », purement pour la forme, d'ailleurs, car aucun entraînement particulier à la guerre en montagne n'est programmé. Les deux divisions reçoivent des unités de canons automoteurs pour renforcer leur puissance de feu. En revanche, la 31ème brigade indépendante perd ses véhicules blindés et son artillerie organique et, comme ses homologues occidentales, opère désormais à pied.

La professionnalisation de l'armée russe commence dès le milieu des années 1990. Cette exigence répond à la fois à des critères militaires, politiques et sociaux. L'armée russe compte embaucher des volontaires sous contrat (3 ans) relativement bien payés, dans la mesure du possible. A l'intérieur de l'armée, des généraux sont opposés cependant à abandonner le modèle soviétique d'une armée de masse, craignant notamment un possible conflit avec la Chine. Néanmoins, en 2002, le 104ème régiment de la 76ème division est choisi pour être le premier de l'armée russe entièrement composé de contractuels, ou kontraktniki. Fin 2007, à l'exception de la 106ème division, toutes les formations des VDV devront être composées, en théorie, de plus de 90°% de kontraktniki. Les VDV sont donc en pointe du processus de professionnalisation.

Formant la réserve stratégique à disposition du président, les VDV ont construit une relation particulière avec l'exécutif russe. Le commandant des VDV bénéficie ainsi du soutien politique du président pour éviter l'absorption dans les forces terrestres et peut se permettre de glisser ses propres idées au pouvoir politique au regard des réformes en cours. Ces atouts sont accentués par la forte personnalité des commandants des VDV et par la bonne image dont jouissent les bérets bleus au sein de l'opinion publique du pays. Le général Shpak, qui a commandé les VDV entre 1996 et 2003, devenu gouverneur régional, a ainsi empêché avec succès les tentatives les plus marquées pour assigner les VDV aux forces terrestres, mises en oeuvre par le chef de l'état-major général de l'époque, le général Kvashnin.

Le général Vladimir Shamanov, commandant des VDV.

Shpak est suivi par Kolmakov, jusqu'en 2007, puis celui-ci est remplacé par Yevtukhovich jusqu'en 2009. Ce dernier à fort faire face au nouveau chef de l'état-major général, Makharov, qui cherche encore à faire passer les VDV sous son contrôle. Yevtukhovich est remplacé en mai 2009 par le général Shamanov. Celui-ci a eu un rôle important dans le changement organisationnel des VDV et mérite une attention particulière. Nommé deux fois Héros de la Fédération de Russie, Shamanov est un personnage haut en couleurs, à la fois adulé et contesté. Né en 1957, il a rejoint l'armée soviétique en 1974 et a commandé une section d'artillerie de la 76ème division, puis une compagnie à l'école de Riazan, jusqu'en 1985, où il forme les cadets au commandement au niveau de la section et de la compagnie. Le commandant de la 76ème division, le général Shpak, note qu'il est un bon chef de compagnie. Shamanov devient finalement commandant de bataillon dans cette unité4. Il ne sert pas en Afghanistan, ce qui est plutôt rare dans le vivier des officiers des VDV de l'époque : le fait de ne pas être un Afghantsy sera d'ailleurs, pour lui, un handicap. Il sort diplômé du collège d'état-major de Frunze en 1989. En 1990, il est commandant adjoint du 300ème régiment aéroporté de la 98ème division basée à Kishinev,/Chisinau, en Moldavie, alors commandée par le frère du général Alexander Lebed. Le commandant du régiment est Kolmakov, qui prendra plus tard la tête des VDV. En dépit du fait qu'il ne soit pas un Afghantsy, il commande en 1991 le 328ème régiment de la 104ème division, stationnée en Azerbaïdjan. Il essaye de rejoindre l'académie Frunze de l'état-major général, mais son supérieur refuse de le transférer : Shamanov le frappe alors en plein visage !

Pendant la première guerre de Tchétchénie, il occupe le poste de chef d'état-major de la 7ème division. En mars 1995, il commande un détachement opérationnel. Son style de commandement « en avant » lui vaut d'être blessé lorsque son BTR saute sur une mine. On l'accuse, en octobre 1995, d'avoir pris d'assaut l'aéroport de Sleptovsk en Ingouchie, qu'il croyait être tombé aux mains des rebelles, assaut qui a entraîné la mort d'un civil. Ce même mois, il est devenu commandant adjoint des forces russes en Tchétchénie et commandant adjoint de la 58ème armée du district militaire du Nord-Caucase. Au mois d'avril 1996, il commande les forces de l'armée russe engagées en Tchétchénie. En juillet 1996, il entre enfin à l'académie de l'état-major général, ce qui lui évite accessoirement de prendre part au retrait russe de Tchétchénie après les accords d'août 1996. Diplômé en 1998, Shamanov devient chef d'état-major et commandant adjoint de la 20ème armée combinée de la Garde stationnée à Voronej. Mais rapidement, il reprend la tête de la 58ème armée du Nord-Caucase et devient chef du Groupe Ouest du contingent russe engagé dans la deuxième guerre de Tchétchénie : Shamanov est considéré comme l'un des artisans du succès de 1999-2000, où les rebelles sont écrasés de manière plus rapide mais aussi plus brutale que lors du premier conflit. Le succès de Shamanov lui vaut l'estime du président Poutine, qui a été le principal bénéficiaire de ce renouvellement de la guerre en Tchétchénie, en plus d'en être son principal promoteur. Shamanov ne s'embarrase guère de scrupules et utilise la puissance de feu sans discrimination contre combattants et civils. Son supérieur, le colonel-général Trochev, qui commande le groupe des forces du ministère de la Défense engagé en Tchétchénie, reproche à Shamanov sa brutalité. Le général Alaskhanov, conseiller du président Poutine, le surnomme tout simplement « le boucher ». Quand son supérieur, le colonel-général Kazantsev, qui commande le district militaire du Nord-Caucase, tente de le freiner, Shamanov réplique : « Ce n'est pas à toi de me faire la leçon ! » . Shamanov est mis en cause dans un massacre survenu à Alkahn-Yurt, en 1999 ; plus tard, il prend la défense du colonel Budanov, un de ses surbordonnés, accusé d'avoir étranglé et peut-être violé une jeune fille tchétchène.

Il est protégé jusqu'à un certain point par Poutine, mais ses adversaires obtiennent son retrait anticipé de l'armée et de Tchétchénie en août 2000. Le président propose alors à Shamanov le poste de gouverneur de l'oblast d'Oulyanovsk. Mais le rôle n'est pas fait pour lui : il conduit l'oblast comme un régiment de parachutistes. En novembre 2004, il devient donc l'adjoint du Premier Ministre Fradkov, et le conseille sur les questions sociales en rapport avec les engagés volontaires de l'armée. En 2006, il conseille le ministre de la Défense Ivanov. Mais lors d'une rencontre avec G.W. Bush à la Maison Blanche en mars 20075, Shamanov fait encore une fois scandale en comparant les Etats-Unis à l'Allemagne nazie ! En novembre, Poutine le nomme responsable de la branche de l'entraînement de l'armée, visiblement pour soutenir le nouveau ministère de la Défense, Serdyoukov. C'est Shamanov qui organise, entre autres, le défilé de la commémoration de la victoire de la Seconde Guerre mondiale, le 9 mai 2008, qui est le premier depuis la chute de l'URSS à inclure des engins blindés et autres véhicules lourds : un symbole du retour de la puissance russe, en quelque sorte. Le président place en fait un homme qui lui est redevable en tout, d'où la nomination suivante de Shamanov à la tête des VDV en mai 2009. Celui-ci incarne à merveille le modèle que sont devenues les troupes aéroportées pour l'armée russe et le grand public. Mais il continue ses frasques : en octobre 2009, il envoie une section de paras du 45ème régiment indépendant spetsnaz pour empêcher une descente de police visant son gendre, accusé de meurtre... et il conserve son poste. En octobre 2010, il est victime d'un grave accident de voiture alors qu'il part de Moscou pour visiter la 106ème division à Toula ; son chauffeur est tué dans l'accident. Ce qui ne l'empêche pas de continuer à exercer ses fonctions.

 


Les réformes depuis la guerre en Géorgie d'août 2008


Le conflit en Géorgie en août 2008 met en lumière les forces et les faiblesses de l'armée russe face à un adversaire conventionnel, une configuration qui n'avait pas été vue depuis longtemps. Les VDV vont plutôt bien se comporter durant la guerre où elle joue un rôle-clé : les 104ème et 234ème régiments de la 76ème division et le 217ème régiment de la 98ème division sont engagés en Ossétie du Sud. Yetukhovich, le commandant des VDV, supervise les opérations. Deux bataillons de la 76ème division ont mis moins de 24 heures pour être aérotransportés depuis Pskov jusqu'à Beslan, en Ossétie du Nord : leur déploiement a été plus rapide que celui des unités des 19ème et 42ème divisions de fusiliers motorisés basées à proximité des lieux. Par ailleurs, des hommes du 45ème régiment indépendant de reconnaissance spetsnaz sont impliqués dans la défense de Tskhinvali contre les Géorgiens, aux côtés du contingent russe de maintien de la paix présent sur place, dès le début des hostilités. Les VDV, toujours en pointe du dispositif russe, manque cependant de protection aérienne contre d'éventuel raids géorgiens, ou de moyens antiaériens, ainsi que de reconnaissance. En Abkhazie, 8 bataillons de paras sont déployés en 5 jours, mais pas en brigade ou division constituée : ils opèrent donc plus ou moins indépendamment. Les VDV constituent pratiquement l'intégralité de l'effectif russe au sol en Abkhazie, sous les ordres de Shamanov. Celui-ci doit affronter des problèmes de transmission (manque de radios) et constate aussi l'absence de moyens de vision nocturne, de sniping et de reconnaissance -drones en particulier. Les véhicules des VDV sont vulnérables aux mines, aux blindés et aux armes antichars géorgiens, des faiblesses qui auraient pu coûter cher face à un adversaire plus efficace.

La performance de l'armée russe pendant la guerre en Géorgie permet au ministre de la Défense Serdyoukhov de vaincre la résistance des généraux les plus conservateurs et de commencer à mettre en chantier un certain nombre de réformes. Une nouvelle structure district militaire-commandement opérationnel-brigade est mise en place. L'instauration du niveau brigade est une grande première pour l'armée russe et montre un alignement sur des pratiques occidentales survenues dès les années 1990 pour accroître la flexibilité du dispositif militaire face aux nouvelles formes d'intervention survenues avec la fin de la guerre froide. Les 203 divisions de l'armée russe sont progressivement fondues dans 83 brigades. Les VDV n'échappent pas à la règle : elles doivent perdre d'ailleurs leur indépendance en tant qu'arme séparée, et la 106ème division est choisie pour être dissoute en premier, puisqu'elle compte le plus faible nombre de kontraktniki. Les paras seront redistribués dans les autres divisions ou formeront le noyau des nouvelles brigades d'assaut aérien des districts militaires, une par district (6 en tout). Les 7ème, 76ème et 98ème divisions seront dispersées dans les districts militaires au niveau brigade, de façon à ce qu'une force de réaction rapide soit présente partout, et non plus seulement à l'ouest où étaient traditionnellement basées les divisions aéroportées. Ce rééquilibrage couperait aussi le lien politico-militaire créé avec le président, mais montrerait également que l'OTAN n'est plus forcément considéré comme l'ennemi principal par la Russie, la Chine étant également sur les rangs.

Cependant Shamanov s'oppose à ces réformes à son arrive à la tête des VDV en mai 2009. Il argue que les changements structurels demandés ont déjà été accomplis par son prédécesseur Kolmakov, qui avait renforcé les bataillons aéroportés avec des moyens de reconnaissance et d'artillerie. En outre, les paras ont toujours combattu depuis la Tchétchénie sous un format de bataillon renforcé. Shamanov souligne que les VDV sont en avance en termes de réorganisation et, avec la protection de Poutine, parvient à stopper les réformes prévues. Les divisions ne sont pas converties en brigades, la 106ème division est maintenue. La structure des 4 divisions comprend désormais deux régiments aéroportés, un régiment d'artillerie, un régiment de SAM, un régiment de sapeurs, un bataillon de transmissions, un bataillon de maintenance, un bataillon de soutien logistique et une compagnie médicale. Shamanov a renforcé la composante antiaérienne et a rajouté aussi un bataillon de reconnaissance par division, tirant les leçons de ses observations en Abkhazie.

D'autres changements sont intervenus suite aux leçons du conflit géorgien. En mars 2010, la 76ème division a testé un nouveau système de commandement et de contrôle tactique, baptisé Sozvezdiye. La 106ème division conduit des opérations aéroportées où des véhicules BMD sont largués, parfois avec leurs équipages à l'intérieur, ce qui n'avait pas été vu depuis longtemps. Shamanov veut absolument remplacer le BMD-4 dont la performance l'a déçu en Géorgie. Les VDV reçoivent, en attendant, quantité de véhicules standards ; plus de 700 rien qu'en 2009. L'absence de drones a été criante pendant la guerre. Les VDV commencent à s'entraîner sur des modèles israëliens, et Shamanov pense même à employer des planeurs bardés d'électronique pour la reconnaissance et des modèles armés pour abattre les drones ennemis -qui ne peuvent être engagés par les ZSU-23 ou les SA-18. L'entraînement est renforcé : la 7ème division, qui avait connu des problèmes d'embarquement sur les navires de la flotte de la mer Noire pendant le conflit, mène désormais trois exercices par an et a renforcé la coopération avec la marine. Les VDV entraînent également les sous-officiers de l'armée de terre à l'école de Riazan. Si elles ne sont pas entièrement professionnalisées et comportent encore des conscrits, le principal problème reste l'absence pénalisante d'un vivier de bons sous-officiers. Chacune des 5 grandes unités des VDV doit fournir un bataillon parachutiste ou d'assaut aérien disponible sous 24 heures ; mais ceux-ci « pompent » les moyens des divisions et réduisent parfois les autres bataillons à des formations de seconde ligne... Les 7ème et 76ème divisions d'assaut aérien ne disposent toujours pas de suffisamment d'hélicoptères pour remplir leur véritable fonction.


 


Pour en savoir plus :


Ray FINCH, One Face of the Modern Russian Army: General Vladimir Shamanov, The Journal of Slavic Military Studies, 24:3, 396-427, 2011/

Rod THORNTON, ORGANIZATIONAL CHANGE IN THE RUSSIAN AIRBORNE FORCES : THE LESSONS OF THE GEORGIAN CONFLICT, Strategic Studies Institute, décembre 2011.

Steven ZALOGA et Ron VOLSTAD, Soviet Elite Forces, Elite 5, Osprey, 1985.

1Relu récemment dans le tome 2 de la trilogie de l'ancien SS Paul Carell, Opération Terre brûlée, après l'évocation du désastre de Kanev, p.308 : « Parmi les documents qu'a laissés le général Köstring, qui fut longtemps attaché militaire à Moscou, nous lisons : C'est au cours de cette manoeuvre, dans les montagnes du Caucase [en 1932], que j'ai assisté pour la première fois à un engagement de troupes parachutées. J'avais pris plusieurs photographies de ce premier lâcher et d'autres sauts postérieurs, et je les avais envoyées à Berlin. Or, il m'a été dit, des années plus tard, au ministère de l'Air allemand, que c'étaient mes photos qui avaient incité Göring à créer des formations allemandes de parachutistes. » .
2En mars 1978, plusieurs ASU-57 sont utilisés par les conseillers militaires soviétiques lors d'une opération héliportée d'envergure pendant l'offensive finale de la guerre de l'Ogaden (1977-1978). Les véhicules sont probablement transportés par des Mi-6.
3Pour une analyse plus fine de la doctrine militaire soviétique de l'époque et notamment de l'emploi des troupes aéroportées et des hélicoptères, je renvoie au n°13 du magazine Histoire et stratégie.
4On s'est beaucoup interrogé sur l'ascension fulgurante de Shamanov au sein des VDV. Certains auteurs pensent qu'il avait attiré l'attention, à Riazan, du commandant des VDV, le général Soukhoroukov, ou bien que le nouveau commandant de l'académie, Slusar, Héros de l'Union Soviétique et vétéran d'Afghanistan, ne voulait pas à Riazan de commandant de bataillon qui ne soit pas un Afghantsy.
5Shamanov fait alors partie de la commission jointe russo-américaine à propos des prisonniers et disparus de la guerre froide.

L'autre côté de la colline : le siège de Constantinople (2/2)

William RYAN, Film noir à Odessa, Grands Détectives 4711, Paris, 10/18, 2013, 382 p.

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1937, URSS. L'inspecteur Korolev, de la police criminelle soviétique, décoré pour la résolution de sa première enquête l'année précédente, reste cependant à la merci du NKVD en raison des ramifications de cette affaire. Un soir, un agent de la police politique vient le trouver chez lui. Korolev craint pour sa vie mais le colonel Rodinov le charge en fait de résoudre le meurtre d'une citoyenne Soviétique, Maria Lenskaïa, qui travaille dans le secteur du cinéma. Il est expédié en Ukraine, ravagée par la collectivisation mise en oeuvre par Staline, où a lieu le tournage du film, là où Lenskaïa a trouvé la mort. A Odessa et dans ses environs, Korolev, qui retrouve sur place ses vieilles connaissances, l'écrivain Babel et le roi des Voleurs de Moscou, Kolya, aura fort à faire pour découvrir la vérité...

William Ryan, Irlandais de naissance, est avocat pour la City, puis se consacre à l'écriture pour le cinéma, la télévision, et maintenant pour la littérature. Le premier tome de la série, que je n'ai pas encore lu -mais la lecture de ce tome-là va vite m'inciter à combler ce manque...-, Le royaume des voleurs, est sorti en 10/18 l'an passé.

C'est une série intéressante dans la collection Grands Détectives car elle cumule deux des atouts les plus recherchés mais pas forcément toujours présents : une bonne intrigue policière et une toile de fond historique intéressante à défaut d'être complètement crédible. Ici, le savant mélange entre les deux est réussi sans que l'on est uniquement du polar ou au contraire une trame tirée de l'histoire avec un grand H qui aspire tout. L'atmosphère oppressante de l'URSS à l'aube des grands procès de Moscou, dans une Ukraine ayant particulièrement souffert du régime stalinien, est particulièrement bien rendue (même si c'est sous un certain angle historiographique), de même que les blessures de la guerre civile russe. La galerie de personnages est variée et on appréciera le sens du détail de l'auteur -mention spéciale à l'intervention des deux pistolets-mitrailleurs PPD-34, pour faire bonne mesure. Surtout, les personnages principaux sont quelque peu étouffés par le carcan stalinien, une touche dont l'auteur a su habilement jouer tout au long du récit.

L'auteur indique par ailleurs à la fin du roman policier ses sources d'inspiration, entre autres le cinéma d'Eisenstein; on peut trouver une bibliographie sommaire (assez classique d'ailleurs, voire un peu datée, ça correspond à la vision de l'URSS présente dans le roman) et des photographies commentées des lieux qui ont inspiré l'histoire sur le site de l'auteur.

 

Vidéo : bande-annonce du Stalingrad (2013) de Fedor Bondartchouk (sortie à l'automne)

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Le cinéma russe nous réserve encore, sans doute, une bonne surprise, avec le Stalingrad de Fedor Bondartchouk, qui devrait sortir à l'automne. Bondartchouk avait réalisé et interprété 9ème escadron (2005). Le film est le premier en Russie à bénéficier de la technologie 3D IMAX. Le scénario est en partie inspiré du fameux épisode de la maison de Pavlov pendant la bataille de Stalingrad.

Les décors ont été reconstruits près de Saint-Pétersbourg avec des moyens impressionnants, et les scènes de combat ont impliqué jusqu'à 900 figurants -ce qui est peu cependant au regard des énormes masses du cinéma soviétique, la 3D comblant ce manque. Car Bondartchouk avait joué dans le film éponyme réalisé par l'URSS en 1989 ; un acteur, Thomas Kretschmann, a lui pris part au Stalingrad de Vilsmaier (1993). La boucle est bouclée, en quelque sorte... 




Patrouilleur 109 (PT 109) de Leslie H. Martinson (1963)

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1943. Le lieutenant John F. Kennedy (Cliff Robertson) joue de l'influence familiale pour se faire affecter à une unité combattante dans le Pacifique. Membre de l'US Navy, Kennedy est affecté à une unité de vedettes lance-torpilles stationnée à Tulagi, dans les îles Salomons. Il fait connaissance avec un des officiers de l'unité en débarquant, le Commander Ritchie (James Gregory), un vieil officier de carrière qui a servi sur un destroyer pendant la Grande Guerre mais sans connaître le feu. Pour mettre Kennedy à l'épreuve, Gregory lui donne une vedette, le PT 109, laissée à l'abandon car en trop mauvais état. Kennedy relève le défi et parvient à remettre à flot le bateau, obtenant bientôt le droit de participer à des missions de combat...

Patrouilleur 109, sorti en juin 1963, cinq mois avant l'assassinat du président Kennedy à Dallas, est le premier film à aborder la vie d'un président américain en exercice. John F. Kennedy a en effet servi pendant la guerre du Pacifique sur la vedette lance-torpilles PT 109.

C'est le père de Kennedy, producteur et directeur de la RKO, qui a négocié l'adaptation de la biographie de son fils à l'écran. Kennedy a personnellement choisi l'acteur qui l'incarne à l'écran, Cliff Robertson, et a souhaité que les bénéfices aillent aux survivants du PT 109 et à leurs familles. Le réalisateur, Martinson, a dû remplacer au pied levé Lewis Milestone, habitué des films de guerre, qui a été remercié en plein tournage. Le tournage en Floride, avec le recours à de nombreux bâtiments de guerre et autres matériels, a donné naissance à des rumeurs de préparatifs américains d'une invasion de Cuba (!). Il a fallu créer de toute pièce ou reconvertir des patrouilleurs d'autres types car plus aucun modèle ayant servi dans le Pacifique durant la Seconde Guerre mondiale n'était disponible. Des AT-6 incarnent, comme souvent, les Zéros japonais. On note la présence d'un LST, d'un destroyer américain, le USS Saufley, et d'une myriade de navires plus petits. 

Le PT-109 fait partie de la classe PT-103 construite par Elco pendant la guerre et le navire entre au service actif le 10 juillet 1942. Ce sont les plus grandes vedettes lance-torpilles de l'US Navymises en oeuvre pendant la guerre, avec 24 m de long et 40 tonnes de déplacement. L'équipage se compose en théorie de 3 officiers et 14 matelots. Les vedettes lance-torpilles doivent profiter de leur vitesse pour mener leurs attaques, mais comme le conflit impose des réductions de maintenance sur la coque, elles sont parfois plus lentes que les destroyers ou croiseurs japonais qu'elles doivent attaquer. En outre, les torpilles ne sont pas efficaces contre les barges japonaises fréquemment visées.Enfin, le carburant d'aviation utilisé pour les moteurs rend toute explosion très dangereuse. Les PT comptent donc sur l'obscurité, la manoeuvre et la vitesse pour mener leurs assauts brusqués. Elles embarquent un canon de 20 mm et des mitrailleuses de 12,7 mm. La PT 109 improvise aussi un montage spécial avec un canon antichar de 37 mm récupéré sur l'US Army. 

Kennedy, en dépit de problèmes de dos, parvient, en jouant de ses relations familiales, à suivre la formation d'officier et à se faire affecter dans le Pacifique. En avril 1943, il arrive à Tulagi au MTB Squadron 2 et prend bientôt le commandement du PT 109. Le 30 mai, les unités font mouvement vers les îles Russell en prévision de l'attaque sur la Nouvelle-Géorgie. Le 16, elles sont basées à Rendova pour mener des attaques nocturnes contre les barges japonaises apportant des renforts et pour signaler les incursions du Tokyo Express. Le 1er août, après l'attaque de la base par 18 appareils japonais, les PT sortent attaquer à la torpille un convoi de destroyers, sans succès. Patrouillant dans le secteur pour détecter des navires japonais, la PT 109 est coupée en deux, à 2h00 du matin, le 2 août, par le destroyer japonais Amagiri qui fonce sur elle à pleine vitesse, entre Kolombongara et Arundel. 2 hommes sont tués dans le choc, et les autres parviennent, sous les ordres de Kennedy, à gagner une île à l'abri des Japonais qui occupent le secteur. Le naufrage a été repéré par un Australien chargé de la surveillance côtière, Evans. Les survivants restent six jours à attendre puis se présentent des indigènes qu'Evans a envoyés à leur rencontre. Après avoir réussi à s'identifier, les Américains écrivent un message de détresse sur une noix de coco. Finalement, les hommes du PT 109 sont récupérés, après que Rendova ait été informé, par le PT 157.

L'incident fait de Kennedy un véritable héros de guerre, ce qui servira à l'occasion sa carrière politique. L'épave du PT 109 a été localisée en 2002. Kennedy conservera la noix de coco et la fait mettre sous glace sur son bureau à la Maison Blanche, pendant son mandat. 


Charles PERSONNAZ, Venizélos. Le fondateur de la Grèce moderne, Paris, Bernard Giovanangeli Editeur, 2008, 191 p.

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Depuis 2001, Bernard Giovanangeli Editeur inonde le marché français de titres (une quinzaine par ans) portant sur l'histoire militaire, au sens large, bien qu'on y trouve beaucoup d'ouvrages consacrés à l'histoire des guerres napoléoniennes, centre d'intérêt principal de l'éditeur. La collection Biographie compte déjà une dizaine de parutions dont celle-ci, dédiée à Venizélos, un personnage important de l'histoire de la Grèce contemporaine. L'auteur, Charles Personnaz, qui travaille pour le ministère de la Culture, prépare une thèse sur les relations entre la France et la Grèce dans les années 20. Curieusement il a aussi signé dans la même collection une biographie d'Alexandre le Grand. Intérêt pour l'histoire grecque, donc, mais sur des périodes très éloignées chronologiquement : l'on en en droit, de prime abord, de s'interroger sur le contenu.

En fait, l'ambition de Charles Personnaz reste fort modeste, comme ille présente dans l'introduction : fournir une biographie courte et appuyée sur quelques références bibliographiques solides d'Eleutherios Vénizelos, et plus généralement intéresser le public français à l'histoire de la Grèce contemporaine, et non pas seulement à celle de la Grèce antique.

Après un rapide tour d'horizon de la "question d'Orient au XIXème siècle" et de la situation du pays jusqu'en 1864, année de naissance de Venizélos, Charles Personnaz revient sur l'enfance crétoise du personnage, marquée par l'occupation ottomane, jusqu'à son entrée en politique. Venizélos, fin politique, est de tous les combats, par la parole ou par les armes, qui conduisent au rattachement progressif de la Crète à la Grèce, jusqu'en 1897-1898. Figure politique dominante de la Crète, Venizélos n'hésite pas à appuyer un mouvement révolutionnaire, en 1905, pour faire abdiquer le prince Georges et aboutir au rattachement de l'île à la Grèce. Il a également expérimenté sa politique en Crète, ce qui lui sera fort profitable pour les responsabilités qu'il exercera en Grèce plus tard.

1908 est une année importante : les Jeunes Turcs prennent le pouvoir dans l'Empire ottoman, la Grèce se sent menacée. Venizélos, patient, attend son heure, ne se compromet pas dans les luttes de pouvoir : en 1910, il devient Premier Ministre. Pour servir le dessein de la "Grande Idée" bâtie au XIXème siècle, le rattachement au pays de tous les endroits où se trouvent des Grecs, Venizélos s'attache à la paix sociale : réforme de l'éducation, de l'agriculture, réduction de la crise économique, emprunts pour reconstruire une armée et une flotte, avec l'aide des Français et des Britanniques. En 1912, allié à la Bulgarie, à la Serbie et au Monténégro, Venizélos jette la Grèce contre les Turcs. La victoire est totale mais entachée par la disparition du roi Georges, assassiné. L'année suivante, les vainqueurs se déchirent entre eux, et la Bulgarie en fait les frais. Venizélos prêche cependant la modération, car les gains sont conséquents : la Grèce a doublé sa superficie et quasiment sa population avec les guerres balkaniques.

Le déclenchement de la Première Guerre mondiale voit la Grèce séparée en deux camps : Venizélos, plutôt pro-allié, s'oppose au roi Constantin XII et à ses partisans qui penchent en faveur de l'Allemagne. Le Premier Ministre démissionne finalement début 1915, mais revient rapidement sur la scène politique d'autant que les premières troupes alliées débarquent à Salonique en septembre. Il faut le coup de forces d'août 1916 pour que les soldats grecs participent véritablement aux combats du côté allié. Venizélos, replié en Crète, rejoint les insurgés de Salonique, qui rebâtissent une armée, créent un gouvernement provisoire. Il faut l'intervention d'un corps expéditionnaire français pour prendre Athènes en décembre, assaut que l'on a parfois qualifié de "vêpres athéniennes". Les ralliements se multiplient et le roi Constantin abdique en juin 1917. Venizélos mène ensuite une sévère épuration.

Venizélos, soutenu par Lloyd George, a rebâti une armée avec l'appui français. Les troupes grecques sont engagées en avril 1918. Attaché à la Grande Idée, Venizélos séduit les gouvernements européens, envoient des troupes grecques combattre les bolcheviks dans le sud de la Russie, et parvient à faire débarquer ses soldats en Asie Mineure en mai 1919. Soutenu par l'Angleterre, face à une France plus réticente, Venizélos voit ces annexions confirmées par le traité de Sèvres en 1920. Mais la Grèce est exsangue, Mustapha Kemal et les nationalistes surgissent sur les ruines de l'Empire ottoman, et l'Angleterre souhaite stabiliser leur emprise pour contrer les bolcheviks. Battus sévèrement une première fois en 1921, les Grecs sont chassés d'Asie Mineure en août-septembre 1922. Les négociations, après l'armistice d'octobre, durent 8 mois : le traité de Lausanne aboutit à un compromis et prévoit notamment un transfert des populations grecques et turques, ce qui désamorce de potentiels conflits pour l'avenir. La République est proclamée en Grèce en 1924, suivie d'une série de coups d'Etats. Venizélos quitte le pouvoir, puis revient en 1928. Mais, devenu autoritaire, il ne réussit pas complètement à redresser le pays, malgré la réconciliation avec la Turquie : il est définitivement battu aux élections de 1933. Forcé à l'exil après un dernier coup d'Etat raté qu'il a soutenu, il meurt à Paris le 18 mars 1936.

Si les grandes lignes du personnage sont bien tracées comme une tragédie grecque (en ce sens le pari défini dans l'introduction est réussi), peut-être un peu trop, d'ailleurs, le format du livre empêche d'exploiter à fond les références récentes citées p.187 et qui auraient permis de muscler le propos sur les dimensions sociales, économiques et politiques -sans parler de celle militaire- qui restent effleurées. Une lecture brève et agréable, donc, mais qui mérite d'être creusée par des ouvrages beaucoup plus consistants. On note aussi la présence d'une unique et trop solitaire carte au début du livre et l'absence d'illustrations.

  

 

Duncan CAMPBELL, Adam HOOK, Ancient Siege Warfare. Persians, Greeks, Carthaginians and Romans 546-146 BC, Elite 121, Osprey, 2005, 64 p.

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Duncan B. Campbell, diplômé de l'université de Glasgow, est un un spécialiste de la poliorcétique grecque et romaine. Dans ce volume de la collection Elite des éditions Osprey, il nous propose un bref aperçu de la guerre des sièges dans l'Antiquité, entre 546 et 146 av. J.-C. .

Partant des Perses achéménides, il commence par rappeler quelques grandes lignes sur la poliorcétique antique. L'assiégeant a alors recours aux échelles pour escalader les murs, aux rampes d'assaut pour les dominer, aux béliers, mais peut aussi miner les remparts ou creuser des tunnels, se servirde la trahison ou instaurer un blocus. Campbell consacre une analyse particulière aux traces laissées par le siège de Palaepaphos, à Chypre, en 499 av. J.-C., île qui s'était révoltée contre les Perses après l'Ionie. Il est possible que les Achéménides aient utilisé des tours de siège, sans doute des béliers, mais la présence d'une artillerie fait encore débat.

Dans la Grèce classique, l'art du siège n'est pas très élaboré ; les Athéniens recourent fréquemment au blocus terrestre ou amphibie, avec lignes de fortifications, sous la Ligue de Délos, pour soumettre des villes ou des îles révoltées (Thasos, Samos). C'est encore la même tactique qui est employée pendant la guerre du Péloponnèse : en Sicile, devant Syracuse, les Athéniens échouent à encercler complètement la cité avec leurs murs, ce qui entraîne la défaite. Les Spartiates, eux, ne recourent à cette même technique qu'à partir du IVème siècle.

C'est en Sicile que l'art du siège se renouvelle quelque peu. Les Carthaginois, en 406, emploient massivement béliers et tours d'assaut pour s'emparer des cités grecques ; mais ce ne sont pas eux qui ont inventé les béliers couverts, contrairement à une légende propagée par les sources antiques, car les Assyriens employaient déjà des béliers. En réaction, le tyran de Syracuse fait construire lui aussi des tours d'assaut. Le traité d'Enée le Tacticien s'attache surtout aux moyens de prévenir les trahisons et de contrer les sapes.

Philippe II de Macédoine est le premier à employer massivement un corps d'ingénieurs qui met à sa disposition des catapultes. Alexandre le Grand mène pendant ses campagnes toute une série de sièges, avec quantité de machines (Milet, Tyr) ou en privilégiant des voies plus directes (Thèbes). Les Macédoniens utilisent des béliers, des abris couverts, des tours d'assaut et des catapultes tirant des flèches ou des pierres. Les diadoques héritent de cet art, même si le plus connu pour ce faire, Démétrios Poliorcète, a en fait échoué devant Rhodes, avec une énorme tour d'assaut (hélépole) neutralisée par les défenseurs.

Les Romains, au IVème siècle, n'en sont alors qu'aux débuts de la poliorcétique, comptant surtout sur le blocus et l'assaut direct en utilisant parfois la tortue pour enfonce les portes. Le traité de Philon de Byzance, à la fin du IIIème siècle, montre que l'assiégé doit s'attendre à l'emploi de nombreuses machines par l'assiégeant. Hannibalemploie de nombreuses machines contre Sagonte, en 219, avant d'en aligner aussi beaucoup lors de certains sièges en Italie. Les Romains ont encore recours, pendant la deuxième guerre punique, à l'assaut direct (Syracuse) ou au blocus. Carthage est soumise au blocus avant d'être prise d'assaut par Scipion Emilien en 146. Le roi de Macédoine Philippe V, lui, n'hésite à pas à employer une machinerie sophistiquée pour assiéger certaines cités. Comme le rappelle l'auteur en épilogue, les villes assiégées qui offrent une quelconque résistance s'expose, si elles tombent, à un pillage en règle et à de nombreuses destructions et exactions de la part des soldats vainqueurs.

Une bibliographie indicative est fournie, peut-être un peu courte. De même, le format de la collection empêche que certains exemples de sièges soit davantage analysés. Les illustrations d'Adam Hook -ci-dessous, le siège de Tyr-, en pleine page, sont agréables mais manquent peut-être un peu de dynamisme : cependant, elle traite parfois de sièges peu connus, ce qui est un plus. En somme, un ouvrage idéal pour s'initier au sujet, mais il ne faut pas en demander davantage.



 

L'autre côté de la colline : Les MiG-29 au combat

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C'est l'article que propose Adrien Fontanellaz pour le troisième et dernier billet sur notre blog collectif, pour le mois de mai. Il compare la performance du MiG-29 au combat à partir de trois exemples analysés et mis en relation. Passionnant.

L'occasion aussi de signaler que, malheureusement, les articles du blog sont déjà repris par des blogs d'extrême-droite, ou manifestant des prises de position conspirationnistes, etc. C'est également arrivé pour Historicoblog (3) et je le déplore. Inutile de préciser que les trois contributeurs de L'autre côté de la colline ne relèvent ni de l'extrême-droite, ni des théories conspirationnistes : ces articles ont d'ailleurs été repris tels quels sans que l'on nous demande notre avis. A toute fin utile, une petite mise au point a été ajoutée par Adrien sur L'autre côté de la colline... pour les amateurs.

Boris ORLOFF, Le feu du diable, Guerre/8, Paris, Editions du Gerfaut, 1964, 219 p.

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Décembre 1942. Alors que la VI. Armee de la Wehrmacht est encerclée dans Stalingrad après l'opération Uranus, la contre-offensive soviétique, le sergent Skribine et son comparse Anton Sassarov mènent leur escouade dans les ruines de la ville, face aux Allemands pris au piège. De péripétie en péripétie, ils participent à tous les coups de main jusqu'à la reddition finale de Paulus et de ses hommes...

Les éditions Gerfaut ont publié, de 1964 à 1985 environ, quantité de ces petits ouvrages de poche dans leur collection "Guerre". Rien de très nouveau, donc, mais j'en ai acquis plusieurs chez un bouquiniste récemment et j'ai voulu voir si mon souvenir était correct, car il m'était déjà arrivé d'en lire un ou deux précédemment.

J'ai donc commencé, une fois n'est pas coutume, par un volume traitant du côté soviétique -car souvent, la collection tombe dans le "Panzerporn", avec un penchant très net en faveur des Allemands, voir au sens littéral du terme avec des scènes bien crues. Avis aux amateurs (lol). Point de tout ça ici puisque l'on suit dans ce livre, qui est l'un des premiers tomes de la collection, le parcours de frontoviki de l'Armée Rouge, sous la plume de Boris Orloff (?), avec dès la première page, la mention indispensable : "Roman de guerre". Ouf, nous sommes sauvés, on n'essaie pas de faire croire au lecteur qu'il s'agit de l'histoire avec un grand H...

L'avantage de ce genre de romans, c'est que ça se lit très bien et très vite : de l'action partout, à la PPSh-41, au lance-flammes, à la crosse de fusil et au T-34, sans pause ou presque. Ce qui me change accessoirement, en ce moment, de lectures plus sérieuses. On note quand même que l'auteur a choisi de nous raconter les tribulations de soldats soviétiques qui mènent l'assaut depuis l'intérieur de Stalingrad après Uranus, et non pas depuis l'extérieur de la ville, ce qui n'est pas banal. Pour le reste, rien de très original, avec pas mal de poncifs, mais je vous laisse découvrir tout ça...

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